La femme:

Ô beau grand monde devant moi clair et nu comme un glaive affilé d'ahan sur l'enclume du jour, c'est à toi que je souhaite m'unir: c'est toi dont je brûle de sentir me brûler l'haleine, dans le féroce baiser du vent sur ma bouche, que craque entre mes dents, dans le baiser même, toute cette poudre minérale qui vole dans le vent (et c'est un sel qui donne goût plus vif encore à ta lèvre sur la mienne): c'est toi encore, et seulement, dont je veux en moi soutenir l'assaut: ton sexe de chêne dans mon secret de femme, avec le bruit encore dans le chêne de ses branches et de ses fruits et des oiseaux qui y gîtent, y chantent où y cherchent seulement abri contre l'assaut éclatant du jour, avec aussi jusqu'en tes profondeurs de racines cette terre inaccessible et mûrissante et nourricière (enfant, je me souviens, quand je creuse le sol de mes mains, cette exhalaison contre ma face du parfum de la terre: enivrante, et terrible, et terriblement étrangère, chaude d'abord, et granuleuse, et comme amicale et même maternelle, puis, plus profondément atteinte et dévoilée, fraîche, et froide, et humide un peu, gluante encore, minérale, obscure, opiniâtre, secrète, et comme d'indifférence hostile semblant, par les cailloux en elle exhumés, cligner de ses yeux de cailloux face à la lumière inconnue qui l'offusque), et les racines mêmes exaltant vers le ciel qu'elles ne verront pas leurs sœurs aériennes (et le ciel, entre les branches pris et par les branches travaillé, n'est-il pas encore comme un autre humus, bleu, dont les feuilles extraient substance pour nourrir et exalter vers le profond et l'inaccessible obscur l'arbre inverse qui croît tout entouré d'un azur minéral?), et aussi avec: cette promesse de feu que tu recèles dans ton bois et qui si rapidement s'exhale de toi quand t'a par ta chevelure crépue tiré sans ménagement le peigne brisé de l'éclair, ce feu possible et probable que tu portes en toi déjà à chaque instant de toi et dont, à placer la main sur ton écorce, on perçoit la chaleur et dont, à renverser la tête vers tes feuillages, tes feuillages dans leurs rumeurs déjà crépitent tandis que sur le sol à ton pied le soleil déjà imprime la silhouette de cet autre arbre calciné que tu contiens en toi, et avec encore: cette musique en toi du vent majeur, cette violente lyre sans accord où la pluie frappe de ses myriades de plectres vites, cette voix exclamante qui n'exprime rien que le sol que tu étreins et le ciel qui te gifle et qui n'exprime rien, sur tous les tons dans le désordre et la grandiose anarchie que cette seule chose tranquille tonitruante: arbre, arbre, arbre!
Ô monde de champs et de collines et de carrières, monde d'eaux croupies dans la moiteur où chasse la libellule aux diffus des herbes aquatiques (et l'air pèse d'un bleu d'ardoise aux berges molles, et un martin-pêcheur brusquement lance le harpon de son vol entre deux points, qui vibre durablement à l'œil d'un éclat de couteau humide, et sous la surface velue de l'eau, voici qu'une bulle se lève, avec lenteur, et déformée de toutes parts par l'épaisseur d'immobilité dont elle se dégage et: elle éclate, soudain, libérant par ce brusque pet le corps du contemplateur de sa contemplation engourdie - qui s'éloigne, alors, hébété, essuyant un peu de sueur tiède sur son front touché de fièvre végétale), monde de falaises dures et blanches d'un insoutenable trait blanc prévenant le ciel et la mer de s'épouser dans une intense offuscation de bleu, de brames et de bulles, monde de pierres patientes (pierres, pierres, combien j'aime sous mon talon votre présence rébarbative et sans concession, et combien encore, dans mon œil qui vous découvre, votre dureté et votre présence et votre éternité: combien votre science et votre sagesse et votre compacité! Ah, pierres, que n'ai-je un cœur à votre semblance: un cœur dur, et arrêté, et contenté dans son arrêt, un cœur d'arêtes et de substance, cœur net et tout entier immobile dans la grâce d'être sans motion ni émotion, cœur stable et satisfait et imprenable au secret de quoi, pour soi seul brille - ainsi qu'une certitude incommunicable et savoureuse - l'éclat peut-être d'une pépite ou d'un fragment de quartz ou d'un coquillage à la pierre imprégné et uni sous ses espèces conservées de coquillage), monde encore de mer de toutes parts assaillant le monde d'un amour labile et ressassant, monde immense et rond de mer fumante et parfumée, coupe évasive et s'évasant d'un poids de vin trop pur pour la lèvre terreuse, fouet, face au mufle du rivage, d'instant en instant plus détonnant et plus impérieux, femme fomentatrice autour du monde impatiente et agitée, de l'inlassable négation de la paix et l'opposition farouche à la paix plate du sol, mer, mer, à moi!, cette inquiétude sans objet et comme ivre d'elle-même qui te travaille dans un perpétuel enfantement, à moi! cette humeur âcre qui te point et ne te quitte pas et t'es consubstantielle et te frictionne et t'exalte, à moi, mer, ton universelle angoisse par quoi le monde reçoit le don de vie et reçoit encore la pluie qui donne vie, ô mer, à moi, à moi, à moi cette puissance illimitée d'être dont est ton être constitué qui te maintient vivante non par le calcul et la maîtrise et le décompte et le cadastre à quoi la terre se confine en ses confins, mais par le débordement et la colère et la dépense et le gâchis, par la furie et le saccage, par le trépignement et l'absence, jamais, de cessation et le refus, jamais, de t'arrêter et d'arrêter ton questionnement qui n'attend pas réponse mais veut conserver ouvert et plus ouvert encore, ainsi qu'une grande gueule brute de poisson étincelant qui broie l'air violemment dans les torsions de son corps sur le pont du bateau, l'espace de la question! Ô monde encore, étroit aussi, et très proche: monde au plus proche comme cette partie-là de toi que ma fenêtre me tend ou, plus proche encore, ces herbes, cette coupe avec ses fruits, ce bois râpeux de table qui ne demande qu'à m'offrir l'écharde de son amour rugueux, sous cette incessante mouche pétaradante qui parade et s'inquiète de n'être vue et de ne recevoir le tribut à quoi s'attend la splendeur de son atour dans la part dû à tous de la splendeur partagée du monde, monde également d'un peu d'atomes entre la lumière et l'ombre dansant, et de carreaux frais sous la plante des pieds, monde d'odeurs familières: monde de sueur, et de fleurs des champs fanant dans l'exhalaison qu'elles font d'elles, dans l'empressement qu'elles montrent, avant mourir, à remplir leur office de fleurs, et de bruits menus indistincts, de craquements incertains, de frôlements d'insectes entre des effleurements de choses - ô époux selon mon cœur et mon vœu et mon désir, dont je devine la bouche mi-ouverte entre les pampres avec le bel aigu de tes dents et le fendu de tes yeux de fauve (et le velu de ton pelage achevé en sabots, combien mal il dissimule le dard priapique humide et rouge où perle une goutte de plaisir anticipé) je m'offre à toi, je suis à toi: à toi entière sans réticence ou arrière-pensées. Prends-moi - ou l'autre me prendra! Emporte-moi - ou l'autre m'emportera! Saisis-moi, saisis-moi, saisis-moi, qu'il n'y ait plus entre nous que la distance de notre épousaille éblouissante et totale!

Trois sentinelles: première sentinelle - 10