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- Sous la main qui s'affaire ainsi qu'une servante en attente du
retour de son maître et cherche la tâche qui l'occupera et ne trouve
rien et s'impatiente, sous la main la laine du manteau: - grenue...
- Et encore: parfumée, noueuse, chuchotante, irritative
- Et encore: ductile, pourtant, et montagneuse et chaude...
- Tant de mots pour un si simple moment, une si simple présence.
- Était-ce pour cette simple présence là à ma main que j'ai
accompli ce qui en moi désirait que tel fût mon destin?
- Était-ce pour revenir, comme le pâtre, il descend de la liberté
glacée des montagnes où il s'enivra d'être très proche du très
pur, et des dieux mêmes, cependant la lampe qui brûle au carré de
pierres du mur dont il approche, par cette proximité qu'il quitte,
lui est chère soudain jusqu'au sanglot et véritablement il revient
à son séjour et son séjour n'est plus là-haut, avec les aigles et
les silhouettes divines, mais ici-bas, dans la proximité des choses
sous le laineux et le tissé des mots?
- Était-ce pour revenir - et le monde est là, qui assiste de tout
son poids, héraut d'aucun mystère ni oracle d'aucune présence
au-delà, mais ferme et compact et dense, bouché comme sur soi la
jarre où mûrit un inaccessible vin?
- Est-ce le soir?
- Sous la main encore la présence même de la main, sa chaleur
intime, ses pliures et ses cals, ses cicatrices, ses certitudes et
ses capacités de main à prendre, à saisir, à broyer, à
déchirer, à caresser, à accomplir ses offices.
- Sous la main, le monde entier immense et très petit - et jusqu'à
la fuite des eaux, jusqu'au vol de l'oiseau, jusqu'au feu, jusqu'aux
entrailles de la terre, tout ressort du royaume de la main, mais le
ciel.
- Vers qui tournerai-je ma face?
- Est-ce pour faire retour que je fus celui-ci qui est encore
Alexandre - pour cette première et dernière confrontation entre le
plein de mes jours et le plein du monde et nous nous dévisageons
comme deux boucs noirs avant le combat qui précède la pariade,
tandis que la montagne à l'entour retient son souffle de rochers et
sur nos cornes courbes courent les feux courbes du crépuscule?
Est-ce pour les spectateurs, alors, non loin en cercle qui
retiennent leur souffle et guettent entre leurs doigts protégeant
leurs yeux craintifs le début du combat?
- Ils consulteront les augures et les prêtres, les psylles
accroupies près de leurs paniers de joncs où sifflent les
serpents, le grand bœuf d'Égypte et les tours de feu, les autels
et les sibylles, ils invoqueront et ils seront fervents et ils
tiendront leur âme dans leur poing suante comme une chevelure de
pubère, en offrande pour la guérison du fils de Philippe, je les
entends.
- Je ne tournerai pas ma face vers la mort.
- Aux vivants l'affaire de tourner la face vers la mort, au guerrier
devant les yeux de qui le glaive bleu tiré fait croire qu'il est
petit matin, à la femme en gésine, au marchand qui recompte ses
gains de la journée, au scribe qui s'endort dans le grincement du
calame, à l'enfant qui d'un bâton se forme un sceptre ou une
idole, à la jeune fille dans sa chambre et la rumeur de la fontaine
la tient éveillée longtemps, à l'ivrogne dont l'esprit devient
dur tel la glace d'où fut extraite l'outre fraîche de son
ivresse...
- Aux vivants la longue affaire...
- Je ne tournerai pas ma face.
- Héphaïstion, ô bien-aimé...
- Vers moi, ta face tournée et le sang la tache qui gicle
joyeusement sur tes lèvres, bien-aimé - mais c'est vers la vie
rompue et trouée et répandue, vers l'outrage subi qu'elle se
tourne avec violence.
- Heureux celui qui à l'heure de mourir, Héphaïstion, s'il
cherche des yeux, voit de ses yeux la raison dont il meurt et
remercie et sait qu'il en est ainsi et meurt dans la satisfaction de
mourir et le grand sursaut de l'acceptation outragée.
- Heureux celui qui meurt outragé: le suaire de la raison
l'enveloppe et l'obole de la raison, il en goûte âcrement l'or,
sur sa langue froide et dure...
- Mais celui qui meurt en ayant exténué sa tâche - dans quelle
direction meurt-il qui demeura vivant au-delà de sa tâche, et le
désir encore le brûle de choses qu'il ne connaît pas, et il
soupçonne encore que demeurent, à sa portée, d'autres
inépuisables façons d'être tout et le plus, même, du tout, et
l'au-delà, même et encore, de la plus haute montagne franchie d'un
bond ou de la plus fine étoile saisie dont sa paume brille?
- Comme le pâtre revenu, qui pourtant tourne une dernière fois la
tête avant de pousser la porte et de trouver sa place non loin des
braises qui craquent sous la dent du feu rouge, et voici qu'au
faîte des monts une grande clarté l'éblouit un court instant et
il connaît la gueule de l'Érynie ou de Gorgone ou de Zeus même
dans sa gloire défendue et destructrice - et peut-être pour
toujours il demeurera aveugle et l'esprit enfumé...
- Et quel retour, alors, possible - puisque c'est encore l'ouvert
qui se propose dans la déchirure des chairs, l'ouvert toujours,
plus outrageant et exigeant et plus charnel, l'ouvert avec sa
violence irruptive où nul ne peut prendre demeure qui brûle son
bûcher sans fin au fond de ses pupilles mortes?
- Comme il me pèse, ce moment où le monde est là solennellement
et non plus dans l'aveuglement de mon désir, non plus prolongement
exacerbé de mon désir - le monde là qui sur soi-même se penche
et s'achève en une exacte courbe refermant l'horizon - le monde
comme un jeune homme nu au bord de la mer et il pose la tête sur
ses genoux, vers son visage remontés, et il s'endort, et il forme
cercle autour de soi profondément...
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