Voici : tu ne peux savoir ce qu’est, ici, la nuit, son abondance. Couchée dans son lit d’herbes (elle t’invite dans son lit d’herbes), tu n’en peux estimer le prix : tout t’échappe. Tu tends la main, tu ouvres la paume : et tout échappe. La nuit, ici elle est cela qui confère : elle se tient dans l’auguste et l’inaccomplissement sans fin. La nuit, ici, tu ne peux la dire : à peine la vis-tu. Tu la dis fleur, et rouge, et tu la nommes même nénuphar et tu la vois briller entre tes mains : mais encore elle t’échappe et elle exauce inépuisablement. La nuit, ici, elle instaure. Ton cœur y bat, ton cœur y est établi et les montagnes s’assemblent en cercle dans la nuit, pour boire le vin noir, et pour danser, et pour célébrer. Telles un cercle d’Amis, les montagnes s’assemblent et tournent au tambour de ton cœur. Tu es l’Ami, la nuit l’Aimée – et la taverne du mystère pour vous brûle l’huile de sa lampe toute la nuit.
Toute la nuit, j’ai marché dans la nuit en quête de la Reine. Les cailloux roulaient sous mes pas, et sous mes mains les branchages se froissaient en perdant des odeurs et se levaient, dans le noir de l’air, se levaient la tiédeur et l’humide de la nuit comme des mains douces pour laver mon visage des soucis de ma vie. Des yeux s’ouvraient sur mon passage, des yeux jaunes : j’approche, ils s’ouvrent, ils brûlent, ils sont les lampes de la nuit – puis je passe, je suis passé, ils se referment sur leur ardeur, comme s’ils défaillaient sous leur propre regard. Il y avait des courses, autour de moi, des chasses et des fuites – il y avait des pelages et des crocs, des élans et des brusqueries, des luttes et des férocités : un cri parfois monte d’un rideau d’arbres, d’un bloc de rocs ou de cette petite colline, là, l’entends-tu ? c’est une source qui rit. Et l’air, il vibre d’insectes nocturnes, de papillons farouches, parés comme des Rois.
Mais je n’ai pas trouvé la Reine. Je l’ai appelée, mille fois – ce cri, ici, ou là, l’entends-tu ? c’est ma voix qui rit entre les sources qui crient – mais la Reine n’a pas répondu. Je lui disais que je savais, que j’avais compris, je lui disais que le Royaume n’importait plus, que l’exil débutait, mes ambassades débutaient pour le Royaume en-allé – mais elle n’a pas répondu. Et la nuit (la nuit, ici, elle est révélation dans la dérobation, elle est ravissement, elle est ce qui, du Royaume, est royal et sans contingence : elle est la source et la seule, soûle d’amour et les cuisses fleuries de désir) n’a pas répondu. La montagne n’a pas répondu. L’exil même n’a pas répondu, n’a pas, de mon exil, donné confirmation.
Or, cette nuit-là, cependant (tu te moques et ne me crois pas ; tu fais la moue, tu hoches la tête et tu ne crois pas : mais cela, dorénavant, ne me regarde plus et tu es révoqué) : cette nuit-là, retraversant la montagne et la nuit dans le regret de la nuit, revenant sur mes pas dans le remords d’y revenir, écoutant les sources bénir la montagne, écoutant les arbres écouter la nuit, j’ai su : à genoux soudain dans la nuit, et les mains levées vers l’entièreté de la nuit : j’ai rendu hommage et j’ai salué la Bonté et j’en ai été dompté.

Trois brèves légendes: troisième brève légende - 26