Première voix:

- L'affluence encore du souvenir: ah, combien je me souviens et combien autour de moi, tout fait cercle de ce qui fut moi et autour, avec la patience des arbres en cercle au pourtour du lac qui les reflète. Rangé au rang des choses, pour un très petit moment encore et sanglant, j'atteste - et est-ce pour moi seul seulement, ou n'est-ce pas encore: pour tous ces arbres abattus qui cependant autour de moi se dressent et se reflètent et portent légèrement le tomber bas de leurs branches, la brume du matin, le premier cri dans leur confusion de l'oiseau déjà si distinct entre eux indistincts et sans couleur, n'est-ce pas encore: pour tout cela autour de moi ayant été: l'eau bue avec rage, quand il n'y avait plus de vin, le ciel vu avec rage quand il n'y avait pas même le ciel mais la seule prison, et la paille du grabat entre les mains molle et odorante, et, plus anciennement, le banc au long du mur de la maison natale, le très bête banc de bois bête et rude, qui grince, ou s'effrite, sous le trou du mur où, derrière la fleur en pot, on découvre: les collines fendues de soleil, les herbes, sur les collines, tordues de soleil et tant odorantes que la fin de l'été s'en fait inimaginable, les cailloux, aussi, dans l'éclat, les éclatants cailloux pour la fronde, et pour la marche difficile sur lesquels, accroupi, on découvre: un cadavre de papillon bleu, avec son cortège de fourmis funéraires, un lézard en béatitude, ou la couleuvre, pleine du lait sucé des brebis, et la ténacité d'autres herbes têtues (comme celles, dans le panier de ces femmes, qui se flétrissent à nos pieds et dont les vieilles femmes du village confectionneront des tisanes, des potions, des emplâtres, des fumigations amères - ou de simples colliers parfumés dont orner le cou rond et gras de la dernière-née); n'est-ce pas plutôt enfin, et seulement dorénavant, que sont les choses qui furent, toutes dans leur différence et leurs multiplicités inquiétantes et cependant toutes dans leur très simple vérité de simples choses vues simplement, enfin découverte dans l'inutilité délicieuse de la vérité, et vue simplement dans le simple éclat de tout ce qui est - quand, de ce qui est oublié, ce n'est pas l'oubli qui importe, mais la chose perdurante sous l'oubli, à cette heure-ci sans partage où oublier n'est pas choisir et discriminer et refuser, mais oublier, seulement, ainsi qu'oublie le lac ce que le lac reflète et soutient? J'atteste, alors, du goût du pain à croûte brûlée, et de la blême substance bistre en-dessous semblable à la bistre présence, sous le sol, de la terre en travail d'insectes, j'atteste du goût de l'air, et du toucher de la main sur la main dans la violence ou l'émotion, j'atteste encore de la bonté de la violence, de sa lumière sans égale sur toutes choses violemment répandue qui les astreint à répondre et subir et goûter le goût violent qu'elles ont de soi, j'atteste de la bonté de la bonté (ô, de la bonté, comment dire la traîne ainsi que de comète et la définition, comme, aux choses, sur la terre, leurs ombres indéniables par le passage là-haut de la comète offertes, de choses responsables et bonnes?), et du dégoût encore de la bonté, j'atteste de l'étrangeté à l'homme ordinaire de l'ordinaire de son jour, et du cautère, à son flanc, fumant sans cesse et pourtant parfois: ne fumant plus et peut-être enfin il a rempli son office de cautérisation?, de ce que c'est que d'être et d'être incomplet avec, pourtant, ensemble, l'éclair divinatoire d'être plus que complet dans la compagnie ordinaire du monde étrange et ordinaire et incomplet, j'atteste, encore, et continûment, du détail, d'abord, de cet ensemble sans achèvement, de l'insignifiance et du peut-être-non-nécessaire et gratuit: ainsi j'atteste de cette clarté diffuse du matin mouillé qui frissonne et tout est mouillé: les champs sont mouillés, les herbes sous la marche, les ombres dans les herbes, les sons qui vont et viennent dans l'humidité avec des gestes bleus d'oiseaux mal éveillés, (peut-être, ce monde-là d'objets bleus et d'êtres bleus, peut-être, dans l'instant suivant il se dissoudra sous le poids vaporeux de sa propre douceur?), j'atteste aussi de la fureur ténue, dans la nuit, du moustique à l'entour du dormeur qui rassemble le monde autour de son aiguille murmurante et insaisissable (et peut-être le monde, là réduit à cette intense écoute dans le noir, peut-être il va soudain se poser et se taire et être dans l'intensité du zonzonnement suspendu, et n'être qu'une ombre courte sur le mur de la nuit avec un silence intensément goûté?), et des gestes encore, dans la nuit, dont s'ornent les deux formes couchées sur le mauvais lit pour l'un de l'autre s'approcher et l'un à l'autre, avec la brièveté et la violence de l'espoir, s'unir puis achever leur union sur un soupir et un sommeil mêlé et désespéré, j'atteste de ce qui est, et de ce qui n'est que tissu, ou projeté, ou lamenté, j'atteste de l'unité ensemble de tout cela autour et en-dedans qui est ensemble et séparé, et du pêle-mêle confus et humilié où chaque et chacun, pourtant, à sa façon teste et atteste et prend part à la splendeur générale dans une communion de forêt confuse au pourtour d'un lac réunie pour en recevoir son reflet sans vérité! Et, autour de moi, se tiennent muettement les témoins et les testateurs perdus dans la contemplation, en moi, de leurs reflets, tandis que pour eux et moi je prends parti...

Deuxième voix:

- Je me tiens au plus extrême: au-delà de moi, il n'y a pas de plus extrême: je me tiens à la proue, et le sel me mord, et le vent me mord, et le vide immense me mord - mais, de leur morsure, que reçois-je qui en calme le feu; mais, de leurs dents sur moi remplissant leur fonction carnassière, que reçois-je de substantiel qui m'aide à me tenir où je me tiens? Tout, toujours, par la volonté tenu et soutenu: le pêcheur, il lance son filet et vois! son filet, peut-être enfin va-t-il prendre le monde dans sa totalité et même dans ses secrets, tant que la nasse s'en alourdira jusqu'à écraser le pêcheur et c'en sera fini dans la certitude enfin acquise d'un poids, sur soi, insurmontable et incontestable. Or, le filet s'abat, qui ne s'abat que localement, et le filet s'abat, qui capture quelques poissons - et que demeure-t-il de ce court rêve intense où le monde fut donné et non voulu et soutenu dans la volonté, et encore: vif et remuant et indubitable, entre les deux ouïes rouges et palpitantes, haletant et contorsionné, fuyard et plein d'odeur, avec de l'algue à la gueule comme une barbe parodique, et des éclats, sur ses écailles, de vives couleurs spasmodiques - que demeure-t-il que le filet du vouloir en lambeaux, après la prise, à ravauder, sur les genoux, avec la longue aiguille et la pelote de fil, avec la science ancestrale et la lassitude ancestrale, d'un doigt cuit de sel et d'un œil que l'éclat marin obscurcit et mangera? Je me tiens à la proue et que d'autres, s'ils le veulent encore ou s'ils le peuvent encore, se laissent prendre au bouillonnant reflet, derrière eux, de la voile battante, qu'ils se façonnent, s'ils le veulent et le peuvent, l'oiseau blanc dans son aile ouverte et le ciel bleu, derrière l'aile blanche avec cette voile ébulliante, qu'ils crient à leur convenance, comme l'enfant devant la fleur ou l'oiseau ou simplement devant l'enfant, d'un bonheur facile: pour moi, je me tiens à la proue et ce n'est pas l'île fleurie, ni la terre ligneuse là-bas, que je guette, ni même, sous le flot pliant et fléchissant, sous la vague insurrectionnelle et suscitatrice, le fond secret des sables immobiles où demeurent et croissent secrètement des secrets, que je guette, mais ma main, et ma peau, et leur douleur sans issue ni rétribution pour lesquelles j'atteste, et violemment j'atteste dans la violence tenacement revendiquée de mes limites et de mon insatisfaction. À l'heure finale et extrême, à la proue du temps et de l'âme, ah, qu'y a-t-il amèrement que la satisfaction amère d'avoir les oreilles assourdies par les vagues contre la coque et de sentir sous ses mains le plat-bord s'effriter que rongea le sel et que l'écume ronge? À cette proue-ci de soi, qu'y a-t-il à rendre ou perdre ou acquérir ou gagner ou jouer aux dés - et qu'importe de tricher? -, qu'y a-t-il qui n'ait pas jusqu'alors été présent et fasse soudainement acte de présence? Je me tiens au plus extrême et pas plus derrière moi que devant moi il n'y a rien: devant comme derrière moi il n'y a, battant, plein de murmures et de mouvements incompréhensibles, que le vaste remue-ménage marin assourdissant et effrité sur quoi encore tournoient les mouettes affamées qui criaillent mêmement que nous pleurons de rage et sur quoi encore rien ne tient! qui aussitôt ne passe et ne s'effrite aussitôt en myriades de grains lumineux et salés: le bois même de mon supplice, il s'effrite sous le poids même du supplice et l'acide de ma sueur et de mon sang, et mon supplice même, il s'effrite en mille grains de durées diverses et ne constitue jamais le roc de douleur dont cependant je meurs écrasé. Je me tiens au plus extrême et je baisse la tête: je me tiens, et bientôt je m'affaisse et je me rends - et qu'y a-t-il eu, de tout cela douloureux qui me force à ployer et fléchir, qu'y eut-il que ce périple hormis seulement, à l'œil, un souvenir d'éblouissements incertains même de leur splendeur aveuglante et, à l'œil, un gonflement douloureux comme d'emphysème visuel qui lui-même tend à ployer et se dissoudre? Je me tiens, au plus extrême et, au plus extrême, je m'affaisse: or, qui va, devant moi pour qui, de devant il n'en existe plus, qui va se tenir et me dire, de ce poisson incandescent où je complais mon œil, qu'il est mirage, et de cet autre poisson ailé où je cherche ma présence dans son reflet, qu'il est réalité? Je me tiens au plus extrême et au plus près je me tiens, cloué au plus extrême comme au bois le clou et ma chair qui le supporte, et je n'entends: que des mots. Je me tiens au plus extrême et il n'y a que: du bruit - celui du marteau, naguère, sur le clou et ma paume et celui de mon sang, à mes tempes et par tout mon corps, avec celui de ma respiration plus pénible, et celui aussi de tes discours incessants et celui, toujours, de mes propres intérieurs discours ressassants, d'araignée sous la poutre incessamment cousant ses pièges et guettant la mouche naïve d'une réalité enfin naïve et comestible à ma bouche, et celui de ce monde par ces femmes à nos pieds en pleurs si naïvement présenté avec même l'éclat, là-bas, des toits de la ville et le bruit également, là-bas, du vacarme sous et à l'entour des toits brillants de la ville pêle-mêle dans le pêle-mêle même de mon propre brouhaha insignifiant et pourtant presque nécessaire - du bruit et rien que du bruit et du bruit toujours dont charge m'est offerte d'y ouïr musique et charme et chant et enchantement ou simplement le simple mot final et le simple mot originel (le mot avec aise soufflé par le premier homme devant la première réalité et la première réalité vint à lui en ce premier jour de leur existence conjointe sous les syllabes et la musique et les enchantements de ce mot là dont je ne connais que le besoin et dont je n'épelle et bafouille et balbutie que la première possible lettre) - mais c'est charge, encore, à assumer, et ordre, encore à définir, et volonté, toujours, à déployer et exercer, et bât, sans cesse, pour moi déjà tout opprimé et compressé et cloué sans ressources à mon absence de ressources. Je me tiens - et je ne me tiens plus et j'avance seulement les lèvres dans l'effort de la soif tandis qu'autour de moi tout craque!
et s'abat
dans la mer avec un tas de craquements bavards. Or, pour ma soif, je ne reçois que des mots, et que le sel, aussi, de l'amertume inutile et pas même consolatrice. Enfant, ainsi, je me souviens qu'il en fut déjà ainsi aux temps d'être enfant: l'oiseau qu'on dérobe au nid ou qu'au filet on capture, sans doute il demeure: l'oiseau, et sous son plumage palpite violemment la toute-puissance du vol (ô, combien tendre, cette palpitation, et à la paume autant que le petit cœur sous les plumes craintive, combien déchirante cette certitude légère de plumes qu'un rien peut broyer, combien grisante et terrorisée, cette capacité de tenir ainsi le oui et le non d'un vivant entre la balourdise des mains et leur simple caprice maladroit) - pourtant, non, il n'est plus l'oiseau, mais l'outil atroce d'un désir ou d'un besoin pour lequel le choix ne se fait plus qu'entre la pitié et la cruauté, et non entre le ciel et le vent: alors, on le nourrit, et, s'il est jeune encore, pour lui tendrement on mâche même les vers extraits du sol humide du matin avant de les lui recracher, dans la tendresse de l'abjection et du dégoût, entre les deux pointes mollement aiguës du bec. Mais où disparaît alors l'oiseau qui soit l'oiseau, la belle instance vengeresse qui fait du ciel le royaume seulement de son plaisir et de sa grâce sans effort? Où s'envola-t-il? Où est l'oiseau purement tel qu'il ne règne purement que dans nos cœurs, entièrement, de nos cœurs dépris et repris comme, au ciel, constamment le bel oiseau forme et déforme le cercle joueur de son vol injustifiable et jubilatoire? Je me tiens avec peine, et c'est avec peine encore que je m'affaisse et que je me rends: alors, qu'on me laisse, et qu'on ne m'importune plus, qu'on m'abandonne tout entier contemplateur sardonique du vol balourd de la mort et de la course balourde, de cet oiseau d'ombre que forme la mort sur le sol de mon agonie, avec cette ombre encore que je jette çà et là sans conviction comme un apprenti oiseleur qui sait déjà, et dès toujours, qu'il n'y a que l'ombre, - et pas même elle, en dépit, ou dans l'indifférence de son art et de ses pauvres filets.
Je me tiens...
Je ne me tiens pas - je ne me tiens plus - mais je suis encore soumis au contrat, et au droit, et au devoir impératif de savoir, et de choisir, et d'élire, et de signifier - et même, malgré moi, mon silence! et ma mort! parlent pour et malgré moi...
Et je choisis qu'il n'y ait rien, hormis ces oiseaux-là, sous le ciel rouge, crochus et hideux et chauves et pourtant oiseaux comme les autres, ivres, comme les autres, de la belle ivresse du vol circulaire, qui nous guettent, compagnons d'un court moment, parce qu'ils ont faim, et que leurs petits ont faim.
Je choisis qu'il y ait...
Non. Ni oui.
Ni même ces oiseaux-là, ces promesses-là plumeuses et grouillantes, comme de vermine entre leurs rémiges, de certitude.
Les mots nous dévorent...
La douleur n'offre pas d'issue...
Et mourir n'apporte ni n'ôte rien: car c'est toujours soi qui meurt, dans l'étroit dépotoir de ce que soi essaya d'être, qui ne fut, amèrement et justement, qu'un essai et une accumulation d'incompatibles substances -avec encore, et comme dernière manifestation, cette senteur douceâtre, écœurante et cependant étrangement satisfaisante, étrangement sollicitatrice, qui s'exhale, avec des charmes de fruit trop mûr, de ce qui pourrit et fermente et sous les couches de quoi, fouillant, comme dans un jardin en déréliction entre les hautes herbes cherchant à la saison des odeurs et des abeilles la baie ou la pomme déjà travaillée de sucs d'insectes, l'espoir pourtant point l'âme que s'y trouve un fruit, et le plus doux, et le plus nécessaire, et le plus délectable.
Ô mes semblables et moi-même, moi encore, et aussi, comme ce bavard à mes côtés, je vois!, et je nous vois: sur un crible courbés, et vanneurs inlassables et la peau de la face entière tendue, à s'en rompre, non sur le simple substrat d'os mais plus violemment tendue sur cet espoir-là, entre sainteté et démence et ordure et orgueil, de voir la pépite surgir d'une certitude indifférente au van de notre incertitude. Or, qui me démentira ou, me démentant cependant, qui soutiendra le rire que je hennirai face au démenti, si je dis et je clame qu'au tamis passionné, jamais ne se montre la pierre brillamment colorée d'autre chose que de simple pierre, jamais la pépite irradiant ses promesses veineuses ou le simple joli galet satisfait de sa joliesse, mais seulement la poussière, et la poussière seulement, et la poussière sans relâche, irritante et volatile et dansante au dessus du crible de moins en moins discriminant, jusqu'au moment où, cherchant à nous redresser, vous et moi, et quitter la boue ruisselante et ses illusions d'autre chose qu'elle, notre dos est si courbé, et notre vie tant inclinée, que c'est nous tuer que de nous enlever à cet égout et c'est nous torturer que nous contraindre à croire aux berges, et aux arbres sur les berges, et aux poissons sous les reflets distillant leurs présences furtives - ainsi que je suis torturé et mis à mort, dans le redressement, à l'angle droit de votre horizon, que m'impose la croix.

Première voix:

- Même le bois féroce de ma croix, même du clou le fer féroce, je ne peux m'empêcher d'y retrouver l'arbre, comme celui d'enfance, qui écorche les paumes, les genoux et le ventre et dont, tombant, on reçoit, dans la bouche, en rejoignant le sol, un goût de fer et féroce entre les dents. Et même, ce difficile de respirer, n'est-ce pas comme, dans l'amour, cette respiration soudain manquante et encore déferlante qui te jette tout entier en-dehors de toi-même et tu n'es plus, violemment, que la conscience de ton propre corps étranger? La douleur multiforme autour de moi, autour de moi et en moi, comme des filets de toutes parts à l'entour du pivot de ma souffrance, elle tend des filets de cordes chantantes et elle y append, chantante, toute la lessive de la mémoire et vois: je suis le mât au centre fiché qui commande et dont l'entour reçoit le rayonnement! Et tout vers moi afflue pour le tribut à verser et l'allégeance à proclamer sur la terre entière et devant la face du ciel rouge: même cet inconfort, à l'omoplate contre le bois comprimée et au bout du dos écartelée et de sueur ruisselante, si avidement requérant mon attention, il s'appesantit, dans sa requête et dans son inconfort, de toutes les couches d'autrefois, celles de fortune dans les étables avec les chevaux luisants et le crottin au fumet d'or, celle de richesse, avec la plume qui gonfle jusqu'au nez telle un remblais de sable et de neige, et celles offertes ou imposées par le hasard, au pied d'une torsion d'arbre odorant montant vers le ciel sous l'espèce de sa fumée balsamique avec, à la pointe, une touffe d'aiguilles et de tintinnabulements, sur les rochers, sur le sol dur et durcissant, non loin d'un champ où l'éclat de lune renverse ses jarres de sel fluide, non loin d'une cahute dont, par instants échappée de son trou de toit, t'enveloppe soudainement la vie familière dans ses odeurs familières: le brouet qui cuit, et les étoffes de laine mises à sécher, et la fatigue des petits enfants avec leur cul blanc posé sur leurs talons sales qui ne veulent pas dormir et laissent leur regard gonfler des reflets du feu qu'ils contemplent, celles encore de fatigue extrême: le pont d'un bateau à côté des caques et des vergues rugueuses, dans l'éclat du plein midi et le mouvement des oiseaux au bec jaune, la margelle d'une fontaine publique, le recoin d'un mur badigeonné d'urine humaine - toutes, toutes viennent à moi, avec leurs mains autour de moi et sur moi empressées, avec leur douceur et leur effacement, et toutes, de leurs mains, pansent cette omoplate présente d'un onguent non pareil patiemment distillé. Et, je te le dis, compagnon avec moi au rebord penché de ce gouffre de gloire, je te le dis et, si tu le veux, je te le chanterai: il n'est vie plus belle qu'à mourir, il n'est cœur plus battant et plus bouleversante certitude - avec ses flottements et ses retards sur soi, avec ses reflets et ses mutabilités comme d'eau sur l'eau par épaisseurs de pur accumulées traçant ses cercles de vertige l'un dans l'autre et l'un à la suite de l'autre annelés dans le calme et la lumineuse danse - qu'à l'instant du déchirement, du broiement et de la fin. Comme un fil je dis, comme de mât en mât tendu un seul fil vibratoire tout entier épousant la face du monde en ses moindres replis et ses plus secrètes formes sur lequel vibre et se gonfle et rit - ainsi la lessive triomphale des draps et des tuniques et de tous les textiles par jours de grand vent - toute la lessive d'être sous les bourrasques rageuses de la mort!

Deuxième voix:

- Celui-là, entre nous, qui ne dit rien: entre nous déjà, à la proue, il picore déjà du foc les noires vagues sans écume de la nuit quand nous ramons encore, à la poupe, dans la fin du jour et le cri des mouettes et le grincer du gouvernail inutile et les voiles lumineuses de la douleur... Le voici nautier déjà dans l'au-delà du plus extrême et la douleur, sur ses traits laissée comme, avant le bain, on laisse la tunique au rebord éclaboussé: il n'y a eu, pour lui, que la douleur comme il n'y a, pour nous que la douleur encore pourtant inacceptable et peut-être même: marchandable contre un impossible espoir ou une moins douloureuse fin. Ah, j'approche, pourtant, moi aussi, mais c'est en rampant, j'approche de la fin: mais avec peine j'en approche, et dans l'effort. Comme à la naissance l'enfant qui se refuse à naître, la mort, il faut l'extraire de soi dans la douleur, en l'aidant de ces clous, dans nos paumes et nos pieds fichés, de la ressouvenance continuelle de ces clous: comme s'il fallait se convaincre, en dépit de soi et de toutes les irréfutables preuves, que l'heure est bien venue de mourir. Encore: apprendre. Perpétuellement: apprendre. Et, même à l'heure de mourir, l'insatisfaction de ne pouvoir se reposer sur ce qui fut si péniblement naguère appris - la rage de se voir, ici et maintenant comme naguère et ailleurs et jadis et là-bas, attelé à fourbir et aiguiser la pointe toujours trop émoussée de sa volonté. Ah, puissances!, n'y a-t-il donc jamais possibilité pour l'homme de voir de ses yeux une chose finie et achevée et parfaite et complète en soi et sur soi infiniment perdue dans la perfection de sa propre contemplation? N'y a-t-il jamais le cercle clos, la chose ou l'instance scellée et sur soi compactement tranquille, ainsi qu'est le cœur tranquille à qui promesse fut faite et ainsi, encore, qu'est tranquille le ciel nocturne immense et rond et plein de soi-même identiquement en tous ses points, en tous ses points ciel et nocturne et d'astres hanté dans la splendeur inquiétante et le ravissement même de l'inquiétude, ciel seulement et parfaitement où tout concourt à son entière perfection, vaste demeure vacante jusqu'au vertige accumulant ses épaisseurs étagées vers le plus noir encore, et le plus ciel encore, et le plus vertigineux (et sans doute le ciel est vide, mais combien tranquille, et combien souverain, et combien paisiblement installé dans sa viduité encombrée d'éclats) - jamais cela de soi-même empli sans mélange d'autre chose - jamais le fruit, le fruit seul et sûr et simple où mordre et, par la bouche comblée, et la gorge comblée, et le ventre comblé et l'œil encore avec la narine, au-dessus de la bouche contentée, comblés, atteindre à la satiété du simple? Mais sans doute non puisque: lorsque c'est la nuit, et tu fermes souverainement les paupières et ce que tu y cherches est la souveraine noirceur, pourtant tu vois passer des lignes, et des cercles se tracer, et des insectes de lueurs pulvérulentes se rassembler et se dissoudre et rejaillir de leur propre néant et, si tu t'enfonces plus avant dans le bitume du sommeil, tu y retrouves encore, conservés, comme dans le bitume les animaux anciens qui y furent précipités, ou les plantes, ou les hommes même, les visages, et les gestes, et les présences, et les émotions que tu brûlais de fuir - et où, alors, dans ce mélange et cette adultération de tout par tout et cette confusion de tout avec tout, où, alors, la satiété du simple nourrissant et comblant le simple, et où la réparation - ainsi que d'un dommage ou d'une faute et d'une promesse rompue - du sommeil entier et noir et simple? Ô ma mort, peut-être est-ce de toi que j'ai soif et, ô ma mort, qui m'assure que tu m'étancheras, puisque voici que c'est à moi de t'indiquer la fontaine, à moi de façonner la cruche dont tu puiseras l'eau qui m'abreuvera... Je fais effort, je fais effort, je fais effort: mais je suis toujours ici, et maintenant, et en vie, avec assez de liberté en moi pour envier cet autre entre nous qui se noya dans sa soif ou dans le peu d'eau qui l'apaisa brièvement (et, de ce qui t'apaises, ne t'avise jamais de demander: combien l'apaisement dura - sinon, de la brève paix, tu ne goûtes pas même la brièveté et peut-être ce dont tu aurais pu paisiblement mourir, par cette soif inapaisée en toi, et cette paix de trop près interrogée, tu es rejeté à la vie comme la brindille noire dont s'alluma le brasier, elle est au brasier rejetée où elle se tord et craque et fume: or celui-là, entre nous: il n'a pas interrogé: il a bu, en fermant les paupières, et dorénavant le voici dans la paix et le murmure et le nombre de l'eau)... Je fais effort - et je n'obtiens rien que le ressouvenir de ce manque incomblable, en moi, qui me parle d'une paix parfaite et me suggère une impossible paix parfaite, que la nostalgie, en moi, d'un ordre impeccable et refermé sur son ordre comme, au poignet de l'époux et de l'épouse, se referme la main du prêtre qui les unit, quand, de ce tout, et de cet ordre, et de leur nostalgie lancinante, c'est afin d'en faire mon deuil que me voici ici placé, à ce carrefour de poutres dans mon dos où tout s'arrache de moi ainsi qu'une vieille croûte et que ce qui demeure cependant à moi accroché, moi-même je l'arrache avec irritation et ennui. Ah, que cela cesse enfin: que tout cela cesse enfin qui pousse obstinément à avoir une forme et une force, à posséder un désir et une attente ou une indifférence forcenée à l'attente, que cela cesse et se brise pour finir, qu'il cesse, cet inlassable tourment d'espoir et de patience dans la torture du suprême! - et qu'il n'y ait plus que: cette heure ultime, terrible, ce poids ultime et terrible et sans suprématie, et cet écrasement que plus rien ne suivra - plus que: ce long fleuve équanime et sans berge, cette coulée équanime et sans rivage où, de ce que forme la vague et la vague déforme, ce qui sur le flot équanime indifféremment surgit ou s'affaisse, nul ne soit sur un bord ou l'autre debout, et dans le flot reflété, et interrogateur, nul doué, de sens, de parole ou de forme ou de tout cela innombrable et compté qui façonne et maintient le vivant dans sa vie, nul! à même de dire: "ceci est cela et est cela également", et encore "je vois, je veux, je suis", mais seulement: le fleuve, et seulement: la coulée du fleuve, et seulement éternellement: le neutre éternel, et l'en-deçà dans l'en-deçà de la durée. Et je dis encore: ce n'est pas mourir, que je cherche, ce n'est pas mettre un sceau au bas du rouleau et le déclarer valide et valable et échangeable sur les marchés de l'invisible ainsi qu'une lettre de crédit, ou de change, ou un billet à ordre producteur d'intérêt, mais: disparaître comme, après l'orage, si la pluie demeure, qui adhère aux arbres, et au sol adhère et le rend meuble avec les arbres au-dessus qu'elle rend brillants et musicaux de ses gouttes par eux filtrés et bues, l'orage, lui, la vaste démesure météorologique, elle a disparu, et, d'elle, n'a rien laissé dans sa disparition qui lui devienne témoignage...

Première voix:

- Celui-là, entre nous, qui semble hésiter entre son souffle et sa cessation... Son œil cependant, il me semble qu'il a bougé comme son silence, cependant, il me semble qu'il égrène un chapelet de mots très bas - son œil très lentement achevant de tracer le cercle entier du monde autour de lui pour l'inventaire de ce qu'il quitte, avec une exactitude non de marchand, mais avec l'exactitude comme d'un météore: la neige, ou la pluie, elles tombent également sur tout. Ou peut-être seulement il découvre et, avant que d'avoir eu le temps de saluer il dit déjà, et sans amertume, adieu.

Deuxième voix:

- Celui-là entre nous qui souffre, comme de part et d'autre de lui nous souffrons sur cette colline à laquelle nous sommes par la croix unis ainsi qu'est unie l'amante à l'amant par ce pieu de chair en elle qui tressaute - et ils mettent, eux encore, les bras en croix sous la violence du plaisir, avec, au bout des bras, les mains qui s'unissent dans la sueur, puis leur tête retombe comme retombera la nôtre et les sueurs échangées bientôt sèchent et leur tirent la peau...

Première voix:

- Même avec mon amie - sa bouche est sur ma bouche et ses cheveux sont dans ma bouche et demain ses cheveux seront algues pour la bouche d'un autre ouverte, sous eux, comme d'un noyé passant sous l'algue ondoyante et immobile - même avec mon amie, quand elle est telle jusqu'à mon âme qu'il n'y a plus entre elle et moi la distance justement qui divise mon âme de moi-même mais la distance seulement d'une lettre à une autre lettre similaire et d'un mot à un mot presque semblable (comme sont nos bouches unies et nos souffles confondus et nos sueurs indistinctes) ainsi que le mot: âme, et le mot amie, et le mot: gémis, et le mot: femme, même avec mon amie quand elle est belle jusqu'en mon âme, la volupté entre nous qu'entre nous nous avons établie et tirée au jour, voici que la volupté entre nous se dresse et s'immisce et nous sépare de son glaive et de son fouet et de sa violence et nous sommes désunis. Nous sommes nus et ensemble et désunis: et que reste-t-il, alors, à partager, dans l'après de ce partage ultime, que demeure-t-il de cet échange et de cette irruption au plus précis de soi dont porter témoignage et assurance et serment que partage il y eut, précis et bouleversant, que l'échange, encore, entre nous - comme les pieux au temple appendent des ex-voto - de ce qui de la précision, et de l'union, et de la nudité partagée et consommée n'a rien à faire: l'échange de mots, de phrases et de conventions, l'échange et l'offrande de sentences par quoi c'est alors comme si des foules et des siècles dans notre union faisaient irruption et de leur présence entre nous piétinante effaçaient toute trace (le pli de la tunique de mon amie à ma main brisé, et le geste de mon amie vers ma bouche et le geste de ma main vers la bouche de mon amie et la rondeur du jour autour de nous arrondie encore et parfumée par le parfum saumâtre de notre plaisir) de notre union...
Et ici, dans cette noce ici de moi-même à moi-même et du monde autour que je quitte à moi-même, et de toi, ô compagnon, à moi et de cet autre à nous et de moi au reste incalculable, dans cette accordaille plus formidable et cet amour plus formidable de la croix pour moi, voici que les mots encore viennent à moi. Ils viennent et m'entourent et m'oppressent et font presse et foule... Or ici, dans cette union dernière et sans issue qui s'offre elle-même à elle-même en témoignage et s'offre en serment et s'offre en monument de soi-même, voici qu'il n'y a plus que les mots et que les mots ne disent rien et que les mots ne sont obstacles vers rien, mais plutôt nourriture, et comme pain et encore: comme aliments soudain révélés dans leur goût nourricier et que je goûte sans remords. Je mâche mes mots - je n'ai plus, dans cette difficulté d'être qu'est mourir et cette souffrance d'être qu'est la crucifixion (quand l'air sait avoir des saveurs de parfum et pour en obtenir une goulée tu déploies des ruses comme le plus grand voleur du monde n'en connaît pas - et tu n'es, alors, que par éclairs: entre l'éclair de la respiration et celui de l'exhalaison, tu n'es qu'un éclair rythmiquement trouant la nue noire de n'être pas) je n'ai plus que des mots, et l'air qui les porte, à mâcher et ruminer, et ce mot-ci, soudain, ou ce mot-là, soudain, il ressemble à l'eau et à l'air que je ne recevrai pas... Je mâche mes mots et entre mes mots je me perds comme le mouton entre les simples de la garrigue se perd qui tous ont si différents parfums... Je mâche et je rumine et je me perds... Ô mots, je cherche votre nom, qui ne m'êtes plus, dans le soleil inverse de cette heure incolore et bigarrée, les signes d'impossibles présences (dans la bouche et l'arrière de la gorge et ce lieu très antérieur encore, que j'imagine mouillé, et doux, et nacreux, où l'arrière-gorge et de la pensée l'avant-penser se rejoignent et se confondent dans l'insouci qu'ils ont du monde) que votre présence contribue à masquer, vous ne m'êtes plus l'essaim dissimulateur du miel avidement demandé et soupçonné sous vos draperies d'ailes fourmillantes et de dards prompts, au fourchu de l'âme - mais seulement, mais simplement et plus délicieusement le feuillage, au pourtour de l'arbre, et la myriade changeante et verte, au très proche de l'arbre, ou encore, devant la fenêtre, brodé, le voile, devant le jour oublié par le regard qui mystérieusement du monde derrière et de la lumière derrière n'a plus préoccupation, le voile que le regard étonné découvre, et il le découvre tissé: de paons, de forêts de fils, de feuilles, d'un chavirement de barque entre des roseaux chavirés, il le découvre: fin, et léger, et d'ouvrage admirable et, le jour, derrière, la lumière, derrière, si longtemps préoccupante et requise, elle n'est plus que cette lumière-là sans importance qui permet, du voile, de découvrir et de goûter chaque menue splendeur... Ô mots, ô diaprures, parures, atours, aigrettes, torsades, millions: je prends l'un de vous, délicatement de vous l'un, entre le pouce délicat et l'index délicat de la voix du dedans, je le prends et, lui aussi, je le vois: ses lettres, je vois, son poids et son fumet, sa texture, son grenu ou, comme d'un insecte la queue articulée minutieusement ornée de la goutte de venin doré, sa terminaison grammaticale pointue, et, sur son dos ou sous son ventre agrippée (comme, de l'araignée et du scorpion, la couvée sur le ventre ou le dos du géniteur agrippée), la couvée du sens grouillante et inquiète et translucide comme l'ongle, et le son encore, tel, autour de lui, l'odeur âcre de la chitine ou de la boule de pollen à son jarret formée... Ô mots, si transparents devant moi désormais en même temps que si épais qu'il n'y a plus que vous dans la surprise et le délice... Un mot, par exemple: justement... Jailli d'où? Avec son jus initial et sonore comme suinté du mur de brique de sa finale lisse et de briques lissement assemblée, et formant compactement mur... Ou encore: avec cette idée, en lui, de justice debout et sans concession, vêtue, dans la solennité de l'acte, de la longue traîne de lin blanc... Ô mots sous ma langue friables, durs cependant comme est sous ma main clouée le bois de ma croix dur et pourtant: friable et écaillé... Votre royaume enfin ouvert pour moi (comme le coffre enfin ouvert pour l'enfant d'inutiles jouets, mais leur inutilité même l'éblouit) et votre royaume est royaume du vent: j'entends enfin en vous le vent, non l'obstacle de la chose signifiée et rétive à répondre à la convocation que fait d'elle son nom, mais le souffle seulement de la gorge appelante et convocatrice, le jeu pneumatique seulement avec son bruit seulement de bruit inhalé ou exhalé et son jeu comme de poulies ou de nasse lancée ou de vergues à l'appel du vent, j'entends l'âme même du verbe et du vocable et moi-même alors enfin dans le vent je me dissous: voici que moi-même je ne suis plus que ce prochain dernier soupir fluide qui tout à l'heure m'échappera (et avec lui je m'échapperai), plus que cet échange fluide et pénible entre l'air en moi inhalé et l'air autour de moi circulatoire et chaud: voici que je ne suis que souffle, et vent, appelant et jouant dans les branchages, autour, et les moissons, autour, et les fruits et les fleurs, des mots: voici qu'à mon tour je suis fluide, et circulatoire, et dans l'adoration... Mais j'échappe déjà, j'échappe de toutes parts, comme l'eau à l'outre mal cousue de toutes parts j'échappe à moi-même en-dehors de ma volonté et j'échappe à vous, puissances et formes et souffles formés d'un calame ou d'une gorge: je me répands, je coule, je fuis, et je n'ai plus sens et je n'ai plus souci de sens et tout en moi est quintessencié, qui ne suis plus que ce prochain soupir ultime qui m'échappera comme encore il échappera à votre prise et, vous échappant, vous rendra à votre pur babil joueur et insensé... Il n'y a plus que le souffle... Il n'y a que le vent... Il n'y a plus que ce balancement entre moi-même et moi, cette bascule et cette balance et cet échange: le souffle après le souffle, la respiration après la respiration. J'inspire, j'expire... Je souffle: déjà, je ne suis plus que flûte et mélodie et dissipation, dans l'air, d'un air formé qui chante seulement et me contient entièrement - comme aux parois rocheuses la mer à grosse gorge d'écume éclaboussante et comme aux conduits de la cheminée le vent: ils chantent et ne sont que dissipations sonores de masses d'air diverses, que hantises mélodieuses... Ô mots, voici qu'enfin je puis vous répudier: en vérité je puis quitter votre demeure et votre toit, je puis quitter cette maçonnerie sommaire et subtile où vous nous abritez (et vous encore avec nous, comme, dans la maison aux volets clos où gonfle la fraîcheur et où est le jour ardent dehors refusé et contesté et crucifié aux lattes de bois verticales, les belles mouches bleues pourtant sont là, qui tournent et parlent bruyamment de l'été) et j'avance, alors, librement, dans le seul compagnonnage de mon souffle, j'avance tête-nue, et les pieds nus, et le corps exposé, vêtu seulement du monde autour de moi, vêtu de l'entièreté universelle dont ne me séparent plus vos moellons ni vos charpentes, être enfin parmi les êtres et chose, encore, exactement dans sa mesure de chose parmi les choses à l'entour exactes et mesurées dans l'innocence de leur être, comme sur mon écorce de chose souffle sans entraves le vent qui est peut-être l'Esprit et n'est sans doute que le vent.

Trois sentinelles: troisième sentinelle - 10