L'homme brave

 

Le soleil, cet homme brave,
Filtre au travers de rameaux aux aguets,
Ce brave homme.

Des yeux lugubres et verts
Dans les sombres formes que revêt l'herbe
Détalent.

Les bonnes étoiles,
Heaumes pâles et éperons à pointes,
Détalent.

Craintes de mon lit,
Craintes de la vie et craintes de mort,
Détalent.

Cet homme brave surgit
D'en dessous, allant sans méditation,
Ce brave homme.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 Un voilement du soleil

 

 

 

 

 

 

 

 

1 NdT: je suis ici la leçon de Palm, comme celle de LoA, qui donne une virgule à la place du point d'interrogation de CP.

 

Qui ose voir le soleil en grimeur des nues
Quand tous les gens sont ébranlés,
Ou la nuit rutilantée au port soutenu
Quand les gens sitôt éveillés
S'écrient et s'écrient au secours?

La tiède antiquité de ce qu'on est à soi,
Chacun, se fait brusquement froide.
Le thé est mauvais et le pain chagrin.
Comment un si vieux monde est-il fol à ce point
Que les gens meurent?

Si c'est sans un livre que s'institue la joie
Elle repose, eux-mêmes en dedans d'eux-mêmes,
S'ils veuillent bien qu'ils voient
Dans l'en dedans d'eux-mêmes
Qui s'écrient et crient au secours,1

Dans l'en dedans en tant que piliers du soleil,
Étais de nuit. Le thé,
Le vin est bon. Le pain,
La viande est succulente.
Et ils ne mourront pas.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 Pierres grises et pigeons gris

 

L'archevêque est au loin. L'église est grise.
Il a laissé ses aubes pliées dans le camphre
Et, habillé de noir, il circule
Parmi les lucioles.

Les arcs-boutants osseux et les flèches osseuses
Rangés sous la pierraille des nuages
Se dressent dans une lueur figée.
L'archevêque repose.

Il est au loin. L'église est grise.
C'est son jour férié.
Le nécrophore suit son œil rond de bedeau
Dans les airs.

Partout se répand un or fluctuant.
Il asperge les pigeons,
Il file et les oiseaux s'enfuient,
Séchant leur col,

Oiseaux qui jamais ne prennent leur vol,
Sauf quand l'archevêque passe à proximité,
Globeux dans l'aujourd'hui et le demain,
Habillé de ses aubes colorées.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 Cloches d'hiver

 

Le Juif ne se rendit pas à sa synagogue
Pour qu'on l'y flagellât.
Mais elle était auguste,
Cette église sans cloches.

Il préférait le clinquant des cloches,
Le mille fiori sur les dalmatiques,
La voix des siècles
Sur les gramophones sacerdotaux.

C'était la coutume
De sa rage à l'encontre du chaos
Que de mollir en route vers l'église,
Dans les régulations de son esprit.
Que la vie, fondée en propriété, est bonne,
Quand elle est suivie d'un chapon bien cuit!

Il n'en cessait pas moins de se promettre
De partir en Floride un de ces jours
Et, là, dans un des arrondissements
Menus de la mer,
D'accorder à tout ça plus d'attention.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Discours académique à La Havane

 

I

Canaris au matin, l'après-midi orchestres,
Et baudruches la nuit. Voilà, au moins, qui change
Des rossignols, de Jéhovah et du grand ver
De mer. L'air n'y est pas aussi élémental,
Ni le sol aussi proche.
                                   Mais ce qui nourrit
Au désert ne nourrit pas dans les métropoles.

II

La vie est un vieux casino au fond d'un parc.
Les becs des cygnes gisent à plat sur le sol.
Un vent de désolation extrême a transi
Rouge-Fatima tandis qu'une décadence
Grandiose s'établit ainsi que fait le froid.

III

Les cygnes... Avant que les becs des cygnes choient
Aplatis sur le sol, avant que la chronique
De l'hommage affecté roussisse tant de livres,
Ils étaient les gardiens des eaux vides des lacs
Et des dais d'îles qui formaient le majorat
De ce casino-là. Bien avant que la pluie
Balaie ses fenêtres murées et que les feuilles
Emplissent ses fontaines ganguées, ils ornaient
Les crépuscules du mytheux khan arachide.
Les siècles de l'excellence qui allait être
Surgissaient d'un serment et devenaient le vrai
De tromblons flottant dans les arbres.
                                                 Le labeur
De penser évoquait une paix, excentrique
Pour l'œil, carillonnant à l'oreille. Bougons,
Des tambours pouvaient rouler, mais sans alarmer
La populace. Les progressions indolentes
Des cygnes accordaient sa justesse à la terre;
Parodie à la noix pour un peuple à la noix.

Mythe tout serein, capable de concevoir
Du fond de sa plénitude de perfection,
Plus vigoureux que juin, plus fécond que les jours
De l'été le plus mûr, toujours à s'attarder
Pour toucher encor la plus ardente des fleurs,
Pour frapper une fois encor la résonance
La plus longue, pour coiffer la plus claire femme
De la plus juste ivraie, pour placer sur l'échine
Du plus dense étalon le plus dense des hommes,
Ce mythe compétent, urgent et tout serein
Est passé comme un cirque.

                                      L'homme politique
A décrété que l'imagination était
Le péché fatidique. La grand-mère avec
Ses panerées de poires doit être le nœud
De nos compendiums. Voilà qui devrait suffire,
Et même davantage, en matière de monde,
Si l'on inclut ses filles à la maritorne
Ivoire et pêche pour qui l'on bâtit des tours.
C'est le sein du bourgeois, et non pas, délicat,
Quelque éther empalé d'astres, qui doit fournir
Son séjour au prodige, sauf si toute chose
Prodigieuse n'est qu'une piperie. Le monde
N'est ni brimborion de l'insomniaque ni mot
Supposé signifier un suc universel
À Cuba. Prend note de ces sujets laiteux.
Ce sont des Jupiters qu'ils nourrissent. Leur pulpe
Fortuite va goutter ainsi qu'une douceur
Dans les nuits vides quand la rhapsodie trop vaste
Se trouve annulée et la prière friande
Provoque de nouvelles suées: soit, alors:
La vie est un vieux casino au fond d'un bois.

IV

Est-ce que la fonction du poète est ici
Rien que de son, plus subtil que la prophétie
La plus chamarrée, pour capitonner l'oreille?
Elle est cause qu'il produit d'infinies redites
Et allie à la fleur d'alcyon la fleur d'ébène.
Elle le leste d'une plaisante logique
Pour le gourmé. Faisant partie de la nature,
Il fait partie de nous. Ses raretés sont nôtres:
Veuille qu'elles soient aptes et réconcilient
Nous à nous-mêmes dans ces réconciliations
Véritables, ces mots pacifiques, obscurs,
Et les harmonies plus adroites de leur chute.
Fermez la cantina. Houssez le chandelier.
Le clair de lune n'est pas jaune, mais un blanc
Qui fait taire la ville, la toujours fidèle.
Combien pâle et combien possédée est la nuit,
Combien pleine des exhalaisons de la mer...
Ceci est plus vieux que son hymne le plus vieux
Et n'a pas plus de sens que le pain de demain.
Mais que vienne à parler le poète au balcon
Et les dormeurs dans leur sommeil vont s'émouvoir,
S'éveiller et contempler la lune aux parquets.
Il se peut que ce soit bénédiction, sépulcre
Et épitaphe. Il se peut que ce soit, pourtant,
Une incantation que la lune définit
Par simple exemple d'une clarté opulente.
Et le vieux casino peut définir de même
Une incantation infinie de qui nous sommes
Dans la grand-décadence des cygnes péris.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Nudité à la capitale

 

Mais être nu, missié laineux, concerne un atome intérieur.
Si cela demeure celé, qu'importe donc le postérieur?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Nudité aux colonies

 

Ô Noir, les vives nouveautés nous rendent au mieux pseudonymes.
Nous sommes donc plus à nu quand nous sommes le plus anonyme.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Réassertion de la romance

 

La nuit ne connaît rien des hymnes de la nuit.
Elle est ce qu'elle est comme je suis qui je suis:
Et m'en apercevant, je perçois mieux et moi

Et toi. Nous seuls pouvons échanger en chacun
Ce que chacun des deux sait donner. Et nous seuls
Sommes deux en un seul, non pas toi et la nuit,

Ni la nuit et moi, mais toi et moi, nous deux seuls,
Si seulement, si profondément l'un à l'autre,
Si éloignés des solitudes contingentes,

Que la nuit n'est que toile de fond pour nos êtres,
Chacun suprêmement vrai à son être propre,
Dans la pâle lueur que l'un jette sur l'autre.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 Le lecteur

[Ndt: Cette traduction est dédiée à Seph S.]

 

Toute la nuit assis, je lus un livre,
Assis, comme si je lisais un livre
Aux pages obscures.

Les étoiles filantes de l'automne
Couvraient les étiolements accroupis
Dans le clair de lune.

Nulle lampe brûlait pour ma lecture,
Une voix marmottait: «Tout ce qui est
Retombe à froideur,

Même le muscat et son goût musqué,
Les melons et les poires vermillon
Du clos défeuillé.»

Nul texte n'encrait les pages obscures
Hors la trace des étoiles brûlantes
Dans les cieux de givre.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 Maître en boue

 

Les rivières boueuses du printemps
Grommellent
Sous des cieux boueux.
L'esprit est boueux.

Pour l'heure, il n'est point de berges nouvelles
Au vert tumescent
Pour l'esprit;

Le flanc des cieux est dépourvu d'or
Pour l'heure.
L'esprit grommelle.

Toi le négrillon de plus noire peau,
Il existe un maître pour cette boue.
Ce rai de lumière, au loin, du ciel à la terre,
C'est lui —

Le facteur du bourgeon de pêcher,
Le maître en boue,
Le maître de l'esprit.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 *Anglais mort à Florence*

 

Aux printemps, un peu moins s'en revenait pour lui.
La musique commençait à le déserter.
Brahms, bien qu'il fût son familier sombre, marchait

Fréquemment à l'écart. Son esprit se faisait
Incertain des joies, certain de l'incertitude,
En quoi ce compagnon sombre l'abandonnait

Inconsolé d'un état d'être revenant
Au plus en souvenir. Rien que l'année passée
Il avait dit que la lune nue n'était plus

La lune qu'il avait accoutumé de voir,
De sentir (parmi la pâleur des cohérences
Du temps de sa jeunesse entre lune et luné),

L'étrangère et la nue, qui d'un ciel plus fluet
Désormais répandait une lueur plus frêle.
Son vermeil pâle s'était fait cadavéreux.

Usant de raison, exerçant sa volonté,
Parfois chez Brahms il cherchait une alternative
Au dire. Il était cette musique et lui-même.

Tous deux constituaient des particules d'ordre,
D'unique majesté. Mais il se souvenait
De cette époque où il se tenait par soi seul.

À terme, il tenait grâce à Dieu et la police;
Mais il se souvenait du temps qu'il tenait seul.
Il se donna à cette majesté unique;

Mais il se souvenait du temps qu'il tenait seul,
Quand être et plaisir d'être semblaient identiques,
Avant que les couleurs rembrunies rapetissent.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 Les plaisirs de la simple déambulation

 

Le jardin en volant tournoyait avec l'ange,
L'ange en volant tournoyait avec les nuages,
Et les nuages tournoyaient et les nuages,
Les nuages volant tournoyaient aux nuages.

Existe-t-il un secret dans les crânes,
Les crânes du bétail au fond des bois?
Sous capuchon noir, les tambourinaires
Font-ils rien rouler en battant tambour?

Le bébé suédois de Mme Anderson
Eût aussi bien pu naître Espagnol ou Teuton,
Mais que les choses tournent et tournent encore
Vous a une sonorité plutôt classique.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Comme décorations dans un cimetière nègre

 

                           [Pour Arthur Powell]

I

Dans le Sud profond, le soleil d'automne
Passe à la manière de Walt Whitman
Marchant au long d'une grève vermeille.
Il chante et son chant célèbre les choses
Qui sont une partie de lui, les mondes
Qui ont été et vont être, la mort
Et le jour. Il chante «Rien n'est final.
Nul homme jamais ne verra la fin.»
Sa barbe est feu, sa crosse bond de flammes.

II

Soupire pour moi, brise de la nuit,
Dans le chêne aux feuilles tonitruantes.
Je suis fatigué. Sommeille pour moi,
Ciel au-dessus de la colline. Sois
Mon cri, sonore et toujours plus sonore,
Allègre soleil, lorsque tu te lèves.

III

C'est au moment que les arbres se défeuillèrent
Pour la première fois en novembre, au moment
Où leur noirceur se fit apparente, qu'alors
On comprit pour la première fois qu'à la base
De cette conception se trouvait l'excentrique.

IV

Sous paillasson de givre, sur le paillasson
Des nuages. Mais dans cet intervalle gît
La sphère de ma fortune avec les fortunes
Du givre et des nuages, toutes identiques,
Hormis pour les règles des rabbins, heureux hommes,
Qui font la distinction entre givre et nuages.

V

Que la quête d'une foi tranquille finisse,
Le futur cesserait d'émerger du passé,
De ce qui est plein de nous; pourtant cette quête
Et le futur émergeant de ce que nous sommes
Paraissent être une seule, une même chose.

VI

Nous mourrions, n'était la Mort
Dans ses toges mauves et craie.
Ne pas mourir paroissial.

VII

Avec quelle aisance les émotions circulent
Cette après-midi sur les plus simples des mots:
Trop froid, maintenant, pour travailler dans les champs.

VIII

De l'esprit des saints temples vides et grandioses,
Composons des hymnes qu'alors nous chanterons
Secrètement, à la manière des amants.

IX

Dans un monde de dénuement universel,
Les philosophes seuls se verront rembourrés
Contre les vents d'automne en un automne qui
Sera perpétuel.

X

Entre l'adieu et l'absence d'adieu,
La pitié ultime et la perte ultime,
Le vent et la brusque tombée du vent.

XI

Le nuage s'est élevé dans les hauteurs
Ainsi qu'un roc pesant ayant perdu son poids
Sous l'effet de la même volonté qui fit
Du vert pâle un olive et pour finir un bleu.

XII

Le sens du serpent en toi, Ananké,
Et ta démarche de détournement,
N'ajoutent rien à l'horreur de la glace
Luisant sur tes traits et dans tes cheveux.

XIII

Dans les patios jaunes, des oiseaux chantent,
Becquetant des écorces plus lascives
Que les nôtres par pur Gemütlichkeit.

XIV

Le pigeon de plomb sur le portail de l'entrée
Doit languir pour la symétrie d'un pair de plomb,
Doit voir sa queue en roue argentée onduler.

XV

Sers les fruits rougis sur un lit de jeune neige.
Ils ressemblent à une page de Toulet
Lue dans les ruines d'une neuve société,
Furtivement, à la bougie et par besoin.

XVI

Si la pensée pouvait être pulvérisée
Mais que ceci demeure l'endroit où demeurent
Ceux qui sont doués du sens de l'espace simple.

XVII

Le soleil de l'Asie rampant sur l'horizon
Entre dans cet air hagard et ténu, en tigre
Estropié par l'inanité et par le givre.

XVIII

Faut-il me colleter avec mes destructeurs
Selon les poses musculeuses des musées?
Mais mes destructeurs se détournent des musées.

XIX

Des portiques s'ouvrant à la fin de la nuit,
Une course en avant avec bras projetés
Ainsi qu'on l'apprit dans la manœuvre. Acte I,
Scène I, dans un Staats-Oper en Allemagne

XX

Ah, mais l'effigie naturelle, et insensée !
Il faudrait que l'aberration révélatrice
Apparaisse, agate dans l'œil, oreille à houppe,
Lapin replet, enfin, parmi l'herbe vitreuse.

XXI

Elle était ombre aussi ténue dans la mémoire
Qu'un automne vieilli au dessous d'une neige
Que l'on se rappelle au concert ou au café.

XXII

La comédie des sons vides dérive
De la vérité, non de la satire
De nos vies. Entravons, en conséquence,
Jack le roux et Jill la rouge.

XXIII

Les poissons sont à la fenêtre du pêcheur,
Et les grains sont dans l'échoppe du boulanger.
Le chasseur pousse un cri lorsque le faisan tombe.
Songe à l'étrange morphologie du regret.

XXIV

Un pont sur le bleu et le clair de l'eau
Et le même pont quand l'eau est gelée.
Riche Jean-qui-rit, pauvre Jean-qui-pleure.

XXV

De loriot à corbeau, on note un net déclin
Dans la musique Le corbeau est réaliste.
Mais, après tout, le loriot lui aussi peut l'être.

XXVI

Ces raisins belges, pistache obèse, surpassent
Le gala total des auréoles auburn.
*Cochon!* Les raisins sont, maître, ici — maintenant.

XXVII

On n'a pu vraiment transplanter John Constable;
Nos flots ont rejeté la blême Académie.
Il est vrai que les Pictes nous en imposèrent
Autrement: par le goût des chiens, des daims, de fer.

XXVIII

Une poire devrait arriver sur la table
Toute écaillée de suc, mûrie dans la tiédeur
Et servie dans la tiédeur. Dans ces conditions,
L'automne en arrive à charmer le fataliste.

XXIX

D'une violence composée suffoque
Chaque spectre. Piétine les orteils
Phosphorescents, arrache les tissus
Suintants noués au travers des os.
Les lourdes cloches sonnent ramdamdom.

XXX

Le coq, gallinacé caquet de nuit, ne pond
Rien; la gallinacée caquette tout le jour.
Mais le cochelet piaille et la poule frissonne:
L'œuf dans son abondance est fait, il est pondu.

XXXI

Retenue d'eau grouillante ou esprit en furie.
Herbes blêmes roulant venteusement au loin
Et ronces hérissées s'ourdissant sur la berge.
Le moment tel quel est apte bénéficience.

XXXII

La poésie est chose mignarde de l'air
Qui vit sans certitude et ne vit pas longtemps
Mais rayonne plus loin que des buées plus mâles.

XXXIII

Pour tout ce qu'il est de pourpre, l'oiseau pourpré
Doit de certaines notes avoir la science
À répéter, dans le gros ennui d'être rare.

XXXIV

Novembre sans remous. Dimanche dans les champs.
Une réflexion stagne dans une eau stagnante.
Mais d'invisibles courants clairement circulent.

XXXV

C'est rarement que l'homme ou les affaires d'homme
Importaient au pandit météorologique
Dont la pensée jamais ne fut autre que d'homme
En tant que l'abstraction, que la somme comique.

XXXVI

Les enfants, à mi-chemin vers le lit,
Dans l'escalier vont se mettre à pleurer
Quand cette phrase sera prononcée,
Le voluptuaire étoilé naîtra.

XXXVII

La rose hier fut une poussée verticale,
Hissant ses boutons sur les feuilles vert foncé,
Noble en automne, mais plus noble que l'automne.

XXXVIII

L'album de Corot est prématuré.
Un peu plus tard, quand le ciel s'assombrit.
Brume dorée n'est pas vraiment la brume.

XXXIX

Non pas l'océan des virtuosi
Mais l'étranger laid, le masque qui dit
Des choses obscures, pourtant comprises.

XL

Toujours le répertoire standard dans le trait
Et ce serait parfait, si chacun débutait
Non en début, mais à la fin du dernier homme.

XLI

L'odeur astringente des chrysanthèmes vient
Chaque année déguiser le cliquet des rouages
D'une machine de machine de machine.

XLII

Dieu des faiseurs de saucisses, guilde sacrée,
Voire le moindre des saints patrons, ennobli
Comme dans un miroir mirant la sainteté.

XLIII

Curieux que la densité de la vie puisse être
Constatable sur un certain plan si l'on fait
La division par deux du nombre que l'on voit
De jambes. De la sorte on établit du moins
Le nombre de personnes.

XLIV

La fraîcheur est l'effet de plus que le vent d'est
Soufflant autour de soi. Dans l'automne, il n'est rien
Qui relève de l'innocence. Cependant,
L'innocence peut-être jamais ne se perd.

XLV

*Encore un instant de bonheur*. Ces mots
Sont mots de femme, inaptes à répondre
Même au goût d'un connaisseur provincial.

XLVI

Tout clique ainsi qu'une horloge. Le cabinet
D'un homme devenu la proie d'une folie
De temps, après tout, et en dépit des coucous,
D'un homme qui avait la manie des horloges.

XLVII

Le soleil est en quête d'un brillant objet
Sur quoi venir briller. Les arbres sont de bois,
L'herbe est jaune et fluette et ce n'est pas l'étang
Qui va lui offrir les surfaces qu'il recherche.
C'est de soi-même qu'il doit tirer ses couleurs.

XLVIII

La musique n'est pas encor, mais à venir.
La préparation est longue et de longue haleine
Pour l'heure où plus que nous le son sera subtil.

XLIX

Il fallut les nuits lourdes du temps ruisselant,
Pour qu'il revienne aux gens, pour qu'il trouve chez eux
Quoi que ce fût que dans leur absence il trouvait,
Plaisir ou indulgence ou énamoration.

L

En s'unissant les faibles acquièrent la force
Non la sagesse. Tous les hommes s'unissant
Sont-ils capables de venger fût-ce une feuille
Que l'automne a fait choir? La vengeance du sage
Consiste à édifier sa cité dans la neige.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Une carte postale du volcan

 

Les enfants ramassant nos os
Jamais ne sauront d'eux qu'ils furent
Vifs comme renards des collines;

Et qu'en automne, quand les grappes
Rendent d'odeur plus dur l'air dur
Ils formaient un être humant givre;

Moins encore devineront
Qu'avec nos os, nous déléguâmes
Bien plus, déléguâmes l'allure

De ce qui est encor l'allure
Des choses, que nous déléguâmes
Ce que nous ressentions devant

Ce que nous voyions. Les nuages
Au-dessus du manoir muré
Filent et s'en vont bien plus loin

Que notre portail et le ciel
Hurle d'un désespoir lettré.
Nous avons si longtemps connu

L'allure du manoir au point
Que ce que nous en avons dit
Est devenu un élément

De cela qu'il est... Les enfants,
Tressant toujours des auréoles
À bourgeons, parleront nos mots

Sans savoir, diront du manoir
Qu'il semble que son occupant
A laissé, quand s'en fut allé,

Esprit tempêtant sur murs nus,
Demeure crasseuse en un monde
Éviscéré, guenille d'ombres

Étiolée jusqu'à la blancheur
Et que vint éclabousser l'or
De l'opulence du soleil.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 Refrain d'automne

 

Tus les hululements hués du crépuscule
Et les quiscales tus et les chagrins solaires,
Tus aussi les chagrins du soleil… lune et lune,
La lune jaune des mots quant au rossignol
En mesures dépourvues de toute mesure,
Lequel n'est pas oiseau pour moi, mais est le nom
D'un oiseau, le nom d'un air dépourvu de nom
Que jamais je n'ai — que je n'entendrai jamais.
Or dans l'en dessous de tout cela qui s'est tu,
Et qui demeure coi, qui se terre et se tait,
Quelque chose réside encore, un résidu
Des hululements hués qui s'en vient râper
Ces mêmes évanescences du rossignol
Quand bien même je n'ai jamais — ne vais jamais
Entendre cet oiseau. Ce qui se tait demeure,
Tout de ce qui est tu, dans la tonalité,
Tout se tait dans le ton de ce son désolé.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Un lever de soleil en écaille de poisson

 

Squelettes mélodieux, malgré toute la musique d'hier
Aujourd'hui est aujourd'hui: danser n'a plus cours.

Sur les instruments de paille dont vous jouiez, la rosée gît;
Les ornières sont rouges dans votre rue vide.

Toi, Jim, toi, Margaret, et toi le chanteur de La Paloma,
Voici le chant des coqs et c'est un chant sonore,

Et bien que mon esprit perçoive la force en deçà du moment,
L'esprit est de plus petite taille que l'œil.

Vert et bleu, le soleil se lève dans les champs et dans les cieux.
Les nuages annoncent une pluie bourbeuse.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 Château galant

 

Est-ce mal que d'être arrivé ici
Pour y découvrir le lit déserté?

On eût pu trouver des cheveux tragiques,
Des yeux amers, des mains hostiles, froides.

Il eût pu choir sur un livre un éclat
Illuminant un ou deux vers féroces.

Il eût pu y avoir l'esseulement
Immense du vent parmi les rideaux

De féroces vers? Quelques mots polis
Que l'on polit et polit et polit.

C'est bel et bon. Le lit est déserté.
Les rideaux sont roides, nets, immobiles.

 

 

 

 Soirée délicieuse

 

Un soir tout de félicité,
Herr Doktor, et c'est assez, même
Si le front s'afflige en ta paume

Du vernaculaire du jour
(Omettant les ris des nuages):
Gazons des jardins empourprés;

Épicéas aux mains tendues;
Crépuscule dans la pléthore
De métaphores vermiformes.

 

 
  Suite
 
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