Il n’y avait personne autour de moi. Il y avait l’insistance des cigales autour de moi. Et le printemps.
J’ai couru vers la soupente aux glaises, vers le four et le tour et la table où se tient ce qui vient du four. Et j’y suis entré et mon cœur, Dieu, Mariam, jamais je n’avais su que j’avais un cœur autrement que pour t’aimer.
Mais soudain, il se fit un grand bruit de par le ciel et de par le ciel propre et proche de Jérusalem. Un bruit comme jamais et un bruit comme je ne veux en entendre jamais. Et il fut nuit.
Nuit.
Il fut noir comme le noir même ne connaît pas telle noirceur: ce n’est pas que l’œil ne voit pas, c’est que ce que voit l’œil est l’invisible, et l’indicible même, et le refus même de l’être à se montrer autrement que par sa terrible absence.
Mon coude a heurté quelque chose. Quelque chose est tombé. Quelque chose a roulé au sol et s’est brisé. Avec fracas, quelque chose a chu et s’est brisé. Mes pieds ont piétiné quelque chose. Je ne voyais rien. Je ne voyais pas même, ainsi que dans la sieste, le soupçon du jour soupçonné au rebord de la fenêtre, mais je voyais le rien. Dans son épaisseur et son obstination, dans sa rétivité et son ressac, le rien béant dans la terreur du rien. Et mes pieds ont piétiné ce que mes bras autour de moi faisaient tomber. A chaque pas que je tentais, quelque chose roulait au sol, quelque chose perdait son équilibre et s’effritait. Or peut-être quelqu’un d’autre était là, qui regardait et se tenait dans l’éploration.
Il faisait nuit, Mariam. Il faisait noir de nuit, et nuit de plus profond que nuit. Tout ce qui était autour de moi, les vases, les coupes, les bassins, les gobelets, les jarres, les cruches, les aiguières, les flacons, les plats, les cratères, les jattes, tout s’est brisé.
Il faisait nuit, Mariam. Et peut-être qu’il n’y avait personne, et que jamais il n’y eut quiconque.
Dans le jour, dans le jour du jour, nuit. J’étais dans la nuit, dans le noir de nuit, et je n’y voyais rien. Peut-être y eut-il, autour de moi, un battement, et peut-être même, autour de moi, une présence suave suivait-elle mes mouvements; et peut-être une promesse fut-elle proférée, avec une voix comme de retrait, et d’absence.
Mais tout ce que j’avais fait, tout ce que j’avais voulu et attendu, tout ce que j’avais appris et combattu, tout était brisé.
Brisé.
Or peut-être tout n’était-il pas brisé? Peut-être mon vase quelqu’un l’avait-il volé? Peut-être quelqu’un, passant, l’avait-il vu et en avait-il été enchanté et ensorcelé et l’avait-il subtilisé? Peut-être l’avait-il vendu, et c’était encore un autre qui l’utilisait? Ou peut-être un troisième, ou un quantième encore possédait-il jalousement sa beauté?
Mais pour moi, et pour toi, et pour notre amour et nos noces, ce que j’étais, et ce que je suis et serai a été brisé.
Brisé.
 
 
  Troisième brève légende
 
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