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- À mon retour, dans la maison, j’ai trouvé la Reine – trouvé
un ours, un loup, un lynx, trouvé un bosquet de ronces amères, la
part royale de la nuit. Accroupie près de la source et sous les
premiers coups du jour débordant, au bord de la fraîcheur (la source
ne coule pas : elle parle ; elle murmure sans
cesse : fraîcheur), la Reine buvait avec lenteur. La Reine
boit avec lenteur : comme il sied à un animal, à un
Souverain en exil.
- Je me suis approché de la Reine.
- La Reine buvait.
- J’ai posé ma main sur l’épaule de la Reine : ma main
ne tremblait pas, mais mon corps frissonnait.
- Des lèvres de la Reine gouttait la source, de ses lèvres
mi-ouvertes et noires de poussière.
- J’ai pris la Reine entre mes bras, je l’ai
redressée : la Reine a les yeux jaunes et le jour, dans mon
dos, cueille les premières grappes de sa vendange et de son vin
doré.
- J’ai caressé les cheveux de la Reine, rêches sous la paume comme
des cordes, sous la paume rétifs, comme les buissons où sont les
baies. J’ai embrassé ma Souveraine.
- J’ai embrassé ma Souveraine. Et puis encore : une fois
encore.
- D’un peu d’eau entre mes doigts, j’ai humecté le visage de ma
Reine : ses yeux sont jaunes de terreur, sa peau a l’odeur
forte de la terre et de la soif, mais ma main ne tremble pas.
- J’ai voulu penser : accueille le jour qui vient, ô ma
belle.
- J’ai voulu penser : accueille la soif, accueille le feu,
accueille l’oubli où voici qu’entre le monde des chemins secrets
de la nuit.
- J’ai voulu penser : je
sais : écoute : la Bonté coule en chacun comme
une source non-pareille : salue-la.
- J’ai voulu penser : je boirai et tu boiras et nous
ouvrirons les portes du Royaume, nous en parcourrons les routes, nous
en éprouverons la soif et la faim.
- J’ai voulu penser : nous serons dans l’accueil –
dans l’exil de la nuit.
- Mais je n’ai rien dit. Je me suis tenu au bord de ce que je
pensais, et je l’ai vu s’éloigner de moi : j’en ai
vu, devant moi, les portes se refermer sans bruit. Et je n’ai rien
dit.
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