Alors: les nuits sont devenues folles.
Alors: les nuits sont devenues fauves, leurs dents cisaillent mon seuil, leurs griffes fouaillent le sol autour de moi, elles le creusent, elles l’éventrent et le ravagent, et qui désormais peut s’y tenir qui a ce saccage seulement où placer ses pieds? Alors, il n’y eut plus, de certitude, que la certitude immense et tournoyante de ma peur, l’excentrement incessant de la terreur et du tourment.
Les nuits, il y avait: ma nuit, bâtie de moellons et de bois, bâtie de reflets de feu sur les pierres (mais aux joints de mortier effrité, ce qui se glisse, rampe et s’immisce et s’approche de toi, à la faveur des ombres dansantes, le sais-tu seulement, la vois-tu seulement, l’antenne rétractile, la patte chitineuse qui tâte et palpe et inspecte?), ma nuit étroite comme un suaire et le seul mouvement, en ces limites resserrées, il est de la main qui essuie la sueur sur le front, et du bras, qui nourrit le feu, et de l’œil encore, qui guette et gonfle – et, en cercle autour de cette nuit, il y avait: l’autre nuit, celle des mouvements furtifs et des aguets, des poses d’avant le bond et du feulement à l’entre-babine où perle une écume claire, la nuit des proies et des prises, des dents entrecroisées qui lacèrent et des déplacements entiers et sourds, la nuit des reptations et des patiences aux yeux jaunes, dilatés. Il y avait: ma nuit, pleine de peur ainsi que la peur est emplie de terreur et le fleuve d’eau en mouvement parmi les eaux, et l’âme d’inquiétude et de ferveur et de choses inavouables, ma nuit telle une cave creusée, sonore de chaque bruit guetté et sonore encore de la rumeur de la source, ma nuit titubante, aux yeux lourds et aux paupières lourdes, aux membres lourds et à la voix empêchée – et il y avait l’autre nuit à son entour, celle des massacres et des dépeçages, la dure obscurité frontale où, si tu frappes du poing, ton poing s’y meurtrit et peut-être même une main le saisit par une fissure et le tire à soi et tout le corps alors irrésistiblement suit, qui disparaît avec un cri?
Puis les jours se firent semblables aux nuits et je ne sortis plus de la maison. Pour pisser ni pour chier je ne sortis plus de la maison et la maison, elle est tabernacle assailli, elle est l’urne où l’on serre la cendre adorable, elle est, entre les os de la montagne, le cœur même de la montagne, effaré et pressé et tout empli comme d’une saumure d’effroi (quand la mort furtivement te touche les lèvres de son doigt furtif, et alors elle te marque ainsi que le bétail nouveau-né, le propriétaire déjà d’une encoche le marque pour l’abattoir, ne sens-tu pas cette eau putride, entre tes lèvres, cette marée de la révulsion et comme la marée même, refluante, de la vie sur les hauts-fonds de la mort?) et elle est également comme du dément le crâne étroit aux limites étroites contre lequel il presse ses poings sans puissance.
Dans la maison, il y avait le jour – il y avait un vaste panneau précieux où chaque forme et son ombre posaient le sceau descriptif de leur titre, de leur naissance et de leur rang, un large panneau d’or inscrit de signes et de glyphes pour l’obstruction de ma dernière fenêtre – et il y avait mon jour: cette menue monnaie fugace que me jetait le ciel, entre les interstices des poutres, ces reflets et ces atomes et ces grains lumineux que je mendiais, à travers mes larmes, comme un Prince en exil sur les trottoirs de l’exil.

Trois brèves légendes: troisième brève légende - 11