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- (Tiu-tiu-toutoutourlouït... Tiu-tiu...
- Une ombre passe, au pied des croix, dans le jour rouge: ombre de
peu, et anonyme, ombre oblique, encore, et sonore: autour d'elle
sonnent l'étain, et de minces godets d'argiles, et de fines lattes de
bois, et tout un pêle-mêle invisible, ombre d'homme sans larmes et
sans souci, entre les groupes ici assemblés de femmes éplorées et
de jeunes hommes en affliction, ombre furtive, et comme moqueuse - et
ombre encore musicienne: Tiu-tiu-toutoutourlouït.
- Une ombre passe et chante dont encore, dans le chant qu'elle fait,
on entend le souffle du flûtiste, rauque, éraillé, railleur. Elle
passe et chante et souffle - et, comme elle passe, les suppliciés des
deux croix extérieures, on dirait qu'ils l'entendent car ils
relèvent brusquement la tête. Sans doute, oui, ils l'entendent: car
voici qu'ils redressent la tête et qu'ils sourient et qu'au ciel où
fermente un moût de nuages ils cherchent un oiseau. Ils cherchent de
l'œil et, de l'œil et de la bouche, ils sourient. Et, comme s'éloigne
l'ombre sifflante à nouveau au détour de la colline, sans doute
encore, l'oiseau et son chant et son vol l'ont-ils trouvés: car voici
que leur tête retombe. Leur tête est retombée, sur leur poitrine
plate et brillante de sueur à larges gouttes, comme, après la brise
ou le départ d'oiseau, au bout de sa branche retombe et s'arrange le
fruit dans sa paix et sa pose et sa certitude de fruit - et c'est à
croire, alors, que le chant d'oiseau, dans son chant, chanta encore
pour eux et eux seuls, ou peut-être que, d'oiseau, il n'y en eut
point, et d'homme à flûte, il n'y en eut point mais qu'il y eut
seulement un chant humain, chant et souffle d'hommes rendant leur
dernier souffle.)
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