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- La source sourd dans la maison. Le bruit de la source – il est le
bruit des larmes de la montagne – est la source de la
maison: autour de lui, comme le corps autour du chant, la lèvre
et la bouche et tout l’appareil mouillé de la gorge, les yeux qui
se mi-closent et la goutte de sueur à la racine du nez, et l’auditoire
même du chanteur, et les présences évoquées par l’ampleur et la
sinuosité du chant, l’arbre et la terre patiente et la pierre
patiente et l’oiseau impatient à tue-tête, et l’herbe aussi
patiente et le ciel éclaté et les Divinités aux crêtes dures des
collines, se compose et se recompose sans cesse la maison et la
maison, peut-être elle est un chant: comme le chant ouverte à
qui l’écoute et comme lui fermée, les yeux mi-clos, sur ce qu’elle
sait et sa naissance?
- La source sourd dans la maison. Le bruit de la source – il est le
bruit des larmes – attire les fauves et les herbes, attire les
bêtes et les branches, et les peurs encore, les formes innommées,
les dragons et les dragons. Il attire ce qui est, et ce qui n’est
que soupçonné, et ce qui est craint mêmement, et ce qui
entièrement est refusé d’un geste d’horreur et du renfermement
violent des yeux. Le bruit de la source, il est un chant et le
seul: autour de lui, le monde et la montagne se déploient, ils
en reçoivent leur ordre, et la violence encore contre cet ordre, et
cela qui à l’ordre échappe et ne saurait être redevable mais qui
surgit dans l’allégresse de la revendication. Il est le bruit
même, et le seul, de la chose vivante, il est son cœur: son
battement te donne la vie et, si son battement se tait, il te donne la
mort – et, encore: ce qui bat, au cœur de la peur, sous le
pelage du lynx et de l’ours et du loup même, et même du serpent, c’est
encore la source et la seule.
- La source chante dans la maison: son chant est froid comme la
mort et, comme de la mort, il n’est de vivre qu’en son
bord: si tu glisses, tu péris, et fuis! alors tu meurs de soif
et de l’oubli même de ta soif – mais si tu t’y tiens, si tu y
trouves ou y es donné ta pose et ta posture et ta position instable
entre ce qui glisse et choit et ce qui glisse et fuit, alors: ah!
qui autre qu’elle pourrait dire ce que tes mains reçoivent qui y
baignent et t’y baignent et t’y mirent dans la fuite qu’elle
opère de toi en elle et la clarté de toi qu’elle reçoit en elle?
Elle est et elle sourd et toujours elle est: au devant d’elle-même
et jamais elle n’est: au-dedans d’elle-même, quand cependant
elle sourd: au centre, tapie dans l’aveuglement de sa propre
révélation.
- Cela a duré longtemps – cela, longtemps et longtemps, a
duré: trop longtemps pour que tu l’admettes, trop longtemps,
pour que, m’entendant, tu comprennes. Il n’y avait ni jour ni
nuit: il n’y avait que la maison. Il n’y avait source ni
fauves: il n’y avait que la présence: de tous côtés, et
suffocante! la présence. Car la montagne, sache, elle est présence
– et moi, devant elle, moi à ses pieds, que suis-je que cette
instance affolée et oscillante, cette maigre ombre sans corps, et de
quelle voix revendiquerais-je de la présence une parcelle ou un droit
ou un début d’autorisation à mon effort d’être présent à ce
qui devant moi se présente? Et de quelle plus inconcevable voix un
droit encore à m’introduire jusqu’à son cœur et, de son cœur,
partager la palpitation et le mouvement de pompe et le serrement, et
la pesanteur entre les côtes, comme d’un roc, sur la falaise, en
équilibre douloureusement pesant sur elle et maintenant son
équilibre au rebord d’elle dans leur contrat de présence l’un à
l’autre, quand, au bas d’elle, bondit la si libre mer baveuse et
sans équilibre?
- Mais il n’existe ni silence ni compromission et ta fuite encore,
elle est sous la coupe de la présence. Il n’existe ni refuge ni
exil dans la peine de l’exil et le debout fier de l’exil: tu
es soumis et ton devoir sans issue est de proclamer le contrat et le
lien et l’allégeance obédiente. Tu es dans le dépècement et le
démembrement et dans l’horreur, surtout, de l’exaltation dont tu
te vois saisi et pétri, lorsque tu fus dépecé et démembré, qui
monte en toi et en toi, malgré toi, forme chant, comme de source.
- Un villageois parfois montait jusqu’aux abords de mon domaine,
portant sur ses épaules un sac de pain, ou des fromages, ou de la
viande sèche, ou de ce vin à l’odeur de vin noir qui ressemble à
l’odeur de la nuit. Je le voyais qui avançait dans les replis de la
montagne, je le voyais qui obéissait au chemin, chassant les bêtes
de son chant, chassant les bêtes de sa lenteur tranquille, de sa peur
tranquille, chassant la peur du cri même, résonnant, de sa peur
muette.
- Il s’asseyait dans le soleil, il déposait son fardeau, il se
grattait le front. Il était assis au soleil, il se grattait l’entrejambes,
sa langue passait entre ses lèvres dures, il ne disait rien, perdu
dans le goût de son propre sel.
- Il disait: le chef du village te salue – et je demeurais dans
l’anonymat de l’ombre.
- Il disait: cette année, les récoltes seront bonnes – et je
tremblais de la tête aux pieds avec, au bout de mes bras, mes mains
qui tremblaient, et mon cœur, entre mes dents, qui s’agitait et
tremblait, et des poux se battaient dans mes cheveux, et ma peau
était couverte de plaques de crasse urticante.
- Il disait: ta source est la plus pure de la région, d’ici à
là-bas et jusqu’au très loin encore: la plus pure, comme ta
montagne est, de toutes nos montagnes, la plus belle et comme l’élue
entre les promises, celle qui se tient à l’écart et se tient dans
la jalousie des autres et le bruire bas de leur envie.
- Il disait: il faut que je m’en redescende car la nuit monte.
- Parfois aussi, par la seule fenêtre qui demeurait ouverte, j’attrapais
de la main des branches qui ombrageaient mes murs, et je les mangeais.
Je mâchais le vert avidement, je sentais, sous mes dents, le vert
jaillir amer et dur, et la matière craquer et gronder et se rendre
avec résignation, la matière perdre forme – et ce qui, du vert
dans la manducation, m’était restitué n’était pas: le
printemps, pas sa vigueur avide et sa promesse déjà empoussiérée d’été,
pas sa circulation d’air dans la légèreté de l’air empli de
feuilles, pas la narine qui s’ouvre et laisse passer le «ah!» de l’âme
tandis que s’exhale autour d’elle le «ah!» étonné de la
coïncidence des choses à chacune d’elle et à la promesse de
chacune dans le renouveau, mais plutôt et seulement et
amèrement: l’amer, et le sans forme effrayant, et la soif qui
n’en finit jamais de creuser son lit de pierres sèches à torsions
longues de longues racines assoiffées, et l’accablement, au-dessus,
de tant de branches, tant de feuilles, tant de poussées et de
pressions, l’écœurement même du cœur de l’arbre au cœur de
son aube baguée devenant cœur de la révulsion de mes entrailles,
forme d’arbre coronaire, mâché et baveux, tenace, convulsif,
tirant le suc de son tronc et celui de son vert des sucs de ma
panique, étirant sa populace de lents liens échevelés dans le
peuple noueux de mes veines, grand arbre amer et terrifié sur un sol
de glu noire.
- Car, sache: tu ne peux savoir la couleur de la nuit ici. Tu ne
peux connaître de la nuit son poids ni son étendue et sa forme. Tu
ne peux connaître – ni ses montagnes, ses sources, ses fleurs
ouvertes comme l’œil, ses faux chemins embués d’herbes et ses
bêtes aux famines insatiables. Car, sache: nul ne peut savoir ce
qu’est la nuit ici qu’il n’ait dormi entre ses jambes de
montagnes, couché sa tête hirsute dans son giron de montagne
nocturne, de vaste nourrice aux dents noires, nul!, qu’il n’ait vu
au bord de sa bouche se lever son sexe rasé de lune à la fourche
immense de ses cuisses. Nul ne peut savoir, qu’il n’ait couché
avec la nuit, et chaque nuit durant mille nuits – chaque, dans son
halètement d’amante au rut interminable.
- Et toi, toi qui m’écoutes, ah, toi, toi qui ne sais rien que l’inconséquent
savoir où tu creuses ta niche et veille sur tes petites pensées
comme le rongeur, au pied de l’arbre encoléré de vent, grand arbre
aux longs doigts écrasés par les poings de la terre et le poing de
la pierre, veille sur les petites choses geignardes et roses qui
sortirent de son ventre et baignent encore, entre les pailles et les
détritus, dans l’amnios sous ses yeux hébétés, toi qui te tiens
au bord de toi les yeux fermés, dans la molle nuit de la nuit de ton
âme, et les bras le long de ton corps avec soin reposés, et tes yeux
dans la nuit de ton corps, jamais tu ne sauras le poids de la nuit sur
ta poitrine, celui de la nuit entre tes membres tremblants, quand ton
corps n’est plus ton corps mais cette chose par son étreinte
subjuguante délimitée et mise au monde et encore: au monde
attachée comme au pieu l’appât, la nuit dans sa respiration de
pierre et ses yeux de regard mi-clos où se mi-clôt l’œil de ton
âme. Tu ne sauras jamais, et jamais tu ne sauras, combien la nuit
ressemble à la peur, ressemble à l’extase, ressemble à ce qui est
dans ce qu’il est, avec ce supplément encore de moiteur et d’intimité
pareil, dans son écoulement et sa tiédeur et son dégoût, à l’urine
chaude et forte, le long des cuisses, pendant la peur et à cet autre
jus, encore, pendant l’amour, acide et saccadé.
- Chaque nuit, écoute! – ce fut chaque nuit, et pendant mille et
une seule: mille comme une seule en mille fois la seule et l’unique.
Et sache encore, toi qui ne sais rien: la ténèbre n’est pas
plurielle. Et sache aussi, ô ignorant, que tu ignores, toi, la route
qui mène au Paradis: car le Paradis, dans ses allures de jardin
et ses poses de cyprès bleu et ses convolutions de roses, dans ses
façons d’échansons et ses architectures de kiosque pour festin, le
Paradis n’est qu’une longue unique nuit, une nuit claire, noire
comme le jour, et verte, comme l’eau, Et encore: plus encore et
cela encore, apprenne-le: ce n’est pas par le jour et le clair
et le pur, ce n’est pas par le respect de la loi et, de la loi, la
cultivation comme d’un arbre fruitier en espalier dans l’ombre du
mur où ton soin l’enclôt, vers quoi ta main se tend et cueille le
fruit juteux et profitable de son misérable travail dans la
misérable satisfaction d’être sans faute et d’avoir accompli
devoir sans faute, que tu atteins le Paradis, ce n’est pas par le
gain patient et l’accumulation et l’observance et le respect
humble que le Paradis soudain, il s’ouvre! et t’avale et te
mâche, te broie, te fond et t’assimile à sa substance délectable
– mais par le moins, et par le moite, et par l’impur, par le veule
et par l’inacceptable, par la lutte en toi entre la chose juste et l’autre
chose intolérable avec son issue de défaite pour la chose assise
dans sa justice, et c’est encore: par l’illégitime et le
méprisable, par le sombre et par tout cela qui t’échappe et se
joue d’un gros rire de la nasse trouée de ta raison et de la porte
trouée de la bicoque de ton âme où tu crus te tenir en
propriétaire ou peut-être simplement en locataire obédient aux
règles de location, mais où tu crus, toi, toi qui ne sais rien ni ce
que tu ne sais pas même, avoir ombre de ton propre corps sur la
poussière de ta propre vie: il s’ouvre avec ton humiliation et
il s’ouvre dans l’abomination, il s’ouvre si vaste! que tu n’as
plus sentiment que ton extrême restriction, il s’ouvre ainsi que la
main s’ouvre, qui gifle sonorement, il s’ouvre comme le fruit
obscène ah!, quand le fruit trop mûr obscènement éclate entre les
mains du cueilleur et macule sa tunique d’un jet grenu de matières
parfumées et molles mêlé de pépins et de saveurs et de pelures et
laisse le cueilleur la bouche ouverte sur sa dissatisfaction et son
dégoût et son déplaisir.
- Car le Paradis est le Paradis est le Paradis: voici qu’il s’ouvre
dans l’horreur et qu’il s’ouvre avec la nuit d’ici: il s’ouvre,
et tout s’ouvre avec lui. Voici qu’il est ouvert: et je m’y
précipite en hurlant.
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