|
|
Deuxième voix:
- - Il y a eu, là-bas, un chant d'oiseau, ou un cri d'enfant ici,
mais un cri ou un bruit ou un chant: et son œil a bougé et sa
poitrine même, comme libérée du poids d'un soupir et d'un regret
ou même: d'un remerciement, elle a tressailli. Le voyant, je vois
ma propre douleur, et mon propre œil brûlé et las, et ma propre
poitrine insoulevable - et, ah!, combien je souffre de cette
souffrance réfléchie, et combien encore s'accroît ma soif pour
l'eau sombre qui, lavant mes plaies, dissoudra mes plaies et celui,
avec, qu'elles affligeaient et l'emportera, et le fera: eau, de
toutes parts, indistincte, et noire, et sans division entre des
rives sans bord sans bruit s'écoulant...
Première voix:
- Voici que nous sommes comme au bord d'un fleuve: il y a ce vaste
remuement d'eaux, devant nous, et d'odeurs, à nos pieds, et
d'actions et de choses confuses, il y a cette coulée égale et
remuante - et il y a encore, sur l'autre rive, déclinante, comme un
astre ou un autre soleil: la mort devant nous sur l'autre bord ainsi
qu'un soleil se tient, qui nous éclaire et nous convoque sur sa
berge. Or n'en fut-il pas toujours ainsi: sur l'autre bord toujours,
inaccessible, se tient le soleil, ou l'aimée ou la détestée ou la
chose désirée (l'outre de vin noir, la besace de pièces lourdes,
le bracelet et encore: simplement la fleur dont, sans savoir
pourquoi, la présence, à ton oreille, ou la présence poudreuse et
odorante, au bord de ta narine te devient nécessaire absolument
jusqu'à la déraison et l'acte déraisonnable que son obtention
exige et peut-être, compagnon sur l'autre croix, meurs-tu pour une
fleur, volée sur l'autre bord interdit?) - et la mort et tout cela
qui éclaire et donne à ce que tu accomplis son ombre, semblable,
l'ombre, à la sombre tunique que veulent la cérémonie et la
célébration, nous appartient: sous son ombre, de tous ces gens à
nos pieds assemblés, nous seuls recevons, seuls, le rayon pourpre
et changeant et cruel de son astre: pourquoi, dès lors, compagnon
de moi plus proche que de moi-même je ne le fus jamais, ne pas le
voir et, le voyant, ne pas le trouver: pourpre, et encore:
d'hyacinthe, et encore: d'or et de toutes couleurs adorables et
rares composé et encore: velouté, et délectable, et exact, et
encore: effrayant, et exigeant démesurément, et encore et enfin:
justificateur et sculpteur, sur nos faces, de l'exact rayon de ce
que nous fûmes en-deçà même de ce que nous crûmes être? Je ne
puis te tendre la main, mais je te tends la main. Je ne puis sur toi
appliquer exactement la surface exacte de mon corps, mais sur toi je
me jette et j'étreins ce que tu es, je baise avec ma bouche ta
bouche et, de mes doigts, je te froisse et je me trouve à toi
mêlé comme l'est au vin l'ivresse: ta douleur est ma douleur qui
est la tienne et la mort ensemble nous appartient comme femme ni
échanson jamais n'auront pu entre nous se trouver si exactement
partagés.
- Ô compagnon que je n'étreindrai pas, je te donne le monde, et je
te donne la lumière, et la mort, et tout cela qui demeure
opiniâtrement hors de notre portée, je te le donne dans son
absence et son absence torturante et dans sa forme inverse, je te le
donne dans le besoin que tu as d'eux ou le refus que tu exprimes
d'eux, et la faiblesse encore où refus et besoin t'abandonnent, je
te le donne dans le déchirement et le départ et la plénitude
cruelle - comme encore, tu m'en donnes autant, et plus, et tellement
que nous ne savons plus, et nous ne sommes plus que cette tension
excessive qui nous brise et qui nous tend à la démesure exacte de
la mort, tandis que le monde encore, le proche là, à nos pieds
visible, et le plus lointain également deviné ou désiré, il est
nôtre dans la toute-puissance exaltée et la scission accomplie
parfaitement, la délimitation parfaitement, entre les choses et les
mots devant nous désormais comme le plat d'un côté où se trouve
le manger et la jarre de l'autre où se trouve le boire - et
alternativement de l'un et l'autre nous approchons nos lèvres et
sommes de l'un et l'autre rassasiés dans le ravissement...
Deuxième voix:
- - Je ne dis rien. Je ne chante rien. Je n'entends rien. Je ne sais
rien. Je pèse. Je suis pesant - et je persiste, malgré moi, comme
à la fin dévastée de l'automne et, déjà, l'hiver entreprend ses
offices, à la fin de l'automne à la fin de la branche, la
dernière feuille abandonnée qui persiste sous les coups de colère
du vent. Or peut-être se tient-elle là, acharnée malgré soi,
testataire et témoin et martyre - envers et contre tout et
tellement qu'elle l'est même contre soi - peut-être mon rôle ici
consiste-t-il à rendre témoignage? Mais je ne veux rien savoir de
ce qu'il me faut soupçonner. Je ne veux rien: pas même savoir ou
dire le vrai du faux. Je ne veux rien: mais ne plus endurer. Et la
patience autour de moi s'étire, indéfinie, comme indéfiniment la
douleur, et ressemble à ces fils, quand c'est printemps, et soir,
l'œil d'un bleu terrible fait ses délices à l'anneau de
l'horizon, la poitrine gonfle avec l'âcre goût, en elle, du jeune
arbre et la jeune herbe avant sa fleur, dilatée d'un rien immense,
le cœur tremble, dilaté d'une prescience et d'une compassion
immenses, ces fils indéfinis, impalpables ces fils!, qui
s'étirent, d'un buisson aigu à une masse d'air, dans l'ombre
bleue, tendre, et d'un moment à un autre moment et tout semble,
dans le mystère incomplet, incomplet parfaitement, selon le cercle
brisé et flottant que ces fils forment et déforment sans but...
|