Harmonium

 

   

 

   

 

   

 

 

À MA FEMME
et Holly

 

   

 

   

Anecdote terreuse

 

Chaque fois qu'au galop les hères s'en allaient,
De par l'Oklahoma,
Un chat de feu se hérissait sur le chemin.

Partout où ils allaient,
Ils allaient au galop,
Jusqu'au moment où une embardée les jetait
Selon une brusque ligne circulaire
Vers la droite
Du fait du chat de feu.

Ou jusqu'au moment où une embardée les jetait
Selon une brusque ligne circulaire
Vers la gauche
Du fait du chat de feu.

Les hères galopaient.
Le chat de feu allait bondissant
Vers la droite, vers la gauche,
Et
Se hérissait en chemin.

Plus tard, le chat de feu ferma ses yeux brillants
Et s'endormit.

 

   

 

   

 

   

Invective contre les cygnes

 

L'âme, ô jars, vole par-delà les parcs,
Et bien au-delà des discords du vent.

Une pluie de bronze issue du soleil
Marque en descendant la mort de l'été,

Que ce temps endure de la façon
D'un qui, sur un testament apathique,

Griffonne des arabesques dorées
Et des caricatures Paphiennes,

Léguant à la lune vos plumes blanches
Et donnant à l'air vos mouvements fades.

Voyez, déjà sur les longs terre-pleins
Les corbeaux oignent les statues de fiente.

Et l'âme, ô jars, la solitaire, vole
Par-delà vos chariots glaciaux, aux cieux.

 

   

 

   

 

   

Dans les Carolines

 

Les lilas se flétrissent dans les Carolines.
Déjà les papillons volettent aux cabines.
Déjà les nouveau-nés interprètent l'amour
Dans la voix des mères.
Mère intemporelle,
Comment se fait-il que tes tétins d'aspic
Pour une fois déchargent du miel ?

Le pin adoucit mon corps
Le blanc iris m'embellit
.

 

   

 

   

 

   

 Le nu piteux entreprend un voyage printanier

 

Mais non sur quelque conque, elle se met en route,
Archaïque, vers la mer.
Mais sur la première herbe venue,
Elle cingle les luisances,
Sans bruit, à la façon d'une vague de plus.

Elle aussi est malcontente
Qui voudrait une étoffe pourpre sur ses bras,
Lassée des ports salés,
Avide des poudrins et du mugissement
Des hauts intérieurs de la mer.

Le vent la pousse de l'avant,
En soufflant sur ses mains
Et sur son dos aqueux.
Elle touche aux nuées, là où elle se rend
Dans le cercle de sa carrière sur la mer.

C'est là pourtant bien maigre jeu
Dans l'élan et l'éclat liquide
Tandis qu'écument ses talons —
Autre que l'allure que la plus nûment or
D'un jour ultérieur

Suivra, en centre de la pompe ultramarine,
Au sein d'un calme plus intense
Cambusière du destin,
Au travers du torrent propret, sans cessation,
Suivant sa course irrémédiable.

 

   

 

   

 

   

Le complot contre le géant

 

Première fille
Quand ce grimaud s'en viendra baguenaudant,
Aiguisant son égoïne,
Je courrai à sa rencontre
Répandant les odeurs parmi les plus civiles
Prises aux géraniums, aux fleurs irrespirées.
Cela le tiendra en échec.

Deuxième fille
Je courrai à sa rencontre
Arquant des étoffes aux semis de couleurs
Fines comme un frai.
Les fils
L'interloqueront.

Troisième fille
*Oh, la ... le pauvre !*
Je courrai à sa rencontre
En pouffant étrangement.
Il abaissera alors son oreille.
Je murmurerai
D'édéniques labiales en un monde de gutturales.
Cela le défera.

 

   

 

   

 

   

Infanta marina

 

Sa terrasse, ce fut le sable,
Les palmiers et le crépuscule.

Des mouvements de ses poignets
Elle fit les gestes grandioses
De sa pensée.

Le froissement du plumage
De cette créature du soir
Devint les passe-passe des voiles
Sur la mer.

Et c'est ainsi qu'elle errait
Dans l'errance de son éventail,
Participant de la mer,
Et du soir,
Qui fluaient autour d'elle
En faisant entendre leur bruit déclinant.

 

   

 

   

 

   

Domination du noir

 

La nuit, auprès du feu,
Les couleurs des buissons
Et des feuilles tombées,
Se répétant soi-même,
Tournoyaient dans la chambre
Comme les feuilles mêmes
Tournoyant dans le vent.
Oui: mais la couleur des sapins massifs
S'en vint à grands pas.
Alors je me suis souvenu du cri des paons.

Les couleurs de leur traîne
Étaient comme les feuilles
Tournoyant dans le vent,
Le vent du crépuscule.
Elles jonchaient la chambre
Sitôt que, s'envolant des branches des sapins,
Ils se posaient à terre.
J'ai entendu crier — les paons.
Était-ce un cri contre le crépuscule,
Ou cri contre les feuilles elles-mêmes
Tournoyant dans le vent
Tournoyant comme au feu
Les flammes tournoyaient,
Tournoyant tel la roue des paons
Tournoyaient au feu tapageur,
Tapageur comme les sapins
Où résonnait le cri des paons;
Ou bien cri contre les sapins?

Par la fenêtre alors je vis
Comment s'assemblaient les planètes
Comme les feuilles elles-mêmes
Allant tournoyant dans le vent.
Je vis comment venait la nuit,
Venait à grands pas comme la couleur des sapins massifs.
Je pris peur.
Alors je me suis souvenu du cri des paons.

 

   

 

   

 

   

Le bonhomme de neige

 

Il faut que l'on ait un esprit d'hiver
Pour observer le givre et les rameaux
Des pins quand ils sont incrustés de neige;

Et il faut avoir eu froid bien longtemps
Pour voir le genièvre hérissé de gel,
L'âpre épicéa dans l'éclat distant

Du jour de janvier; pour ne penser pas
À quelque tourment dans le bruit du vent,
Dans le bruit que font quelques feuilles,

Qui est le bruit même de la contrée
Tout emplie du même vent
Que celui qui va soufflant dans le même lieu désert

Pour qui écoute, qui écoute dans la neige,
Et qui, rien lui-même, contemple alors
Rien qui ne soit pas là et le rien qui y est.

 

   

 

   

 

   

 Les femmes ordinaires

 

Or donc de leur dénuement elles se levèrent,
Du desséché des catarrhes, jusqu'aux guitares
S'en zigzaguant
Au travers des murs du palais.

Envoyant valser la monotonie, bouler
Ce qui faisait carence, dans leur nonchalance,
Elles s'en vinrent
S'attrouper dans la nuit des salles.

L'amas là-bas laqué des loges babillait,
À jasements de chou et de confus céchou.
Le clair de lune
Embobinait les girandoles.

Et les robes glaciales qui les habillaient
Dans la fade buée des moucharabiehs
Étaient tranquilles
Comme elles se penchaient pour voir

À l'appui de la fenêtre les alphabets,
Examinant le b bêta, le gamma g
Pour étudier
Les arabesques en rébus

Des cieux et des décrets qui émanent des cieux.
Ce qu'elles lurent là d'un lit nuptial parla.
Tralalanlaire!
Et longtemment elles y lurent.

Les guitaristes grêles grattèrent les cordes
Réverbérant des jou et de confus céjou.
Le clair de lune
Se leva aux sols graveleux.

Combien explicites se firent les coiffures,
Le diamant à pic et le rubis en pique,
Et tout le strass
Des urbanités d'éventails!

Les insinuations qu'insufflait le désir,
Ce puissant parlement, en chaque mêmement,
Criaient quitus
Aux salles qu'on avait mouchées.

Or donc de leur dénuement elles se levèrent,
Du desséché des guitares, jusqu'aux catarrhes
S'en zigzaguant
Au travers des murs du palais.

 

   

 

   

 

   

 La charge de canne à sucre

 

L'allure du chaland
Est comme l'eau qui coule;

Comme de l'eau qui coule
Au travers de la laîche,
Au bas des arcs-en-ciel;

Au bas des arcs-en-ciel
Pareils à des oiseaux
Aux voltes attifées

Quand le vent siffle encore
À gosier de pluviers

Au moment qu'ils s'élèvent
Devant le turban rouge
De l'homme du chaland.

 

   

 

   

 

   

* Le monocle de mon oncle *

 

I

«Mère du paradis, regina des nuages,
Ô sceptre du soleil, couronne de la lune,
Ce n'est pas rien qui vaille, non, non, jamais rien,
Comme le bord heurté de deux mots assassins.»
Ainsi je la moquais, par mesure splendide.
Ou bien était-ce moi que je moquais, moi seul?
J'aimerais de pouvoir être pierre qui pense.
Une mer d'écumantes pensées me repasse
La radiante bulle qu'elle fut. Ensuite
Un plus profond geyser, jailli en moi d'un puits
Plus salé, fait crever sa syllabe liquide.

II

Un oiseau rouge survole le parquet d'or,
Un rouge oiseau en quête de son chœur parmi
Les chœurs de l'air, de l'eau, de l'aile. Une cascade
Dévalera de lui lorsqu'il aura trouvé.
Vais-je vous défroisser ce paquet si froissé?
Je suis homme de biens saluant des héritiers;
Car désormais ainsi je salue le printemps.
Ces chœurs de bienvenue sont pour moi chœurs d'adieux.
Nul printemps ne peut surgir à midi passé.
Or tu persistes, d'une extase anecdotique,
À alléguer d'une *connaissance* étoilée.

III

Ce n'est pour rien, alors, que les anciens Chinois,
Assis, se bichonnaient aux lacs de leurs montagnes
Ou, penchés au Yangtsé, y détaillaient leur barbe?
Je ne jouerai pas la gamme historique terne.
Tu sais comment les belles, chez Utamaro,
Cherchaient la fin d'aimer par d'éloquentes tresses.
Tu connais de Bath les coiffures montueuses.
Hélas! Tous les barbiers vécurent-ils en vain,
Qu'aucune boucle n'a survécu en nature?
Pourquoi, sans pitié pour ces spectres consciencieux,
Sors-tu de ton sommeil, trempée de tes cheveux?

IV

Ce fruit de vie impeccable et délicieux
Choit, semble-t-il, de son propre poids sur la terre.
Quand Ève tu étais, son jus âcre était doux,
Ingoûté, dans son air, édénique verger.
Une pomme aussi bien qu'un crâne fait office
De livre à lecture ronde; son excellence
Est la même du fait qu'elle est, comme les crânes,
Composée de cela qui vient pourrir au sol.
Mais là où elle excelle c'est que, fruit d'amour,
Elle est livre de lecture trop insensée
Avant que lire ne soit plus qu'un passe-temps.

V

Là-haut dans l'occident brûle un furieux astre.
C'est pour les gars en feu que l'astre fut placé,
Pour les vierges fleurant si bon, tout auprès d'eux.
La mesure de l'intensité de l'amour
Est mesure, aussi, de la verve de la terre.
Pour moi, le coup du ver luisant, vif, électrique,
Bat fastidieusement l'heure d'un an de plus.
Et toi? Souviens-toi comment les criquets sortaient
De l'herbe-mère, comme menue parentèle,
Dans les nuits pâles, quand tes premières images
Pressentaient tes liens avec cette poussière.

VI

Si passé quarante ans, les hommes se font peintres
De lacs, les éphémères bleus doivent pour eux
Fondre en un seul, couleur universelle, ardoise
De base. Une substance est en nous qui prévaut.
Mais dans nos galanteries les galants discernent
Des fluctuations telles que leurs écritures
S'essoufflent à en suivre chaque tour fantasque.
Quand les galants perdent leurs cheveux, les amours
Se rencognent dans le cours et dans la carrière
D'introspectifs exils donneurs de conférences.
Ce thème est seulement destiné à Hyacinthe.

VII

Les mules chevauchées d'anges, lentes, descendent
D'au-delà du soleil par des passes de flammes.
Les decrescendo de leurs carillons arrivent.
Ces muletiers tatillonnent quant au chemin.
Entre-temps, les centurions s'esclaffent et frappent
Les tables à grands coups de leur chope criarde.
La parabole, en un sens, se résume ainsi:
Le miel du ciel peut venir ou ne pas venir,
Mais celui de la terre fuit sitôt qu'il vient.
Supposons qu'en leur train ces courriers amenaient
Pucelle rehaussée d'éternelle éclosion.

VIII

En amorphe érudit, je contemple, en amour,
Un ancien aspect touchant un esprit nouveau.
Il vient, il éclot, il porte ses fruits puis meurt.
Ce trope trivial révèle un accès au vrai.
Notre fleur est partie. Nous en sommes le fruit.
Deux gourdes distendues, dorées, dans nos vignobles
En saison automnale, éclaboussées de givre,
Tordues de gras charnu et devenues grotesques.
Nous pendons comme coloquintes pustuleuses
Rayées, striées qu'un ciel railleur verra réduites
En rinçures par les pluies putrides d'hiver.

IX

Par vers fous de remous et emplis de vacarme,
Accrus encor de cris, de coups, brusques et sûrs
Comme l'idée funeste d'hommes achevant
Leur étrange destin dans la guerre, viens, loue
La foi de quarante ans, garde de Cupidon.
Très vénérable cœur, le trait le plus gaillard
N'est pas gaillard de trop pour ton évasement.
Je sonde tout bruit, toute pensée, tous les tous
Pour le genre et la mélodie des paladins
Cherchant à ajuster l'oblation. Où trouver
Adéquate bravoure pour un si grand hymne?

X

Les fats de fantaisie laissent dans leurs poèmes
Des memorabilia de gouttières mystiques
Arrosant spontanément leur sol grumeleux.
Moi, je suis un commis dans tous les sens du terme.
Je ne connais ni arbre magique ou ramure
Embaumée, ni fruit rouge-or, vermillon-vermeil.
Mais je connais un arbre, après tout, qui ressemble
À peu près à la chose que j'ai dans l'idée.
Il est gigantesque et coiffé d'un certain faîte
Où dans leur temps viennent tous les oiseaux un temps.
Mais, eux partis, le faîte coiffe toujours l'arbre.

XI

Si le sexe était tout, toute tremblante main
Pourrait nous faire couiner, comme des poupées,
Les mots tant attendus. Mais note l'incroyable
Tricherie du destin qui nous fait sangloter,
Rire, râler, hurler de chagrins héroïsmes,
Nous extirpant des gestes de doux à dément
Sans égard pour cette première loi suprême.
Heure d'angoisse ! Hier au soir, nous nous assîmes
Près d'un étang de rose pomponné de lis
Filant comme le vent sur les chromes luisants,
Aigu jusqu'au point d'astre, tandis qu'un crapaud
De sa panse tirait des accords exécrables.

XII

C'est un pigeon bleu, qui encercle le ciel bleu,
Latéralement d'aile il vire et vire et vire.
C'est un pigeon blanc, qui voltige jusqu'au sol,
Fatigué de voler. Tel un sombre rabbin,
Du temps de ma jeunesse, j'ai examiné
La nature de l'homme, solennelle étude.
Jour après jour, j'ai trouvé que l'humanité
Se révélait bouchée dans mon monde à hachoir.
Plus tard, à la manière d'un rose rabbin,
J'ai poursuivi et je poursuis toujours la source
Et le cours de l'amour, mais jusqu'à aujourd'hui
Jamais je n'avais su que cela qui palpite
Était doté d'une nuance si distincte.

 

   

 

   

 

   

 Nuance d'un thème par Williams

 

C'est un étrange courage,
astre ancien, que tu me donnes:

Luis seul au soleil levant
auquel tu n'accordes rien!

I

Luis seul, lui nûment, luis comme le fait le bronze
qui ne reflète ni ma face ni l'intime
de qui je suis, luis en feu qui ne mire rien.

II

N'accorde rien à nulle humanité qui baigne
qui tu es dans son propre éclat.
Ne sois pas chimère de l'aube,
Homme à demi et demi-astre.
Ne sois pas une intelligence,
Comme à la veuve son oiseau
Ou une rosse.

 

   

 

   

 

   

 Métaphores d'un condottiere

 

Vingt hommes passant un pont,
Pour entrer dans un village,
Sont vingt hommes passant vingt ponts,
Pour entrer dans vingt villages,
Ou un seul homme
Passant un seul pont pour entrer dans un village.

C'est là la vieille rengaine
Qui ne se déclare pas…

Vingt hommes passant un pont,
Pour entrer dans un village,
Sont
Vingt hommes passant un pont
Pour entrer dans un village.

Qui ne se déclarera pas
Alors qu'à sens elle est certaine…

Les bottes des hommes résonnent
Sur les planches formant le pont.
Le premier mur blanc du village,
Monte entre les arbres fruitiers.
À quoi est-ce que je pensais?
Et le sens ainsi se dérobe.

Le premier mur blanc du village…
Les arbres fruitiers…

 

   

 

   

 

   

Labour de dimanche

 

La queue du coq blanc
Se balance au vent.
La queue du dindon
Scintille au soleil.

L'eau est dans les champs.
Le vent tombe à verses.
Les plumes flamboient,
Rafales au vent.

Rémus, souffle dans ton cor!
Dimanche, je laboure
L'Amérique du Nord.
Souffle dans ton cor!

Ta-di-da
Ti-da-da-da!
La queue du dindon
S'étale au soleil.

La queue du coq blanc
Ruisselle à la lune.
De l'eau dans les champs.
Le vent tombe à verses.

 

   

 

   

 

   

* Cy est pourtraicte, Madame Ste Ursule, et les unze mille vierges *

 

Ursule, dans un jardin, dénicha
Un lit de radis.
Son genou à terre elle mit
Elle les cueillit,
Et les fleurs voisines aussi
Bleues, dorées, roses et vertes.

De brocart de pourpre et d'or se vêtant,
Dans l'herbe elle déposa une offrande
De radis et de fleurs.

Elle dit: «Très cher,
Sur tes autels,
J'ai placé
La marguerite et le coquelicot,
Et les roses
Frêles comme neige d'avril;
Mais ici,» dit-elle,
«Où nul ne peut voir,
Je te fais offrande, dans l'herbe,
De ces radis et ces fleurs.»
Puis en sanglots elle fondit
De crainte de voir le Seigneur refuser.
Le doux Seigneur dans son jardin cherchait
Feuille nouvelle et teinte ombreuse.
C'était là toute Sa pensée.
Il ouït son tout bas accord,
Mi-prière mi-ariette,
Un subtil frisson le gagna,
Qui n'était ni céleste amour
Ni pitié.

Ce n'est escrit
En aucun livre.

 

   

 

   

 

   

Hibiscus aux grèves dormantes

Or je dis, Fernando, qu'en ce jour-là l'esprit
A çà et là flâné comme phalène flâne,
Aux floraisons par-delà l'étendue des sables;

Et quel que fût le bruit que produisaient les vagues
Sur les algues roulant et les rochers couverts
Il n'a pas même seulement importuné

La plus oisive des ouïes. Puis il advint
Que cette phalène monstrifiée, qui était
Restée couchée en pliure contre le bleu

Et la pourpre colorée des eaux paresseuses,
Après avoir somnolé aux grèves osseuses,
Fermée aux boniments que la mer émettait,

S'élevant dans ses ocelles, s'est élancée
À la quête du rouge dans son flamboiement,
Du rouge fricoté d'un rien de pollen jaune —

D'un rouge qui fût rouge autant que le fanion
Qui se trouvait au haut du vieux café — et là
Tout au long du stupide après-midi flâna.

 

   

 

   

 

   

Fabliau de Floride

 

Haut trois mâts de phosphore
Sur la plage aux palmiers

Cingle au loin jusqu'aux cieux,
Va-t-en vers les albâtres
Et les bleus de la nuit.

L'écume et le nuage
Sont une seule chose.
Des monstres faits de lune

Étouffants, se dissolvent.
Emplis ta coque noire
De clair de lune blanc.

Jamais il n'y aura de fin
Au déferlement ressassant.

 

   

 

   

 

   

 Le docteur de Genève

 

Le docteur de Genève, arpentant les arènes
Qui circonscrivent le ressac du Pacifique,
Rassit son huit-reflets et ajusta son châle.
Jamais l'homme lacustre n'avait enduré

De cascades en si longs rouleaux opulents,
Sauf à en trouver chez Racine ou Bossuet.
Il ne bronchait point. Homme exercé à sonder
La variété des cieux, il ne s'effarait point

De ces déluges visibles et volubiles,
Qui parvinrent pourtant à trouver le moyen
De jeter l'effervescence de son esprit
En vaticinations de trombes et de trilles

Annotant la sauvage vacuité ruineuse,
Jusqu'à l'heure où, dressés, les clochers de sa ville
Toquèrent d'apocalypse fort imbourgeoise.
Le docteur, soupirant, usa de son mouchoir. 

 

   

 

   

 

   

 Une autre femme en pleurs

 

Déverse l'affliction
De ton cœur trop amer
Que la désolation ne va pas adoucir.

Du poison croît dans ces ténèbres.
C'est dans l'eau des larmes
Que s'élèvent ses fleurs noires.

La magnifique cause d'être,
L'imagination, la seule réalité
Dans ce monde imaginé

Te délaisse
Avec lui pour qui nulle lubie ne s'émeut,
Et tu es navrée d'une mort.

 

   

 

   

 

   

 * Homunculus et la belle étoile *

 

Dans la mer, Biscaïenne, c'est là que s'atoure
L'étoile du berger, la jeune émeraldine,
Clarté bonne aux poivrots, aux poètes, aux veuves
Et aux dames bientôt conduites à l'autel.

C'est dans cette clarté que les poissons salés
S'arquent dans la mer ainsi que des branches d'arbre,
S'égayant de tous côtés
Vers le bas et vers le haut.

Cette clarté oriente
Les pensées des poivrots, les impressions
Des veuves et des dames frissonnantes,
Et les mouvements aussi des poissons.

Que voici donc une existence délicieuse
Où cette émeraude enchante les philosophes
Au point qu'ils viennent, sans y penser, à vouloir
Baigner leur cœur d'un clair de lune ultérieur,

Sachant qu'il leur est possible de rappeler
Leur pensée dans la nuit encore sans silence,
Dont réfléchir à ci et ça
Avant de s'endormir!

Il vaut mieux, en tant qu'érudits, qu'ils se consacrent
Tout entiers à penser dans les parements noirs
De capes volumineuses,
Et qu'ils se rasent la tête comme le corps.

Il se pourrait bien, après tout, que leur maîtresse
Fût non pas un fantôme efflanqué et furtif.
Il se pourrait qu'elle fût la femme légère
Dans l'abondance de sa beauté, une ardeur,

Une fécondité,
Dont l'être, au rebord marin, dans le clair d'étoiles
Puisse leur apporter sur des mots simplissimes
Le plus intime bien au centre de leur quête.

Alors, cet éclat, c'est donc qu'il est bel et bon
Pour ceux-là qui possèdent le Platon suprême,
Tranquillisant par ce joyau
Les tourments de la confusion.

 
 
  Suite
 
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