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- Car j’ai compris, mon amour: ce que tu veux, ce dont le désir te
brûle plus fort que la brûlure même du désir, il faut le vouloir
si violemment qu’il se détache de toi et t’arrache alors à toi.
Il faut que cela soit, et soit si fort en toi que cela devienne la
force de qui n’a plus besoin de toi. Il faut le déléguer. Il faut
le creuser. Ce que tu veux, il faut le refuser. Par le vide que tu
établis alors en toi de ce que tu désires, la satisfaction et la
jubilation s’en viennent. Elles arrivent par des voies détournées.
Comme le roi des légendes qui veut éprouver le prétendant de sa
fille, il vient vers lui par des voies détournées et le teste, ainsi
l’exultation vient vers toi sous les traits d’une mendiante, la
main tendue et la besace vide. C’est alors qu’il faut donner. C’est
à elle qu’il faut donner: à celle qui a tout, non à toi qui n’as
rien. Ce que tu n’as pas, c’est justement ce qu’il faut
abandonner. Et, ce que tu as, il faut le déléguer. L’objet que tu
façonnes, et l’amour que tu ressens, ils n’atteindront à la
plénitude qu’ils portent en eux qu’à la condition que tu te
retires d’eux, que tu leur cèdes la place. Et sans doute que je ne
sais pas ce que je dis, sans doute même je ne sais pas ce que c’est
que dire. Mais je sais que ce qui est existe non dans son plein d’existence
et son débordement d’exister, mais que cela se tient dans la
retraite et dans le retrait, cela existe au rebord de la condition d’exister,
dans le refus et l’abord, et le difficile, dans l’avance vers ce
qui est, non dans l’installation au beau milieu, dans l’évanouissement
et l’évidement, dans le tragique et le déséquilibre jubilant, non
dans le contentement et la paix à gros ventre. Or n’est-ce pas
ainsi pour le poète: s’il te bouleverse, c’est qu’il s’est
absenté même de son absence, il est exilé dans son propre exil à l’intérieur
de ce qu’il a fait – et que par l’obstination de son travail il
t’offre ce vide essentiel et ce vide empli de tel vide chantant,
comme le plein d’une expérience et d’une extase, où tu le
ressens de la sorte, et t’en trouves de la sorte éprouvé et
affronté et versé avec jubilation dans la nécessité. Ainsi que le
vase que je cherche au bout de mes doigts et qui m’appelle par cette
forme que je suis et cette attention que je lui offre du bout de mes
doigts: il faut que j’en forme le vide en moi – et une fois qu’il
sera formé, son évidence même m’expulsera de lui, et me rejettera
dans le monde incertain entre le monde des choses à faire et des
choses à utiliser, dans le marchandage et le trafic, dans l’usage
et l’abus, et dans le monde encore des mots, des appréciations et
des échanges, des bilans et des forfanteries – quand, cependant, il
y aura eu cet éclair, cette déchirure et ce bouleversement, cette
éternité semblable à ce moment avant que tu ne me dises je t’aime
quand je sais que tu vas dire je t’aime et que tout est
réconcilié, tout est soumis à l’ordre que l’attente de ce mot
établit, ce grain impalpable, ce craquement extasié de noyau d’olive
sous la dent, ce bruit de cigales et ce gros brouhaha de midi, cet
échange incandescent entre un mot de marchand et un crouler de pierre
sous son pas, que j’appelle noces, et qui est noces, par quoi ce qui
est et ce que j’en fais, ce qui est et ce qui est se trouve
réconcilié, et établi, et inaccessible et lumineusement soumis.
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