Le jour suivant, je reçus une visite : un paysan vint jusqu’à moi. Il portait un sac sur l’épaule, plein de fromages et de fruits, empli de viandes et de pains, un sac lourd et qui bâillait d’ennui sur les richesses de son ventre. Le vieil homme s’est arrêté. Il transpirait. Derrière lui, autour de lui, le ciel pliait sous la besace d’un soleil. Derrière lui, au loin de lui, un train s’en repartait vers la capitale en secouant à chaque tour de roue sa houppelande de terres rouges.
Le vieil homme a déposé son faix devant ma porte close.
Il a crié : Il y a quelqu’un ?
Il a crié : Il y a quelqu’un ?
Il n’y avait personne : il est parti. Des cailloux roulaient sous ses pas et le ciel était accablé d’or.
J’ai trouvé de quoi manger, et pour des jours, dans le sac. Et de quoi boire, pour des jours, de quoi donner des fêtes et célébrer des festivals – de quoi faire bombance, à ma cour, de quoi rassasier mes soldats et mon administration, de quoi accorder des prébendes et rendre attrayants mes traités. Il y avait de quoi faire aumône (accourrez à moi, vous qui êtes dans la faim et dans la soif), et jeûne aussi (mais est-ce temps de pénitence ?). Et encore, j’ai trouvé : un bloc de savon et encore : un rasoir, avec un miroir.
Je me suis vu dans le miroir : j’y suis un loup, j’y suis un ours, j’y suis un enfant de la nuit, les cheveux gluants d’amnios ; j’y suis un lynx, un bosquet de ronces méchantes, un œuf de basilic. J’ai jeté le miroir au bas de mon trône. Je me suis jeté au bas de mon trône : la gueule à même la gueule du sac, j’ai mâché une grappe de raisins noirs et un lingot de fromage dur.
Alors je l’ai vue : par la fente au bas de ma porte, je l’ai vue : assise dans l’interstice du jour. Accroupie devant la maison, ses genoux s’imprimant sur la poussière du sentier, elle regardait le train filer, elle en guettait la course lente et sa main, lentement, passait dans ses cheveux avec le soleil, lentement, qui peignait ses cheveux. Je l’ai vue : elle ressemble à un loup, elle est un ours, un lynx, elle est bosquet de ronces venimeuses. Je l’ai vue : elle se mêle à la lumière d’ici, et ses gestes se mêlent à la lumière des montagnes, comme les arbres se mêlent à la lumière du jour. Elle est roche, et rêche, elle est furtive et sale. Elle porte une robe sale, comme mon uniforme, qui sent, comme mon uniforme, – tu ne me crois pas, mais croies-moi pourtant : je le sais, je te le dis : je le sais – la sueur.
Et la faim.
Et la crasse.
Et la soif.
Et la proximité des secrets : celui de la cruauté, avec celui de la gratuité et, par-dessus tout : avec celui de la bonté.
Or la Reine s’est soudain levée d’un bond, ma Suzeraine, et elle s’est enfuie. Je ne sais si elle m’a vu : mais je sais qu’il faudra une nuit entière avant que ne revienne le jour.

Trois brèves légendes: troisième brève légende - 24