J’habite, ce soir, mon Royaume : regardez-moi, ce soir, au centre même de mes terres. Comme Prince Mongol : une tulipe à la main, sur un trône de vieil or et un dallage de marbre blafard où passe un vent rouge son balai d’herbes rouges. Comme Prince Pubère : ce soir la Reine vient vers moi. J’habite : tout vient à moi dans la terreur. Il y a les tambours : ce soir j’habite ma demeure et les caravanes affluent qui m’apportent l’affluence au-delà de l’abondance, quand cependant je suis comme le Prophète au désert : la datte même lui refuse son fruit, et le palmier lui refuse son ombre et les Anges gardent par-devers soi leurs louanges parfumées, mais le sable lui offre son brasier et sa douleur et son éclatante réflexion. Il y a les tambours : ce soir est soir entre les soirs, je m’accoude à la terrasse et du haut de mon regard, je nombre et dénombre le monde comme je dénombre et nombre les pustules de mon bras. Quelqu’un me lit lettres d’ambassade. Quelqu’un éponge mon front. Quelqu’un me présente un flacon débouché. Quelqu’un, au bout d’une laisse de soie, réfrène une bête à langue pourpre et rêche : elle me lèche les pieds. Quelqu’un danse : bruit de ses pieds sur marbre froid. Cette montagne, au bout de ma main, est ma montagne. Rien ne m’irrite ou ne m’afflige : ce soir, je suis chez moi. Quelqu’un me parle d’un oiseau. Quelqu’un me montre des images. Quelqu’un prend ma main dans la sienne.
Tout vient à moi dans le bonheur : comment porter semblable charge ?
Tout vient : il y a : cette chose, dans ma proximité, et cette autre encore, et cet animal deviné qui fuit, et ces millions de millions, entre mes doigts, comme grains non de boulier mais, de chapelet, grains embaumés.
Tout vient à moi dans l’abjection. Tout vient à moi par extorsion. Tout vient à moi dans la sujétion à la Reine, au bout d’une laisse de soie maculée de salive et de sang.
Tout vient au Roi – jusqu’à la Reine.
Or, cette nuit-là, il n’y eut plus que le Royaume, ses convulsions et ses aggravations, il n’y eut plus que : le Royaume sous les couteaux et les flèches, le Royaume – Royaume des loups, et des ours, des lynx et des serpents, Royaume des dragons et des peurs, des ronces et des silex –, dans sa soif et son sang, que délimitent les pas légers, et adorables, de ma Souveraine.

Trois brèves légendes: troisième brève légende - 23