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- Tu n’as idée aucune de la puanteur de ma maison, ou de l’immensité
de mon royaume dans la puanteur, dans ses plis et ses replis
grouillant de mouches et de larves de mouches avec larves, également,
de toutes sortes de vermines, toutes espèces de reptations
blanchâtres et tortillantes – aucune, de l’étendue de la
sujétion aux ordres de mon règne de ce qui est, et de ce qui est par
la crainte qu’il a d’être, et de ce qui, encore, est dans la
crainte et le bafouement qui accompagnent l’être en son plus intime
et son plus identique et son plus enfoui : ce trembler de
soi, à la pointe ainsi que d’herbe, ce trembler, à l’ultime, de
la goutte qui va choir et pourtant encore garde sa forme de goutte et
de goutte la rotondité, et la perfection, et la tenue dans la
contention où vient le jour entier dans son cortège de reflets
chercher et acquérir sa perfection de jour sphérique et contenu –
aucune, de mon règne et de ma cour sous le Signe souverain d’un
crâne d’âne pourrissant – aucune, te dis-je, la nuit où je vis
la Reine. Or c’était le soir et je me tenais au rebord de ma
fenêtre : j’étais au bord de la fenêtre comme la
goutte, au plus aigu de l’ultime, elle se tient et se contient et se
ramasse : j’étais là, dans l’entièreté de mes
moments et de mes craintes, avec leur progéniture de terreurs, dans l’entièreté
également et nous étions, le soir et moi, sous la fraîcheur qui
vient du soir avant que la nuit ne sourde de la nuit comme la sueur de
la fièvre. J’étais – et au bord de ma main se tenaient les
herbes, et les ombres éparses entre les arbres avec les découpures d’ombres
supérieures aux herbes, et l’ombre encore d’un rare oiseau
opiniâtre écrêtant son entêtement d’un bec âcre parmi les
ombres des pierres qui sont déjà ombres même en plein éclat, et
celle aussi du crâne de ma suzeraineté drapé de son brocard de
mouches immobiles – j’étais, avec les autres innommés, les
présents insoupçonnés, irrévélés, ceux de la griffe et du croc,
ceux de la dent venimeuse et du duvet vénéneux, ceux des épines et
des embroussaillements, des guets, des qui-vive, des famines et des
soifs, ceux du dépeçage et de l’éventrement, les hôtes furtifs
et affamés, mes vassaux – nous étions !
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- et tout ensemble dans la sphère du Royaume renaissant avec
nous : le ciel, et cette portion du ciel où le soleil
défaille et dont l’homme qui la contemple (sur sa face il en
reçoit, comme après une chirurgie de la face, ou une extraction de
dents, le linge encraché de rouge qui la cerne et la forme) se prend
à penser qu’elle lui est familière, qu’elle est telle une
demeure, ou comme le lit où quelqu’un meurt, comme maison, au ciel,
où mourir serait doux et familier, entre les linges rougis et le bleu
impalpable et la lessive entière d’une vie accomplie, avec la
terre, et sa poussière, avec la terre et ses cadavres navigant de
rocs en rocs, avec la terre et ses vivants revêtant leurs robes d’ombres,
s’apprêtant à leurs cérémonies ténébreuses, avec la terre
noircissante et humiliée et prête à toutes les traîtrises, avec la
terre en gésine et fermentation de nuit à cette heure où, entre
terre et ciel, la place de l’homme n’est plus sur terre mais dans
le ciel, au chevet du soleil comme un fils au chevet de son père se
tient abattu face à la mère acariâtre qui déjà songe et songe
seulement au partage de l’héritage sous son voile de deuil dont
vivre, face à la mort, sera par là assuré, mais
aussi : avec les moindres existants, les menus, les humbles,
la piétaille : avec ce gravier, au coin du regard, et cet
autre gravier à son côté, et cette feuille chue entre eux
rétractée, avec cet insecte de rien accomplissant son office de peu,
avec cet entrelacs d’ombres entrelacées, ce nœud insignifiant de
formes insignifiantes où flotte une haleine incertaine, avec ce
frémir sans force, et cette pose sans forme d’on ne sait quoi que
le langage ne nomme pas et que la réalité même ne connaît pas
(peut-être un fantôme, ou un soupir de chose, ou, de chose toujours,
un regret, une morsure de remords et plutôt peut-être : un
contentement, une joie infime, un orgasme minuscule, une saisie
brusque et brutale, par la chose, de son peu et de son rien dans l’incommensurable
satisfaction et la furtive grâce que c’est d’être le peu et le
rien qu’on est ?) – nous étions...
- Or voici : la Reine est apparue. La Reine – sache !
et vois ! et te tords sur ton lit de terreurs et de feuilles
foulées ! – la Reine a traversé le sentier d’herbes et d’abeilles
qui court devant ma maison, elle a passé d’un rideau d’arbres à
la gauche de ma maison vers un rideau d’arbres à droite de ma
maison, elle a passé, venant de l’ombre et s’en allant vers la
nuit : son ombre a touché mon Royaume. Or, mon Royaume –
sache ! et crie ! – a reçu empreinte de la forme de la
Reine, de la Reine le sceau noir, et l’ombre aussi de sa robe entre
ses jambes battant, et de sa main, au bout du bras. Cette forme
obscure, et longue s’allongeant, là, cette trace noire et nette,
cette découpure, là, et là, et là et partout, cette avancée et
cet allant et cette allure : le signe de la Reine. Alors
toute chose, sous son emprise et son empire et son passage, a poussé
un soupir : un tressaillement, toutes, et
encore : comme un sursaut, ou comme syllabe échappée aux
lèvres mi-closes et baveuses du rêve : comme contraction,
comme spasme et peut-être : comme reconnaissance de la
sujétion aux vœux de la Reine.
- Sur la nuque de la Reine, le soleil mourant appose un collier de
baies rouges, tuméfiées – et le monde, sous les pas de la Reine, s’enfonce
dans la poussière de l’extorsion.
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