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- - Cette odeur autour de nous, la sens-tu?
- - Ce cercle, autour de nous, parfumé...
- - Un anneau, autour de nous, de suavités, dans l'anneau, autour de
nous, du ciel de plus en plus étroit sur le doigt du jour qu'il
opprime.
- - D'où venue, cette senteur de fruit plein et mûr, et de nom
inconnu, d'où cette appétence soudain de la bouche qui se forme
d'elle-même en cercle charnu et plein d'attente autour d'une chair
invisible, et la sent fondre, indivise, suavement?
- - D'où cette ronde et cette certitude et cet arrêt?
- - D'où cette ombre et cette forme et cette caresse en forme de
fruit?
- - D'où ce signe qui me rend rêveuse et me rend songeuse et
m'attire à soi comme un main, dans l'ombre, m'attire à soi sous
l'ombre sapide des cyprès gorgés de l'humidité molle du soir - et
je ne sais signe de quoi, mais j'y succombe et je suis comme dans la
grâce à l'après de l'amour?
- - Je songe, compagne, à la douceur: je songe soudain combien il
doit être doux de mourir, ou de vivre, mais doux seulement de tenir
ce très faible choix de l'un à l'autre, une luciole à peine, et de
contempler, de la luciole, l'étincelle verte sous la frénésie des
ailes avec, autour, le jardin qui se fait opaque, et moite, et plus
entêtant encore que durant le jour. Il y a cette menue chose-là, au
menu des doigts tenue, qui lentement n'est plus un choix entre l'un ou
l'autre, mais seulement une goutte de lueur parmi tant d'étages et de
profondeurs engourdis dans la suavité de la grâce de ne choisir pas,
mais d'accepter - et sa lueur encore, brasillante, son insignifiance
encore, j'en reçois le reflet et j'en suis sanctifiée, avec mon
inquiétude, également, sanctifiée, dans la réunion de ce que nous
sommes ensemble et de ce que nous signifions ensemble.
- - Je tends la main...
- - Je l'approche de l'arbre et de l'ombre...
- - Je vois l'ombre, autour d'elle et lui, et c'est un bain chaud et
bleu...
- - Je cueille le fruit...
- - Mais il n'existe pas.
- - Et cependant mes lèvres sont prêtes: ma faim et ma soif sont
prêtes.
- - Et je n'existe pas...
- - Il n'y a que ce parfum.
- - Cette appétence...
- - Cette heure d'acceptation.
- - Ce songe...
- - Qui s'éloigne.
- - Avec ce bruit pourtant: cette matité pourtant de quelque chose
mollement heurtant le sol dans le dérangement des feuilles...
- - Éloigné...
- - Les lucioles sont dans l'herbe...
- - Et s'éloignent...
- - Le parfum du fruit chu: comme il monte!
- - Et comme il disparaît.
- - Et combien il règne.
- - Il nous domine.
- - Il nous enchante.
- - Ah! Ce silence...
- - Puis cette odeur...
- - C'est tout - et cela s'en va.
- - Je ne sais pas. Il me semble encore que cela ne me quitte pas: que
cela me cherche, encore, et encore, et encore...
- - Hâtons-nous, commère.
- - Hâtons-nous, tu as raison.
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