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La femme:
- Mais qu'ai-je vu, qu'ai-je, moi pour qui tout cela importe dans son
principe, qu'ai-je eu de cette idée dont vous parlez à quoi les
champs se mêlent, et le ciel se mêle, et leur diplomaties de grandes
choses unies dans leur grandeur, que sa face crayeuse d'idée quand,
chaque soir, cette idée fera dans ma couche la sienne?...
- Ô amies, filles entre les filles désignées pour mon attendance,
aidez-moi dans le dédale où pour vous et moi je me perds: ce n'est
pas le champ que j'épouse, et ce n'est pas le ciel, et ce n'est pas
la terre, et ce n'est pas leur échange: de l'échange entre eux
possibles (de l'Olympe, connais-je autre chose que le désir qu'ont de
la voir d'autres que moi qui ne m'importent pas?) qu'ai-je à faire?
De l'échange, je ne connaîtrai que le pieu de l'homme en moi planté
autour de quoi il me faudra tendre la tente de mon vivre, et ce
résultat entre lui et moi d'enfant - et l'homme qui m'épouse et
m'achète, je ne demande que: quel est-il, sous cette écorce de mots
avec laquelle il me fut présenté, que celui qui autour de moi
maçonne et scelle les murs et la porte du gynécée?
- Ô belles enfants entre lesquelles je fus belle, voyez la cruche que
voici: je la tiens entre mes mains, et je la juge et elle dépend de
moi, et je la sais faite d'un potier, et résultat d'une cuisson et
d'une peinture - or, à sa semblance, je ne suis que le réceptacle de
l'eau par d'autres puisée où d'autres boiront la belle chose claire
et fade qui a cessé de danser et d'écumer et de fuir en
contournements enthousiastes et sinueux ce qui la retient et
l'empêche, et ne songe plus qu'à abreuver de sa belle fadeur
lumineuse et nombreuse et docile la soif de qui l'approche par la
lèvre entrouverte et la rend heureuse de ce baiser qui approche - et
je ne suis que telle, récipiente muette et soumise, avec en moi
chantante autre chose que mon vœu et ma délectation, autre, que mon
choix et mon principe et ma perpétuation - et je ne suis désormais
plus que cela: cette paroi mince, et façonnée, et triturable et à
merci?
- Tirez mes cheveux, instigatrices: et tandis que vous tirez ma
chevelure jusqu'au très loin ainsi que le regret tire et force à
songer au lointain (et comme l'eau, encore, assagie dans les bassins
on la peigne d'un râteau pour l'épouiller de tout ce qui durant la
nuit y chut, les feuilles et les insectes verts, et peut-être encore
un petit surmulot noyé - mais l'épouille-t-on pourtant des reflets,
en elle et sur elle et jusqu'en son tréfonds, du trop innombrable
ciel dont elle est éprise et de l'incandescence qui la baise et
l'étreint, et du nuage également, vagabond et oisif comme une
pensée oisive et vagabonde et déformée suivie vaguement par l'œil
intérieur qui s'amuse et s'oublie dans ses déformations et ses
figures de hasard?): je me livre au regret, je me livre entière à ce
jeu de reflets, en moi, à ces belles formes, en moi plongées et
dansantes, de ce qui fut naguère autour de moi comme ma véritable
peau et ma chair véritable - je m'y abîme et m'y noie et m'y fonds,
tandis que de moi sourd cette petite eau de larmes que je suis seule
à boire et qui pour moi dorénavant constituera le seul fleuve où
j'étancherai ma vaste soif devenue soif restrictive seulement
d'épouse restreinte.
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