LA MORT
AU
BORD
DU FLEUVE

 

 

 

 

LA NOCE

 

 

 

 

 

Habillée tel un Arlequin, mais de couleurs sombres, et un cerceau dans ses mains immobile dont elle ne joue pas et encore: avec un bilboquet à ses pieds que du pied en parlant elle repousse, et avec, trépignant, claironnant, à ses pieds un jouet mécanique - un singe de peluche dont sont les paumes garnies de cymbales qu'il heurte l'une sur l'autre frénétiquement -, et avec, également et en tas, mille jouets et cubes, cent divertissements colorés et objets de loisir bruyant - flûtes, tambours, trompettes, clarines, clochettes - voici que surgit, tandis que bat dans son cou une queue de cheval terminée de deux bavardes billes de bois peint, la
Première intervenante:
Rien. Rien que nous, filles du Chaos et chaotiques: jeu d'ombres joueuses avec éclaboussures et dispersions. Rien que cette disponibilité immense dont nous ne recevons rien hors ce souffle fluviatile originel sur notre face également de l'origine.
Deuxième intervenante:
Mais nous, pourtant, nous dans ce maelström, et cette possibilité vers l'absence de limites étirée comme le Fleuve originel de toutes parts étend son principe et sa forme et son ressac: rien que nous et le jusant brillant, entre la séparation de l'eau et de la vase douce, où nos sabots résonnent à nos oreilles d'une rumeur de déglutition, cette variable étendue de scintillations avec fracas de coquillages - et encore nous, quand nous voulons un soir et: c'est le soir: dans la lueur alors du soir voulu sur la peau de notre Père, et le jeu aussi, incessant, de formes issues de lui dans sa paternité, vers elle retournant aussitôt, cet idéal échange, sans déperdition d'aucune sorte ni conservation d'aucun moment, entre rien et rien circulant, dont se bâtit l'essence de la liberté et du jeu: regarde, ô Sœur, cette forme de forme que voici, dans la lueur du soir que je veux: regarde cette possibilité dotée d'un vol possible, et aussitôt d'une reptation, et d'une station encore douée (j'y puis encore adjoindre des incrustations d'écailles ou de pierres de couleur; une nageoire ici peut-être? une queue? un groin, trois lèvres, huit pattes rétractiles, quelque abdomen de soie?), qui soudain et aussitôt et entièrement retourne sans trace ni regret ni mémoire dans le Père entier entièrement réoffert à notre disponibilité pour d'autres jeux et des formes autres, et, encore, regarde moi moi-même dans la modification et la versatilité: j'ai ailes, ou crin, ou j'ai plumes, et je forme dans le pur espace de mon désir formes que je détruis et reconstruis et redispose et j'en extrais spectacle que tu n'oseras refuser délectable.

Première intervenante:

Où l'ordre pourtant, le si nécessaire, dont nous recevrons la défense de faire ce que nous faisons et dont nous recevrons, dans l'échange, le plaisir d'avoir osé ce qui n'était permis? Où, l'audience horrifiée de nos audaces et la noce, entre eux et nous ou lui et nous, de notre volonté et de sa révulsion - et cet enfant de plaisir et de dégoût que nous mènerons ensemble au jour de notre collaboration?
 

Deuxième intervenante:

Ah, pusillanime, cesse ce gémir indigne et de petite fille lasse de son caprice et des ressources de sa petite imagination lasse, de ses joujoux et ses bijoux de sapajous, du pigeon-vole, du tire d'aile, des alphabets cubiques et des frénétiques voitures de pompiers miniatures à l'incrédule couleur d'incendie, lasse encore de la grosse grave poupée qui, clignant des yeux d'un air bêtement vicieux, semble savoir secrets d'alcôve, cesse, dis-je, ces pleurs qui n'en sont pas et ces trépignements qui ne servent pas, cesse! et plutôt écoute notre liberté, le vacarme entier de notre liberté illimitée - écoute ce vacarme-là libre comme le vent, par museau au sol qui traque, brame et braie en tirant sa longue langue transparente et baveuse. Ah, cesse, petite sœur et tends l'oreille que tu n'as pas, et l'attention que tu n'as heureusement à même tes propres vœux pas, veuille la et forme la et sois celle ci qui écoute celle là que, pour ton désennui et ton délassement, je produis au bout et au creux de la paume que je n'ai pas. Écoute, forme chaotique du Chaos et fille dans l'incertitude, écoute la musique enthousiaste de l'incertitude:
 
Rires, alors, en fusées et comme sauvages: rires comme forêt jusqu'à l'effroi, sylve immense et toute vocale et déployée toute dans cette immense voix feuillue qui sort d'elle et sourd d'elle et d'elle jaillit écumante. Rires comme hennissement d'étalons et furies d'étalons piétinant et d'étalons contractions frémissantes des naseaux avant la pariade, entre des claquements de mâchoires et le murmure, non loin, des jeunes juments aux yeux liquides et le vent encore, non loin empêtré d'une forêt de noirceur broyant l'air à grands bras abrasifs. Rires insensés, rires non de joie mais d'exultation féroce et de déchirement atroce. Rires peut être divins: expressions divines d'une émotion innommée, inconnue, dangereuse et exultatrice, d'un soulèvement intérieur de tout l'être et une fulmination de l'âme entière en un hoquet cherchant issue de sa gaine de chair hilare. Et rires dans le déferlement des rires, de tous côtés rires et plus de rires encore, par accroissement et démultiplication, ainsi que sur l'eau furieuse rejaillit l'eau furibonde à bras tendus autour de la bouche qui rit.
Puis, et soudain, inattendue: une profération. Un son plus que son: une saisie brutale - ainsi, quand un inconnu par derrière surgit et vous saisit et vous enlève du sol ah!
                                              cette
                                                       brisure en vous du souffle!
et cet arrêt de soi dans la convulsion du soi tiré par les cheveux avec brutalité vers autre chose, et chose plus dangereuse que la mort, et de l'ordre, plutôt, de la pure anarchie et du ravissement pur. Un charme. Un chiffre. Une formulation expressive. Une incantation ou, mieux: une proclamation. Un signe chanté et proclamé et signifié.
Et le silence, alors, où s'éteignent un à un les frissons accordés de la lyre.
Et le silence encore subséquent dans la diminution.
Et l'écoute, tendue, l'attente, tendue, de la répétition de ce son premier et de ce charme inexplicable: le monde entier tendu sur la plage des sables en rebord des eaux, comme sur ses pieux où caille le sang, la peau sanglante de la bête tendue et d'heure en heure plus tendue, le monde entier attentif. Et charmé. Et envoûté. Le monde entier dans l'attente.
Des deux intervenantes, on n'en voit rien: pas même soudain si l'on sait les avoir vues: qui soudain pourrait affirmer qu'elles furent là, d'abord, et les introductrices et, du Chaos, les filles? On ne voit plus leurs formes de déformations, formes nuageuses au bord d'un lit d'eaux sans forme. On ne voit leur crinière ni l'étincelle, entre le sable et l'eau, de leur sabot. Y eut il même une voix, la leur ou cent autres, ou multiplement voix multipliante? On ne sait. Et le silence ne sait, qui est: silence, où pourtant une oreille attentive perçoit: un bruit, et de sabots au loin mourant, avec un sanglot et une anathème au loin, dans l'effacement.
Et le drame alors commence.
Le drame, ou simplement: quelque chose commence, dans l'oubli d'un galop incertain aux grèves d'un océan d'incertitude et, plutôt que le drame ou quelque chose, un mot est dit, ou plutôt que dit, souvenu. Le premier mot - qui l'a dit? - est ressouvenu. Le seul mot originel: Alors...
Alors...

Trois sentinelles: première sentinelle - 1