Ideas of Order

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Adieu à la Floride

 

I

En avant, haut vaisseau, puisque, sur le rivage,
Le serpent a quitté sa peau sur le parquet.
Key West s'est enfoncé sous de massifs nuages;
Des argents et des verts ont recouvert la mer.
La lune est à la vigie et le passé gît.
Son esprit ne me dira plus rien désormais.
Je suis libre. Au-dessus du haut du mât, la lune
Flotte affranchie de son esprit; les flots fredonnent
Ce refrain: le serpent a dépouillé sa peau
Sur le plancher. À travers la nuit, en avant.
Les vagues revolent d'un vol inverse.

II

Son esprit m'avait assujetti. Les palmiers
Étaient brûlants, comme si j'avais résidé
En un pays cendreux, comme si les feuillages
Où le vent conservait le bruire de mon Nord
De froidure sifflaient au cœur d'un Sud tombal,
Son Sud à elle: pin, corail, mer coralline,
Sa demeure, mais non la mienne, dans les Keys
Toujours plus fraîchissantes, ses jours et ses nuits
Océanes requérant musique et murmures
Venus des cayes. Bonheur, quand je reviendrai
Vers le Nord où je cingle, de me savoir sauf
Et d'oublier le sable qui blanchoie...

III

Je haïssais la yole, la trop variable,
D'où les flaques laissaient de voir le fond marin
Et la touffeur d'une algue ondoyant, haïssais
Les vives floraisons en boucles sur la hutte
Sans ombres, et la rouille, et les os, et les arbres
Semblables à des os, les feuillages mi-sable,
Mi-soleil. Se tenir sur le pont dans le noir
Et dire adieu, sachant qu'à jamais cette terre
Est partie, et que ni d'un mot ni d'un regard
Je n'en serai suivi, ni surtout jamais plus
En pensée — si ce n'est qu'un jour, je l'ai aimée...
Adieu, adieu. En avant, haut vaisseau.

IV

Mon Nord est sans feuillage et gît dans une tourbe
Hivernale faite d'hommes et de nuages,
Une tourbe d'hommes en foules. Tous ces hommes
Se meuvent comme se meut l'eau, cette eau noircie
Clivée de lugubres cloques contre tes flancs,
Puis qui roule et sinue, sa noirceur mise en pièces,
Turbulente d'écume. Être de nouveau libre,
Revenir vers cet esprit violent qui est
Leur esprit, à tous ces hommes, dont je serai
Tout à fait cerclé. Porte-moi, pont embué,
Emporte-moi vers le froid, allons, en avant,
En avant, haut vaisseau, plonge d'avant.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 Fantômes en tant que cocons

L'herbe a passé en graine. Les oisillons volent.
Mais la maison n'est pas seulement commencée.
La vesce se violace. Or où est la promise?
Il est aisé de dire aux conviés — Mais où,
Où, boucher, séducteur, sanguinâtre, fêtard,
Où soleil et musique et soif pour plus haut ciel,
Pour quoi plus qu'aucun mot crie à si grand clameur?
Ce semi-monde éclopé, croupi, trafiqué
De crasse… Ce n'est pas possible pour la lune
De l'émousser du flou ailé de ses colombes.
Qu'elle vienne à l'instant. L'herbe est en graine et haute.
Viens à l'instant. Ceux qui vont naître ont besoin d'elle,
La promise (l'amour est naissance), ont besoin
De la voir, de la toucher; besoin de lui dire:
«La mouche sur la rose nous rend interdits,
Ô saison qui surpasse tout été, fantôme
De parfum qui se répand sur la bouse.» Viens,
Viens-t-en, viens dans l'instant, avec tes perleries
Et tes marouflages, floribonde enfeuillée,
Tandis qu'aux dômes vibre un chant imbu de chant.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 Voguant après le déjeuner

 

C'est le mot péjoratif qui fait mal.
Mon vieux bateau vire sur un espar
Et n'arrive pas à prendre le large.
Voici le moment dans l'année
Et le moment dans la journée.

Peut-être est-ce le déjeuner qu'on eut
Ou le déjeuner qu'on eût dû avoir.
Mais en tout état de cause je suis
Homme fort inapproprié
En un lieu rien moins que propice.

*Mon Dieu*, entends l'oraison du poète.
Le romantique devrait être ici.
Le romantique devrait être là.
Il serait bon qu'il fût partout
Mais sans que jamais il demeure,

*Mon Dieu*, et jamais qu'il ne s'en revienne.
Cette pondéreuse voile historique
Au travers du lac au bleu si chanci
Dans un bateau vraiment vertigineux
Est absolument du plus vain chiqué…

Ce n'est rien moins que ce qu'on voit jamais.
Ce n'est que la façon qu'on sent, de dire:
Là où se trouve mon esprit je suis,
De dire: au zéphyr s'inquiète la voile,
De dire: aujourd'hui l'eau est empressée,

De biffer tous les gens pour être élève
De la belle barre, octroyant par là
Cette vague transcendance à la voile sale,
Sous la lumière, selon ce qu'on sent, blanc dru,
Pour cingler brillamment alors dans l'air d'été.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Tristes harmonies d'une valse gaie

La vérité, c'est qu'il se produit un moment
Où nous ne pouvons plus pleurer sur la musique
Qui n'est plus qu'un amas de bruit sans mouvement.

Il arrive un moment où la valse n'est plus
Un mode de désir, un mode révélant
Le désir; elle se trouve dépourvue d'ombres.

Trop de valses se sont achevées. Puis, aussi,
Il y a ce Hoon-là, à l'esprit de montagne,
Pour qui jamais le désir ne l'était des valses,

Pour qui la solitude offrait et forme et ordre
Et les formes jamais n'étaient figures d'hommes.
Les formes désormais ont disparu pour lui.

Il n'est d'ordre dans la mer ni dans le soleil.
Les formes ont perdu leur étincellement.
Il y a ces soudaines turbulences d'hommes,

Ces soudaines nuées de faces et de bras,
Une suppression immense, libérée,
Ces voix qui vocifèrent sans savoir pour quoi,

Si ce n'est le bonheur, ni sans savoir comment,
Qui imposent des formes sans pouvoir décrire,
Qui exigent un ordre au-delà de leur dire.

Trop de valses se sont achevées. Cependant,
Les formes pour lesquelles ces voix vocifèrent,
Il se peut qu'elles-mêmes soient aussi des modes

Du désir, des modes révélant le désir.
Trop de valses — L'épopée du manque de foi
Mugit plus fréquemment, sera bientôt constante.

Quelque harmonieux sceptique va unifier
Au sein d'une musique sceptique, bientôt,
Ces figures d'hommes et de nouveau leurs formes

Seront étincelantes dans le mouvement,
Tandis que la musique de nouveau sera
Elle aussi mouvement et débordante d'ombres.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Danse des souris macabres

 

Au pays des dindons, par un temps de dindons,
Au pied de la statue, nous tournons et tournons.
Ah l'admirable Histoire, admirable surprise!
Monsieur est à cheval. Le cheval est couvert
De souris. Cette danse est dépourvue de nom.

Elle est danse affamée. Jusqu'au bout de la pointe
De l'épée de Monsieur nous la dansons, lisant
Le haut langage de l'inscription, qui ressemble
À des cistres et des tambourins combinés:

Le Fondateur de l'État. Qui jamais fonda
Un état épargné, au plein cœur de l'hiver,
Par les souris? Ah quel admirable tableau
Dans ses teintes et sa façon de dominer,
Que ce bras de bronze étendu contre tout mal!

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Méditation céleste & terrestre

 

Dans la jungle, les zozios zinzins égosillent
La vie, le printemps et les déluges lustrés,
Verse à verse, de notre soleil revenu.

Jour après jour, au long de l'hiver, nous nous sommes
Endurcis à vivre par raison la plus bleue
Dans un monde qui était de vent et de gel,

Et par volonté, inébranlable et fleurie
Au long de matinées à glaçons anguleux,
Qui dans le ciel étroit s'en allaient loin de nous.

Or que valent raison et volonté radieuses
Aux égosillements du matin dans l'hilare
Des arbres de l'été, cette mère enivrée?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Lions en Suède

 

Assez de phrases, Swenson: j'ai jadis été
Un poursuiveur de ces souverains-là de l'âme
Et des caisses d'épargne, Fides, tout en yeux
Et en taille, grand-prix du sculpteur, Justitia
Courroucée, formée à tenir d'une main ferme
Les tables de la loi, Patientia à jamais
Qui apaise les plaies, et la toute-puissance
De Fortitudo, cette basse frénétique.
Mais d'aucun d'eux mes souvenirs ne s'orneront,
De ces lions, de ces images majestueuses.
Si la faute en échoit à l'âme, c'est qu'alors
Les souverains de l'âme doivent mêmement
Être eux-mêmes en faute, et eux tout les premiers.
Mais si c'est aux souvenirs que la faute échoit,
Il n'en reste pas moins qu'ils sont l'âme soi-même.
Et comme le concèdera tout homme en Suède,
L'entier de l'âme languit encore de lions,
Swenson, ou, pour passer à un autre registre,
Languit encore d'images de souverains.
Si la faute en échoit aux lions, renvoyez-les
Dans le Hambourg de Monsieur Dufy, d'où ils vinrent.
La végétation abonde encore en formes.

 

 

 

 

 

 

Comment vivre. Que faire

 

Hier au soir la lune s'est levée sur ce roc
En impure au-dessus d'un monde inexpurgé.
L'homme et son compagnon s'arrêtèrent alors
Pour reprendre souffle face au pic héroïque.

Les froidures du vent dévalèrent sur eux
En nombreuses majestés de sonorité:
Eux qui avaient quitté le soleil, feu fouetté,
Pour quêter un soleil de plus complète flamme.

En sa place se tenait ce rocher crêté
Massivement hissé vers les sommets et nu
Plus haut que tous les arbres, projetant ses cimes
Comme des bras géants au milieu des nuages.

On ne trouvait là ni voix ni image huppée,
Ni choriste ni prêtre. Là, on ne trouvait
Que la sommité colossale du rocher
Et ces deux-là debout qui reprenaient leur souffle.

On y trouvait le vent froid, la sonorité
Qu'il produisait, loin de la gadoue du pays
Qu'ils avaient quitté, la sonorité joyeuse
De jubilation, d'héroïsme et d'assurance.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Quelques amis venus de Pascagoula

 

De l'aigle, dis-en plus, Coton,
Et toi aussi, obscur Mâtin,
Dites-moi comment il parut
Descendant du ciel du matin.

Décrivez d'une voix posée
Par images majestueuses
Son lent tourbillon déclinant
Jusque vers la mer poissonneuse.

Ce fut un solennel spectacle,
Bien fait pour un clan crespelé.
Redites-moi ce point encore
Duquel le vol s'est élevé.

Narrez comment sa lourdeur d'ailes,
Ouverte au bronze d'air solaire,
A viré sur son envergure
Jusqu'au sable, où se réverbèrent

Les pins qui enceignent le sable,
Sombrant en rondes solennelles
Au sortir de son aire ardente.
Parlez de l'éclat de ses ailes.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Geste d'adieu, d'adieu, d'adieu

 

Ce serait sangloter, sangloter et crier,
Et en faire le geste, et signifier adieu,
Adieu dans le regard et adieu dans le centre,
Que demeurer figé sans agiter de main.

Sans ciel après le monde, les arrêts seraient
Fins, poignant plus que les séparations, profondes,
Et ce serait dire adieu, répéter adieu
Que de se tenir coi et d'être ce qui voit.

Être ce qu'on est de singulier, mépriser
L'être si chichement qui offrit et acquit,
Trop chichement qu'on s'en soucie, se consacrer
Au temps jubilantissime qu'il fait, lamper

Son godet sans jamais piper mot, ou dormir
Ou demeurer juste étendu là, immobile,
Juste se tenir coi, juste être ce qu'on voit,
Serait adieux, serait présentations d'adieux.

Qui n'aime la pratique? L'ont-ils pratiqué
À satiété leur ciel. Ô jubilantissime,
Qu'est-il ici, que le temps qu'il fait, quel esprit
Ai-je, si n'en est pas le soleil l'origine?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L'idée d'ordre à Key West

 

Par-delà le génie de la mer s'élevait
Ce qu'elle chantait. Jamais l'eau ne se formait
À l'esprit ni la voix, à la façon d'un corps
Tout entièrement corps, ballant à manches vides;
Pourtant de son mouvement de mime sourdait
Un cri; il suscitait incessamment un cri
Qui, bien qu'intelligible, n'était pas le nôtre,
Inhumain, celui du véritable océan.

La femme n'était pas un masque, ni la mer.
Ni le chant ni la mer n'étaient bruit bariolé
Bien que son chant provînt de ce qu'elle entendait
Puisque son chant était proféré mot à mot.
Peut-être dans ses phrases venaient s'émouvoir
La meule de la mer et le vent hors d'haleine;
Mais c'était elle et non les flots qu'on entendait.

Car elle était la source de son propre chant.
La mer toujours en coiffe et toujours tragédienne
N'avait été qu'un lieu où marcher et chanter.
À qui est cet esprit? avons-nous dit, sachant
Que c'était là l'esprit que nous cherchions, sachant
Que nous reposerions souvent cette question
Pendant qu'elle chantait.

                                    Si ce n'avait été
Que la sombre voix de la mer qui s'élevait,
Aussi bien colorée par de nombreuses vagues;
Si ce n'avait été que la voix extérieure
Du ciel et du nuage, du corail enfoui
Dans les parois de l'eau, si claire qu'elle fût,
Ce n'aurait été qu'une épaisseur d'air, le dire
Pantelant de l'air, un bruit d'été répété
En un été sans fin, et rien d'autre qu'un bruit.
Mais il s'agissait de plus que cela, plus même
Que de sa propre voix et la nôtre au milieu
Des plongeons insensés de la mer et du vent,
Des lointains théâtraux et des ombres de bronze
Amassés au haut des horizons, atmosphères
Montagneuses du ciel et de la mer.
                                                C'était
Sa voix qui faisait du ciel le plus pur des cieux
Au moment de son effacement, c'était elle
Qui mesurait de l'heure tout l'esseulement.
Elle était l'artificier unique du monde
Où son chant s'élevait. Pendant qu'elle chantait,
La mer, qui qu'elle fût, devint l'être qu'était
Son chant, car c'était sa voix qui était la source.
Comme nous regardions sa marche solitaire,
Nous sûmes que jamais il n'y aurait pour elle
De monde, hormis celui qu'elle chantait, celui
Qu'elle créait en chantant.

                                     Ramon Fernandez,
Dis-moi pourquoi, si tu le sais, le chant fini,
Quand nous nous retournâmes vers la ville, dis
Pourquoi les lumières de verre, les lumières
Des chaluts qui y étaient ancrés, dans la nuit
Qui tombait, oscillant dans les airs, maîtrisèrent
La nuit et tronçonnèrent la mer, installant
Des zones blasonnées et des piliers de flamme,
Arrangeant, accroissant et enchantant la nuit.

Pâle Ramon, bénie est la rage aspirant
À un ordre, la rage de celui qui fait,
Pour donner leur ordre aux mots qui viennent de mer,
Aux mots qui viennent des portiques odorants
Piqués de faibles astres, qui viennent de nous
Et de nos origines, par démarcations
Plus spectrales et par sonorités plus fermes.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le sublime américain

 

Quelle attitude avoir
Pour saisir le sublime,
Confronter les moqueurs,
Le micmac des moqueurs
Et les doublons plaqués?

Le général Jackson
Posant pour sa statue
A su ce qu'on ressent.
Doit-on aller pieds nus
Clignant des yeux et creux?

Mais qu'est-ce qu'on ressent?
On s'habitue au temps,
Au paysage, au reste;
Le sublime en revient
À ce qu'est l'esprit même,

Et l'esprit et l'espace
L'esprit vide dans la
Vacance de l'espace.
Quel vin est-ce qu'on boit?
Quel pain est-ce qu'on mange?

 

 

 

Mozart, 1935 

Poète, viens prendre place au piano.
Joues-y le présent dans ses hou-hou-hou,
Dans ses chou-chou-chou, dans son rique-nique,
Dans ses envieux lazzi.

S'ils projettent des cailloux sur le toit
Tandis que tu pratiques tes arpèges,
C'est parce qu'ils descendent dans l'escalier
Un cadavre en haillons.
Prends donc place au piano.

Ce mémento lucide du passé,
Le divertimento;
Ce rêve aérien de l'avenir,
Le concerto sans le moindre nuage…
Il s'est mis à neiger.
Plaque l'accord navrant.

À toi soit la vraie voix,
Non à tu et toi. À toi, oh à toi
Soit la voix de cette peur coléreuse,
La voix de cette douleur assiégeante.

Toi, sois cette sonorité d'hiver
Comme d'un grand mugissement de vent,
Dans lequel le chagrin est soulagé,
Est démis, est absous
Dans une conciliation étoilée.

Nous reviendrons peut-être vers Mozart.
Il était jeune et nous, nous sommes vieux.
Il s'est mis à neiger
Et les rues sont pleines d'échos de cris.
Ô toi, viens prendre place.

 

 

 

Neige et astres 

Les quiscales roucoulent *avant* le printemps
À grands caca — oh ! Oui, à grands cacardements.
Les quiscales roucoulent un brin puissamment.

Cette chasuble de neige et d'astres d'hiver,
Que le diable l'emporte et s'en vête aussi bien.
Peut-être elle en deviendra son terrier de bleu.

Qu'il la transporte donc jusques en ses régions,
Dans sa blancheur houppée d'astres pour ses légions,
Et mène grand ramdam, ramdam in excelsis.

Ainsi s'acquitterait la rançon du chaton
Et la butte aboutirait, serait ébaubie
De ca, coi, coin.

 

 

 

Le soleil en ce mois de mars

 

L'excessive brillance du soleil précoce
M'amène à voir combien je me suis assombri,

Ré-illuminant des choses qui autrefois
Passaient de l'or au bleu le plus vaste, et tenaient

D'un esprit de passage en un moi plus précoce.
Cela, aussi, fait retour depuis l'air d'hiver

Comme une hallucination qui vient éblouir
Un coin de l'œil. Notre élément, notre élément

C'est le froid — et l'air d'hiver résonne de voix
Que l'on croirait de lions bondissant vers le bas.

Oh rabbin, oh rabbin, gare pour moi mon âme!
De la noire nature sois le vrai savant!

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Botaniste sur Alpe (n° 1)

[Ndt: cette traduction et la suivante sont dédiées à Seph S.]

 

Les panoramas ne sont plus ce qu'ils étaient.
Le Lorrain est mort depuis de longues années
L'apostrophe est bannie sur le funiculaire.
Marx a, pour le moment,
Ruiné la Nature.

Pour moi, je mène ma vie près des feuilles
Si bien que les corridors de nuages,
Les corridors de pensées nuageuses,
Semblent être à peu près la même chose:
Je ne sais pas quoi.

Mais chez Le Lorrain, qu'on était donc proche
(Dans un monde appuyé sur des piliers,
Visible au travers d'une volée d'arches)
De la composition centrale,
Du thème essentiel.

Quelle composition trouver dans tout ceci:
Stockholm étique dans une lumière étique,
L'élévation d'une riva adriatique,
Des statues et des astres
Dépourvus de thème?

Les piliers ont chu, les arches sont délabrées,
L'hôtel à l'abandon a été condamné.
Toutefois ce panorama de désespoir
Ne saurait être la spécialité
De cet air en extase.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 Botaniste sur Alpe (n° 2)

 

Les croix dont s'ornent les toits des couvents
Luisent crûment au lever du soleil.

Ce qui est au bas est dans le passé,
Tout en bas, tel les grillons d'hier soir.

Ce qui est en haut est dans le passé
Aussi sûrement qu'y sont tous les anges.

Pourquoi le futur devrait-il bondir
Les nues en baies du ciel, brillées, bleuies?

Entonnez, ô vous croyants, sur vos voies
Le poème de longue mort céleste;

Car qui pourrait tolérer cette terre
Sans ce poème-là, ou sans un autre

Plus terrien, digue, digueda dondaine,
Tel celui que scintillent ces croix-là,

Et tout simplement ce qu'elles scintillent,
En miroir tout simplement d'un délice?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Soirée sans anges

 

les grands intérêts de l'homme: l'air et la lumière, la joie de posséder un corps, la volupté du regard.
Mario Rossi

Pourquoi les séraphins ainsi que des luthistes
Arrangés dans les arbres? Pourquoi le poète
En sempiternel *chef d'orchestre*?
                                                L'air est air.
Sa vacance scintille tout autour de nous.
Ses sons ne sont pas des syllabes angéliques
Mais nos propres esprits mal dégrossis rendus
Plus âprement dans un être plus furieux.

Et la lumière qui nourrit les séraphins,
Leur est barbier de halos, joaillier fécond —
Concocta-t-on le soleil pour l'ange ou pour l'homme?
De tristes hommes ont fait du soleil des anges
Et de la lune leur propre suite spectrale,
Qui les reconduisit, après la mort, aux anges.

Ceci soit clair: nous sommes hommes du soleil
Hommes du jour et jamais de la nuit acerbe,
Hommes répétant les plus anciens sons de l'air
Dans un accord de répétitions. Pour autant,
Notre répétition vient de ce que le vent,
Nous encerclant, toujours s'exprime avec nos mots.

La lumière, aussi, nous incruste et rend visibles
Les mouvements de l'esprit, donnant une forme
Aux plus maussades riens, au désir, par exemple
Pour un jour accompli dans l'immense éclair d'Est,
Au désir d'un repos, au creux de cette mer
De noirceur descendant, qui dans sa noirceur même
Soit repos et silence achevés en sommeil.

... Au soir, quand la cadence omet une mesure
Puis une autre, une à une, et toutes pour finir
Vers un mineur rageur alors de moduler.
Meilleure est la nuit nue, la terre nue meilleure.
Dénuement, dénuement, hors pour nos maisons mêmes
Blotties au bas des arches à bandes d'étoiles,
Au bas des rhapsodies des flammes et des flammes,
Où la voix qui est en nous donne vraie réponse,
Où la superbe voix qui est en nous s'élève
Tandis que nous restons à voir le rond de lune.

 
 
  Suite
 
  Retour à la page Wallace Stevens
 
  Commentaires? Suggestions? Cliquez ici