Owl's Clover |
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Cette traduction est un – et en – hommage à Ronan Barrot. Gilles Mourier |
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La vieille & la statue
[NdT: les mots encadrés d'astérisques sont en français dans le texte.] |
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Un autre soir dans un autre parc, s'élevait Un groupe de chevaux de marbre sur des ailes Au coeur d'un cercle d'arbres, courant de leurs feuilles Avec les chevaux en des ouragans brillants. II Le sculpteur avait tant et tant prévu: l'automne, Le ciel au-dessus de la place s'évasant Devant les chevaux, nuées de bronze imposées Aux nuées d'or, et vert engloutissant le bronze, Le marbre bondissant dans la lumière en trombes. Il s'était montré tant et tant ingénieux: Pattes blanches avant tendues jusqu'à la pointe Des muscles pour la vivacité du salto, Les têtes portées haut et unies en anneau Au centre de la masse, les hanches baissées, Torses, titubant sous l'essor heurtant la terre Comme au duvet des ailes s'enlevaient les corps, Massif de sculptures inscrites dans un cercle, Tel que des éventails émoussés, arrangé Pour que la fantaisie formât une lisière De lumière frisant au pourtour des statues. Plus que sa main boueuse était dans les crinières, Dans les ailes, plus que son esprit. Y viraient Les feuilles pourries en immenses sons d'automne. III Mais elle, il ne l'avait pas prévue: l'esprit aigre À la cape battante. Elle allait les chemins Du parc d'un front crayeux griffé sur la noirceur Et d'un noir de pensée qui ne pouvait comprendre Ou, s'il comprenait, qui se réprimait soi-même Sans nulle pitié dans un rêve somnolent. Les nuées d'or passées au bronze, les descentes Des sons, ne touchaient pas son regard et laissaient Son ouïe impassible. Elle était celle-là Suppliciée, si miséreuse qu'il ne restait Qu'elle-même et rien qu'elle-même à l'exception D'une peur trop nue pour la forme de son ombre. À chercher le limpide tout l'après-midi Sans en savoir, et puis d'entendre dans le vent Le heurt de la solitude assurée de soi, Quel son eût pu chasser au loin d'un réconfort Ce sens soudain? Quel chemin, conduire à l'écart De ce qu'elle était et de ce qu'elle allait être? Se trouverait-il que ce pût être ceci, Cette atmosphère en quoi les chevaux s'enlevaient, Cette atmosphère en quoi son esprit renfermé Gisait noir plein de noir difforme? Ailes, lumière Gisaient pour elle plus profonds que sa vision. IV Concassée en carcasse de marbre, la masse De roches s'érigeait de manière rigide, Comme si le noir de cela qu'elle pensait En conflit avec les couleurs mouvantes là Les changeait, enfin, en sa teinte triomphale, Triomphale tel le son dénué de sens Que ce vent toujours ascensionnel dispersait Parmi les arbres. L'espace au-dessus des arbres Pouvait bien qu'il demeurât encore brillant, Néanmoins la lumière tombait faussement Aux crânes, crinières de nouures de marbre, Du marbre au travers de l'air, tombait la lumière Faussement sur les squelettes inégalables, Changement si senti, peur en elle si sue, Dès lors sus, dès lors sentis pour être ceci. Se submergeant de platitude disparurent Lentement les nuées de bronze. Que le ciel Qui succéda, plus petit que la nuit, quand même Suppléât aux plissements lumineux des feuilles, Blanchies, de nouveau, dans l'obscur formes informes, Ce fut comme si la *transparence * eût touché Son esprit. La statue s'érigeait dans les astres En sphères d'eau, baignée de leur vert, leur flux bleu. Une humeur qui s'était faite presque idée fixe Au point de devenir tournure de l'esprit, Un esprit dans une nuit qui fût toute chose Que l'esprit pût en faire, une nuit qui était Cet esprit à ce point magnifié qu'il perdit La forme commune de la nuit et devint La forme souveraine d'un monde de formes. Une femme marchant dans l'automne en ses feuilles, Pensant au ciel, à la terre et à elle-même Et considérant l'endroit où elle marchait, Comme un lieu où toute chose était immobile Hors celle qu'elle sentait mais ne savait pas. V Sans elle, le soir ainsi qu'un if bourgeonnant Serait bientôt brillant, tel qu'il le fut, avant Que le destin toujours maladif et la rosse De l'être d'homme s'en fussent venus gémir Leurs syllabes désolées, avant que leur voix Et la voix du vent torturé fussent tout une, Chaque voix au creux de l'autre, semblant tout une, Gémissant contre un besoin qui, pareil au froid, Appliquait au plus profond sa pression mortelle. Il deviendrait if crû en taille et gravité Au-delà d'arbres imaginés, ramifié De par les cieux alourdis de son lustre et l'ombre De son ploiement en eux, au fourmillement d'astres D'éclat lunaire, sorciers aux baudriers sombres Éblouissant par les plus simples des rayons Et véridiquement dans l'immobilité, L'espace immobile à ses pieds, royaume étale, Inaffecté par cette souffrance, qu'assigne Au moment le destin. Les chevaux à nouveau S'y enlèveraient, mais presque sans qu'on les vît, Et à nouveau l'éclair des pattes raierait l'air, Et la musculature des corps se ruerait À sabots poudroyant sur la terre têtue, Jusqu'à ce que se hissent les ailes légères Pour fendre l'espace de cristal de la nuit. Combien clairement cela serait défini! |
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M. Burnshaw et la statue |
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I Ça, c'est mort… Tout est mort, sauf le futur. Toujours Tout ce qui est est mort, sauf ce qui devrait être. Tout se détruit soi-même ou bien se voit détruit. Ces choses-ci ne sont pas même animaux russes. Elles sont des chevaux tels qu'ils avaient été Dans l'esprit d'un sculpteur. Elles seraient autant Sucre ou abaisse ou zeste de citron que fit Un cuisinier qui jamais n'aura chevauché Sur le dos de son ange dans le firmament. Elles seraient autant la gadoue qu'y laissèrent Des cureurs clairdelunés lorsqu'ils s'égaillèrent Au jour débondé, images crépusculaires Faites pour rappeler la vie jamais qu'ils n'eurent Au chien-et-loup des déserts, louverie de nuit, Pour affecter le rêve que jamais ils n'eurent, Comme un mot dans la tête coince à artichaut Et reste inarticulé, chevaux à la crème. La statue semble être due à Schwarz, quelque chose Du moite confiné de l'imagination, Nettement en-dessous de nos contours gangués Du fait dans son ardeur et son immensité, Laide comme une idée, non de cette beauté Comme en ont des continuations sans pensée. Ces chevaux, dans le plus rude rouge d'automne, Devraient porter au fil des horizons étiques Leur pétarade, en étant plus avec noblesse Que ce crobard de la fatuité du sculpteur Bien après les vers et les curieux échoppages De leurs naseaux. II Venez, amours toutes célestes, Que vous hantiez soit de hautaines nues, frigides Et musicales avec un phrasé perlé, Soit de saintes cavernes aux accents de temple, Tresser vos bras et d'un pied d'avant puis d'arrière, Sitôt en ballet infantile aux pas balourds, Entonnez des requiems de susurration Pour cette effigie. Faites choir de nulle part Les floraisons du rien pareilles à la cire, Les appelant dans une berceuse mortelle Ce qu'il vous chante mais d'un mol dénommement Tel porcelaine. Puis, tandis que la musique Vous fait, faites-vous de longs lustres automnaux Et des sons tintillant comme sons sur des feuilles Tintinnulantes et soudain par des éclats, Astraux et shelleyens, diffusez un jour neuf; Et épandez au marbre en anneau des chevaux L'arc-en-ciel fait, en rutilantes serpentines, Par le soleil montant de soixante-dix mers. Convenons-en: la pomme dans le verger, ronde Et rouge, ne sera pas plus rouge ni ronde Alors que maintenant. Non: ni le laboureur Ne sera plus libre de dormir dans son lit À poings mieux fermés, car le soc et la rosée Et le laboureur encor vaudront mieux ensemble. Mais ce plâtre pataud n'y sera pas. III Les pierres Qui s'y substitueront porteront au burin: «La Masse Institue Ces Marbres d'Elle Pour Être Elle-même.» Rien de plus, aucun subterfuge, Aucun ratage mémoriel, brutes et nues. IV *Mesdames*, on pourrait croire que gît Shelley Moins dans les astres qu'en leur sillage terreux, Puisque les radieuses divulgations Que vous faites sont d'une vista éternelle, *Manquée* et dorée et brune, Italie de tête, Lieu de peur devant le désordre de l'étrange, Âge en lequel la politique d'un poète Régira un monde de poètes. Ce monde Sera pourtant impossible pour les poètes, Qui se lamentent et, dans leurs lamentations, Prophétisent et ne sont jamais de ce monde Où ils vivent. Divulguez les rudes rougeauds Occupés à leur boulots et si vous pleurez Les paons partis ou dansez la mort des colombes, Le plus saliciment, qui sait? Le laboureur Peut-être alors ne vivra pas en solitaire Avec son soc, le paon délaissera sa morgue, L'adagio des colombes peut-être perdra De sa profondeur et changera. Si les paons, Les laboureurs et les colombes mêmement En immense désordre vivent dans des ruines, Libres, les chartes détruites, jusqu'au désordre, Ainsi vu, qui peut-être puisse avoir un ordre Qu'il ait en propre, une paix qu'on ne peut pour l'heure Percevoir, et pourtant bien du propre de l'ordre. V Une voix, non celle de M. Burnshaw, dit Solennelle: en quelque urne esseulée, gigantesque, Bordille au bout du monde, les morts abandonnent Des choses mortes et les vivants s'en détournent. Des busards y bâtissent leurs tas de branchettes Dans des ossements de busards et se repaissent De bedaines de richards, gras de mille beurres, Et les corbeaux dégustent de la vie du gueux Le miel sauvage, le sang de son cerveau aigre; Et le soleil sur l'entrecroisé de colonnes Y brille sans feu, blanc barbouillé sur de blancs Et majestueux chefs de marbre décollés Que leur culbute a changés en herbe sans graines, Immobile, ignorant le gel et la rosée. Là gît le chef du sculpteur en quoi la pensée Des lézards est, dans cet oeil, un peu plus précise Que la pensée native jadis de ce crâne; Là, les têtes des chevaux à crinière blanche, Par delà l'aide d'aucun vent ni d'aucun ciel: Éléments de l'énorme détritus du monde Qui est complètement gâchis, qui évolue De gâchis en gâchis, du gâchis sans espoir Du passé en gâchis plein d'espoir à venir. Là, jusqu'à la lumière sans couleur en quoi Gît ce tas de décombres, qui ait d'omineuses, De sourdes coruscations, nuances et formes De rose, ou de ce qui va encore une fois S'ériger à rose, quand de plus jeunes corps, Parce qu'ils sont plus jeunes, viendront s'ériger Et chanter les points-de-rose de leur naissance, Et quand pour un temps bref, derechef, des oiseaux À jabot rose pépieront la foi-en-rose. Deux éclats au-dessus de cette urne se mêlent, Non tels qu'à l'aube lune et soleil s'entremêlent, Ni l'éclat de l'été à l'éclat de l'hiver Dans une après-midi d'automne: deux énormes Réflexions, voltigeant immensément à part. VI Ce n'est pas assez que d'être réconciliées *Mesdames*, face à l'étrange, ayant sangloté Et pensé et dit adieu. Ce n'est pas assez Que la vista garde laboureurs, paons, colombes, Quand même ternis, compagnons pris au passé, Et que dans la poussière avec eux, pesamment, Vous évoluiez. Ce n'est pas assez que d'être Indifférentes, parce qu'évolue le temps Sur colonnes entrecroisées, et que le temple N'est jamais tout à fait en entier composé, Perpétuel et turquin et dans le silence, Visible sur la mer. C'est seulement assez Que de vivre sans cesse dans le changement. Voyez comment dans un jour plein d'été encor, Où les feuilles semblent dormir dans l'air qui dort, Elles tombent soudain et la rumeur d'été N'est la rumeur déjà que du vent défeuillé. Ce si vaste changement est constant. Le temps Que vous dites serein, il est le descendant D'un chaos évoluant sans de fin. *Mesdames*, Les feuilles ne tombent pas toujours, les oiseaux Du chaos ne sont pas toujours perdus ni tristes Dans des distances de mélancolie. Vous tîntes Chaque chacune au chant évoluant, dansâtes Auprès de la statue, tandis que vous chantiez. Vos yeux furent solennels, vos robes soufflées Et le chagrin gisait sous chaque accent du temple. Vous chantiez une berceuse tragique, comme Porcelaine. Mais le changement, aussi bien, Compose, et le chaos de façon temporaire Connaît le calme, flocules spectaculaires De cramoisi et camails vert vénézuélien Et le son tout le jour du z dans le gazon, Quand bien même ces éléments sont le chaos Et de l'archaïque changement. Irez-vous Craindre, alors, une communauté draconienne Issue du tournoiement, au prix lent des épreuves; Ou les hommes, assemblés en vol puissant d'hommes, Migration abyssale vers un bleu possible? VII Lors, dansez et donnez de la voix à voix dures, Mais donnez-en en damoiselles tartouillées Et laissez vos pieds qu'ils soient nus pour toucher l'herbe Et, comme vous formez cercle, tournez le dos À la vividité de la statue. Ensuite, Tressant anneau en anneau radieux et vite, Déjetez-vous au loin et joignez à distance Vos mains en l'air et donnez de la voix encore, Mais pour en donner, cette fois, en damoiselles Captives du ciel, ravies par ce bleu possible. Formez-vous les vierges de la plus évasive Des nuances d'un bleu qui ne soit pas suprême De la teinte la moins appréciable du vert Et de tons répugnants du rouge, juste vus, Et vaguement à voir, un rouge *matinal*, Un aiguail tirant à blanc à l'écart du feu, Comme si vos atours eussent été tissés De cet éclat, sans être pourtant éclatants, Dont le chatoiement vînt comme viennent les choses Entrant au jour par la nuit, vînt noir-de-miroir, Et chaque pli drapât ample sur ample scène. Qu'ondulent vos mains d'or véloces et soient gaies Et des bandeaux cramoisis de matins qui chantent Soient vos nattes parées. Concevez que s'écroule La statue tandis que vous dansez, que les têtes Sont décollées, qui boulent, culbutent, basculent Dans la glèbe pour y reposer. Concevez Que les hommes de marbre sereinement soi, Transfigurés par les sujets dont ils procèdent, Fassent des attitudes qu'on leur préposa Une réalité et que le fronton porte Des mots qui sont d'hommes de marbre le discours. Du vitré de vos cris, sur les voix porcelaines, Au gong alto de la longue récitation, Dites par eux et redites: Être Elle-Même, Tant que le verre aux coloris tranchants se mue En discours même de l'esprit, que les emprunts Pris à la cloche porcelaine se transforment, Dans la manière dont vous donnez de la voix, En clartés implicites, et vos impressions Soient changées en sonorité, sans changement, Tant que tournent les tergiversations aqueuses En ce vrai, crispé, ce larmoyant méridien Qui est vous-mêmes, quand, enfin, vous êtes vous, Parlant et paradant à grands traits, filles-fleurs, Issues non plus de l'air mais du souffle du sol, Ardentes séductrices et séduites, pal Fiché dans des corps qui enflent, ascensionnel, Poussée d'une tempête éparpillée en formes De luisance, et flammes que vient le vent cingler En feu le plus étincelant et le plus vif. |
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Le continent très vert |
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I Mafflu-feuillu obombreur sur maints pieds, quel dieu Régit l'Afrique, quelle forme, homme-nuage Avunculaire aux rais plus drus que des sagaies? II Le ciel d'Europe est vide, à la façon d'un Schloss Abandonné pour des questions d'impôts… Il sut Suffire: il compensait tout, qui se composait Tout du soi d'êtres faits robes roides parmi L'éclat de cierges blancs, de mouvements dans l'air, Robes en mouvement dans les torrents de l'air, Et au travers des torrents saillie escarpée D'une tour, d'un mur brisé — ensuite il cessa D'exister, et devint Schloss, Schlossbibliothek Vidée, ses livres en vente à Vienne et Zurich Pour des gens de l'Ontario, de Canton, du Maine. Ce fut la façon de saillir qu'eurent les choses, Cette façon escarpée des entassements, Des sales biens immeubles, de transverbérer Les nuées, en colossaux noirs qui enjambaient D'un bond les points de la roseur à la Boucher, Des moirures du gris à façon de Venise. Ça le défit. Tout y participa en fin. Les relieurs, avec des livres armoriés. Et les cuistots, les cuistots, serveurs et serveuses, Les églises et leurs grands-processions, Séville À Pâques sur un écran de Londres, les graines De chez Vilmorin, Verhaeren en son caveau, La flûte dans le gramophone, les Daimlers Dont les bois s'abolirent, la guerre et de guerre La pantalonnade fatale, les beffrois Rouillant, toutes ces choses étaient en saillie, Qui rayèrent la nacre, le cresson lunaire. Tout y participa. III Il fut jadis un ciel, Mais non cette espèce-là de Salzbourg des cieux. Il fut l'épiscopat de l'esprit, haut et oint, Vers quoi l'esprit s'élevait, afin de s'accroître Plus avant que l'accroissement le plus extrême Issu du jour très jeune ou la nuit très âgée Et de bien au-delà de la pensée réglée. Chaque homme, aux promenoirs d'un cloître de nuage, Y marchait solitaire, noble dans le sein D'un esseulement parfaisant la solitude, Comme un esseulement de soleil, dans lequel L'intellection acquérait une transparence Et se contemplait soi et contemplait la source De laquelle la transparence était issue; Et il y entendait les voix qui jadis furent Les confusions de voix humaines, intriquées Rendues extriquées par les significations, Significations rendues en une musique Que jamais le son ne toucha qu'elle en sonnât. Il y voyait, également, puisqu'il doit voir, Les dômes d'azur autour d'un dôme exalté, Le plus brillant car haussé sur eux tous, grené Des vacillements des astres, la joie du jour Et son feu immaculé, le dôme médian, Le temple de l'autel où contemplait chaque homme La vérité et la savait pour être vraie. IV Telle espèce de ciel jamais n'en eut l'Afrique, Qui n'eut aucun ciel, eut la mort sans ciel, la mort Dans un éden de mort. Sous les étoilements Des verdures, sous les pesantes frondaisons, Il se put que la peur fût un apaisement Et que devînt un dieu le reptile, à l'oeil prompt, S'érigeant sur l'indolence de ses replis. Si la statue s'érigeait, que jamais un jour La statue en vînt à s'ériger, qu'elle tînt, Maigrement, parmi les palmes éléphantines, Benoîtement s'y festonnerait le reptile. Les chevaux sont une part d'un ciel dans le nord Livide trop nûment pour l'éclat du jaguar, En quoi lui, le lion et le reptile se cèlent Même à dormir, immergés dans l'herbeux dormir, Herbe touffue chancelant du poids de l'éclat. Dormir et éveil s'y emplissent d'hommes-lion, D'hommes-jaguar et dardements du clan reptile En nations fleuries, fracassantes et alertes. Aucun dieu ne régit l'Afrique, pas un trône, Unique, d'ivoire carré, gradué d'or, Placé sur le central de ce que nous voyons, Qui purge le varech ou astique la jungle, Tout aussi brillant que mystique, aussi mystique Qu'unique, tout en un, à l'exception d'un trône Hissé bien au-delà des ossements des hommes, Au-delà de leurs souffles, le sublime noir, En direction de quoi gravit, au cours des nuits, L'étincellement, sinueux sous sa peau sombre, Des reptiles, en des torsions ascensionnelles, Tortes et ondulantes, lentes, dans les airs, Dardant partout des yeux envenimés, en crocs, Sifflant, au travers du silence, à sons puissants. Seule siège la mort au trône des reptiles: La mort, bouvière des éléphants, vers laquelle Feulent les jaguars et rugissent les lions Leurs thrènes mesquins d'hommes des forêts tombés, Chasseurs à jamais ou chassés, et s'en courant Incessamment traqueurs ou sans cesse traqués, Tant que chaque arbre, chaque liane aux fleurs de mal, Chaque fougère inquiète gouttelle en rosée Une crainte et, sous le soleil le plus ancien À s'y prélasser, que l'Afrique ne contienne Pour ses enfants pas un demiard de douceur. V Jaillis une fois de plus de leurs tabernacles Les anges débarquent, armés, glorieusement Pour massacrer le noir et pour réduire en ruines Son trône sépulcral. *Hé quoi!* Anges d'aller En piqueurs d'éléphants? Par ailes grand-ouvertes Tombant en tourbillons sur les hommes-jaguar? Anges à petits petons aux cônes neigeux D'épique palme apercevant des mitrailleuses? Séraphins d'Europe, eux? Se déversant de l'aube, Frais émoulus des sacrées lumières, prêcheurs De la raison dans sa substantifique moelle, Cuirassiers contre les archers les plus pagnotes. Voici qui forge une composition nouvelle, Aux anges mantillés sur des rabats d'oreilles, Combattant des broussards pour un lopin de gourdes, Dételant l'esclave noir en fantassin noir, Aux anges s'en revenant de guerre chargés De ceinturons et de verroteries en or Et de trompettes embouchées, rouant le monde De bouffées de buccins. Ce ne peut, ceci, être Que mascarade ou sinon rare tractatus, De choses militaires, illustré de planches, Préservé par miracle, casuiste ès casus, D'une imagination allumée d'ironie Et d'une main de certitude pour graver Les coquelets célestes, les archers, les gourdes, Les trompettes oraculaires à la ronde Rondement cerclés, comme chez le Léonard, Pour magnifier la ganacherie concentrique. S'en retournent, alors, près de leurs tabernacles, Plus éloignés qu'Athos, les hordes effulgentes, Affectant des roseurs d'auréoles, afin De contempler du temps le paladin doré Et l'intention, d'entendre l'abeille sauvage Dans son vrombissement, afin de ressentir L'extase des sens dans le sensuel de l'air. VI Mais la statue aurait-elle lieu en Afrique? Le marbre fut imaginé dans la froidure. Ses contours furent pris au vent tumultueux Qui élimait les plus menus contours d'ouïr, Qui faisait de l'oeil un intellect insatiable. Ses surfaces provenaient d'un distant brasier; Elle avait été destinée à avoir lieu, Non dans un culbutis, intensifié, grandiose, De verdure, mais au milieu des lieux communs Dont elle faisait part et, là, par le moyen De dextres atténuations, à se tenir En claire cime visible, bandeau visible Pour les hommes, les toits, les rues, l'immonde tout. Elle y était du mode des rêves communs, Anneau de chevaux s'érigeant du souvenir Ou s'érigeant en accoutrements du désir, Images naturelles de l'âme, coursiers, Esquisses de débuts gais et de vives fins, Porteurs majestueux ou solennels haleurs Confinés dans d'interminables élégies. Mais c'est à foulées de léopards qu'en Afrique Le souvenir se meut; le désir y accoutre Ses messagers fleuris d'ailes sauvagement Courbettées, scarifiées de couleurs, si becquées, De langues vertes et de gorges si fourrées D'épines, si griffées, si saucées de soleil, Que dans le concert de ces choses le message Ne porte qu'à demi. Le marbre pourrait-il Être marbre encore après les rouges en trombes, Les sombres trombes cramoisies, ou perdurer? Il procédait, sinon du coeur de l'hiver même, D'un été tout semblable au midi d'un hiver, En quoi le jaillissement de couleurs montait De la neige, et qui s'en reviendrait à la neige, Comme en revient l'été à des jours décatis. VII Les diplomates des troquets vont dissertant: *Fromage* et café et *cognac* et aucun dieu. Ce fut une erreur que de peindre les dieux. L'or Des constellations sur l'aréneux de l'air Est ardu. Dans les studios, il tourne en rebut. La magnificence exprimée d'orfroi, en somme, Est une draperie de damas pampelune, Teinte avec teinte s'avivant en une seule, Auguste oeuvre de tisseur, suée d'un été. Ce fut une erreur que d'avoir pensé à eux. Ils n'ont pas leur place au regard des colons, n'ont Nulle place en Afrique. Lorsque l'incrédule Vient y poser sa main le trône du reptile Passe en poussière. Les cloîtres dans les nuages Sont balayés de l'oeil lorsque le vent braillard S'enfle et gonfle, tête rentrée dans les épaules, Pour balayer braillard jusqu'au nu une terre Qui n'a pas de dieux, et qu'il balaie jusqu'au nu Les dieux en figures de marbre chues, laissées Dans les rues. Les troquets et le paquet de cartes, On en aura toujours, et le propriétaire Obèse, avec son fils qui vit en Capricorne. La statue est dotée d'une forme toujours Qui sera et qui se retrouvera partout. Pourquoi viendrait-elle à échouer d'avoir lieu? Pour contenter ses usines, Victoria Platz Doit avoir un passé caverneux et cruel, Benitia-sous-tropique doit, dans son lapis De *Ville des Pins* soulager le paupérisme Du rebut par rosées vibrant d'avril ici Et de mai à venir. Tant qu'il y a champagne Dans la touffeur de la nuit et un long cigare Et la causerie du temps qu'il fait et de femmes Et de l'ordre des choses, pourquoi s'embêter De la face cachée des astres? La statue Relève du caverneux du passé, relève D'avril ici et mai venant. Pourquoi penser? Pourquoi sentir le soleil ou, à le sentir, Sentir plus que la pourpre du fruit en sa pâte, D'en goûter, ou feuilles de fleurs pourprées, d'en voir? Le noir en sera toujours libre de chanter, Ne serait-ce même qu'une chanson dolente. VIII C'est Anankè la fatale le dieu commun. Il mire, où elle est, la statue, et le soleil Et le miasme-soleil aux amas émaciés Au-dessus de la bousculade des fougères, Où que cela puisse être, en ce qu'il a des yeux De la forme d'yeux, en intailles émoussées Et rien de plus. Il voit mais non par le regard. Il n'entend pas par le son. Son esprit connaît Chaque regard et chaque cri nécessiteux, Ainsi qu'en connaît un dieu, dans la connaissance Qu'il n'en a cure, et connaît, par la connaissance Et l'intention qu'il ne peut pas en avoir cure. Dans le penser du nègre il voit l'ange et entend La prière du nègre en motets, éructée De tuyaux d'orgue pullulant aux lanternons. La voix dans la jungle est voix dans Fontainebleau. Le cantique final des veilles paroissiales De sa longue clausule gémit à l'entour Des arbres à coucous et pleure à Ségovie La veuve madrilène. Le mendiant de Rome Est le mendiant de Bogotá. Dans le kraal Se cantille une mort qui est mort médiévale… C'est Anankè la fatale le dieu final. Son hymne, son péan, son psaume sur cithare Est l'exil des déshérités, des étrangers À la vie, des pâles déracinés des boues, Ceux-là dont la Jérusalem est Glasgow-glace Ou Paris-pluie. Il pense aux nobles existences Des dieux et, pour lui, un millier de litanies Est tel que les vers perpétuels dans la tête D'un poète. Il est ce potentat entêté Qui décrète à l'endroit des races, non des hommes, Puissance dépassant la grâce envers nature, Un élément incessamment sans changement. Son lieu est vaste et éminent, un flamboiement D'éther sous l'effet de sa présence, le trône Où siège l'ubiquité de la sa volonté. C'est lui, seul, la cause que la statue fut faite, Lui qui fixera le lieu où elle aura lieu. Gloire soit à ce pontifex impitoyable, Seigneur sans aucune déviation, seigneur Et origine et fin splendide de la loi, Sultan des sultans africains, tiare sans astre. |
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Un canard pour dîner |
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I Le Bulgare énonça: «Après de l'ananas Garni de menthe fraîche, nous sommes allés Nous promener dans le parc; car les travailleurs Ne s'élèvent pas, après tout, de mers violettes, Comme le fit Vénus. Ils s'élèvent un peu Aux dimanches d'été dans le parc, un canard Pour chaque million, canard aux pommes sans vin. Ils se lèvent aux ormes métropolitains Maculés de boue, pour les châteaux-camélias Et un rien d'un peu plus, oubliant le travail, Sans souci des anges, en quête d'un transport, Du triomphe, pour eux, des arcs d'azur céleste, Pour le canard, d'aisance, d'espace et de temps. Caricatureras-tu comment ils s'élèvent, Ils ne s'en élèvent pas moins. Au vrai, d'un rien, Mais d'un rien chaque fois, un pas après un pas, D'un dimanche à l'autre dimanche, hommes nombreux. Au moins, conçois ce que disent ces mains de Suède, Ces nez anglais, ces yeux effilés d'Italie, Massés pour une tête qu'ils entendent faire Pour eux-mêmes, de laquelle le grisonné De leur voix puisse parler et être entendu.» II Ô bas-de-cuir, ô passeur des ravins neigeux, Pour qui les hommes devaient d'être fins en soi, Faut-il qu'aux villes viennent des procréations Comme en procréaient les montagnes, que les rues Embobinent des bambins ainsi que la mer? Pour toi, comme lève la vie, le jour sur l'âme Se levait et des vents tonnants te submergeaient; Pour ceux-là, soleil d'un sou en ciel pacotille, Le jour se lève sans péan, l'âme est gauchie Qui voudrait d'être amenée à l'éveil, gauchie Qui voudrait de voir, encore une fois, ce monde De bris et d'outils, le coeur en pinacles gaupes, Les nuées, qui furent leurs pensées, laminées En formes, le soleil en fournaise fumant Aux chaufferies à blanc du ric-rac de moteurs. Ils désirent, dans ton Éden cadavéreux, Le même fruit ployant sur des feuillages jaunes, Le même retour au soir capiteux, l'amour Intact d'aucune horreur de perdre sans secours. Le plan d'ensemble érudit qui était le tien, Le livre londonien, le journal de Paris Rehaussé de poètes, les vies italiennes Préservées au regard de la pauvreté sont, Pour ceux-là, un tape-à-l'oeil de billevesées. Leur destinée est tout juste autant machinale Que la mort même, et n'est susceptible jamais De se voir changée par le livre ou le journal, Piètre opportunité de longtemps dépassée, Et seule peut qu'elle aide une agonie de rêves, Non l'agonie d'un unique rêveur, seul l'ample De la nuit où muse un marmonnement disert, L'approche de l'heure fortunée, l'insomnie Des dormeurs émus par la torture des choses Qui vont devenir réalité, vont, y vont, Mais de quelle façon, et de quelle façon Tous d'entre eux se le demandant en soupirant. Ô libre, ô hardi, ces vies ne sont pas les tiennes, Qui cavalais sitôt tes chevaux enfourchés. III Le Bulgare reprit: «Il y a plus de choses Qu'en Poméranie de loulous. Cet homme-ci Est tous les oiseaux qu'il a jamais entendus Et cet autre, amiral de sa race et quiconque, Infecté d'irréalité, ravi entier D'obtuse déraison, irréprochable force, Roule au pandémonium, chiquenaudé, hurlé D'harmonies dépassant toute harmonie connue. Ces bandes, ces remous, ces bancs, où est leur place? Ils ne quittent jamais les sentiers qu'a voulus L'architecte squelette du parc. Ils observent Toutes les lois de chaque et du moindre squelette. Mais que pensent-ils, à quoi, malgré le canard, Malgré les chaînes de montres aus Wien, malgré Souliers des Balkans, bonnets de la Moldau, barbes Provenant des steppes, ont-ils appartenance, À sentir la force, à voir fulgurer les ombres Amoncelées dans des hauteurs, à énoncer Les pandectes et les institutes hagards? Chaque homme pense-t-il ses pensées séparées Ou, pour une fois, tous les hommes pensent-ils À l'unisson comme un seul, pensant les pensées L'un de l'autre, pensant une unique pensée, Qui se révèle en tout, transcendée, apprêtée Pour la syllabe, apprêtée pour l'attouchement? Mais cette apocalypse-là n'a pas été Ourdie pour des parcs, des budgets de géraniums, Les cascatelles de la masse salariale, Le cliquetis du manège et, en dessous des arbres, La retombée d'un doux d'agnelet des distances, Convergeant vers la statue, éminente et blanche.» IV Puis dans le kiosque à musique Basileswky Joua «Concerto pour Avion et Pianoforte», La toute dernière *réclame* soviétique. Avortement profond, bien propre à enchanter Les basilics. Ils s'avancèrent à penser. Supposons que le futur vienne à échouer. Si platitude et inspiration sont semblables En tant que maux, et si la raison, feu jobard, N'est qu'un autre égoïste s'affublant d'un masque, Quel homme de traditions saura rebâtir Le monde, quel homme moindre saura toiser Le soleil et la lune, quel sur-animal Édicter nos destins? Tel l'homme tel l'état, Non tel l'état tel l'homme, doctrine pérenne Et vérité des plus florissantes; mais homme Signifie plus, signifie million et canard. Il ne peut signifier immensément marine Une contrée jonchée de cellules sordides, À moins que New York ne soit Cocos, Chicago Kraal cafre. Il signifie cette populace. L'homme dans le kiosque à musique pourrait être Orateur. Il se pourrait que d'un orateur Dépende le futur, d'un mâcheur de galets Passé maître dans l'art du discours tyrien, D'une apparition, du coup de plectre dont crissent Des instruments en nous inconnus jusque là, De celui qui déconcerte tout opposés Et fait girer une sphère, comme une bulle, Créée dans un scintillement d'irisations, Qui tend à s'enfler, tandis qu'elle flotte au loin. Celle de Basileswky, avant qu'elle pût Flotter, s'est enflée, s'est changée en caramel Et n'aura su ni pu flotter au loin. Pourtant, Dans un âge de populaces concentriques Est-il à quelque sphère donné d'échapper Toute déformation, celle-ci moins encore, Cette source et ce patriarche d'autres sphères, Ce fond de tout futur, la vibration fontale, Le volcan Apostrophe, la mer Contemplez? Supposons que, plutôt qu'échouer, ce futur Ne survienne jamais, bien que les éléphants Passent et que leur barrissement, prolongé, Répété, et prolongé une fois de plus, Tonitrue un peu en aparté puis s'estompe. Cependant penser au futur est un génie, Penser au futur est une chose et celui Qui y pense est inscrit sur les murs et se tient Accompli d'airain sur d'énormes piédestaux. V La statue est blanche et éminente, d'un blanc Plus lumineux que la couleur blanche, éminente Par delà toute hauteur s'érigeant dans l'air. Les vautrés du gazon voient bien plus que du marbre Dans leurs yeux, plus que les cavales frémissant De déguerpir, zébrures au galop glanées Par des sens burinés sur la pierre brillante. Ils voient le penser métropolitain, ils sentent Le central de la composition, en laquelle Ils vivent. Ils se voient et se sentent eux-mêmes, Voyant et sentant le monde en lequel ils vivent. Les crinières, les corps bondissants, sont issus De la main opiniâtre, de l'oeil acharné Du conformateur qui conforme les crinières À son image de l'envergure du vent, Les corps bondissants à sa force, convulsés De pignons surtendus hissées dans sa pensée. La statue n'est pas la pierre mais le sculpteur. Il s'y tailla lui-même, y tailla son époque, Y tailla les duveteuses badauderies, Tressaillant un peu aux remembrances grossières De jeunes identités, souches avrillées. Débordant le sexe, il attint une autre race, En surplomb de notre race, quand cependant Elle ressortit à nous-mêmes transformés, Don Juan devenu divinité furieuse, Combinateur éthéré, pater patriae, Grand ancêtre-gadoue, suinteur et Abraham, Progéniteur tiaré du plus diamant des tiares, De la barbe de qui le printemps gicle, élu. Plus abondamment de nous-mêmes dans un monde Qui est plus abondamment monde nôtre en propre, Pour le million, peut-être, deux plutôt qu'un seul canard; Plus abondamment de nous-mêmes, l'émotion De vivre affermie comme par une saison Plus corsée; et abondamment plus nôtre en propre Que l'un contre l'autre, le mort, le *phantomesque*. VI Si c'était là des gens théoriques, pareils Aux petites abeilles du printemps, humant Les bourgeons les plus froids d'un temps qui va venir — Une nuance d'horreur change les abeilles En scorpions noirement barbés, une nuance De peur métamorphose les scorpions en peaux Celées parmi les scintillations du gazon, Peaux reptiliennes humides de suées froides. La fiction civile, l'idée calicot, La composition Johnsonienne, l'homme abstrait, Sont tous des dérobades, ainsi qu'une phrase Répétée qui finit, dans sa répétition, Par assumer un sens dépourvu d'aucun sens. Ces gens-là ont un sens dans le sens qu'ils transmettent Suivant les sentiers, voyant le soleil doreur, Par lequel être balayés quand ils se trouvent, Un instant, révélés, tous les un ou deux siècles. Pour eux le futur est le plus profond des dômes, Toujours le plus ténébreux des bleus de ce dôme Et les ailes à l'entour du géant Phosphore De leur toute première oraison de prières. Tous les un ou deux siècles. Mais alors si vaste, Si épique ce renversement, catastrophe Pour Isaac Watts: la dérivation du rêve Du ciel venant du ciel s'aboucher au futur, En tant qu'un dieu, requiert et temps et bricolage, Mélodieux et pratiques. L'*envoi* au passé Est largement un autre tour de clef d'horloge. Le tempo, en bref, de ce glissement complexe, Avec interruptions par des vastités d'hymnes, Odes de sang, défilés de races entières Avec leur suite d'orphéons, et les abeilles, Les scorpions, les hommes qui pensent, les dimanches Dans le parc quand c'est l'été, doit être un tic-tac À pas de plomb circulaire dans la largeur. Comment saurons-nous affronter le bord du temps? Nous marchons dans le parc. Nous sommes au regret De n'avoir nul rossignol. Nous devons avoir La girouette de la grive au gramophone. Où saurons-nous trouver plus que des persiflages? Quand s'en viendront des choeurs fastueux spiraler Passant dans notre feu pour réduire à quia Ce vieil assassin-là, le coeur en son désir? |
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*Sombre* figuration |
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I Il est un homme que jamais les rhapsodies Du changement, dont il est cause, n'ont changé Et jamais ne changeront, sub-homme sous tout Le reste, vers qui le reste à la fin retourne, L'homme en dessous de l'homme à l'en-dessous de l'homme, Baigné dans l'opium de nuit, éludant le jour. II Nous sommes devenus las de l'homme qui pense. Il pense et ce n'est pas vrai. L'homme à l'en dessous Imagine et c'est vrai, comme si sa pensée Vînt d'imaginer, anti-logicien, fougueux D'une logique aux transformantes certitudes. Non qu'il soit né dans une autre contrée, poudré De clartés primitives, et vive chez nous Juste entr'aperçu, au rebord ou sur la cime, Jouant l'arpège crépité d'un chalumeau, À l'anche de vent, à coups de chevrotements. Il naquit en nous ainsi qu'un second nous-mêmes, Que l'être de parents qui ne sont jamais morts, Dont reviennent les vies, simplement, sur nos lèvres, Leurs mots et les nôtres; dans ce que nous voyons, Leurs teintes hors saison, sans carcan de livrée, Et les nôtres, dans la rigueur de la mesure, Peinturlure d'avare; et davantage encore Dans ce que nous entendons, son chassé au loin, Marmonnement près du coude, airs amphigouriques, Comme d'oiseaux blessés aux nuées ou d'insectes, Plus loin toujours, dialogues entre incognitos. Il a lieu en-dessous, l'homme de l'en-dessous, En moins que corps et moins qu'esprit, ogre, occupant, En moins que formes, des formes qui se dissemblent Dans le souvenir vague et conservent pourtant Des ressemblances, demeurent des remembrances, Lieu d'un champ de lumières, ainsi qu'une église Est une cloche et les gens sont un oeil, un cri, La lividité d'une robe, un frôlement. Il nous change en érudits, plongés dans l'étude Des masques de la musique. De chaque masque, Nous discernons qu'il est celui du musicien Et, par là, devenons leur public aux mimiques Dans leurs rutilements de significations, Redoublés par le son le plus proche, mimiques Qui jouent d'instruments perçus dans le battement Du sang. Vert est le sentier que nous empruntons Entre les chimères et festonnée la voie, La descente vers la vacuité de novembre. Les spontanéités de la pluie ou la neige Interloquent le rationaliste stérile Qui voit filles en fleur, éléphants dans la mer, Alouette sur urnes et feuilles de chêne Tordus pour que ça rime. L'homme, non pas l'homme À l'en-dessous, pour qui le faisan dans un champ Fut faisan, champ, jusqu'à ce qu'ils se transformassent En aigle dans l'air blanc, a sa vie dans un fluide, Non sur un roc solide. Le solide était Un âge, une époque munie d'un mobilier Approprié, essentiellement anglais, De barbiers munis de chartes répertoriant Les uniques modes possibles, de cités Qui ne se laissaient pas dissoudre dans la brume, Chaque homme dans son propre asile divaguant, Policé par l'espoir de Noël. Nuit d'été, Or des nuits, et nuit d'hiver, argent des nuits, telles Furent le fluide, atmosphère oeil-de-chat, en quoi L'homme et l'homme à l'en-dessous se réconcilièrent, Le vent du levant au ponant, l'ordre détruit, La roue du cycle du solide ayant tourné. III Haut dans le ciel un présage tentaculaire S'ébranle, comme s'il emporte dans son bloc Toutes ténèbres. Mais nous n'en pouvons rien voir. L'hirsute sommet s'appesantit constamment Dans une méditation crispée, sur la ville, Sur laquelle il s'appuie, sur les gens qui y sont, Sur son ombre chez eux, sur leurs murs, sur leurs lits, Leurs visages tirés dans le sommeil distant. Ceci est invisible. Les bras en soutien S'arquent des horizons, d'un bord à l'autre bord, Tandis que l'hirsute se bande à faire Et se tournent les dos, soufflant d'un voeu immense. Tout en est celé au regard. Il est la forme D'un génération qui ne se connaît pas, Qui s'interroge encore s'il faut écraser L'élancement des fûts, les églises, semblables À des dalmatiques abîmées en prières, Et les gens soudain mauvais, tirés du sommeil, Accusés, détruits d'un geste vengeur des bras, Masse chue sous l'emprise du plus noir des ciels, Chacun une part du courroux total, obscur Dans la tuerie; ou s'il faut son esprit furieux Qu'il contre les dormeurs à recréer pour eux, De leurs déserts, un fanum spécial, au dessein Le plus intime, les bras souples de prestesse, Le corps courbé, comme Hercule, afin de bâtir. Que le fanum fût clair, que la ville luisît Dans l'intellect, que davantage piloriât La nuit que la ruine espérée, que certains fussent Davantage que compassion et désespoir, Que les extravagances clinquantes des maigres Parvinssent quelque jour à les faire engraisser, Toutes ces instances sont des atermoiements Pour un ruminement pondéreux, sans une aide. Et, à y ruminer, d'antiques hyacinthes Et des fomentations parfumées du printemps Ont lieu, déconcertant le mécontentement. Il faut, aussi, que celles-ci soient ruminées. Quelle compte le plus, la colère engendrée Sur les ailes de la colère; ou bien la peur Que de la mort du mal, vienne à sourdre le mal; Ou bien encore l'espérance catholique, Jeune catéchumène répliquant aux vers? L'homme de l'en dessous contemple le présage Dans son aplomb, une image de sa façon, Au-delà de l'oeil, dans son aplomb, mais aplomb Comme de l'intellect au sein duquel tempête Un vent d'autres images, images d'un temps Pareil au temps du présage, images pareilles À des feuilles, sauf que c'en est d'un printemps noir Et ces feuilles sont celles d'ensuivies d'automne, Feuilles d'automnes où l'homme de l'en dessous Vécut comme aujourd'hui vit l'homme, haït, aima Comme l'homme aujourd'hui hait, aujourd'hui il aime, Les mêmes choses mêmement. En grondements De roulis s'étirent les élongations sourdes De l'année, ses projections brillantes démentent Le plus futile iris sur l'oeil le plus vacant. Le futur doit porter en lui chaque passé, Tout autant les passés détruits, magniloquence De syllabes, étain sur ébène, aussi bien Espalier des vignes archiépiscopales, La forme de bonheur que pour les connaisseurs Revêt la révolution: il se pourrait bien Que le présage soit lui-même souvenir; Et il se pourrait que le souvenir lui-même Soit le temps à venir, et qu'il lui faille l'être, Au moment que le présage, changé, endosse Un masque avec brillance ho-hissé de la crasse, Et que le seigneur du souvenir soit le sire De la prophétie et s'avance et se révèle, Sévèrement sacerdotal, quoique seigneur, Masque de flamme, la forme tentaculaire Un orbe errant sur un sentier qui s'est fait clair. IV Haut dans le ciel le présage tentaculaire S'ébranle. La statue selon la perspective Qu'un corbeau a des arbres déborde de blanc, Chiaroscuro mis à l'échelle de l'espace. De l'espace? Mise à échelle de l'espace, La statue composerait un anneau de têtes Et de hanches, arraché à la moindre taille, Avec des dos plus larges que l'oeil, non pas chair Dans le marbre, mais marbre massif en poussée De ce qui n'est pas vu et ne peut qu'il le soit. Le présage deviendrait hagard-homme envers Une race nabote, la tête et les bras Méditatifs un ombre foulée de sabots, Buée-homme envers une race baisée d'astres, Jambe deçà jambe delà dans la montée D'une clameur tamtammant de terre centrale. Non l'in camera de l'homme de l'en dessous, Immesurable, l'espace en lequel il sait Le cricri du criquet et le pleur des palombes. La statue prend place en une vraie perspective. Les corbeaux ne confèrent que leur teinte aux feuilles. Les arbres sont emplis de fanfares d'adieux, Tandis que s'achèvent la nuit et le présage Dans la nuit, composés, avant que ne débute L'ébranlement de sa roue. La statue prend place Dans un espace rebattu, adieu, adieu, Le vert, blanc, bleu de l'oeil-ballade au jour, de nuit Le miroir de nuits autres combinées en une. Le printemps est rebattu comme un instrument Qu'un homme sans passion joue d'un doigt désoeuvré. L'imagination même comporte une fin, Quand la statue n'est pas objet imaginé, Pierre que changea le sommeil. Elle est, elle est, Qu'ait lieu la façon dont elle a eu lieu, qu'ait lieu Ce qu'elle pourrait avoir lieu de devenir. Même l'homme à l'en dessous, le renverseur, bloque La volée dans son esprit des emblemata, Pensées par descendance. Faire effets de manche De la grand-cape que nous portons dans la nuit, Se détourner des abominables adieux Et éprouver, dans les ténèbres, à nouveau La réconciliation, ravissement d'un temps Sans imagination, sans passé, sans futur, D'un temps au présent, est-ce alors là la passion, Indifférente au bourdon battu du poète, Que nous recélons? Une passion de draper La cape, avec ses parements pour multitude, D'un geste épuisé dans la lubie de ce geste, Passion d'être pour rien plus que le gaudium d'être, Jocundus au lieu de l'érudit de sang sombre, L'homme de la nuée, d'être l'homme moyen Parmi d'autres hommes moyens, avec la cape À retailler, revoir le dessein de la nuit, Suffoquer son souffle de sol, changer sa teinte, La nuit et l'imagination étant tout une. GMP12200619012008 |
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