La femme:

Me voici belle entre les belles mais encore me voici, entre toutes de la troupe amicale, inquiète et tourmentée et le cœur plein de sel. Ô amies et beau ciel cru à la fenêtre accroché comme à l'étal le morceau de boucherie, ciel prompt à satisfaire et décevoir et récompenser à sa manière céleste mes nuageuses attentes, ne décevez pas mon attente de ce jour: car en ce jour voici que je deviens celle que je devais être: or je suis insatisfaite. Ô amies venues intactes de l'enfance où les mots existent sans poids et les choses vivent! hors du gynécée où les mots les enclosent, saurez-vous m'accompagnez jusqu'à cette heure vers laquelle je m'avance où les mots ont un poids (ils ont poids, et mains, et, dans leurs mains noueuses grises et gonflées, le tamis! qui filtre les choses et en obtient farine de peu de goût et de beaucoup de restriction) et le mot que je dirais, il a poids de balance à l'inclinaison du fléau de quoi je serai par essence et choix répondante. Ô amies, où sommes-nous encore en cette heure d'avant l'heure prescrite de l'union, dans ce balancement exultant en même temps qu'inquiet, dans cette bizarrerie permise de balancer seulement une fois de plus le choix effectué (si je n'avais choisi, aurais-je à m'inquiéter de mon choix?). L'épouse, je ne suis pas encore, et d'être l'épouse j'ai peur et crainte et anxiété: car l'époux que mes parents m'acquirent, ah, il est de tous les époux le plus redoutable et le plus désiré: ne proclame-t-on pas, ô mes belles autour de moi comme les Muses autour de la Source-aux-Muses ou les biches aussi autour du tigre, de mon époux la beauté, et sa grandeur, et son sang où l'on proclame encore que gronde un sang divin impétueux et peu fait à l'étroitesse de la veine humaine, et ne sourit-on pas aussi, petites filles près de moi bavardes et ravies, que chacune, et vous avec, me jalouse pour ce choix qui fut par lui fait de moi? Or sans doute de l'époux qui m'est promis je me trouve contente et contentée comme, sans doute encore, son choix eût-il été l'une de vous, j'aurais connu l'amer aromate de la jalousie mêlé au vin aromatique de mes rires, et sans doute même, je désire encore cet époux en ce qu'il sera l'homme avec qui je connaîtrai mon goût de femme entre les bras d'homme comme il connaîtra entre mes bras son goût d'homme mêlé de femme aromatique. Mais, ô sœurs agitées autour de moi dans votre agitation de vierges à la surrection autour de vous du fumet d'homme, qui n'a craint de voir son rêve réalisé et devant soi debout, avec les détails à quoi le rêve ne prêta nulle attention, qui sut rêver, mais non pas voir: le sourcil, par exemple, et le charnu de la bouche, et la hauteur du front avec, aussi, dans l'en-dehors du rêve et sa réalisation inespérée, la manière qu'adopte l'objet du rêve d'habiter l'en-dehors de son royaume, et sa pose dans le monde éveillé avec la fuite de son ombre éveillée entre le multiple caillou et les buissons indubitables: et cette incurvation, par exemple, masculine qu'a, sur la poitrine, le sein masculin qui n'est - promesse de nulle nourriture dans l'allaitement - promesse que de beauté et de proportion et d'exactitude exactement déterminée, et semble un inutile fruit lisse au tronc rugueux de vivre si immédiatement uni, et semble encore cette pure ligne comme au front des temples et dans l'érection des colonnes en cherchent et produisent les architectes, non pour leur raison et nécessité soutenante de l'édifice auquel elles participent, mais pour la beauté seulement inutile de cette ligne qui court et qui émeut - et voici que moi, entre toutes, je me trouve désignée pour être, entre toutes, colonne de l'édifice à venir de mon rêve et de notre union et la raison irraisonnée de cette autre colonne près de moi debout, qui ignore cependant que je serai là aussi, debout, colonne encore et soutenante non du seul gynécée mais de l'entière demeure?
Ô amies, ô enfants dans la rude fermentation du rut, soutenez-moi de votre présence immédiate et sans apprêt: je me tiens encore parmi vous, malgré vos mains où rient les bracelets avec le rire métaphorique d'enfance, je suis encore la jeune femme libre dont est le domaine tissu de ce domaine immédiat de plantes et de pluies passées avec d'autres à venir et de pierres que l'on aperçoit par la fenêtre: je suis encore la vive et la très réelle et la très capricieuse qui ne sait ce qu'elle veut et bâtit sa liberté et son possible et son bondissement de ce refus de savoir à quoi tous (et elle-même) s'essaient à l'astreindre: je suis encore celle que je suis telle qu'elle s'est découverte ou conquise avec dépouilles et acceptée et refusée à partir d'un goût de poivre entre les herbes soupçonné et humé parmi un goût de pierres sous la pluie et un goût d'humidité en elle et un goût de saumure dans tout ce barattement de vivre à quoi elle s'engageait en s'engageant à soi: je suis encore la voleuse de pommes et la tueuse de mouches, attentive à son meurtre dans le coin le moins visité du jardin où elle tient laboratoire sous les longues branches noires: je suis la même que moi-même à l'heure cependant où mon identité va rendre les armes et n'être identité et perduration non de soi mais du choix qui par l'autre qu'est soi dans son plus intérieur laboratoire a été fait. Oh, amies, qui suis-je et qui vais-je être dans ce développement qui m'attend et où je serai une autre, et à ce jeune âge où je m'attarde (car je suis jeune encore et désireuse de le voir perdurer, ce moment-là où les branches noires demeurent noires et n'offrent pas seulement l'inverse du soleil général par l'embrasure de la fenêtre contemplées et dénombrées et regrettées feuille à feuille, et les mouches mortes ne sont pas: mortes ou objets d'agacement et de distraction entre quatre murs, mais seulement compagnes à leur manière de l'enfance où nous nous rassemblons pour voir l'enfance brûler comme une fièvre d'été que tous désirent et craignent de voir finir), que va-t-il y avoir désormais à l'aulne de quoi je taillerai ma vêture d'existence sans l'avoir tissée et dont je recevrai couture de moi-même à moi-même dans le resserrement de l'ourlet? Amies, amies, ô compagnes... À vos poignets je vois et j'entends le bracelet: de noces, le bracelet, comme sur vos yeux et sous vos aisselles tous les apprêts de la noce: le parfum, et la couleur, et les rires attendus, et la face tournée masque pour la comédie déjà et de tout temps écrite par la mère de la mère de ma mère pour la fille de la fille de toutes mes filles et les vôtres... Et vos seins, se gonflent-ils pas de ce plaisir prochain que je recevrai: vos seins, sous le lin tendus, comme est la voile tendue du vaisseau qui cherche un port dans l'amitié du vent favorable? Mais le rêve vaut-il qu'on l'échange contre toute cette réalité-là dans l'abondance où traînent encore mes mains avec un doigt des vôtres, ainsi qu'au vif du jour la main traîne dans l'eau tiède: et vers quel port illusoire tendez-vous ainsi votre voilure, où vous espérez marchander à profit ce que vous êtes, quand derrière vous la terre entière est là, sous son voile de senteurs pareille à une lourde prune violine écrasée par la dent, la terre, entière! gardée du grand pin noir incrusté avec violence au bouclier du ciel, la terre et toute! dans ses trésors et ses traîtrises et ses tristesses et ses triomphes, qui vous adresse son adieu sous la forme d'un oiseau blanc à bec jaune taché de rouge, et adieu plus intense encore sous les espèces d'un parfum sec de terre sèche léchée de mer où bat l'amble un gros fauve au mufle hideux?
Ô douces proches traîtresses, oignez-moi donc d'odeurs que je sache une fois encore ce monde que je quitte et le sache dans son plus précieux et son plus intime et son plus inimitable, dans son plus secret et son plus exact et son plus essentiel (car, dites-moi, amies, jeunes femmes autour de moi agrégées, y a-t-il plus puissant qu'une essence de parfum pour retenir le souffle et rendre l'âme proche - l'inconnue en dedans de soi inconnue à soi-même qui sur son trépied de chair, telle la Sibylle, du panier de vivre où se trouve la cueillette de l'expérience réunie, choisit ce qui l'agrée et rejette du pied ce qui ne l'agrée point? - au point soudain que: l'âme seule compte, et son exigence inconnue compte, et l'on s'interroge et l'on se découvre, ensemble et mêmement qu'inquiète, exaltée, non dans le royaume de la vie extérieure mais dans le royaume intérieur où flotte et fume le parfum d'âme?) - répandez sur moi les essences de ce qui fut, comme pour celui qui meurt chez les barbares, on empile, dans le sarcophage où repose la dépouille langée du linge de mort la face tournée vers la paroi derrière le Signe peint des yeux, les statuettes de ce qu'il fit, et de ce que d'autres firent autour de lui, et de ce que lui et d'autres inhalèrent, et mangèrent et touchèrent, de tout ce que fut ce qu'ils furent sans qu'il le sussent: les idoles et les présences du monde quitté, dans la joie quitté mais avec regret cependant quitté, et sont placés ainsi dans sa tombe des graines, et des fleurs (ah, parjures autour de moi, des fleurs-simplement-fleurs, promesses de rien et attentes de rien autre que leur présence colorée dans le champ autour qui n'en n'a cure, vous souvenez-vous, vous qui voulez la seule cueillette de la fleur que vous façonnez de moi avec mon demi consentement pour l'offrir sur l'autel de la conjugalité et de vos vœux, de la fleur simplement mauve, ou pâle, et de l'abeille autour, qui, l'une ni l'autre, ne signifiaient ni ne voulaient rien qu'être insecte et fleur, et que vous parjurâtes?), et des pains - le pain amer pour les jours de liesse en souvenir des jours d'amertume, et le pain blanc pour les jours de détresse en souvenir des jours d'allégresse avec tout le champ venteux et lourd où ils furent moissonnés et encore l'odeur de pierre cuisante du four où ils furent cuits et regardés cuire - et des jarres ovales d'aliments confits, que dans leur confection et leur durée le décédé pris de faim et de soif se souvienne non de la durée du besoin mais de la multiplicité de la satisfaction: que devant les poissons plats et rouis de sel il revoie la mer roulant sa roue de soleil sur sa route de sel, et devant les fruits agglutinés la branche poisseuse avec le soleil complice derrière qui confit le monde et le poudre de sucre jaune, et devant les viandes il repense aux gestes et aux béatitudes cornues et baveuses des porteurs-de-viande, et au sang vif et rouge et tonitruant dont il fut également tributaire et dépositaire. Ah, enfants, inondez-moi d'odeurs et de senteurs: froissez entre vos mains cette herbe et cette autre encore et celle-ci surtout, froissez-les et frottez-en mon corps de toutes parts que de toutes parts une dernière fois soit mon odeur l'odeur du monde dans l'ascension balsamique vers la grosse gourde du ciel, et non celle seulement de ma charge d'épouse puant la tâche quotidienne et la répétition de la tâche quotidienne et l'étroitesse de la tâche à l'étroit des parois du gynécée. Ô belles enfants, j'ai peur épouvantablement de ce que je perds et de cette chose en moi unique qui fut par mon époux reconnue et appréciée et choisie et que je perdrai dans l'échange que j'en ferai pour devenir son épouse.
Toi, la plus proche de mes amies, je vois le pectoral d'honneur à ta poitrine et sans doute tu penses par là m'honorer en prenant ainsi à charge l'honneur des préparatifs et de la confirmation de ma virginité: mais quel, le bien que tu penses de la sorte me procurer, quel, le plaisir que j'escompte à t'en croire, que tu te trouves autour de moi si anxieuse de me plaire, quel bien et reconnaissance attends-tu en prix de moi, que tu te pares afin d'être remarquée: ne fus-tu pas si proche de moi que je pouvais sur toi me reposer du poids d'être moi-même... Ne vois-tu pas que je disparais et que quelque chose meurt dont tu es la première pleureuse et crieuse, avant même la fin de l'agonie - et n'est-ce pas toi encore qui meurs, ou cette part de toi dont j'avais charge et qui dans le gynécée va flétrir et faner? Ah, putains enfants de putains, combien il vous semble aisé de manger, en place de l'olive et du raisin et du blé originels glanés au hasard d'être, l'autre chose venue de l'autre bord dans le seul attirail de sa nouveauté, et mastiquée avec grimaces piaulantes dans la paume masculine.

Trois sentinelles: première sentinelle - 4