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- - Je l'avais dit, compagne, ne l'avais-je pas dit: l'orage est là,
qui nous surprend, et nous sommes si loin de chez nous.
- - L'orage est sur nous...
- - Il tonne, il pète, il rage...
- - Il emporte tout.
- - Il cogne, il fouette, il effraie.
- - Il tombe. Il tombe et il dissipe: sous ses coups, tout est
dissipé. L'odeur de fruit est dissipée, qui nous maintenait dans son
cercle de certitude savoureuse.
- - Ma crainte est dissipée: ne demeure que la crainte ordinaire d'un
orage ordinaire.
- - L'odeur de fruits s'en est allée, la senteur de merveille et de
jardin.
- - Il reste l'odeur de terre.
- - Il reste la forte odeur de la terre humide: la grande libération
de la poussière à l'eau mêlée, et le contentement de la peau des
choses: la peau des choses, sens-la, on dirait peau d'amant lavée,
peau d'aimé après le bain, peau récurée et amollie pour la nuit de
noces ou la nuit seulement de plaisir simple, jusqu'au matin blanc
tenu et tendu comme un fil.
- - Il reste l'odeur de la vie ordinaire: l'odeur de la feuille sous
la pluie, l'odeur du tronc autour de la feuille, et celle des toits
qui se mettent à chanter, et celles des cours soudain habitées d'un
unanime crépitement batailleur, il reste le petit arbuste que j'ai
planté l'année dernière dans une cruche brisée, qui se démène et
qui salue violemment de chacun de ses rameaux ce salut violent que lui
fait le ciel, il reste l'ennui, et le labeur, et la bouche pressée de
l'homme pressé sur la plus lente bouche de femme lente, il reste: ce
qui reste: ce peu d'eau, si tu as soif, ou désires te laver, ce rien
miroitant recueilli au creux de ta main, que tu peux aussi jeter (et
peut-être en croîtra-t-il une herbe à belles fleurs pour les soirs
d'été?), il reste cette sensation merveilleuse, sur toi, de la
sollicitude de la pluie pour toi: cet amour empressé et emporté de
la pluie sur toi, qui n'a pas assez de mains, de lèvres assez, pour
t'accueillir, et t'enserrer, et t'encercler, et t'étreindre, pour te
bousculer et t'admonester, pour te saisir et de toi se déprendre et
tout autour de toi: danser, danser, danser! en faisant de toi: un
oiseau, dans l'immense volière bavarde de la pluie, qui ouvre ses
ailes parmi tant d'autres ailes ouvertes...
- - Hâtons-nous, commère: nous sommes déjà trempées.
- - Hâtons-nous, commère, tu as raison. Il est encore long, le
chemin qui nous ramènera chez nous, et près de notre linge à
relaver, que cet orage plein de poussière a rendu rouge.
- - Je me hâte, compagne.
- - Je me hâte avec toi.
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