[Un chant pour les occupations]

 

Venez plus près de moi,
Pressez-vous plus près mes amants et prenez le meilleur de ce que je possède,
Tendez plus près et au plus près et donnez-moi le meilleur de ce que vous possédez.

Reste cette affaire pendante avec moi . . . . qu'en est-il pour vous?
J'étais frigorifié par les froides fontes et le cylindre et l'humide papier entre nous.

Je passe si pauvrement par le papier et les casseaux . . . . je dois passer par le contact des corps et des âmes.

Je ne vous remercie point de m'aimer tel que je suis, et d'aimer ce contact qui vient de moi . . . . je sais qu'il est pour vous bénéfique d'agir ainsi.

Que toute éducation pratique et ornementale fût par moi bien mise en montre, quel en serait l'intérêt?
Que je fusse recteur de lycée ou propriétaire charitable ou homme d'état avisé, quel en serait l'intérêt?
Que je vous fusse patron qui vous emploie et qui vous paie, en seriez-vous satisfaits?

Les savants et les vertueux et les bienveillants, et les termes usuels;
Un homme tel que moi, et jamais les termes usuels.

Serviteur ni maître ne suis-je,
Je n'exige pas davantage grand prix que prix modique . . . . je serai à mon affaire quiconque a jouissance de moi,
Je serai quitte à ton égard, et tu seras quitte à mon égard.

Si tu es un travailleur ou une travailleuse je te suis voisin autant que l'est le plus proche qui travaille dans la même échoppe,
Si tu couvres ton frère de dons ou ton plus cher ami, j'exige autant que ton frère ou ton plus cher ami,
Si ton amant ou ton mari ou ta femme te sont bienvenus de jour comme de nuit, je dois personnellement t'être bienvenu autant;
Si tu tombes en dégradation ou souffrance, je tomberai de même par amour de toi;
Si tu te souviens de tes actes imbéciles ou illicites, crois-tu que je ne puisse me souvenir de mes actes imbéciles ou illicites?
Si tu festoies à la table je dis que je festoie à l'autre bout de la table;
Si tu rencontres un étranger dans la rue et d'elle t'éprends ou de lui, ne rencontré-je pas souvent des étrangers dans la rue et d'eux m'éprends?
Si tu vois bien des éléments remarquables en moi j'en vois de tout autant remarquables en toi.

Çà, d'où te viens cette idée que tu as de toi?
Est-ce donc toi qui t'es pensé inférieur?
Est-ce donc toi qui pensas que le Président t'est supérieur? ou le riche plus à ses aises que toi? ou le lettré plus avisé que tu ne l'es?

Parce que tu es graisseux ou acnéique — ou parce que tu fus une fois saoul, ou voleur, ou atteint d'un mal, ou goutteux, ou prostitué — ou l'es maintenant — ou par frivolité ou impuissance — ou du fait que tu n'as rien d'un savant, et jamais n'a vu ton nom imprimé . . . . t'abaisses-tu à croire que t'en voici moins immortel?

Âmes des hommes et des femmes! ce n'est point vous que je dis invisibles, inouïes, intouchables et intouchantes;
Ce n'est point à votre endroit que je vais arguant du pour et du contre, et décidant si vous êtes ou non vivantes;
Je professe publiquement qui vous êtes, si nul autre ne le professe . . . . et vous vois et vous entends, et ce que vous donnez et prenez;
Qu'est-il que vous ne puissiez donner ou prendre?

Je ne vois point seulement que vous êtes polis ou blanchis . . . . mariés ou célibataires . . . . citoyens d'anciens états ou citoyen d'états neufs . . . . éminents en quelque profession . . . . homme ou femme de qualité dans un boudoir . . . . ou vêtu de l'uniforme des geôles . . . . ou de l'uniforme des chaires,
Non le seul homme libre de l'Utah, du Kansas, de l'Arkansas . . . . non le seul libre Cubain . . non l'esclave seul . . . . non le natif du Mexique, ou le Pied-plat, ou le nègre d'Afrique,
L'Iroquois mangeant la chair de la guerre — le déchiqueteur de poissons dans son trou de rocs et de sables . . . . l'Esquimau dans l'igloo sans lumière . . . . le Chinois aux yeux infléchis . . . . le Bédouin — ou le nomade errant — ou le tabounschik à la tête de ses troupeaux,
Adulte, adolescent, et nourrisson — de ce pays et de tout pays, sous un toit et à l'air libre, je vois . . . . et tout le reste est en deçà ou par leur entremise.

L'épouse — et elle n'est pas à l'époux inférieure de ça,
La fille — et elle vaut tout autant que le fils,
La mère — et elle est en tous points ce qu'est le père.

Progéniture des fauchés — gars placés en apprentissage,
Jeunes hommes travaillant à la ferme ou vieillards travaillant à la ferme;
Les naïfs . . . . les simples et vaillants . . . . tel qui dans l'isoloir va voter . . . . tel qui s'offre du bon temps, et l'autre qui s'offre un sale quart d'heure;
Ouvriers, méridionaux, nouveaux arrivants, marins, moussaillons de frégates, homme de négoce, caboteurs,
Tous je les vois . . . . mais que ce soit par proche ou loin mêmement je les vois;
Nul ne m'échappera, et nul ne voudra m'échapper.

J'apporte cela dont tu as tant besoin, alors que tu l'as de toujours,
Je n'apporte argent ni amours ni vêtements ni ce qui se mange . . . . mais mon apport est aussi bon;
Et n'envoie agent ni remisier . . . . et n'offre point représentation de la valeur — mais offre la valeur même.

Il est une chose qui se révèle à chacun maintenant et perpétuellement,
Elle n'est point ce qui s'imprime ou se prêche ou se dispute . . . . elle esquive discussion et imprimé,
Elle n'est point à coucher dans un livre . . . . elle n'est point dans le présent livre,
Elle est pour toi qui que tu sois . . . . elle n'est pas de toi plus lointaine que ton ouïe ou ta vue ne te le sont,
Elle se suggère par les plus proches et les plus communs et les mieux parés . . . . elle n'est point eux, bien qu'elle soit incessamment provoquée par eux . . . . Qu'y a-t-il là paré et proche de toi en cet instant?

Tu peux bien lire maintes langues et ne rien lire qui la concerne;
Tu peux bien lire l'adresse du Président et n'y rien lire qui la concerne;
Rien dans les rapports du département d'état ou du département des finances . . . . ou dans les quotidiens ou dans les hebdomadaires,
Ou dans les résultats du recensement ou les évaluations du fisc ou les prix pratiqués ou tout décompte d'inventaire.

Le soleil et les étoiles qui flottent dans l'air libre . . . . la terre à forme de pomme et nous là-dessus . . . . assurément leur course est chose splendide;
Je ne sais rien hormis qu'elle est chose splendide, et qu'elle est bonheur,
Et que le dessein qui nous englobe ici n'est point spéculation, ou bon mot ou fidéjussion,
Et n'est point chose qui en viendra à bien tourner pour nous avec de la chance et avec de la malchance devra nous être débâcle,
Et point n'est chose encore susceptible de se voir retirée dans de certaine conjoncture.

La lumière et l'ombre — le sentiment curieux du corps et de l'identité — la rapacité qui d'une parfaite complaisance dévore toute chose — la fierté et l'étirement sans fin de l'homme — les joies et les chagrins indicibles,
La merveille que chacun voit en chacun d'autre qu'il voit . . . . et les merveilles qui gorgent chaque minute du temps à jamais et chaque arpent de la surface et de l'espace à jamais,
Les as-tu estimés objets surtout de ton commerce ou ton labour? ou du profit d'une boutique? ou pour t'assurer une position? ou pour garnir les loisirs d'un homme de qualité ou les loisirs d'une dame de qualité?

As-tu estimé que le paysage a pris substance et forme à fin d'être peint dans un tableau?
Ou les hommes et les femmes à fin qu'on écrive à leur sujet, ou en chante chansons?
Ou l'attraction de la gravité et les grandes lois et les combinaisons harmonieuses et les fluides de l'air sujets pour savants?
Ou la terre brune et l'océan bleu pour les cartes et les cadastres?
Ou les étoiles qu'on les place en constellations et les nomme de noms recherchés?
Ou que la croissance des graines est pour les tableaux agronomiques ou l'agriculture elle-même?

Vieilles institutions . . . . telles sont arts bibliothèques légendes collections — et la pratique de main à main transmise dans les manufactures . . . . les allons-nous priser si haut?
Allons-nous priser notre prudence et notre industrie si haut? . . . . je n'ai pas d'objection,
Je les prise aussi haut que le plus haut . . . . mais un enfant né de femme et d'homme je prise au-delà de tout prix.

Nous pensions notre Union superbe et notre Constitution superbe;
Je ne dis point qu'elles ne soient superbes ni bonnes— car elles le sont,
Je suis en ce jour amoureux d'elles autant que tu l'es,
Mais je suis éternellement amoureux de toi et de tous mes semblables sur terre.

Nous jugeons divines les bibles et les religions . . . . je ne dis point qu'elles ne soient pas divines,
Je dis que c'est en toi qu'elles prennent toutes naissance et par toi encore vont croître,
Ce n'est point elles qui donnent la vie . . . . c'est toi qui donnes la vie;
Les feuilles point davantage ne sont par les arbres disséminées ou les arbres de par la terre qu'elles ne sont de toi disséminées.

La somme de toute valeur et de tout respect connus j'additionne en toi qui que tu sois;
Le Président est là-bas dans la Maison Blanche pour toi . . . . ce n'est pas toi qui es ici pour lui,
Les Secrétaires agissent dans leurs bureaux pour toi . . . . non point toi ici pour eux,
Le Congrès chaque décembre se réunit pour toi,
Lois, tribunaux, formation des états, chartes des villes, allées et venues du commerce et des postes tout est pour toi.

Toutes doctrines, toutes politiques et toute civilisation sont exhaussements de toi,
Toute sculpture et les monuments et toute inscription partout concordent en toi,
Le substrat des histoires et des statistiques si haut que remontent les archives est en toi en cette heure — et mythes et contes mêmement;
Si tu n'étais ici qui respires et marches, où seraient-ils donc?
Les plus fameux poèmes ne seraient que cendres . . oraisons et pièces seraient des néants.

Toute architecture est ce que tu en fais au moment que tes yeux s'y portent;
Pensais-tu qu'elle résidait dans la pierre blanche ou grise? ou les lignes des arches et des corniches?

Toute musique est ce qui s'éveille en toi lorsque les instruments te le remémorent,
Elle n'est violons ni cornets . . . . n'est point hautbois ni tambours roulant — ni les notes du baryton chantant sa douce romance . . . . ni celles du chœur des hommes, ni celles du chœur des femmes,
Elle est plus proche et plus lointaine qu'eux.

Le tout va-t-il alors revenir?
Chacun peut-il voir les signes du suprême par un regard au miroir? n'est-il rien plus grand ni plus ample?
Tout est-il siégeant là avec toi et ici avec moi?

Les choses vieilles à jamais neuves . . . . ô gamin sans cervelle! . . . . les plus proches choses plus simples — ce moment avec toi,
Ta personne et chaque particule qui se rapporte à ta personne,
Les ondes de ton cerveau guettant leur chance et leur encouragement à chaque action ou regard;
Tout ce que tu fais en public le jour, et quoi que tu fasses en secret à l'entre des jours,
Ce qui s'appelle le bien et ce qui s'appelle le mal . . . . ce que ton œil ou ta main touche . . ce qui te cause émerveillement ou colère,
La chaîne d'entrave de l'esclave, la paillasse dans le garni, les cartes du joueur, les planches du faussaire,
Ce qui se voit et s'apprend dans la rue, ou intuitivement s'apprend,
Ce qui s'apprend à l'école publique — orthographe, lecture, écriture et calcul . . . . le tableau noir et les diagrammes du maître:
Les carreaux de la vitre et tout ce qui en eux paraît . . . . la maison quittée au matin et la journée passée sans but;
(Tu as gagné tes sous, qu'importe? Tu as obtenu ce que tu voulais, qu'importe?)
La routine habituelle . . . . l'atelier, l'usine, les docks, le bureau, l'échoppe ou le pupitre;
L'excursion de chasse ou de pêche, ou la vie de chasse ou de pêche,
La vie aux champs, l'affenage, la traie et la garde des bêtes, et tout le personnel et les usages;
La prunelaie et la pommeraie . . . . le jardinage . . . . les semis, les coupes, les fleurs et les vignes,
Grains et fumages . . la marne, l'argile et la glaise . . le sous-solage . . la pelle et la pioche et le râteau et la houe . . l'irrigation et le drainage;
L'étrille . . le bouchon . . le licol et la bride et le mors . . jusqu'aux brindilles de paille,
L'écurie et la cour d'écurie . . les coffres à avoine et les mangeoires . . les las et les râteliers:
Manufactures . . commerce . . ingénierie . . l'édification des villes, et toute industrie qui y prend place . . et les outils de chaque industrie,
L'enclume et les tenailles . . la hache et le coin . . l'équerre et l'onglet et la varlope et le rabot à repasser;
Le plomb à son fil et la truelle et le niveau . . l'échafaudage au mur et le travail des murs et des toits . . ou de toute maçonnerie;
Le compas du navire . . la banne du marin . . les étais et les aiguillettes, et les apparaux de mouillage pour l'ancrage ou l'amarrage,
La barre du sloop . . la roue et la cloche du pilote . . le yacht ou la barcasse à pêche . . le grand vapeur de trois cents pieds de long aux pavillons enjoués qui saille avec force d'avant, avec son gras sein fier et le délicat des aubes en brefs éclairs;
Le sillage et la ligne et l'hameçon et son plomb . . la seine et le halage de la seine;
Les armes à poing et les fusils . . . . la poudre et le coup et l'amorce et la bourre . . . . l'artillerie de guerre . . . . les affûts;
Les objets quotidiens . . . . les chaises, la carpette, le lit et sa courtepointe et lui ou elle endormis la nuit, et le vent soufflant, et les bruits indéfinis;
La tempête de neige ou le déluge de pluie . . . . les chausses du haleur . . . . la hutte dans les bois, et la chasse aux aguets;
Ville et campagne . . âtre et chandelle . . éclairage au gaz et chaudière et aqueduc;
Le message du gouverneur, du maire, ou du préfet de police . . . . les plats du petit déjeuner ou du dîner ou du souper;
La soute à charbon, la pompe à incendie, l'équipage de cordée et le véhicule ou la voiture derrière elle;
Le papier sur lequel j'écris ou tu écris . . et chaque mot que nous écrivons . . et chaque croix ou pirouette de la plume . . et la curieuse façon dont nous écrivons ce que nous pensons . . . . pourtant si vaguement;
Le répertoire, le détecteur, le grand livre . . . . les livres en rangs sur les étagères . . . . l'horloge vissée au mur,
La bague à ton doigt . . la chaînette au poignet de la personne du sexe . . les masses des carriers et des chaudronniers . . les fioles du droguiste et ses jarres;
L'étui aux instruments chirurgicaux, et l'étui des instruments de l'oculiste et de l'auriste, ou les instruments du dentiste;
Le soufflage du verre, le meulage du maïs ou du blé . . la coulée, et cela qui est coulé . . zincage, essentage,
Le charpentage du navire, le dallage des trottoirs par les dalleurs . . le revêtement des quais, la préservation du poisson, le transbordement;
La pompe, le mouton à pilotis, la grande tour de forage . . le four à charbon et le four à briques,
La ferronnerie ou la ferblanterie . . la sucrerie . . les scieries à vapeur et les grandes usines et fabriques;
La balle de coton . . le crochet de l'arrimeur . . la scie et la tronçonneuse du scieur de long . . le tamis du cribleur de charbon . . le moule du mouleur . . le coutelas de travail du boucher;
La presse à cylindre . . la presse à main . . la frisquette et le papier de décharge . . la règle et le composteur du typographe,
Les ustensiles de la daguerréotypie . . . . les outils du gréeur ou du grappineur ou de l'ouvrier de voilerie ou du poulieur,
Les produits en gutta-percha ou en papier mâché . . . . couleurs et pinceaux . . . . les ustensiles du vernisseur,
La feuille à plaquer et le pot de glu . . les ornements du confiseur . . le carafon et les verres . . les ciseaux et le fer à repasser;
L'alêne et la genouillère . . la mesure de la pinte et la mesure du quart . . le comptoir et le tabouret . . la plume d'oie ou de métal;
Billards et quilles . . . . les échelles et les cordes du gymnase, et les exercices virils;
Les motifs des papiers peints ou des toiles cirées ou des tapis . . . . les objets de fantaisie pour femmes . . . . les estampilles du relieur;
La mégisserie, la carrosserie, la chaudronnerie, le toronnage des cordes, la distillerie, la peinture d'enseignes, la chaufournerie, la tonnellerie, la cueillette du coton,
Le balancier de la machine à vapeur . . le régulateur et les modérateurs de vitesse et les pistons alternants,
Les machines à douves et les varlopeuses . . . . la voiture du livreur . . l'omnibus . . la pesante masse du fardier;
Le chasse-neige et les deux engins qui le propulsent . . . . le voyage en train express composé d'un seul wagon . . . . la tempête hurleuse en un éclair passée;
La chasse à l'ours et au raton laveur . . . . le bûcher des copeaux dans le terrain vague de la ville . . la foule des enfants qui regardent;
Les coups du boxeur . . l'uppercut et un-deux-trois l'autre est à terre;
Les vitrines des boutiques . . . . les cercueils dans la remise du fossoyeur . . . . les fruits dans l'échoppe du fruitier . . . . le bœuf à l'étal du boucher;
Le pain et les gâteaux dans la boulangerie . . . . le porc marbré de blanc et de rouge chez le charcutier;
Les rubans de la mercière . . les patrons de la couturière . . . . la table pour le thé . . les douceurs maison;
La colonne des offres dans le journal à un sou . . les dépêches télégraphiques . . . . les divertissements et les opéras et les spectacles;
La cotonnade et le lainage et le lin que tu portes . . . . l'argent que tu gagnes et dépenses;
Ton salon et ta chambre à coucher . . . . ton pianoforte . . . . le four et les casseroles,
La maison où tu vis . . . . le loyer . . . . les autres locataires . . . . le dépôt à la caisse d'épargne . . . . le commerce chez l'épicier,
La paie du samedi soir . . . . le retour au foyer, et les emplettes;
En eux l'effort pour hisser le plus pesant . . . . en eux bien plus que tu ne l'estimais, et bien moins également,
En eux, non toi . . . . toi et ton âme englobez toute chose, sans égard à l'estimation,
En eux tes thèmes et instructions et provocateurs . . . . sinon, la terre entière est démunie de thèmes et instructions et provocateurs, et jamais n'en eut.

Je n'affirme point que ce qu'au-delà tu vois est futile . . . . je ne t'avise point d'arrêter,
Je ne dis point que les directions que tu penses d'importance sont sans importance,
Mais je dis que nulle ne conduit vers plus grand ou plus triste ou plus heureux que celles-là n'y conduisent.

Ta quête ira-t-elle aux lointains? Sûrement à la fin tu reviendras,
En cela qui t'est le plus connu trouvant le mieux, ou l'aussi bien que le mieux,
En gens de toi proches trouvant aussi ce qui est le plus doux et le plus fort et le plus aimant,
Bonheur en nul autre lieu qu'en ce lieu-ci . . . . non pour une heure autre que cette heure,
Homme dans le premier que tu vois ou touches . . . . toujours dans ton ami ou frère ou voisin le plus prochain . . . . Femme dans ta mère ou amante ou épouse,
Et tout le reste jusque là connu livrant place aux hommes et aux femmes.

Quand chantera le psaume au lieu du chanteur,
Quand prêchera le sermon au lieu du prêcheur,
Quand descendra la chaire pour prendre la place du sculpteur qui sculpta le pupitre d'appui,
Quand les vaisseaux sacrés ou les fragments de l'eucharistie, ou le lattis, procréeront aussi effectivement que les jeunes argentiers ou boulangers, ou les maçons dans leur salopette,
Quand un cours à l'université convaincra ainsi qu'une femme et un enfant assoupis convainquent,
Quand la monnaie frappée d'or sourira dans son caveau à la manière de la fille du veilleur de nuit,
Lorsque les actes notariés feignarderont sur des chaises en face et seront mes compagnons aimés,
J'entends tendre vers eux ma main et d'eux faire autant cas que je fais d'homme et de femme.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[Penser au temps ]

Penser au temps . . . . penser jusqu'au bout la rétrospection,
Penser à aujourd'hui . . et aux âges continués dès lors.
As-tu pressenti que toi-même tu ne continuerais pas? T'es-tu effrayé de ces insectes-là sous terre?
As-tu craint que le futur ne te soit rien?

Est-ce rien qu'aujourd'hui? Et le passé sans nul commencement rien?
Si le futur n'est rien ils sont tout aussi assurément rien.

Penser que le soleil s'est levé à l'orient . . . . qu'hommes et femmes étaient déliés et réels et vivants . .. que toute chose était déliée et réelle et vivante;
Penser que toi et moi n'avons senti pensé ni tenu notre rôle,
Penser que nous voici maintenant ici à tenir notre rôle.

Aucun jour ne passe . . une minute ni une seconde sans un accouchement;
Aucun jour ne passe . . une minute ni une seconde sans un cadavre.

Quand sont les nuits mornes achevées, et les mornes jours également,
Quand s'achève l'aigreur d'un trop long séjour au lit,
Quand le médecin, après avoir longtemps différé, fait réponse par ce regard muet et terrible,
Quand les enfants accourent en larmes, et l'on a fait mander les frères et les sœurs,
Quand demeurent intouchés sur l'étagère les médicaments, et l'odeur du camphre a imbibé les pièces,
Quand la main fidèle du vivant ne déserte pas la main du mourant,
Quand les lèvres tremblotantes pressent légèrement le front du mourant,
Quand la respiration cesse et le battement du cœur cesse,
Alors les membres du cadavre jonchent le lit, et les vivants les contemplent,
Ils sont palpables autant que sont les vivants palpables.

Les vivants contemplent le cadavre avec la vue de l'œil,
Mais sans œil s'attarde un vivant différent qui regarde avec curiosité le cadavre.

Penser que viendront à s'écouler les fleuves, et la neige à choir, et les fruits à mûrir . . qui agiront sur d'autres comme aujourd'hui sur nous . . mais n'agirons plus sur nous;
Penser à toutes ces merveilles de la ville et du champ . . et d'autres auront d'elles grand intérêt . . et nous d'elles que peu d'intérêt.

Penser combien nous sommes empressés à bâtir nos maisons,
Penser que d'autres seront aussi empressés . . et nous rien moins qu'indifférents.

J'en vois un bâtissant la maison qui lui sert quelques années ... ou soixante-dix, au plus quatre-vingts ans;
J'en vois un bâtissant la maison qui lui servira bien plus longtemps.

De noires lignes alenties rampent de par toute la terre . . . . elles n'ont jamais de cesse . . . . elles sont les cortèges funéraires,
Lui qui fut Président a été enterré, et lui qui est en ce jour Président sera assurément enterré.

Heurt froid des vagues au ponton du bac,
Plaques et glaçons dans le fleuve . . . . gadoue mi-gelée dans les rues,
En surplomb un ciel gris et découragé . . . . la dernière lueur du bref jour de décembre,
Un corbillard et des omnibus . . . . les autres véhicules font place,
Les funérailles d'un vieux cocher d'omnibus . . . . le cortège presque entièrement de cochers.

Rapide le trot au cimetière,
Dûment le tocsin donne . . . . le portail est passé . . . . on fait halte à la fosse . . . . les vivants sautent à terre . . . . le corbillard s'entrouvre,
Le cercueil est porté en terre et calé . . . . le fouet est placé sur le cercueil,
La terre est prestement pelletée . . . . une minute . . nul qui bouge ou qui parle . . . . c'en est fait,
Il est décemment remisé . . . . y a-t-il rien de plus?

C'était un brave type,
Franc de parler, soupe au lait, plutôt bien fait, capable de tenir son rôle,
Spirituel, sourcilleux sur l'insulte, prêt à risquer sa vie pour un ami,
Coureur de jupons, . . joueur sur les bords . . grand gosier et grand ventre,
A su ce que c'est que d'être plein aux as . . perdit sa gouaille sur la fin . . maladif . . fut aidé par une cotisation,
Mort à l'âge de quarante et un ans . . et c'était ses funérailles.

Pouce levé ou doigt dressé,
Tablier, cape, gants, bride . . . . vêtements pour la pluie . . . . le fouet choisi avec soin . . . . le patron, le contrôleur, le commis au départ, le palefrenier,
Tel qui sur toi tire sa flemme ou toi qui sur l'autre tires la tienne . . . . et ça roule! . . . . celui qui te précède et celui qui te suit,
Les jours de plein, les jours de guigne . . . . le gratin des chevaux ou les chevaux de rebut . . . . premier dehors ou dernier dehors . . . . la carriole rendue la nuit,
Penser que tout ça, c'est tant et de telle évidence aux autres cochers . . . . et lui là n'a n'en cure aucune.

Les marchés, le gouvernement, le salaire du travailleur . . . . penser combien ils pèsent sur nos jours et sur nos nuits;
Penser que d'autres travailleurs en feront chose d'autant de poids . . mais nous n'en ferons poids que faible ou nul.

Le vulgaire et le raffiné . . . . ce que tu dis péché et ce que tu dis bonté . . penser combien ample est la différence;
Penser que la différence pour d'autres va se poursuivre, mais nous serons gisant au-delà de la différence.

Penser à la quantité de plaisir!
Prends-tu plaisir à la contemplation du ciel? Prends-tu un plaisir aux poèmes?
As-tu pris du plaisir en ville? Ou dans l'affaire engagée? Ou dans la désignation et l'élection? Ou avec ta femme et ta famille?
Ou avec ta mère et tes sœurs? Ou dans les soins féminins de la maison? Ou dans les splendides soins maternels?

Eux aussi en direction d'autres ils roulent . . . . toi et moi roulons d'avant;
Mais en temps venu toi et moi y prendrons moins d'intérêt.

Ta ferme et tes gains et récoltes . . . . penser combien ils te concernent;
Penser qu'il y aura encore et fermes et gains et récoltes . . . . mais quant à toi, à quel profit?

Ce qui sera sera au mieux — car ce qui est est au mieux,
Prendre intérêt est bien, et ne prendre nul intérêt sera bien.

Le ciel continue magnifique . . . . le plaisir d'homme par la femme jamais ne sera rassasié . . ni le plaisir de femme tiré d'homme .. ni le plaisir des poèmes;
Les joies domestiques, les corvées ou affaires de chaque jour, le bâtir des maisons — ils ne sont point phantasmes . . ils ont poids et forme et emplacement;
Les fermes et les gains et les récoltes . . les marchés et les salaires et le gouvernement . . eux non plus ne sont point phantasmes;
La différence entre péché et bonté n'est pas apparition;
La terre n'est point écho . . . . l'homme et sa vie et toutes choses de sa vie sont prises justement en compte.
Tu n'es point jeté aux vents . . tu assembles dans la certitude et dans la sûreté autour de toi,
Toi! Toi! Toi pour toujours et à jamais!

Ce n'est point pour te dissiper que tu fus né de ta mère et de ton père — mais que tu en sois identifié,
Ce n'est point pour être indécidé, mais que tu en sois décidé;
Une préparation dans la durée et dans l'informe s'est produite et s'est formée en toi,
Tu es dès lors dans le sûr, quoi qui arrive ou qui s'en aille.

Les fils qui ont été tissés sont rassemblés . . . . la chaîne se lie à la trame . . . . le motif est systématique.

Les préparations produisent que tous aient été justifiés;
L'orchestre à suffisance a accordé ses instruments . . . . la baguette a donné le signal.

L'invité qui allait venir . . . . longtemps il attendit des raisons . . . . le voici désormais à demeure,
Il est l'un de ce ceux qui sont heureux et sont beaux . . . . il est l'un de ceux dont la vue et la compagnie comblent.

La loi du passé ne peut être éludée,
La loi du présent et du futur ne peut être éludée,
La loi du vivant ne peut être éludée . . . . elle est éternelle,
La loi de la promotion et de la transformation ne peut être éludée,
La loi des héros et des faiseurs de bien ne peut être éludée,
La loi des ivrognes et des délateurs et des méchants ne peut être éludée.

De noires lignes alenties sans cesse parcourent la terre,
Le méridional est charroyé et le septentrional est charroyé . . . . et ceux du bord de l'Atlantique et ceux du bord du Pacifique et ceux du milieu, et d'un bord à l'autre de la contrée du Mississippi . . . . et de par la terre entière.
Les grands maîtres et les cosmos sont au mieux tandis qu'ils vont . . . . les héros et les faiseurs de bien sont au mieux,
Les dirigeants et les inventeurs connus et les riches propriétaires et les pieux et les distingués peuvent bien être au mieux,
Mais il y a davantage à constater . . . . il est de tous constatation stricte.

Les hordes interminables des ignorants et des vicieux ne sont pas rien,
Les barbares d'Afrique et d'Asie ne sont pas rien,
Les peuples communs d'Europe ne sont pas rien . . . . les aborigènes d'Amérique ne sont pas rien,
Un zambo ou un Crowfoot sans front ou un Camanche n'est pas rien,
Les infectés dans l'hôpital des immigrants ne sont pas rien . . . . le meurtrier ou le méchant n'est pas rien,
La succession perpétuelle des gens sans épaisseur n'est pas rien tandis qu'ils passent,
La prostituée n'est pas rien . . . . le moqueur irreligieux n'est pas rien tandis qu'il passe.

Je vais avec le reste passer . . . . nous avons satisfaction;
J'ai eu rêve que nous ne sommes pas destinés à tant changer . . . . ni la loi qui nous régit à changer,
J'ai eu rêve que les héros et les faiseurs de bien vont en vérité se trouver sous la loi présente et passée;
Et que les meurtriers et les ivrognes et les menteurs vont en vérité se trouver sous la loi présente et passée;
Car j'ai eu rêve que la loi sous laquelle ils sont aujourd'hui suffit.

Et j'ai eu rêve que la satisfaction n'est point tellement changée . . . . et qu'il n'est vie sans satisfaction;
Qu'est la terre? Que sont le corps et l'âme sans satisfaction?

Je vais en vérité avec le reste passer,
Nous ne pouvons être arrêtés en un point donné . . . . là n'est pas satisfaction;
Nous montrer chose bonne ou quelques bonnes choses pour un temps donné, là n'est pas satisfaction;
Nous devons avoir l'indestructible lignée du mieux, indépendamment du temps.
S'il en va d'autre façon toutes ces choses se réduisent à cendres de fiente;
Si les larves et les rats nous étaient terme, alors défiance et fourberie et mort.

Soupçonnes-tu la mort? Si j'allais soupçonner la mort, que je meure dans l'instant,
Penses-tu que je ferais sourire aux lèvres et tout d'accord chemin vers l'annihilation?

C'est sourire aux lèvres et tout d'accord que je fais chemin,
La direction de mon chemin je ne peux définir, mais je sais qu'elle est bonne,
L'univers entier indique qu'elle est bonne,
Le passé et le présent indiquent qu'elle est bonne.

Combien beaux et parfaits sont les animaux! Combien parfaite est mon âme!
Combien parfaite la terre et d'elle la plus infinitésimale chose!
Ce qui est dit le bien est parfait, et ce qui est dit péché tout aussi parfait;
Les végétaux et les minéraux parfaits, tous autant qu'ils sont . . et les fluides impondérables sont parfaits:
Lentement et sûrement ils ont jusqu'en ce point que voici passé, et lentement et sûrement ils vont continuer de passer.

Ô mon âme! Si j'ai de toi réalité j'ai satisfaction,
Animaux et végétaux! Si j'ai de vous réalité j'ai satisfaction,
Loi de la terre et de l'air! Si j'ai de vous réalité j'ai satisfaction.

Je ne peux définir ma satisfaction . . pourtant telle elle est,
Je ne peux définir ma vie . . pourtant telle elle est.

Je jure qu'en cet instant je vois que tout a âme éternelle!
Les arbres l'ont, enracinés au sol . . . . les algues l'ont dans la mer . . . . les animaux.

Je jure que je pense qu'il n'est rien qu'immortalité!
Que toute l'exquise cabale est en sa faveur, et le flottement nébuleux en sa faveur, et la coalescence en sa faveur,
Et toute préparation est en sa faveur . . et l'identité est en sa faveur . . et la vie et la mort sont en sa faveur.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[Les Dormeurs]

J'erre toute la nuit dans ma vision,
Mobile à pas légers . . . . dans la prestesse et le silence mobile et immobile,
Penché les yeux ouverts sur les yeux fermés des dormeurs;
Errant et confus . . . . perdu en moi-même . . . . de bric et de broc . . . . contradictoire,
Qui pause et scrute et penche et stoppe.

Qu'ils ont l'air solennel, étendus sans geste;
Et combien leur souffle est paisible, ces petits enfants au berceau.

Les traits abîmés des gens du spleen, les traits blancs des cadavres, les faces livides des ivrognes, les faces au gris creusé des onanistes,
Les corps troués aux champs des batailles, les fous dans leur cellule blindée, les idiots sacrés,
Le nouveau-né qui émerge des portes et le mourant qui émerge des portes,
La nuit les imprègne et les enveloppe.

Le couple marié dort calmement dans son lit, lui avec sa paume sur la hanche de l'épouse, elle avec sa paume sur la hanche de l'époux,
Tendrement dorment les sœurs côte à côte dans leur lit,
Et les hommes tendrement côte à côte dans le leur,
Et la mère dort avec son petit enfant soigneusement enlangé.
Les aveugles dorment, et dorment les sourds-muets,
Le prisonnier dans sa prison dort bien . . . . le fils fugueur dort,
L'assassin que demain l'on va pendre . . . . comment dort-il?
Et l'assassiné . . . . comment dort-il?

La femme à l'amour sans retour dort,
Et l'homme à l'amour sans retour dort;
La tête du financier qui tout le jour manigança dort,
Et ceux de disposition rageuse dorment et ceux de disposition traîtresse.

Je me tiens les yeux tombant vers ceux en proie aux mille morts et les agités,
Ma main à moins de quelques centimètres de leur front apaisante va et vient;
Les agités dans leur lit sombrent . . . . ils dorment d'un sommeil haché.

La terre s'éloignant de moi va se fondre dans la nuit,
J'ai vu qu'elle était magnifique . . . . et vois qu'est magnifique également ce qui n'est point la terre.

Je vais de chevet en chevet . . . . je dors près des autres dormeurs, chacun à son tour;
Je rêve dans mon rêve tous les rêves des autres rêveurs,
Et deviens les autres rêveurs.

Je suis une danse . . . . Allons, musique! l'accès me fait tournoiement vite.

Je suis celui toujours à rire . . . . c'est lune et crépuscule nouveaux,
Je vois le dérobement des douceurs . . . . je vois prestes fantômes partout où portent mes regards,
Celant, celant encore au fond de terre ou mer, et où ce n'est terre ni mer.

Belle ouvrage que leur ouvrage, ces hommes de peine divins,
Mais à moi ils ne peuvent rien cacher, et, à vouloir, ne le pourraient;
Il me semble être leur patron, et qu'en outre leur suis mascotte,
Et qu'ils m'entourent, et me tirent et courent d'avant quand je marche,
Et révèlent la ruse de leurs cachettes et me hèlent par bras tendus, et reprennent leur avancée;
Et notre bande va d'avant, de vauriens dans l'hilare d'une musique à cris heureux et des pennons flagellés de joie.

Je suis et l'acteur et l'actrice . . . . l'électeur . . le politicien,
Et l'émigrant et l'exilé . . le criminel qu'on vit au box,
Et tel qui fut fameux, et qui sera fameux au jour de demain . . . .
Le bègue . . . . la personne bien faite . . la personne émaciée ou faible.

Je suis celle qui s'atoure et noue ses cheveux dans l'expectative,
Mon truand d'amant est venu et il fait noir.

Redouble et reçois-moi nuit noire,
Reçois-moi et lui aussi . . . . qui ne me laissera aller sans lui.

Je roule en toi comme en un lit . . . . je me résigne au crépuscule.

Il répond, celui que j'appelle et prend la place de mon amant,
Il se lève avec moi en silence du lit.

Obscurité, tu es plus aimable que mon amant . . . . sa chair était ensuée et pantelante,
Je sens encore la chaude moiteur qu'il m'a laissée.

Mes mains, je les étends devant moi . . je les fais passer dans toutes les directions.
J'aimerais de sonder cette grève ombreuse vers laquelle tu vogues.

Prend garde, obscurité . . . . qu'est-ce là déjà qui vient de me toucher?
J'avais pensé mon amant parti . . . . ou avec l'obscurité il ne forme qu'un,
J'entends le cœur qui bat . . . . je le suis . . je m'estompe.

Ô joues de feu et rougissante! Ô fiévreuse ingénue!
Ô par pitié, nul en ce instant ne me voie! . . . . mes vêtements m'ont été volés comme j'étais sur la couche,
Et je dois dès lors m'élancer, où diriger mes pas pressés?

Jetée que vaguement j'ai vue la nuit dernière au carreau,
Jetée issue du large, permets que je te rejoigne et avec toi demeure . . . . je ne vais point t'écorcher;
Je sens la honte de m'aventurer nue au monde,
Et suis curieuse de savoir où reposent mes pieds . . . . et ce qu'est cette crue en moi répandue, enfance ou virilité . . . . et la faim qui passe les ponts de l'intervalle.

L'étoffe d'abord lape un manger et un boire doux,
Lape germes bombant de vie . . . . lape épi de maïs rose, laiteux et tout juste à maturation:
Les dents blanches demeurent et la dent maîtresse avance dans les ténèbres,
Et la liqueur est répandue sur les lèvres et les seins par des verres attouchés, et l'autre meilleure encore ensuite.

Je décline selon ma course occidentale . . . . mes muscles sont détendus,
Parfum et jeunesse fluent à travers moi, et je leur suis sillage.

C'est ma propre face jaunie et ridée au lieu de celle de la vieille femme,
Je suis assise sur une basse chaise paillée à repriser soigneusement les bas de mon petit-fils.

C'est moi encore . . . . la veuve insomniaque qui regarde au dehors le minuit de l'hiver,
Je vois les éclats du clair d'astres sur la terre pâle de glace.

Un suaire est ce que je vois — et c'est moi le suaire . . . . j'enveloppe un corps et gis dans le cercueil;
Il fait sombre ici sous la terre . . . . il n'est mal ni douleur ici . . . . c'est vacance, ici, à raison.

Il me semble que tout ce qui se trouve à l'air et à la lumière devrait être heureux;
Qui n'est point dans son cercueil et la tombe sombre, qu'il sache qu'il a à suffisance.

Je vois un magnifique nageur immense nageant nu parmi les remous marins,
Sa chevelure brune est plaquée sur sa tête . . . . il fend l'eau à bras courageux . . . . il se propulse avec ses jambes.

Je vois son corps blanc . . . . je vois ses yeux intrépides;
Je hais les remous remuants qui veulent le précipiter tête première sur les rocs.

Qu'est-ce là vagues scélérates que vous faites suintant du rouge?
Allez-vous tuer le géant courageux? L'allez-vous tuer dans la fleur de son bel âge?

Sans faillir longuement il lutte;
Le voici effaré et heurté et meurtri . . . . il tient bon tout le temps que sa force tient bon,
Les remous le soufflettent que son sang macule . . . . ils l'emportent . . . . ils le roulent et ils le branlent et ils le tournent;
Son magnifique corps est entraîné par les remous concentriques . . . . il est continûment meurtri sur les rochers,
Promptement est emporté hors de vue le cadavre du brave.

Je tourne mais ne puis me dégager;
Confus . . . . un déchiffrement du passé . . . . un autre, mais là encore enténébré.

La grève est cisaillée d'un vent de glace aiguë . . . . les canons aux naufrages grondent,
La tempête calmit et la lune descend s'embourber aux traînées nuageuses.

Mes yeux vont où file vent arrière l'impuissant vaisseau . . . . j'entends le fracas tandis qu'il s'échoue . . j'entends les hurlements d'horreur . . . . ils se font de plus en plus faibles.

Je ne puis porter assistance avec ces nœuds que font mes doigts;
Je ne puis que me ruer vers le ressac et le laisser me détremper et sur moi se changer en glace.
Je cherche avec la foule . . . . les vagues à nos pieds ne rejettent aucun qui vive;
Au matin j'aide à ramasser les morts et les coucher en rangs dans une grange.

Et quant aux jours anciens de guerre . . la défaite à Brooklyn;
Washington est debout à l'intérieur des lignes . . il est debout sur les collines retranchées parmi un attroupement d'officiers,
Son visage est froid et mouillé . . . . il ne peut retenir les gouttes de ses larmes . . . . il hausse incessamment la lorgnette à ses yeux . . . . la couleur de ses joues est réduite à pâleur,
Il voit le massacre des braves du Sud à lui confiés par leurs parents.

Lui-même encore et enfin quand la paix a été signée,
Il est debout dans la salle de la vieille taverne . . . . les soldats bien-aimés passent tous sous ses yeux.

Les officiers muets et lents s'approchent chacun à son tour,
Le chef referme son bras sur leur cou et les embrasse sur la joue,
Il embrasse l'une après l'autre légèrement les joues humides . . . . il serre des mains et fait ses adieux à l'armée.

Et maintenant je dirai ce qu'un jour m'a confié ma mère comme nous dînions tous les deux,
Parlant du temps qu'elle était presque femme et vivait avec ses parents dans la vieille ferme familiale.

Une squaw rouge est arrivée dans la vieille ferme familiale un matin qu'ils prenaient leur déjeuner,
Sur son dos elle portait une botte de joncs pour le cannage des chaises;
Sa chevelure raide brillante rude noire et drue tombait sur la moitié de son visage,
Son allure était déliée et élastique . . . . sa voix quand elle parlait sonnait délicieusement.

Ma mère a regardé avec un ravissement ébahi l'étrangère,
Elle examinait la beauté de son visage de grand air et de ses membres entiers et souples,
Plus elle l'examinait plus elle l'aimait,
Jamais auparavant elle n'avait vu si merveilleuses beauté et pureté;
Elle l'a fait asseoir sur un banc près d'un montant de l'âtre . . . . elle a pour elle cuisiné un repas,
Elle n'avait aucun ouvrage à lui proposer mais lui a donné sa souvenance et son amour.

La squaw rouge est restée toute la matinée, et vers la mi après-midi s'en est allée;
Oh qu'à crève-cœur ma mère l'a vue qui partait,
Toute la semaine elle l'a gardée dans ses pensées . . . . elle l'a guettée des mois durant,
Elle en a gardé souvenir pendant plusieurs étés et plusieurs hivers,
Mais la squaw rouge n'est pas revenue ni jamais plus on n'en entendit parler.

Or Lucifer n'était point mort . . . . ou s'il l'était je suis son terrible héritier éploré;
On m'a causé du tort . . . . je suis opprimé . . . . je hais celui qui m'opprime,
Soit je le détruirai, soit il me libérera.

Damnation! combien il parvient à m'avilir,
Comme il dénonce mon frère et ma sœur et reçoit paiement pour leur sang,
Comme il se rit quand je jette mes yeux sur le coude du fleuve à la suite du vapeur qui emporte ma femme.

Or ce large volume obscur qui est la bosse à la baleine . . . . il me paraît le mien,
Méfie-toi, baleinier! bien que je flotte entre sommeil et torpeur, ma chiquenaude vaut la mort.

Une parade de douceur d'été . . . . le contact de quelque chose qu'on ne voit . . . . une amour entre jour et air;
Je suis jaloux et renversé par le flux d'amitié,
Et vais moi-même aller avec le jour et la lumière me trémousser,
Et amener une chose invisible à être en contact avec eux aussi.

Ô amour et été! vous dans les rêves et en moi,
Automne est aux rêves et l'hiver . . . . le fermier opte pour l'épargne,
Les troupeaux et moissons augmentent . . . . les granges sont tout emplies.

Les éléments dans la nuit fondent . . . . vaisseaux vont qui louvoient aux rêves . . . . cingle le marin . . . . l'exilé s'en revient au foyer,
Le fugitif s'en revient sans cicatrice . . . . et l'immigrant est de retour par-delà les mois et les ans,
Le pauvre Irlandais vit dans la simple maisonnée de son enfance, voisins familiers et visages,
Ils l'accueillent à bras ouverts . . . . le voici de nouveau pieds nus . . . . il oublie sa fortune faite;
Le Hollandais est en voyage vers la terre natale, comme l'Écossais et le Gallois sont en voyage . . et lui qui vient de Méditerranée voyage vers la terre natale;
À chaque port d'Angleterre et de France entrent vaisseaux tout emplis;
Les pieds du Suisse prennent la direction de ses montagnes . . . . le Prussien va par là, et le Hongrois par là, et le Polonais par là,
S'en revient le Suédois, et le Danois et le Norvégien s'en reviennent.

Ceux qui se dirigent vers le pays natal, et ceux qui s'éloignent du pays natal,
Le beau nageur perdu, celui que le spleen accable, l'onaniste, la femme à l'amour sans retour, celui vers qui l'argent afflue,
L'acteur et l'actrice . . ceux qui ont joué leur rôle et ceux qui attendent l'entrée en scène,
Le gars affectueux, les mari et femme, l'électeur, le candidat élu et le candidat battu,
La grandeur déjà reconnue, et la grandeur qui le sera un des jours à venir,
Le bègue, le malade, le corps aux formes idéales, le quelconque,
Le criminel qu'on vit dans le box, le juge qui présida et le condamna, les avocats diserts, le jury, l'assistance,
Lui qui rit et lui qui sanglote, le danseur, la veuve au cœur de la nuit, la Peau-Rouge,
Le phtisique, l'érésipaléteux, l'imbécile, tel qui subit un préjudice,
Les antipodes et chacun entre elles et eux tous dans l'obscurité,
Je jure que les voici nivelés . . . . nul n'est meilleur que l'autre,
La nuit et le sommeil les ont fondus au même moule et restaurés à ce qu'ils sont.

Je jure que tous sont magnifiques,
Chacun qui dort est magnifique . . . . toute chose dans la pénombre est magnifique,
Le farouche et la soif de sang cessent et tout n'est que paix.

Toujours la paix est magnifique,
Le mythe du ciel désigne paix et nuit.

Le mythe du ciel désigne l'âme;
L'âme toujours est belle . . . . elle se montre davantage ou moindrement elle se montre . . . . elle avance ou traîne le pas,
Elle vient du jardin aux arceaux de verdure et se contemple avec plaisir et elle englobe le monde;
Parfaits et nets les génitoires qui viennent d'émettre leur jet, et la matrice parfaite et nette en adhérence,
La tête bien formée et proportionnée et d'aplomb, avec les entrailles et les membres proportionnés et d'aplomb.

L'âme toujours est belle,
L'univers est dûment en ordre . . . . toute chose est à sa place,
Ce qui est arrivé est à sa place, et ce qui attend est à sa place;
Le crâne tortu attend . . . . le sang mince ou vicié attend,
L'enfant du glouton ou du vénérien attend longtemps, et l'enfant du soûlard attend longtemps, et longtemps le soûlard lui-même attend,
Les dormeurs qui ont vécu et sont morts attendent . . . . ceux qui sont déjà d'avant avanceront à leur tour venu, et à leur tour venu ceux qui demeurent loin derrière,
La diversité ne sera pas moindre, mais les divers comme un flot vont s'unir . . . . voici maintenant qu'ils s'unissent.

Les dormeurs sont vraiment si beaux tandis qu'ils gisent dévêtus,
Ainsi qu'un flot ils vont la main dans la main par la terre entière depuis l'est jusques à l'ouest tandis qu'ils gisent dévêtus,
L'Asiatique et l'Africain, voici qu'ils vont la main dans la main . . l'Européen et l'Américain, voici qu'ils vont la main dans la main,
Les doctes et les ignorants, voici qu'ils vont la main dans la main . . et homme et femme, voici qu'ils vont la main dans la main;
Le bras nu de la jeune fille barre le sein nu de l'amant, qui presse son cou de ses lèvres . . . . ils se serrent sans volupté,
Le père tient son nouveau-né ou son fils plus âgé de bras à l'amour incommensurable . . . . et le fils tient dans ses bras le père d'un amour incommensurable,
Le cheveu blanc de la mère luit au blanc poignet de la fille,
L'haleine du garçon se mêle à l'haleine de l'homme fait . . . . l'ami est enlacé d'ami,
L'écolier baise le tuteur, le tuteur baise l'écolier . . . . le tort est remis à droiture,
L'esclave qui s'écrie fait un avec le maître qui s'écrie . . et le maître honore l'esclave,
Le criminel laisse derrière lui la prison . . . . l'insensé retrouve ses sens . . . . le tourment des malades s'apaise,
Cessent les fièvres et les sueurs . . la gorge qui était muette, voici qu'à nouveau elle sonne . . les poumons phtisiques revivent . . s'ouvre le carcan du pauvre crâne à la torture,
Les jointures du rhumatisant jouent librement comme autrefois, plus librement que jamais même,
Asphyxies et passages se desserrent . . . . les paralysés deviennent ingambes,
Les enflés et les convulsifs et les congestionnés s'éveillent à eux-mêmes en pleine santé,
Ils passent par l'invigoration de la nuit et par la chimie de la nuit et s'éveillent.

Moi de même je sors du passage de la nuit;
Un temps je demeure en dehors Ô nuit mais de nouveau fais retour vers toi et t'aime;
Pourquoi m'effraierai-je de me confier à toi?
Je ne suis point effrayé . . . . j'ai par ton soin été bien rendu et remis;
J'adore la riche course du jour, mais je ne déserte pas celle en qui je fus si longtemps étendu:
Je ne sais comment j'ai procédé de toi, et je ne sais où avec toi je vais . . . . mais je sais avoir procédé bien et sais que m'en irai bien.

Je ne vais demeurer avec la nuit qu'un temps . . . . et me lèverai sous peu.

Je passerai dûment le jour Ô ma mère et dûment ferai vers toi retour;
Plus d'assurance ne seras tienne quand tu céderas à nouveau à l'aube qu'au moment où tu me céderas à nouveau,
Plus d'assurance n'a le ventre qui cède le nouveau-né quand l'heure en vient qu'au moment où je serai par toi cédé à mon heure.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[Je chante le corps électrique]

Le corps des hommes et des femmes m'enceint et je l'enceins,
Ils n'auront ni moi de cesse que j'aille avec eux et leur fasse réponse et les aime.

Fut-ce conjecture rêvée que les corrupteurs de leur propre corps vivant se pouvaient dissimuler?
Et que les profanateurs du vivant n'étaient aussi mauvais que ceux qui profanent le mort?

L'expression du corps d'homme ou femme défie la formulation,
Le mâle est parfait et celui de femelle est parfait.

L'expression d'un homme bien fait ne se montre pas seulement sur ses traits,
Elle se trouve dans ses membres également et ses articulations . . . . elle se trouve étrangement dans les articulations de ses hanches et de ses poignets,
Elle se trouve dans sa démarche . . . . dans le port de son cou . . . . dans le ploiement de sa taille et ses genoux . . . . l'habit ne le dissimule point,
La douce forte qualité ductile qui est sienne transparaît au travers de coton et lainage;
La vision de son passage énonce autant que le meilleur poème . . . . peut-être davantage,
Tu t'attardes à regarder son dos et sa nuque et sa carrure.

La jonchée replète des nouveau-nés . . . . le sein et la tête des femmes . . . . les plis de leur robe . . . . leur manière alors que nous passons dans la rue . . . . le contour de leur forme jusqu'aux pieds;
Le nageur nu dans la piscine . . . . vu comme il nage dans l'éclat vert de la transparence salée, ou repose sur le dos et roule en silence avec le soulèvement de l'eau;
Charpentiers bras nus charpentant une maison . . . . hissant les poutres à leur place . . . . ou usant de la masse et de la mortaiseuse;
La flexion d'avant puis d'arrière des rameurs dans les canots à avirons . . . . le cavalier en sa selle;
Filles et mères et ménagères dans tous leurs offices exquis;
Le groupe de travailleurs assis à l'heure de midi avec leurs gamelles ouvertes, et leurs femmes en attente,
La femme apaisant un enfant . . . . la fille du fermier dans le jardin ou l'enclos aux vaches,
Le bûcheron maniant sa hache à mouvements rapides dans les bois . . . . le jeune gars sarclant le maïs . . . . le voiturier guidant ses six chevaux dans la foule,
La lutte des lutteurs . . . . deux apprentis, presque adultes, gaillards, bon enfant, nés d'ici, dans le terrain vague au coucher du soleil après le travail,
Tombées vestes et casquettes . . . . l'étreinte d'amour et de résistance,
La prise par en dessous et par en dessus — le cheveu qui s'ébouriffe et aveugle;
La parade des pompiers dans leur uniforme — le jeu des muscles mâles sous les pantalons et les ceinturons qui l'avantagent,
Le lent retour de l'incendie . . . . l'arrêt quand de nouveau sonne la cloche — l'écoute de la sirène,
Les attitudes naturelles parfaites et variées . . . . la tête penchée, le cou incliné, le décompte:
Tels j'aime . . . . je m'abandonne et passe librement . . . . et suis au sein de la mère avec le petit enfant,
Et nage avec le nageur, et lutte avec les lutteurs, et marche en rang avec les pompiers, et m'arrête et écoute et compte.

J'ai connu un homme . . . . c'était un fermier commun . . . . il était père de cinq fils . . . et en eux se trouvaient les pères de générations de fils . . . et en elles les pères de générations de fils.

Cet homme était une merveille de vigueur et de calme et beau de sa personne;
La forme de sa tête, la splendeur et l'ampleur de ses manières, le blond pâle et le blanc de ses cheveux et de sa barbe, l'incalculable feu de ses yeux noirs,
Je me rendais chez lui pour les voir . . . . C'était un sage également,
Il était haut de six pieds . . . . il avait plus de quatre-vingts ans . . . . ses fils étaient massifs nets barbus bronzés et de belle allure,
Qui avec ses filles l'aimaient . . . tous ceux qui le voyait l'aimaient . . . qui ne l'aimaient point par devoir . . . ils l'aimaient d'amour personnel;
Il ne buvait que de l'eau . . . . le sang ainsi qu'une écarlate transparaissait sous la peau ambrée de son visage;
Chasseur fréquemment et pêcheur . . . il menait lui-même sa barque . . . il en avait une fort belle que lui avait offerte un calfateur . . . il avait plusieurs canardières, que lui avaient offertes les hommes qui l'aimaient;
Quand il partait avec ses cinq fils et ses nombreux petits-fils à la chasse ou à la pêche, c'est lui que tu aurais dit dans le lot le plus beau et plus vigoureux,
Voulant de rester avec lui longuement et plus longuement . . . . voulant de t'asseoir dans la barque que lui et toi vous effleuriez.

J'ai remarqué qu'être avec ceux que j'aime suffit,
Faire halte en compagnie du reste au soir venu suffit,
Être entouré de beaux corps curieux qui respirent et rient suffit . . . .
Passer parmi eux . . en toucher un . . . . reposer un instant mon bras si légèrement que ce soit sur son cou à elle ou à lui . . . . qu'est alors cela?
Je ne demande autre délice . . . . j'y nage comme en une mer.

Il est dans le proche contact des hommes et des femmes et dans leur contemplation, et dans leur contact et senteur, quelque chose qui plaît à l'âme,
Toutes choses plaisent à l'âme, mais celles-ci plaisent à l'âme fortement.

Voici la forme femme,
Un nimbe divin en émane depuis la tête jusqu'aux pieds,
Il attire d'une attraction farouchement indéniable,
Je suis entraîné par son souffle comme si je n'étais que vapeur impuissante . . . . tout croule hormis ce souffle et moi,
Livres, art, religion, temps . . la terre visible et touffue . . l'atmosphère et les nues à franges . . ce que l'on attendait du ciel ou ce qu'on craignait de l'enfer, tout est désormais consumé,
Des filaments en folie, des pousses ingouvernables en rayonnent . . la réponse mêmement ingouvernable,
Cheveux, sein, hanches, fléchir des jambes, mains négligentes qui retombent — tous diffus . . . . et les miens de même diffus,
Reflux souffleté par le flux, et flux souffleté de reflux . . . . la chair d'aimer en turgescence et prise d'un mal délicieux,
Limpides jets illimités d'amour énormes et bouillants . . . . tressaillante gelée d'amour . . . . verge d'or et jus de délire.
Nuit d'amour de l'époux qui œuvre avec science et avec douceur jusqu'à l'aube éreintée,
Ondulant jusqu'au jour qui acquiesce et qui veut,
Égarée dans la fente du jour d'étreinte sûre et de chair douce.

Tel est le noyau . . . après que l'enfant naît de femme, l'homme naît de femme,
Tel est le bain de naissance . . . telle est la fusion du grand et du moindre et le dégagement de nouveau.

Ne soyez point femmes honteuses . . votre privilège enclôt le reste . . il est l'issue du reste,
Vous êtes les porches du corps et êtes les porches de l'âme . . . .
La chair féminine renferme toutes les qualités et les tempère . . . . elle est à sa place . . . . elle se meut avec un parfait équilibre,
Elle est toutes choses dûment voilées . . . . elle est à la fois active et passive . . . . il lui faut concevoir des filles aussi bien que des fils et des fils aussi bien que des filles.

Tout ainsi que je vois mon âme reflétée par la nature . . . . ainsi qu'au travers d'une brume j'en vois une à la complétude et la beauté inexprimables . . . . vois la tête infléchie et les bras croisés sur le sein . . . . vois le féminin que je vois,
Je vois la branche de ce grand fruit qu'est l'immortalité . . . . les roués n'ont point goût de sa saveur, et ne peuvent l'avoir jamais.

Le masculin n'est pas moins l'âme ni davantage . . . . il est lui aussi à sa place,
Il a lui aussi toutes les qualités . . . . il est action et puissance . . . . l'afflux de l'univers connu est en lui,
Le dédain lui sied bien et l'appétit et la défiance lui siéent bien,
Les plus farouches passions énormes . . la plus aiguë félicité et l'affliction la plus aiguë lui siéent bien . . . . la superbe lui revient,
L'envergure de la superbe d'homme est lénifiante et excellente à l'âme;
Le savoir lui sied . . . . il l'aime de tous temps . . . . il jauge de tout au trébuchet de soi,
Quels que soient les amers . . quelles que soient la mer et la voile, ce n'est que là finalement qu'il touche au fond,
Où touche-t-il le fond si ce n'est là?

Le corps d'homme est sacré et le corps de femme est sacré . . . . peu importe de qui,
Est-il d'un esclave? Est-il d'un de ces immigrants hébétés qui vient de débarquer à quai?

Chacun ici ou ailleurs a place tout autant que les crésus . . . . tout autant que toi-même,
Chacun qu'il soit homme ou bien femme a place dans la procession.

Tout est une procession,
L'univers est procession allant à beaux pas mesurés.

Es-tu si fier savant que tu te permettes d'appeler ignares l'esclave ou l'hébété?
Te crois-tu doté du droit de bien voir . . . . et tel ou telle n'a aucun droit à voir?
T'imagines-tu que le flottement diffus de la matière s'est précipité, qu'il est un sol sur la surface et que l'eau coule et que la végétation pousse pour toi . . et non pour lui et pour elle,

Esclave aux enchères!
J'aide le crieur . . . . cette ganache ne connaît pas son métier.

Allons Messieurs voyez-moi là l'étrange créature,
Quoi que les enchérisseurs proposent, leur enchère ne saurait être haute assez pour cet homme,
Pour cet homme le globe est en gésine demeuré des quintillions d'années sans plante ou animal aucun,
Pour cet homme ont les cycles tournoyants régulièrement et sans relâche roulé.

Dans la tête que voici la cervelle toute ébahissante,
En quoi et sous quoi tient la fabrique des attributs des héros.

Observez ces membres, rouges noirs ou blancs . . . . quelle ingéniosité du tendon et du nerf;
On les dénudera que vous puissiez les voir.

Sens exquis, yeux brillants de vie, cœur au ventre, résolution,
Étais du muscle pectoral, vertèbres et cou flexibles, chair sans rien de flasque, jambes et bras bien découplés,
Et au-dedans bien d'autres merveilles encore.

Au-dedans circule le sang . . . . le même bon vieux sang toujours . . . . le même sang à coulée rouge;
Là gonfle le cœur qui fait pompe . . . . Là toutes les passions et tous les désirs . . toutes les poursuites et toutes les aspirations:
Penses-tu qu'elles n'y soient pas parce qu'elles ne s'expriment pas dans les salons et les salles de conférence?

Ce n'est point ce seul homme là . . . . il est père de ceux qui seront à leur tour pères,
En lui la source d'états populeux et de riches républiques,
Par lui d'innombrables vies immortelles avec leurs innombrables incarnations et enjouements.

D'où connais-tu ce qui viendra de la descendance de sa descendance?
Qui sais qui tu trouverais à ton origine si tu pouvais remonter le fil des siècles?

Femme aux enchères,
Elle non plus n'est point seulement elle seule . . . . elle est la pullulante mère de mères,
Elle porte ceux-là qui croîtront et seront les conjoints des mères.

Ses filles ou les filles de leurs filles . . qui sait qui leur sera conjoint?
Qui sait au fil des siècles les héros qui proviendront d'elles?

En elles et par elles l'amour natal . . . . en elles le divin mystère . . . . le même magnifique mystère ancien.

As-tu jamais aimé une femme?
Ta mère . . . . est-elle en vie? . . . . As-tu longtemps été en sa compagnie? et a-t-elle été longtemps en ta compagnie?
Ne vois-tu pas qu'il en va exactement de même dans toutes les nations et à tous les âges sur la terre entière?

Si sacrés sont la vie et l'âme le corps humain est sacré;
Et la gloire et le doux d'un homme sont gages d'une virilité immaculée,
Et chez homme ou femme un corps net et fort à la fibre ferme est aussi beau que le plus beau visage.

As-tu vu le crétin qui a corrompu son propre corps vivant? ou la crétine qui a corrompu son propre corps vivant?
Car ils ne se dissimulent pas, et ils ne peuvent se dissimuler.

Qui dégrade ou profane le vivant corps humain est en abomination,
Qui dégrade ou profane le corps des morts n'est pas moins en abomination.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[Faces]

Sur les pavés déambulés ou les chemins campagnards chevauchés voici alors les visages,
Visages d'amitié, de précision, de prudence, de suavité, d'idéalité,
Le visage à prescience spirituelle, le toujours bienvenu visage de la bienveillance commune,
Le visage qui va chantant musique, les visages magistraux des avocats et juges naturels au crâne colossal,
Les visages des chasseurs et des pécheurs, aux sourcils proéminents . . . . le visage lisse et blanchi des citoyens orthodoxes,
Le pur visage extravagant de l'artiste dans son élan et sa question,
La laideur bienvenue du visage d'une belle âme . . . . le gracieux visage détesté ou décrié,
Le visage sacré des bébés . . . . le visage illuminé de la mère de maints enfants,
Le visage d'un amant . . . . le visage de la vénération,
Le visage comme en un rêve . . . . le visage d'un roc immobile,
Le visage dont furent soustraits son bien et son mal . .visage castré,
Faucon sauvage . .ses ailes rognées par le rogneur,
Étalon à la fin qui cède aux pinces et au scalpel du hongreur.

Sur les pavés déambulés ou à bord du bac incessant, voici alors les visages:
Je les vois et n'ai nulle doléance et suis satisfait de tous.

Penses-tu que je serai de tous satisfait si je les pensais leur propre fin?
Le visage que voici est trop lamentable qu'il soit d'homme;
Quelque abjecte vermine suppliant qu'on la laisse survivre . .
Quelque asticot laiteux bénissant ce qui l'autorise à trembloter dans son trou.

Ce visage est truffe de chien humant le fumet de l'ordure;
Des serpents nichent dans ce groin . . j'entends la menace stridente.

Ce visage est dédale plus froid que la mer arctique,
Ses icebergs dormeurs et branlants écrasent tout sur leur passage.

Voici visage d'herbes amères . . . . celui-ci est un émétique . . . . ils n'ont nul besoin d'étiquette,
Et plus de pharmacie encore . . laudanum, latex, ou saindoux.

Ce visage est une épilepsie faisant sa réclame et tenant échoppe ouverte . . . . sur sa langue où le mot n'est pas sonne le cri de l'outre-monde,
Ses veines au cou se distendent . . . . ses yeux roulent jusqu'à ne montrer que leur blanc,
Ses dents grincent . . . . les paumes des mains sont entaillées par les ongles qui s'y enfoncent,
L'homme s'écroule en convulsions écumantes au sol alors même qu'il ratiocine comme il faut.

Ce visage est mordu de vermine et de vers,
Et voici le coutelas de quelque meurtrier à moitié tiré du fourreau.

Ce visage doit au fossoyeur sa macabre obole,
Sans cesse une cloche sonne là son tocsin.

Voilà vraiment les hommes réels! . . . . les rondeurs et les excroissances de l'immense globe sphérique!

Traits de mes égaux, pensez-vous me leurrer avec votre démarche fourbue et cadavéreuse?
Et bien non vous ne pouvez me leurrer.

Je vois votre flux rond qui jamais ne s'estompe
Je perce l'ourlet de vos déguisements hagards et méchants.

Dilatez-vous et tortillez-vous à votre guise . . . . fouillez avec les museaux d'emmêlement des poissons et des rats,
Vous serez démuselés . . . . assurément vous le serez.

J'ai vu le visage du plus barbouillé et du plus baveux des idiots qu'ils avaient à l'asile,
Et j'ai connu pour ma consolation ce qu'ils ne savaient point;
J'ai connu les agents qui ont vidé et brisé mon frère,
La même attente pour nettoyer les ordures tombées du taudis écroulé;
Et de nouveau j'y porterai mes regards dans une éternité ou deux,
Et je ferai connaissance du véritable seigneur des lieux parfait et intact, en tous points aussi impeccable que moi-même.

Le Seigneur avance et avance toujours:
Toujours en ombre qui précède . . . . toujours la main tendue pour tirer les traînards.

De ce visage émergent bannières et chevaux . . . . ô superbe! . . . . Je vois ce qui s'avance,
Je vois les hauts colbacks des pionniers . . . . je vois les bâtons des coureurs qui fraient la voie,
J'entends tambours victorieux.

Ce visage est canot de sauvetage;
Celui-ci est visage dominateur et barbu . . . . il n'attend rien du reste dont il vacille;
Ce visage est fruit odorant tout prêt à la consommation;
Le visage de cet honnête gaillard est le programme du bien complet.

Ces visages portent témoignage qu'ils soient en veille ou en sommeil,
Ils attestent leur descendance du Maître lui-même.

De par le mot que je profère il n'est personne que j'exclue . . . . rouge noir ou blanc, tous sont déifiques,
Dans chaque maison se tient l'ove . . . . qui surgit après un millier d'années.

Taches ou craquelures aux fenêtres ne me dérangent pas,
Qui hautes et suffisantes demeurent en arrière et m'adressent des signes;
Je lis la promesse et attends avec patience.

Voici le visage d'un lys parvenu à maturité,
Elle parle à l'homme aux beaux membres près de la grille du jardin,
Viens à moi, crie-t-elle empourprée . . . . viens ici homme aux si beaux membres et me donne ton pouce et ton index,
Sois à mon côté que je puisse aussi haut que je le pourrai prendre mon appui à ta taille,
Emplis-moi de miel albescent . . . . penche-toi jusqu'à moi,
Approche jusqu'à m'en frotter la rude râpe de ta barbe . . . . frotte mon sein et mes épaules.

L'antique visage de la mère de maints enfants:
Chut! Me voici entièrement content.

Dans le quiet du matin passé flotte la fumée du Sabbat,
Qui ondule à la lisière des arbres près de l'enclos,
Flottant imperceptiblement près du sassafras, du merisier et de la salsepareille à leurs pieds.

J'ai vu les femmes riches dans tous leurs atours de réception,
J'ai ouï ce que la moyenne des poètes avait si longuement à déclamer,
Ouï quel jeune âge écarlate a jailli de la blanche écume et de la bleuité des flots.

Or voici une femme!
Ses regards tombent de son bonnet quaker . . . . son visage est plus clair et plus beau que le ciel.

Elle est assise en un fauteuil sous le proche ombreux de la ferme,
Et le soleil vient jouer sur le chenu de sa vieille tête.

Sa robe à amples plis est de lin couleur crème,
Ses petits-fils ont planté le chanvre et ses petites-filles l'ont filé à la quenouille et au rouet.

Mélodieux caractère de la terre!
Fini qui passe toute philosophie et vers quoi elle ne souhaite tendre!
Ô mère justifiée des hommes!

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[Chant du répondeur]

Un jeune homme est venu vers moi avec un message de son frère,
Comment le jeune homme pourrait-il connaître le supposé et le quand de son frère?
Dites-lui de m'envoyer les signes.

Et je me tins devant le jeune homme face à face, et pris sa main droite dans ma main gauche et sa main gauche dans ma main droite,
Et pour son frère je fis réponse et pour les hommes . . . . et pour le poète je fis réponse, et envoyai ces signes.

Lui que tous attendent . . . . lui à qui tous se rendent . . . . sa parole est décisive et définitive,
Lui qu'ils acceptent . . . . en qui s'immergent . . . . en lui s'aperçoivent comme en bain de lumière,
Lui qu'ils submergent et qui les submergent.

Les belles femmes, les nations les plus altières, les lois, le paysage, les gens et les animaux,
La terre profonde et ses attributs, et l'océan sans quiétude,
Toute réjouissance et propriété, et l'argent, et tout ce qu'argent peut acquérir,
Les fermes les meilleures . . . . autres vont labourant et plantant, et lui inévitablement moissonne,
Les cités les plus nobles et les plus coûteuses . . . . autres vont étageant et bâtissant, et lui y a domicile;
Rien pour quiconque qui ne soit pour lui . . . . le proche et lointain sont pour lui,
Les navires au large . . . . les défilés et les parades sur la terre sont pour lui s'ils sont pour quiconque.

Il installe les choses en leur attitude,
Il tire aujourd'hui de lui-même avec plasticité et avec amour,
Il place ses propres ville, époque, réminiscences, parents, frères et sœurs, associations, emploi et opinions politiques, de telle sorte que le reste jamais ne l'ait plus tard à honte, ni ne présume en avoir commandement.

Il est le répondeur,
Ce qui peut avoir réponse il y répond, et ce qui ne peut avoir réponse il montre en quoi il n'y peut être répondu.

Un homme est sommation et défi,
Il est vain de lanterner . . . . Entendez-vous ces moqueries et ces rires? Entendez-vous les ironiques échos?

Livres amitiés philosophes prêtres action plaisir orgueil s'escriment à donner satisfaction;
Il pointe vers la satisfaction, et il pointe vers ceux-là qui s'escriment également.

Quel que soit le sexe . . . quels que soient la saison ou le lieu il a loisir d'y aller dans la fraîcheur et la gentillesse et la sûreté de jour comme de nuit,
Il détient le passe-partout des cœurs . . . . à lui la réponse des mains qui actionnent la poignée des portes.

Sa bienvenue est universelle . . . . l'afflux de la beauté n'est mieux venu ni universel qu'il ne l'est,
La personne qui le jour a sa faveur ou la nuit dort avec lui est bénie.

Toute existence a son idiome . . . . toute chose a un idiome et une langue;
Il résout toutes les langues en la sienne, et en fait aux hommes don . . et tout homme est à même de traduire . . et tout homme est à même de se traduire également soi:
Telle partie ne contrecarre pas une autre . . . . il est l'accoleur . . il voit comment elles s'accolent.

Il dit indifféremment et de même, Comment vas-tu l'ami, au Président durant son gala,
Et il dit Bonjour mon frère au Cafre qui sarcle le champ de cannes à sucre;
Et tous deux le comprennent et savent que son discours est juste.

Il avance avec une aise parfaite dans le capitole,
Il avance au milieu du Congrès . . . . et un représentant dit à un autre, Voici qu'apparaît notre nouvel égal.

Puis les manœuvres le prennent pour un manœuvre,
Et les soldats le supposent capitaine . . . . et les marins qu'il a couru les mers,
Et les auteurs le prennent pour un auteur . . . . et les artistes pour un artiste,
Et ceux qui besognent sentent qu'il pourrait avec eux besogner et les aimer;
Quel que soit l'ouvrage, qu'il est homme à s'y atteler ou s'y est attelé,
Quelle que soit la nation, qu'il y pourrait trouver ses frères et ses sœurs.

Les Anglais croient qu'il provient de leur souche anglaise,
Un Juif il semble au Juif . . . . un Russe au Russe . . . . familier et proche . . distant d'aucun.

Sur qui se pose son regard au café des voyageurs, celui-là l'affirme sien,
L'Italien et le Français sont sûrs, et l'Allemand est sûr, et l'Espagnol est sûr . . . . et l'insulaire de Cuba est sûr.

L'ingénieur, le mousse sur les grands lacs ou sur le Mississippi ou le Saint Laurent ou le Sacramento ou l'Hudson ou le Delaware l'affirment leur.

Le gentilhomme de sang sans tâche reconnaît son sang sans tâche,
L'insulteur, le prostitué, le colérique, le mendiant se retrouvent dans ses manières . . . . il les transmute étrangement,
Voici qu'ils ne sont plus vils . . . . à peine s'ils se reconnaissant, tant ils ont crû.

Tu estimes qu'il serait bon d'être l'auteur de vers mélodieux,
Il serait en effet bon d'être l'auteur de vers mélodieux;
Mais que sont des vers à l'aune du caractère accort que tu pourrais avoir? . . . . ou à l'aune de manières et d'une conduite admirables?
Ou à l'aune de l'acte viril ou affectionné d'un apprenti? . . . . ou d'une veille femme? . . ou d'un homme qui a fait de la prison ou a des chances de se retrouver en prison?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[Europe: les soixante-douzième et soixante-treizième années de ces États]

Soudain de sa bauge fétide et engourdie, cette bauge d'esclaves,
Comme la foudre a bondi l'Europe . . . . à demi surprise de son geste,
Ses pieds plantés sur les guenilles et les cendres . . . . Ses mains en étau sur la gorge des rois.

Ô espoir et ferveur! Ô terme dolent des vies! Ô plus d'un cœur soulevé!
Revenez sur ce jour, et soyez-en renouvelés.

Et vous, stipendiés pour dégrader le Peuple . . . . vous menteurs, sachez:
En dépit des agonies, des meurtres, des cupidités sans nombre,
Et des rapines courtisanes dans leurs maintes formes méchantes,
Filoutant à sa simplicité les gages du pauvre;
En dépit de plus d'une promesse scellée par lèvres royales, et brisée, et moquée quand il y fut manqué,
Alors pourtant en leur pouvoir en dépit de toutes ces bassesses les coups n'ont pas jailli d'une revanche personnelle . . ni n'ont roulé les têtes des nobles;
Le Peuple a abjuré la férocité des rois.

Mais la douceur de la pitié engendra destruction féroce, et les souverains effrayés reviennent:
Chacun revient en grande pompe avec sa suite . . . . bourreau, prêtre et collecteur d'impôt . . . . soldat, avocat, geôlier et sycophante.

Or derrière tout cela, vois, une Forme,
Vague comme la nuit, interminablement drapée, tête et front et forme pris aux plis de la pourpre,
Dont le visage et l'œil nul n'a licence de voir,
Sa toge laisse ceci seulement passer . . . . la toge rouge, au soulevé du bras,
Un doigt pointant très haut dans l'altitude, comme paraît la tête d'un serpent.

Entre-temps gisent les corps aux fosses fraîchement creusées . . . . les corps sanglants de jeunes hommes:
La corde de la potence balle avec pesanteur . . . . la mitraille des princes vole . . . . les créatures de pouvoir rient à gorge déployée,
Et chacune de ces choses porte fruit . . . . et toutes sont bonnes.

Les corps de ces jeunes gens,
Ces martyrs qui ballent des potences . . . ces cœurs troués de plomb gris,
Si froids et immobiles qu'ils semblent . . vivent ailleurs d'une vitalité immassacrée.

Ils vivent en d'autres jeunes gens, ô rois,
Ils vivent en leurs frères, prêt encore à vous défier:
Ils ont été purifiés par la mort . . . . ils ont été instruits et exaltés.

Il n'est fosse d'un mort pour la liberté où ne croisse germe de liberté . . . . qui à son tour produira germe,
Qu'emportera le vent au loin et replantera, et que pluies nourriront et la neige.

Il n'est esprit désincarné que puissent les armes des tyrans délier,
Qu'il n'arpente invisiblement la face de la terre . . murmurant conseillant avertissant.

Liberté d'autres de toi désespèrent . . . . jamais je ne désespère de toi.

La maison est-elle close? Le maître est-il au loin?
Tiens-toi nonobstant prêt . . . . ne te lasse pas de veiller,
Il sera bientôt de retour . . . . ses messagers bientôt approchent.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[Une ballade bostonienne]

Écarte-toi bouseux fais place!
Place au maréchal du Président! Place au canon du gouvernement!
Place à l'infanterie et aux dragons fédéraux . . . . et aux fantômes à leur suite.

Me suis ce matin levé tôt pour gagner à temps la bonne ville de Boston;
Ce coin-là me paraît parfait . . . . debout sur mes deux pieds je dois jouir du spectacle.

J'aime à regarder la bannière aux étoiles et aux stries . . . . j'espère que les fifres vont jouer Yankee Doodle.

Combien est brillante l'avant-garde avec ses sabres,
Chacun tient son revolver . . . . défilant d'un pas assuré dans la bonne ville de Boston.

Un brouillard les suit . . . . des vieilleries de même espèce avancent en titubant,
Certaines surviennent sur jambe de bois et certaines en bandages et certaines livides.

Ah, pour le coup, c'est un spectacle! Il a tiré les morts de la terre,
Les anciens tombeaux des collines ont fait grand hâte pour le voir;
Des fantômes innombrables s'agglutinent à son flanc et à sa suite,
Moisissure mitée des chapeaux de guingois et béquilles façonnées de brume,
Bras en écharpe et vieillards s'aidant de l'épaule de jeunes gens.

D'où vient votre trouble, fantômes yankees? Qu'est tout ce papotage de gencives édentées?
Le paludisme convulse-t-il vos membres? Méprenez-vous pour mousquets vos béquilles, qui les mettez en joue?

Si vous aveuglez de larmes vos yeux vous ne verrez le maréchal du Président,
Si vous grognez tels grognements vous risquez de contrarier le canon du gouvernement.

Honte à vous vieux maniaques! . . . . Rabaissez-moi ces bras démenés, et laissez choir vos cheveux blancs;
Là béent vos sagaces petits-fils . . . . leurs épouses y attachent leurs yeux par les fenêtres,
Voyez combien élégamment mises . . . . voyez avec quelle discipline elles se comportent.

De pis en pis . . . . Vous ne pouvez l'endurer? faites-vous retraite?
Cette heure avec les vivants est-elle elle aussi pour vous morte?

Retraite alors! Pêle-mêle . . . . Retour aux collines, vieux boiteux!
Je ne crois d'ailleurs pas que vous ayez ici place.

Mais quelque chose ici a bien sa place . . . . Vous dirais-je quelle elle est, gentilshommes de Boston?

Je la murmurerai au Maire . . . . il dépêchera un comité en Angleterre,
Qui obtiendra un bref du Parlement, et se rendra avec une charrette au caveau royal,
Exhumera la bière du Roi Georges . . . . la désemmaillotera vivement de son suaire . . . . fourrera les os dans une boîte pour le transport:
Trouvera un véloce voilier yankee . . . . . voilà bien fret à ta convenance voilier à panse noire,
Hisse-moi cette ancre! Dégrafe-moi ces voiles! . . . . et ta barre te mène droit dans la baie de Boston.

Rappelez donc le maréchal du Président, et ramenez le canon du gouvernement,
Et mandez-moi au Congrès ces rugisseurs, et formez une autre procession et gardez-la de fantassins et de dragons.

Voilà l'ornement principal qui leur sied:
Voyez! vous tous citoyens disciplinés . . . . voyez femmes à vos fenêtres.

Le comité ouvre la boîte et dispose les côtes régaliennes et colle à glu celles qui bringuebalent,
Et te flanque le crâne au haut des côtes, et flanque une couronne sur le crâne.

Tu la tiens ta revanche vieux forban! . . . . la couronne a reçu son dû, et même un peu plus que son dû.

Plonge bien en poche tes pognes bouseux . . . . de ce jour tu es homme refait,
Tu es vraiment des plus mignons . . . . et voici un de tes bons coups.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[Il était un enfant en chemin]

Il était enfant en chemin chaque jour,
Et le premier objet sur lequel il jetait les yeux et recevait avec ravissement ou pitié ou amour ou frayeur, cet objet devenait-il,
Et cet objet devenait part de lui pour la journée ou une certaine partie du jour . . . . ou pour de nombreuses années ou pour des cycles continus d'années.

Les premiers lilas devinrent part de cet enfant,
Et l'herbe, et les volubilis blancs et rouges, et le trèfle blanc et rouge, et le chant du phébi,
Et les agneaux du temps de mars, et la litière roselette de la truie, et le poulain de la jument, et le veau de la vache, et la bruyante couvée de la grange ou dans le bourbier près de la mare . . et les poissons se suspendant si étrangement à son en-dessous . . et le bel étrange liquide . . et les plantes aquatiques avec leur gracieuse têtes plates . . tout devint part de lui.

Et les pousses d'avril et mai devinrent part de lui . . . . les pousses du grain d'hiver, et celles du maïs jaune pâle, et des racines esculentes du jardin,
Et les pommiers couverts de fleurs, et les fruits subséquemment . . . . et les baies des bois . . et les plus communes herbes de bord de route;
Et le vieil ivrogne titubant pour rentrer chez lui des latrines de la taverne où il s'était tard réveillé,
Et la maîtresse d'école qui a passé en route vers l'école . . et les garçons aimables qui sont passés . . et les garçons querelleurs . . et les filles proprettes aux joues fraîches . . et le négrillon et la négrillonne sur leurs pieds nus,
Et toutes les modifications de la ville et de la campagne où qu'il cheminait.

Ses propre parents . . lui qui avait émis la substance paternelle dans la nuit et l'avait engendré . . et
elle qui l'avait conçu dans ses entrailles et lui avait donné naissance . . . . d'eux ils donnèrent à cet enfant davantage encore,
Qui lui donnèrent encore chaque jour subséquemment . . . . eux et leur don devinrent part de lui.

La mère au foyer paisiblement plaçant les assiettes sur la table du soir,
La mère aux mots aimables . . . . blancs ses bonnet et tablier . . . . un parfum salubre émanant de sa personne et de ses vêtements comme elle passe:
Le père, puissant, autonome, viril, brutal, coléreux, injuste,
Le coup, le mot vif qui claque, l'âpre marchandage, l'appât madré,
Les us familiaux, le langage, la compagnie, le mobilier . . . . le cœur qui languit et qui gonfle,
Affection qui ne saurait être dédite . . . . Le sens de ce qui est réel . . . . la pensée qu'il puisse après tout se montrer irréel,
Les doutes de la journée et les doutes de la nuitée . . . . le curieux questionnement par si et comment,
Si ce qui paraît tel est tel . . . . Ou n'est-il qu'éclairs et phosphènes?
Hommes et femmes en vive presse dans les rues . . s'ils ne sont éclairs et phosphènes que sont-ils?
Les rues elles-mêmes, et les façades des maisons . . . . Les marchandises dans les devantures,
Véhicules . . bannes . . les embarcadères étagés, et les multitudes à la traversée des ferries;
Le village sur une éminence aperçu de loin au coucher du soleil . . . . la rivière intercalée,
Ombres . . auréole et brume . . la lumière tombant sur les toits et les pignons en blanc ou brun, à trois milles,
La goélette non loin nonchalamment qui retombe avec la marée . . la petite barque à lâche amarre d'arrière,
L'empressement culbuté des vagues et le bris rapide des crêtes qui giflent;
Les strates de nuages colorés . . . . la longue barre solitaire au loin pourprée et isolée . . . . l'étendue de pur où elle repose immobile,
Le bord de l'horizon, la foulque en vol, la senteur des salants et du terraqué;
Tous sont devenus part de cet enfant en chemin chaque jour, et qui maintenant encore et qui à jamais toujours sera en chemin chaque jour,
Et tous encore deviennent celui-ci ou celle-ci qui les consultent maintenant.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[Qui ma leçon apprend complète]

Qui ma leçon apprend complète?
Patron et tâcheron et apprenti? . . . . homme d'église et athée?
Le crétin et le penseur sagace . . . . parents et rejetons . . . . marchand et vendeur et porteur et client . . . . éditeur, auteur, artiste et écolier?

Viens auprès de moi et commence,
Ce n'est point une leçon . . . . elle lève la herse vers une bonne leçon,
Et celle-ci vers une autre . . . . et toutes toujours vers une autre.

Les grandes lois prennent et se déversent sans discussion,
Je suis de même style, car je suis leur ami,
Je les ai à amour redoublé . . . . je ne marque point de halte ni ne me répands en salamalecs.

Je repose pensif et entends beaux récits de choses et de la raison des choses,
Ils sont si beaux que d'un coup de coude je me force à les écouter.

Je ne puis à nul dire ce que j'entends . . . . je ne peux à moi-même le dire . . . . cela passe la merveille.

Ce n'est pas rien, ce délicieux globe rond, qui suit exactement son orbite pour toujours et à jamais, sans la moindre saccade ou le défaut d'une seule seconde;
Je ne crois pas qu'il ait été créé en six jours, ni en dix mille années, ni en mille quintillions d'années,
Ni planifié et bâti pièce à pièce, à la façon dont l'architecte planifie et bâtit une maison.

Je ne crois pas que soixante-dix ans soient la durée d'un homme ou d'une femme,
Non plus que soixante-dix millions d'années soient la durée d'un homme ou d'une femme,
Ni que les ans jamais mettront un terme à cette mienne existence ou celle de quiconque,
Est-ce merveille que je puisse être immortel? comme est tout un chacun immortel,
Je sais que c'est merveille . . . . mais ce que voit mon œil également est merveille . . . . et la manière dont je fus conçu dans le ventre de ma mère également est merveille,
Et qu'un jour je n'étais point palpable mais le suis aujourd'hui . . . . et naquis le dernier jour de mai 1819 . . . . et ai passé de l'état d'enfançon à la transe rampante de trois étés et trois hivers pour articuler et marcher . . . . tout cela également est merveille.

Et que j'ai crû jusqu'à six pieds de haut . . . . et que je suis devenu un homme de trente-six ans en 1855 . . . . et ici me voici quoi qu'il en soit — tout cela également est merveille;
Et que t'étreigne mon âme en cette heure, et que nous nous affections l'un l'autre sans jamais nous être l'un l'autre vus, et jamais peut-être à ne nous voir l'un l'autre, est en tout point même merveille;
Et que je pense semblables pensées que voici est tout autant merveille,
Et que je puisse te les rappeler, et tu les penses alors et les saches vraies est tout autant merveille,
Et que la lune pivote autour de la terre et avec la terre est également merveille,
Et qu'elles s'équilibrent avec le soleil et les étoiles est également merveille.

Viens j'ai désir de t'entendre me dire ce qui en toi n'est pas tout autant merveille,
Et désir d'entendre le nom d'aucune chose entre le matin de dimanche et la nuit de samedi qui ne serait pas tout autant merveille.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[Superbes sont les mythes]

Superbes sont les mythes . . . . moi aussi je m'en délecte,
Superbes sont Adam et Ève . . . . je jette un regard en arrière et les accepte;
Superbes les nations qui furent et churent, et leurs poètes, femmes, sages, inventeurs, gouvernants, guerriers et prêtres.

Superbe la liberté! Superbe l'égalité! Je suis leur partisan,
Timoniers des nations, choisissez votre art . . . . où vous cinglez je cingle,
Vôtre est le muscle de vie ou de mort . . . . vôtre est la science parfaite . . . . en vous j'ai foi absolue.

Superbe est l'aujourd'hui, et magnifique,
Il fait bon vivre en ce siècle . . . . jamais il n'en fut de meilleur.

Superbes sont les dilemmes et les détresses et les triomphes et les chutes de la démocratie,
Superbes les réformateurs avec leurs faux pas et leurs vociférations,
Superbes l'audace et l'aventureux des marins partant vers neuves explorations.

Superbe es-tu et moi-même,
Nous sommes aussi bons et mauvais que les plus vieux ou les plus jeunes ou quiconque,
Ce que firent les pires ou les meilleurs entre eux nous le pourrions faire,
Ce qu'ils sentirent . . ne le sentons-nous pas en nous-mêmes?
Ce qu'ils souhaitèrent . . ne le souhaitons-nous pas de même?

Superbe est la jeunesse et également superbe le grand âge . . . . superbes sont le jour et la nuit;
Superbe est l'affluence et la pauvreté superbe . . . . superbe est l'expression et superbe est le silence.

Vaste jeunesse à l'amoureuse concupiscence . . . . jeunesse gorgée de grâce et de fougue et de fascination,
Sais-tu que le grand âge peut aussi bien te suivre avec grâce et fougue et fascination égales?

Jour dans tout son éclat et splendide . . . . jour de l'immense sommeil, et de l'action et l'ambition et le rire,
La nuit suit de près, avec des millions de soleils, et le sommeil et les ténèbres réparatrices.

Affluence avec la main garnie et les beaux atours et l'hospitalité:
Mais quant à l'affluence de l'âme — qui est candeur et savoir et fierté et amour englobant:
Qui va aux hommes et femmes montrant la pauvreté plus riche que l'affluence?

Expression de la parole . . en ce qui est écrit ou dit n'oublie point que le silence encore est expressif,
Qu'angoisse aussi brûlante que ce qui brûle et mépris aussi froid que ce qui glace peuvent se passer de mots,
Que la véritable adoration est mêmement sans mots et sans agenouillement.

Superbe est la plus superbe des nations . . la nation de monceaux de nations égales.

Superbe est la terre et la manière dont elle devint ce qu'elle est,
T'imagines-tu qu'elle se soit arrêtée là? . . . . et ait l'accroissement abjuré?
Sache alors qu'au-devant d'elle en est autant qu'il en fut depuis qu'elle gisait sous eaux et gaz ensevelie.

Superbe est la qualité de la vérité en l'homme,
La qualité de la vérité en l'homme se soutient à travers tout changement,
Elle est inévitablement en l'homme . . . . Elle et lui sont de l'autre épris, et jamais ne se quittent.

La vérité en l'homme n'est point simple dicton . . . . elle est vitale comme ce que voit l'œil,
Sitôt qu'est une âme il y a vérité . . . . sitôt qu'est homme ou femme il y a vérité . . . . Sitôt qu'est le sens physique ou moral il y a vérité,
Sitôt qu'est l'équilibre ou la volition il y a vérité . . . . sitôt qu'est une chose quelconque sur la terre il y a vérité.

Ô vérité de la terre! Ô vérité des choses! Je suis déterminé de parcourir toute la route jusqu'à vous,
Donnez de la voix! J'escalade les montagnes ou me jette dans la mer après vous.

Superbe est le langage . . . . il est la plus puissante des sciences,
Il est la plénitude et la couleur et la forme et la diversité de la terre . . . . et des hommes et des femmes . . . . et de toutes les qualités et processus;
Il est plus superbe que l'affluence . . . . il est plus que les bâtiments ou les vaisseaux ou les religions ou les tableaux ou la musique.

Superbe est la langue anglaise . . . . Quelle langue est plus que l'anglaise superbe?
Superbe est la souche anglaise . . . . Quelle souche connaît destinée si vaste que l'anglaise?
Elle est mère de la souche qui doit régir la terre selon la nouvelle règle,
La nouvelle règle régira comme l'âme régit, et comme l'amour et la justice et l'égalité qui sont dans l'âme régissent.

Superbe est la loi . . . . Superbes sont les rares monuments anciens de la loi . . . . ils sont identiques dans tous les siècles et ne connaîtront perturbation.
Superbe sont mariage, commerce, journaux quotidiens, livres, libre-échange, chemins de fer, vapeurs, courriers et télégraphes et messages internationaux.

Superbe est la Justice;
La Justice n'est pas établie par législateurs ni lois . . . . elle réside dans l'âme,
Elle ne peut être variée par décrets plus que ne le peuvent l'amour ou la fierté ou l'attraction gravitationnelle,
Elle est immuable . . elle ne dépend point des majorités . . . . majorités ou qu'importe enfin comparaissant devant le même tribunal exact et dépassionné.
Car justice forme les grands avoués naturels et parfaits juges . . . . elle réside en leur âme,
Elle y est bien assortie . . . . point en vain ont-ils étudié . . . . le superbe inclut le moindre,
Ils régissent sur de plus hauts plans . . . . ils supervisent l'ensemble des ères et des états et des administrations,

Le juge parfait ne craint rien . . . . il pourrait d'œil à œil affronter Dieu,
Devant le juge parfait voici que tous vont reculer . . . . vie et mort vont reculer . . . . ciel et enfer vont reculer.

Superbe est la bonté;
Je ne sais ce qu'elle est plus que je ne sais ce qu'est la santé . . . . mais je sais qu'elle est superbe.

Superbe est la méchanceté . . . . je m'aperçois souvent que je l'admire autant que j'admire la bonté:
Est-ce cela qu'on dit paradoxe? Certainement c'est un paradoxe.

L'éternel équilibre des choses est superbe, et l'éternel renversement des choses est superbe,
Et voici un autre paradoxe.

Superbe est la vie . . et réelle et mystique . . en tout lieu et toute forme,
Superbe est la mort . . . . Aussi sûrement que la vie maintient l'ensemble des parties, la mort maintient l'ensemble des parties;
Aussi sûrement que reviennent les étoiles après qu'elles se confondent dans la lumière, la mort est superbe autant que la vie.

 
 
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