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- Un très bas bruit d'abord inaudible et qui rend mélancolique, un
long frisson sur la plaine et le fleuve dont la peau se hérisse
soudain d'aigrettes - un très bas bruit de vent et de frémir et
peut-être de soulagement qui rend songeur de cour rectangulaire, au cœur
d'une maison, où les glycines s'agitent et la terre exhale son odeur
humide - un très bas bruit à l'unisson d'une très pâle lumière:
il pleut.
- D'abord comme la conscience soudain de la poussière que sue le sol,
puis cette rumeur nombreuse et pour finir le parfum d'eau qui assaille
la narine.
- Et encore une idée de chasse au canard, en barque plate, au petit
jour, parmi les roseaux froissés et somnolents et le manteau du
nautier sent le suif, il sent la bergerie et le cercle de pierres
noircies.
- Et encore une idée de voyage interminable dans le grincement des
roues de bois, la lassitude des bêtes de somme et le clapotis des
gouttes sur les toiles bâchant le chariot et l'enfant sans doute est
malade qui geint dans le giron de sa mère ou de l'esclave favorite
dont la langue est coupée.
- Il pleut.
- Non loin de Babylone, il pleut.
- Comme ma main est lourde au bout de mon bras: je ne puis plus
maintenant me soutenir sur le coussin et voir le fleuve, la plaine et
les javelines de l'armée en deuil entre lesquelles cliquettent les
javelines de l'orage.
- Je ne vois plus que le ciel, à l'ouvert de la tente, sa teinte
grise, son équanimité, son indifférence et sa certitude sans
couleur, et sa chute encore sans couleur et son bruit et son goût de
pluie - un face-à-face avec le nécessaire lui-même.
- Car c'est toujours par la faiblesse la plus grande que la force la
plus grande, la plus grande violence, fait irruption - toujours par
une brèche dans le mur au fond de la cour, dans le mur ruiné et non
par le portail immense.
- Puis un très petit oiseau chantera près de la plante safranée.
- Puis, ce sera le soir.
- La fièvre me brûle comme au désert le soleil sur l'égaré qui
voit s'éloigner la caravane et seuls les autours lisent sur le sable
ardent les signes d'ombre qu'inscrivent ses gestes d'appel inaudible:
or il prend son visage dans ses mains et qui est-il désormais et
finalement que ce désir brûlant et cette certitude ardente de la
mort en feu sous ses pas inutiles?
- La fièvre me brûle, ô brûlante...
- Et ce calme, brûlant lui aussi.
- Et cette pluie fraîche.
- Puis, ce sera le soir.
- Une incommensurable faiblesse et une immense force...
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