La nuit, ici, est plus éblouissante que le jour. La nuit ici, si tu la dis noire, tu mens, et si tu la dis bleue, tu mens encore et si tu n’en dis rien ou la dis sans couleur, tu es un être sans aveu. La nuit, ici, elle est linge d’étoiles, qu’éclabousse la nuit.
Quand j’ai ouvert les yeux, mes yeux furent emplis du bruit de la fête apprêtée, comme d’un sable d’images confuses les yeux s’emplissent lorsqu’il fait crépuscule, et si doux, et que s’élève la poussière mauve qui suit le soleil dans sa chute, et si doux, que l’on pleure sans pouvoir pleurer: soudain, le village parut aussi peuplé qu’un boulevard, dans la capitale, un jour férié, lorsque les gens n’ont rien à faire, lorsque leur âme les encombre, elle les entrave aux pieds et à la gorge elle les étrangle, ils ne savent où se tourner et ils commencent à se haïr, ils deviennent de plus en plus simples, ils ne sont plus pour eux-mêmes qu’un point qui devant leurs yeux s’évanouit.
Des torches avaient été çà et là dans le sol plantées, et des tapis sur le sol avaient çà et là été jetés, des tapis par centaines, et des torches, par tout le village: les maisons, à la lueur des flammes, tremblaient comme des folles. Comme des grives, parmi les épis, au moment des moissons, entre le soleil et la faux, elles tremblaient. Sur la place, non loin de la rivière, la fête m’attendait.
A mon approche, le chef du village s’est levé et s’est approché, les bras tendus, vers moi.
Il a dit: bienvenue parmi nous – et le village, autour, murmurait, et la nuit encore, sur le village, murmurante.
Il a dit: cette fête est pour toi – et le village, autour, un seul murmure d’approbation et de contentement.
Il a dit: nous sommes des gens simples, des gens de la montagne; notre bonheur est parmi nous.
Il a dit: nous sommes heureux de ta présence, nous rendons grâce.
Il a dit: joins-toi à nous, et rendons grâce – et le village, autour de moi, tel une ruche en plein été, m’a accueilli dans sa bienvenue.
Les villageois s’étaient rangés en demi-cercle, pour se présenter, pour me voir. Ils se poussaient du coude, ils souriaient – ils souriaient, et leurs dents brillantes, brisées-brillantes, au bord des lèvres mauves et souriantes. Une centaine d’hommes, et de femmes. Une horde en habits de rois, en parures de reines. Sur chaque robe, sur chaque femme, mille petits miroirs entrouvraient leurs fleurs froides. Sur chaque tunique, sur chaque homme, mille fauves tombaient, la gueule ouverte et large, sous les coups des chasseurs, et mille se désaltéraient aux sources froides, tissues d’or, tissues d’argent, mille légendes, mille présences. Les enfants, à l’écart, souriaient, attendaient – une meute de jeunes loups souples, aux yeux brillants, aux dents brillantes et brisées.
Une jeune femme s’est approchée, tenant une coupe des deux mains, un cratère de vin noir, qu’elle m’a tendu. Un jeune homme s’est avancé: dans ses bras était un lourd plateau, chargé de viandes et d’odeurs.
J’ai bu une gorgée de vin, un vin sombre, et visqueux, un vin de silex chauds où glisse le serpent, un vin au parfum de jardin, de fleurs froides, de bois brûlé. J’ai mangé un morceau de viande, enrobé d’épices, enrobé d’herbes fraîches, empuanti de l’odeur même de la chasse: son jus, mes doigts s’en trouvèrent englués, et parfumés, et crépitants encore de pépites de sel.
Alors a commencé la fête.

Trois brèves légendes: troisième brève légende - 7