Owl's Clover

 

   

 

   

 

 
Cette traduction 
est un – et en – hommage
à Ronan Barrot.
Gilles Mourier
 

 

   

 

   

La vieille & la statue

 

[NdT: les mots encadrés d'astérisques sont en français dans le texte.]

 

Un autre soir dans un autre parc, s'élevait 
Un groupe de chevaux de marbre sur des ailes
Au coeur d'un cercle d'arbres, courant de leurs feuilles
Avec les chevaux en des ouragans brillants.
II
Le sculpteur avait tant et tant prévu: l'automne,
Le ciel au-dessus de la place s'évasant
Devant les chevaux, nuées de bronze imposées
Aux nuées d'or, et vert engloutissant le bronze,
Le marbre bondissant dans la lumière en trombes.
Il s'était montré tant et tant ingénieux:
Pattes blanches avant tendues jusqu'à la pointe
Des muscles pour la vivacité du salto,
Les têtes portées haut et unies en anneau
Au centre de la masse, les hanches baissées,
Torses, titubant sous l'essor heurtant la terre 
Comme au duvet des ailes s'enlevaient les corps, 
Massif de sculptures inscrites dans un cercle,
Tel que des éventails émoussés, arrangé
Pour que la fantaisie formât une lisière
De lumière frisant au pourtour des statues.
Plus que sa main boueuse était dans les crinières,
Dans les ailes, plus que son esprit. Y viraient
Les feuilles pourries en immenses sons d'automne. 
III
Mais elle, il ne l'avait pas prévue: l'esprit aigre
À la cape battante. Elle allait les chemins
Du parc d'un front crayeux griffé sur la noirceur
Et d'un noir de pensée qui ne pouvait comprendre
Ou, s'il comprenait, qui se réprimait soi-même
Sans nulle pitié dans un rêve somnolent.
Les nuées d'or passées au bronze, les descentes
Des sons, ne touchaient pas son regard et laissaient
Son ouïe impassible. Elle était celle-là
Suppliciée, si miséreuse qu'il ne restait
Qu'elle-même et rien qu'elle-même à l'exception
D'une peur trop nue pour la forme de son ombre.
À chercher le limpide tout l'après-midi
Sans en savoir, et puis d'entendre dans le vent
Le heurt de la solitude assurée de soi,
Quel son eût pu chasser au loin d'un réconfort
Ce sens soudain? Quel chemin, conduire à l'écart
De ce qu'elle était et de ce qu'elle allait être?
Se trouverait-il que ce pût être ceci,
Cette atmosphère en quoi les chevaux s'enlevaient,
Cette atmosphère en quoi son esprit renfermé
Gisait noir plein de noir difforme? Ailes, lumière
Gisaient pour elle plus profonds que sa vision.
IV
Concassée en carcasse de marbre, la masse
De roches s'érigeait de manière rigide,
Comme si le noir de cela qu'elle pensait
En conflit avec les couleurs mouvantes là
Les changeait, enfin, en sa teinte triomphale,
Triomphale tel le son dénué de sens
Que ce vent toujours ascensionnel dispersait
Parmi les arbres. L'espace au-dessus des arbres
Pouvait bien qu'il demeurât encore brillant, 
Néanmoins la lumière tombait faussement
Aux crânes, crinières de nouures de marbre,
Du marbre au travers de l'air, tombait la lumière
Faussement sur les squelettes inégalables,
Changement si senti, peur en elle si sue,
Dès lors sus, dès lors sentis pour être ceci.
Se submergeant de platitude disparurent
Lentement les nuées de bronze. Que le ciel
Qui succéda, plus petit que la nuit, quand même
Suppléât aux plissements lumineux des feuilles,
Blanchies, de nouveau, dans l'obscur formes informes,
Ce fut comme si la *transparence * eût touché
Son esprit. La statue s'érigeait dans les astres
En sphères d'eau, baignée de leur vert, leur flux bleu.
Une humeur qui s'était faite presque idée fixe
Au point de devenir tournure de l'esprit,
Un esprit dans une nuit qui fût toute chose
Que l'esprit pût en faire, une nuit qui était
Cet esprit à ce point magnifié qu'il perdit
La forme commune de la nuit et devint
La forme souveraine d'un monde de formes.
Une femme marchant dans l'automne en ses feuilles,
Pensant au ciel, à la terre et à elle-même
Et considérant l'endroit où elle marchait,
Comme un lieu où toute chose était immobile
Hors celle qu'elle sentait mais ne savait pas.
V
Sans elle, le soir ainsi qu'un if bourgeonnant
Serait bientôt brillant, tel qu'il le fut, avant
Que le destin toujours maladif et la rosse
De l'être d'homme s'en fussent venus gémir
Leurs syllabes désolées, avant que leur voix
Et la voix du vent torturé fussent tout une,
Chaque voix au creux de l'autre, semblant tout une,
Gémissant contre un besoin qui, pareil au froid, 
Appliquait au plus profond sa pression mortelle.
Il deviendrait if crû en taille et gravité
Au-delà d'arbres imaginés, ramifié
De par les cieux alourdis de son lustre et l'ombre
De son ploiement en eux, au fourmillement d'astres
D'éclat lunaire, sorciers aux baudriers sombres
Éblouissant par les plus simples des rayons
Et véridiquement dans l'immobilité,
L'espace immobile à ses pieds, royaume étale,
Inaffecté par cette souffrance, qu'assigne
Au moment le destin. Les chevaux à nouveau
S'y enlèveraient, mais presque sans qu'on les vît,
Et à nouveau l'éclair des pattes raierait l'air,
Et la musculature des corps se ruerait
À sabots poudroyant sur la terre têtue,
Jusqu'à ce que se hissent les ailes légères 
Pour fendre l'espace de cristal de la nuit.
Combien clairement cela serait défini!
   

 

   

 

   

M. Burnshaw et la statue

 

I
Ça, c'est mort… Tout est mort, sauf le futur. Toujours 
Tout ce qui est est mort, sauf ce qui devrait être.
Tout se détruit soi-même ou bien se voit détruit.
 
Ces choses-ci ne sont pas même animaux russes.
Elles sont des chevaux tels qu'ils avaient été
Dans l'esprit d'un sculpteur. Elles seraient autant
Sucre ou abaisse ou zeste de citron que fit
Un cuisinier qui jamais n'aura chevauché
Sur le dos de son ange dans le firmament.
Elles seraient autant la gadoue qu'y laissèrent
Des cureurs clairdelunés lorsqu'ils s'égaillèrent
Au jour débondé, images crépusculaires
Faites pour rappeler la vie jamais qu'ils n'eurent
Au chien-et-loup des déserts, louverie de nuit,
Pour affecter le rêve que jamais ils n'eurent,
Comme un mot dans la tête coince à artichaut
Et reste inarticulé, chevaux à la crème. 
La statue semble être due à Schwarz, quelque chose
Du moite confiné de l'imagination,
Nettement en-dessous de nos contours gangués
Du fait dans son ardeur et son immensité,
Laide comme une idée, non de cette beauté
Comme en ont des continuations sans pensée.
Ces chevaux, dans le plus rude rouge d'automne,
Devraient porter au fil des horizons étiques
Leur pétarade, en étant plus avec noblesse
Que ce crobard de la fatuité du sculpteur
Bien après les vers et les curieux échoppages
De leurs naseaux.
II
				Venez, amours toutes célestes,
Que vous hantiez soit de hautaines nues, frigides 
Et musicales avec un phrasé perlé,
Soit de saintes cavernes aux accents de temple,
Tresser vos bras et d'un pied d'avant puis d'arrière,
Sitôt en ballet infantile aux pas balourds,
Entonnez des requiems de susurration 
Pour cette effigie. Faites choir de nulle part
Les floraisons du rien pareilles à la cire,
Les appelant dans une berceuse mortelle
Ce qu'il vous chante mais d'un mol dénommement
Tel porcelaine. Puis, tandis que la musique
Vous fait, faites-vous de longs lustres automnaux
Et des sons tintillant comme sons sur des feuilles 
Tintinnulantes et soudain par des éclats,
Astraux et shelleyens, diffusez un jour neuf;
Et épandez au marbre en anneau des chevaux
L'arc-en-ciel fait, en rutilantes serpentines,
Par le soleil montant de soixante-dix mers.
Convenons-en: la pomme dans le verger, ronde
Et rouge, ne sera pas plus rouge ni ronde
Alors que maintenant. Non: ni le laboureur
Ne sera plus libre de dormir dans son lit
À poings mieux fermés, car le soc et la rosée
Et le laboureur encor vaudront mieux ensemble.
Mais ce plâtre pataud n'y sera pas.
III
						Les pierres
Qui s'y substitueront porteront au burin:
«La Masse Institue Ces Marbres d'Elle Pour Être
Elle-même.» Rien de plus, aucun subterfuge,
Aucun ratage mémoriel, brutes et nues.
IV
*Mesdames*, on pourrait croire que gît Shelley 
Moins dans les astres qu'en leur sillage terreux,
Puisque les radieuses divulgations 
Que vous faites sont d'une vista éternelle,
*Manquée* et dorée et brune, Italie de tête,
Lieu de peur devant le désordre de l'étrange,
Âge en lequel la politique d'un poète
Régira un monde de poètes. Ce monde
Sera pourtant impossible pour les poètes,
Qui se lamentent et, dans leurs lamentations,
Prophétisent et ne sont jamais de ce monde
Où ils vivent. Divulguez les rudes rougeauds
Occupés à leur boulots et si vous pleurez
Les paons partis ou dansez la mort des colombes,
Le plus saliciment, qui sait? Le laboureur 
Peut-être alors ne vivra pas en solitaire
Avec son soc, le paon délaissera sa morgue,
L'adagio des colombes peut-être perdra
De sa profondeur et changera. Si les paons,
Les laboureurs et les colombes mêmement
En immense désordre vivent dans des ruines,
Libres, les chartes détruites, jusqu'au désordre,
Ainsi vu, qui peut-être puisse avoir un ordre
Qu'il ait en propre, une paix qu'on ne peut pour l'heure
Percevoir, et pourtant bien du propre de l'ordre.
V
Une voix, non celle de M. Burnshaw, dit
Solennelle: en quelque urne esseulée, gigantesque,
Bordille au bout du monde, les morts abandonnent
Des choses mortes et les vivants s'en détournent.
Des busards y bâtissent leurs tas de branchettes
Dans des ossements de busards et se repaissent
De bedaines de richards, gras de mille beurres,
Et les corbeaux dégustent de la vie du gueux
Le miel sauvage, le sang de son cerveau aigre;
Et le soleil sur l'entrecroisé de colonnes
Y brille sans feu, blanc barbouillé sur de blancs
Et majestueux chefs de marbre décollés
Que leur culbute a changés en herbe sans graines,
Immobile, ignorant le gel et la rosée.
Là gît le chef du sculpteur en quoi la pensée
Des lézards est, dans cet oeil, un peu plus précise
Que la pensée native jadis de ce crâne;
Là, les têtes des chevaux à crinière blanche,
Par delà l'aide d'aucun vent ni d'aucun ciel:
Éléments de l'énorme détritus du monde
Qui est complètement gâchis, qui évolue
De gâchis en gâchis, du gâchis sans espoir
Du passé en gâchis plein d'espoir à venir. 
Là, jusqu'à la lumière sans couleur en quoi
Gît ce tas de décombres, qui ait d'omineuses, 
De sourdes coruscations, nuances et formes
De rose, ou de ce qui va encore une fois
S'ériger à rose, quand de plus jeunes corps,
Parce qu'ils sont plus jeunes, viendront s'ériger
Et chanter les points-de-rose de leur naissance,
Et quand pour un temps bref, derechef, des oiseaux
À jabot rose pépieront la foi-en-rose.
Deux éclats au-dessus de cette urne se mêlent,
Non tels qu'à l'aube lune et soleil s'entremêlent,
Ni l'éclat de l'été à l'éclat de l'hiver
Dans une après-midi d'automne: deux énormes
Réflexions, voltigeant immensément à part.
VI
Ce n'est pas assez que d'être réconciliées
*Mesdames*, face à l'étrange, ayant sangloté
Et pensé et dit adieu. Ce n'est pas assez
Que la vista garde laboureurs, paons, colombes,
Quand même ternis, compagnons pris au passé,
Et que dans la poussière avec eux, pesamment,
Vous évoluiez. Ce n'est pas assez que d'être
Indifférentes, parce qu'évolue le temps
Sur colonnes entrecroisées, et que le temple
N'est jamais tout à fait en entier composé,
Perpétuel et turquin et dans le silence,
Visible sur la mer. C'est seulement assez 
Que de vivre sans cesse dans le changement.
Voyez comment dans un jour plein d'été encor,
Où les feuilles semblent dormir dans l'air qui dort,
Elles tombent soudain et la rumeur d'été
N'est la rumeur déjà que du vent défeuillé.
Ce si vaste changement est constant. Le temps
Que vous dites serein, il est le descendant 
D'un chaos évoluant sans de fin. *Mesdames*,
Les feuilles ne tombent pas toujours, les oiseaux
Du chaos ne sont pas toujours perdus ni tristes 
Dans des distances de mélancolie. Vous tîntes
Chaque chacune au chant évoluant, dansâtes
Auprès de la statue, tandis que vous chantiez.
Vos yeux furent solennels, vos robes soufflées
Et le chagrin gisait sous chaque accent du temple.
Vous chantiez une berceuse tragique, comme
Porcelaine. Mais le changement, aussi bien, 
Compose, et le chaos de façon temporaire
Connaît le calme, flocules spectaculaires
De cramoisi et camails vert vénézuélien
Et le son tout le jour du z dans le gazon,
Quand bien même ces éléments sont le chaos
Et de l'archaïque changement. Irez-vous
Craindre, alors, une communauté draconienne
Issue du tournoiement, au prix lent des épreuves;
Ou les hommes, assemblés en vol puissant d'hommes,
Migration abyssale vers un bleu possible?
VII
Lors, dansez et donnez de la voix à voix dures, 
Mais donnez-en en damoiselles tartouillées 
Et laissez vos pieds qu'ils soient nus pour toucher l'herbe
Et, comme vous formez cercle, tournez le dos
À la vividité de la statue. Ensuite,
Tressant anneau en anneau radieux et vite,
Déjetez-vous au loin et joignez à distance 
Vos mains en l'air et donnez de la voix encore,
Mais pour en donner, cette fois, en damoiselles
Captives du ciel, ravies par ce bleu possible.
Formez-vous les vierges de la plus évasive
Des nuances d'un bleu qui ne soit pas suprême
De la teinte la moins appréciable du vert
Et de tons répugnants du rouge, juste vus,
Et vaguement à voir, un rouge *matinal*,
Un aiguail tirant à blanc à l'écart du feu,
Comme si vos atours eussent été tissés
De cet éclat, sans être pourtant éclatants,
Dont le chatoiement vînt comme viennent les choses
Entrant au jour par la nuit, vînt noir-de-miroir,
Et chaque pli drapât ample sur ample scène.
Qu'ondulent vos mains d'or véloces et soient gaies
Et des bandeaux cramoisis de matins qui chantent
Soient vos nattes parées. Concevez que s'écroule
La statue tandis que vous dansez, que les têtes
Sont décollées, qui boulent, culbutent, basculent
Dans la glèbe pour y reposer. Concevez
Que les hommes de marbre sereinement soi,
Transfigurés par les sujets dont ils procèdent, 
Fassent des attitudes qu'on leur préposa
Une réalité et que le fronton porte
Des mots qui sont d'hommes de marbre le discours.
Du vitré de vos cris, sur les voix porcelaines,
Au gong alto de la longue récitation,
Dites par eux et redites: Être Elle-Même, 
Tant que le verre aux coloris tranchants se mue
En discours même de l'esprit, que les emprunts
Pris à la cloche porcelaine se transforment,
Dans la manière dont vous donnez de la voix,
En clartés implicites, et vos impressions
Soient changées en sonorité, sans changement,
Tant que tournent les tergiversations aqueuses 
En ce vrai, crispé, ce larmoyant méridien
Qui est vous-mêmes, quand, enfin, vous êtes vous,
Parlant et paradant à grands traits, filles-fleurs,
Issues non plus de l'air mais du souffle du sol,
Ardentes séductrices et séduites, pal
Fiché dans des corps qui enflent, ascensionnel,
Poussée d'une tempête éparpillée en formes
De luisance, et flammes que vient le vent cingler
En feu le plus étincelant et le plus vif. 

 

   

 

   

 

   

Le continent très vert

 

I
Mafflu-feuillu obombreur sur maints pieds, quel dieu
Régit l'Afrique, quelle forme, homme-nuage
Avunculaire aux rais plus drus que des sagaies?
II
Le ciel d'Europe est vide, à la façon d'un Schloss 
Abandonné pour des questions d'impôts… Il sut
Suffire: il compensait tout, qui se composait
Tout du soi d'êtres faits robes roides parmi
L'éclat de cierges blancs, de mouvements dans l'air,
Robes en mouvement dans les torrents de l'air,
Et au travers des torrents saillie escarpée
D'une tour, d'un mur brisé  ensuite il cessa
D'exister, et devint Schloss, Schlossbibliothek
Vidée, ses livres en vente à Vienne et Zurich
Pour des gens de l'Ontario, de Canton, du Maine.
Ce fut la façon de saillir qu'eurent les choses,
Cette façon escarpée des entassements,
Des sales biens immeubles, de transverbérer
Les nuées, en colossaux noirs qui enjambaient
D'un bond les points de la roseur à la Boucher,
Des moirures du gris à façon de Venise. 
Ça le défit. Tout y participa en fin.
Les relieurs, avec des livres armoriés.
Et les cuistots, les cuistots, serveurs et serveuses,
Les églises et leurs grands-processions, Séville
À Pâques sur un écran de Londres, les graines
De chez Vilmorin, Verhaeren en son caveau,
La flûte dans le gramophone, les Daimlers
Dont les bois s'abolirent, la guerre et de guerre
La pantalonnade fatale, les beffrois
Rouillant, toutes ces choses étaient en saillie,
Qui rayèrent la nacre, le cresson lunaire.
Tout y participa.
III
				Il fut jadis un ciel,
Mais non cette espèce-là de Salzbourg des cieux. 
Il fut l'épiscopat de l'esprit, haut et oint,
Vers quoi l'esprit s'élevait, afin de s'accroître
Plus avant que l'accroissement le plus extrême
Issu du jour très jeune ou la nuit très âgée
Et de bien au-delà de la pensée réglée.
Chaque homme, aux promenoirs d'un cloître de nuage,
Y marchait solitaire, noble dans le sein
D'un esseulement parfaisant la solitude,
Comme un esseulement de soleil, dans lequel
L'intellection acquérait une transparence
Et se contemplait soi et contemplait la source
De laquelle la transparence était issue;
Et il y entendait les voix qui jadis furent
Les confusions de voix humaines, intriquées
Rendues extriquées par les significations,
Significations rendues en une musique
Que jamais le son ne toucha qu'elle en sonnât.
Il y voyait, également, puisqu'il doit voir,
Les dômes d'azur autour d'un dôme exalté,
Le plus brillant car haussé sur eux tous, grené 
Des vacillements des astres, la joie du jour
Et son feu immaculé, le dôme médian,
Le temple de l'autel où contemplait chaque homme
La vérité et la savait pour être vraie.
IV
Telle espèce de ciel jamais n'en eut l'Afrique,
Qui n'eut aucun ciel, eut la mort sans ciel, la mort
Dans un éden de mort. Sous les étoilements
Des verdures, sous les pesantes frondaisons,
Il se put que la peur fût un apaisement
Et que devînt un dieu le reptile, à l'oeil prompt,	
S'érigeant sur l'indolence de ses replis.
Si la statue s'érigeait, que jamais un jour
La statue en vînt à s'ériger, qu'elle tînt,
Maigrement, parmi les palmes éléphantines,
Benoîtement s'y festonnerait le reptile.
Les chevaux sont une part d'un ciel dans le nord
Livide trop nûment pour l'éclat du jaguar,
En quoi lui, le lion et le reptile se cèlent
Même à dormir, immergés dans l'herbeux dormir,
Herbe touffue chancelant du poids de l'éclat.
Dormir et éveil s'y emplissent d'hommes-lion,
D'hommes-jaguar et dardements du clan reptile
En nations fleuries, fracassantes et alertes.
Aucun dieu ne régit l'Afrique, pas un trône,
Unique, d'ivoire carré, gradué d'or,
Placé sur le central de ce que nous voyons,
Qui purge le varech ou astique la jungle,
Tout aussi brillant que mystique, aussi mystique
Qu'unique, tout en un, à l'exception d'un trône
Hissé bien au-delà des ossements des hommes,
Au-delà de leurs souffles, le sublime noir,
En direction de quoi gravit, au cours des nuits, 
L'étincellement, sinueux sous sa peau sombre,
Des reptiles, en des torsions ascensionnelles,
Tortes et ondulantes, lentes, dans les airs,
Dardant partout des yeux envenimés, en crocs,
Sifflant, au travers du silence, à sons puissants.
Seule siège la mort au trône des reptiles:
La mort, bouvière des éléphants, vers laquelle 
Feulent les jaguars et rugissent les lions
Leurs thrènes mesquins d'hommes des forêts tombés,
Chasseurs à jamais ou chassés, et s'en courant
Incessamment traqueurs ou sans cesse traqués,
Tant que chaque arbre, chaque liane aux fleurs de mal,
Chaque fougère inquiète gouttelle en rosée
Une crainte et, sous le soleil le plus ancien 
À s'y prélasser, que l'Afrique ne contienne
Pour ses enfants pas un demiard de douceur. 
V
Jaillis une fois de plus de leurs tabernacles
Les anges débarquent, armés, glorieusement
Pour massacrer le noir et pour réduire en ruines
Son trône sépulcral. *Hé quoi!* Anges d'aller
En piqueurs d'éléphants? Par ailes grand-ouvertes
Tombant en tourbillons sur les hommes-jaguar?
Anges à petits petons aux cônes neigeux
D'épique palme apercevant des mitrailleuses?
Séraphins d'Europe, eux? Se déversant de l'aube,
Frais émoulus des sacrées lumières, prêcheurs
De la raison dans sa substantifique moelle,
Cuirassiers contre les archers les plus pagnotes.
Voici qui forge une composition nouvelle,
Aux anges mantillés sur des rabats d'oreilles,
Combattant des broussards pour un lopin de gourdes,
Dételant l'esclave noir en fantassin noir,
Aux anges s'en revenant de guerre chargés
De ceinturons et de verroteries en or
Et de trompettes embouchées, rouant le monde
De bouffées de buccins. Ce ne peut, ceci, être
Que mascarade ou sinon rare tractatus, 
De choses militaires, illustré de planches,
Préservé par miracle, casuiste ès casus,
D'une imagination allumée d'ironie
Et d'une main de certitude pour graver 
Les coquelets célestes, les archers, les gourdes,
Les trompettes oraculaires à la ronde
Rondement cerclés, comme chez le Léonard,
Pour magnifier la ganacherie concentrique.
S'en retournent, alors, près de leurs tabernacles, 
Plus éloignés qu'Athos, les hordes effulgentes,
Affectant des roseurs d'auréoles, afin
De contempler du temps le paladin doré
Et l'intention, d'entendre l'abeille sauvage
Dans son vrombissement, afin de ressentir
L'extase des sens dans le sensuel de l'air.
VI
Mais la statue aurait-elle lieu en Afrique?
Le marbre fut imaginé dans la froidure.
Ses contours furent pris au vent tumultueux
Qui élimait les plus menus contours d'ouïr,
Qui faisait de l'oeil un intellect insatiable.
Ses surfaces provenaient d'un distant brasier;
Elle avait été destinée à avoir lieu,
Non dans un culbutis, intensifié, grandiose,
De verdure, mais au milieu des lieux communs
Dont elle faisait part et, là, par le moyen
De dextres atténuations, à se tenir
En claire cime visible, bandeau visible
Pour les hommes, les toits, les rues, l'immonde tout.
Elle y était du mode des rêves communs,
Anneau de chevaux s'érigeant du souvenir
Ou s'érigeant en accoutrements du désir,
Images naturelles de l'âme, coursiers,
Esquisses de débuts gais et de vives fins,
Porteurs majestueux ou solennels haleurs 
Confinés dans d'interminables élégies.
Mais c'est à foulées de léopards qu'en Afrique
Le souvenir se meut; le désir y accoutre
Ses messagers fleuris d'ailes sauvagement
Courbettées, scarifiées de couleurs, si becquées,
De langues vertes et de gorges si fourrées
D'épines, si griffées, si saucées de soleil,
Que dans le concert de ces choses le message 
Ne porte qu'à demi. Le marbre pourrait-il
Être marbre encore après les rouges en trombes,
Les sombres trombes cramoisies, ou perdurer?
Il procédait, sinon du coeur de l'hiver même,
D'un été tout semblable au midi d'un hiver,
En quoi le jaillissement de couleurs montait
De la neige, et qui s'en reviendrait à la neige,
Comme en revient l'été à des jours décatis.
VII
Les diplomates des troquets vont dissertant:
*Fromage* et café et *cognac* et aucun dieu.
Ce fut une erreur que de peindre les dieux. L'or
Des constellations sur l'aréneux de l'air
Est ardu. Dans les studios, il tourne en rebut.
La magnificence exprimée d'orfroi, en somme,
Est une draperie de damas pampelune,
Teinte avec teinte s'avivant en une seule,
Auguste oeuvre de tisseur, suée d'un été.
Ce fut une erreur que d'avoir pensé à eux.
Ils n'ont pas leur place au regard des colons, n'ont
Nulle place en Afrique. Lorsque l'incrédule
Vient y poser sa main le trône du reptile
Passe en poussière. Les cloîtres dans les nuages
Sont balayés de l'oeil lorsque le vent braillard
S'enfle et gonfle, tête rentrée dans les épaules,
Pour balayer braillard jusqu'au nu une terre
Qui n'a pas de dieux, et qu'il balaie jusqu'au nu 
Les dieux en figures de marbre chues, laissées 
Dans les rues. Les troquets et le paquet de cartes,
On en aura toujours, et le propriétaire
Obèse, avec son fils qui vit en Capricorne.
La statue est dotée d'une forme toujours
Qui sera et qui se retrouvera partout.
Pourquoi viendrait-elle à échouer d'avoir lieu?
Pour contenter ses usines, Victoria Platz
Doit avoir un passé caverneux et cruel,
Benitia-sous-tropique doit, dans son lapis
De *Ville des Pins* soulager le paupérisme
Du rebut par rosées vibrant d'avril ici
Et de mai à venir. Tant qu'il y a champagne
Dans la touffeur de la nuit et un long cigare
Et la causerie du temps qu'il fait et de femmes
Et de l'ordre des choses, pourquoi s'embêter
De la face cachée des astres? La statue
Relève du caverneux du passé, relève
D'avril ici et mai venant. Pourquoi penser?
Pourquoi sentir le soleil ou, à le sentir,
Sentir plus que la pourpre du fruit en sa pâte,
D'en goûter, ou feuilles de fleurs pourprées, d'en voir?
Le noir en sera toujours libre de chanter,
Ne serait-ce même qu'une chanson dolente. 
VIII
C'est Anankè la fatale le dieu commun.
Il mire, où elle est, la statue, et le soleil
Et le miasme-soleil aux amas émaciés 
Au-dessus de la bousculade des fougères,
Où que cela puisse être, en ce qu'il a des yeux
De la forme d'yeux, en intailles émoussées
Et rien de plus. Il voit mais non par le regard.
Il n'entend pas par le son. Son esprit connaît
Chaque regard et chaque cri nécessiteux,
Ainsi qu'en connaît un dieu, dans la connaissance
Qu'il n'en a cure, et connaît, par la connaissance
Et l'intention qu'il ne peut pas en avoir cure.
Dans le penser du nègre il voit l'ange et entend
La prière du nègre en motets, éructée
De tuyaux d'orgue pullulant aux lanternons.
La voix dans la jungle est voix dans Fontainebleau.
Le cantique final des veilles paroissiales
De sa longue clausule gémit à l'entour
Des arbres à coucous et pleure à Ségovie 
La veuve madrilène. Le mendiant de Rome
Est le mendiant de Bogotá. Dans le kraal 
Se cantille une mort qui est mort médiévale…
C'est Anankè la fatale le dieu final.
Son hymne, son péan, son psaume sur cithare
Est l'exil des déshérités, des étrangers
À la vie, des pâles déracinés des boues,
Ceux-là dont la Jérusalem est Glasgow-glace
Ou Paris-pluie. Il pense aux nobles existences
Des dieux et, pour lui, un millier de litanies
Est tel que les vers perpétuels dans la tête
D'un poète. Il est ce potentat entêté
Qui décrète à l'endroit des races, non des hommes,
Puissance dépassant la grâce envers nature,
Un élément incessamment sans changement.
Son lieu est vaste et éminent, un flamboiement
D'éther sous l'effet de sa présence, le trône
Où siège l'ubiquité de la sa volonté.
C'est lui, seul, la cause que la statue fut faite,
Lui qui fixera le lieu où elle aura lieu.
Gloire soit à ce pontifex impitoyable,
Seigneur sans aucune déviation, seigneur
Et origine et fin splendide de la loi,
Sultan des sultans africains, tiare sans astre.

 

   

 

   

 

   

Un canard pour dîner

 

I
Le Bulgare énonça: «Après de l'ananas
Garni de menthe fraîche, nous sommes allés
Nous promener dans le parc; car les travailleurs
Ne s'élèvent pas, après tout, de mers violettes,
Comme le fit Vénus. Ils s'élèvent un peu
Aux dimanches d'été dans le parc, un canard
Pour chaque million, canard aux pommes sans vin.
Ils se lèvent aux ormes métropolitains
Maculés de boue, pour les châteaux-camélias 
Et un rien d'un peu plus, oubliant le travail,
Sans souci des anges, en quête d'un transport,
Du triomphe, pour eux, des arcs d'azur céleste, 
Pour le canard, d'aisance, d'espace et de temps.
Caricatureras-tu comment ils s'élèvent,
Ils ne s'en élèvent pas moins. Au vrai, d'un rien,
Mais d'un rien chaque fois, un pas après un pas,
D'un dimanche à l'autre dimanche, hommes nombreux.
Au moins, conçois ce que disent ces mains de Suède,
Ces nez anglais, ces yeux effilés d'Italie,
Massés pour une tête qu'ils entendent faire
Pour eux-mêmes, de laquelle le grisonné
De leur voix puisse parler et être entendu.»
II
Ô bas-de-cuir, ô passeur des ravins neigeux, 
Pour qui les hommes devaient d'être fins en soi,
Faut-il qu'aux villes viennent des procréations
Comme en procréaient les montagnes, que les rues
Embobinent des bambins ainsi que la mer?
Pour toi, comme lève la vie, le jour sur l'âme
Se levait et des vents tonnants te submergeaient;
Pour ceux-là, soleil d'un sou en ciel pacotille,
Le jour se lève sans péan, l'âme est gauchie
Qui voudrait d'être amenée à l'éveil, gauchie
Qui voudrait de voir, encore une fois, ce monde
De bris et d'outils, le coeur en pinacles gaupes,
Les nuées, qui furent leurs pensées, laminées
En formes, le soleil en fournaise fumant 
Aux chaufferies à blanc du ric-rac de moteurs.
Ils désirent, dans ton Éden cadavéreux,
Le même fruit ployant sur des feuillages jaunes,
Le même retour au soir capiteux, l'amour 
Intact d'aucune horreur de perdre sans secours.
Le plan d'ensemble érudit qui était le tien,
Le livre londonien, le journal de Paris
Rehaussé de poètes, les vies italiennes
Préservées au regard de la pauvreté sont,
Pour ceux-là, un tape-à-l'oeil de billevesées.
Leur destinée est tout juste autant machinale
Que la mort même, et n'est susceptible jamais
De se voir changée par le livre ou le journal,
Piètre opportunité de longtemps dépassée, 
Et seule peut qu'elle aide une agonie de rêves,
Non l'agonie d'un unique rêveur, seul l'ample
De la nuit où muse un marmonnement disert,
L'approche de l'heure fortunée, l'insomnie
Des dormeurs émus par la torture des choses
Qui vont devenir réalité, vont, y vont,
Mais de quelle façon, et de quelle façon
Tous d'entre eux se le demandant en soupirant. 
Ô libre, ô hardi, ces vies ne sont pas les tiennes,
Qui cavalais sitôt tes chevaux enfourchés.
III
Le Bulgare reprit: «Il y a plus de choses
Qu'en Poméranie de loulous. Cet homme-ci
Est tous les oiseaux qu'il a jamais entendus
Et cet autre, amiral de sa race et quiconque,
Infecté d'irréalité, ravi entier
D'obtuse déraison, irréprochable force,
Roule au pandémonium, chiquenaudé, hurlé
D'harmonies dépassant toute harmonie connue.
Ces bandes, ces remous, ces bancs, où est leur place?
Ils ne quittent jamais les sentiers qu'a voulus 
L'architecte squelette du parc. Ils observent
Toutes les lois de chaque et du moindre squelette.
Mais que pensent-ils, à quoi, malgré le canard,
Malgré les chaînes de montres aus Wien, malgré
Souliers des Balkans, bonnets de la Moldau, barbes
Provenant des steppes, ont-ils appartenance,
À sentir la force, à voir fulgurer les ombres
Amoncelées dans des hauteurs, à énoncer
Les pandectes et les institutes hagards?
Chaque homme pense-t-il ses pensées séparées
Ou, pour une fois, tous les hommes pensent-ils
À l'unisson comme un seul, pensant les pensées
L'un de l'autre, pensant une unique pensée,
Qui se révèle en tout, transcendée, apprêtée
Pour la syllabe, apprêtée pour l'attouchement?
Mais cette apocalypse-là n'a pas été
Ourdie pour des parcs, des budgets de géraniums,
Les cascatelles de la masse salariale,
Le cliquetis du manège et, en dessous des arbres,
La retombée d'un doux d'agnelet des distances,
Convergeant vers la statue, éminente et blanche.» 
IV
Puis dans le kiosque à musique Basileswky 
Joua «Concerto pour Avion et Pianoforte»,
La toute dernière *réclame* soviétique.
Avortement profond, bien propre à enchanter
Les basilics. Ils s'avancèrent à penser.
Supposons que le futur vienne à échouer.
Si platitude et inspiration sont semblables
En tant que maux, et si la raison, feu jobard,
N'est qu'un autre égoïste s'affublant d'un masque,
Quel homme de traditions saura rebâtir
Le monde, quel homme moindre saura toiser 
Le soleil et la lune, quel sur-animal
Édicter nos destins? Tel l'homme tel l'état,
Non tel l'état tel l'homme, doctrine pérenne
Et vérité des plus florissantes; mais homme
Signifie plus, signifie million et canard.
Il ne peut signifier immensément marine
Une contrée jonchée de cellules sordides,
À moins que New York ne soit Cocos, Chicago
Kraal cafre. Il signifie cette populace.
L'homme dans le kiosque à musique pourrait être
Orateur. Il se pourrait que d'un orateur
Dépende le futur, d'un mâcheur de galets
Passé maître dans l'art du discours tyrien,
D'une apparition, du coup de plectre dont crissent
Des instruments en nous inconnus jusque là,
De celui qui déconcerte tout opposés
Et fait girer une sphère, comme une bulle,
Créée dans un scintillement d'irisations,
Qui tend à s'enfler, tandis qu'elle flotte au loin.
Celle de Basileswky, avant qu'elle pût
Flotter, s'est enflée, s'est changée en caramel
Et n'aura su ni pu flotter au loin. Pourtant,
Dans un âge de populaces concentriques
Est-il à quelque sphère donné d'échapper 
Toute déformation, celle-ci moins encore,
Cette source et ce patriarche d'autres sphères,
Ce fond de tout futur, la vibration fontale,
Le volcan Apostrophe, la mer Contemplez?
Supposons que, plutôt qu'échouer, ce futur
Ne survienne jamais, bien que les éléphants
Passent et que leur barrissement, prolongé,
Répété, et prolongé une fois de plus,
Tonitrue un peu en aparté puis s'estompe. 
Cependant penser au futur est un génie,
Penser au futur est une chose et celui
Qui y pense est inscrit sur les murs et se tient
Accompli d'airain sur d'énormes piédestaux.
V
La statue est blanche et éminente, d'un blanc
Plus lumineux que la couleur blanche, éminente
Par delà toute hauteur s'érigeant dans l'air.
Les vautrés du gazon voient bien plus que du marbre
Dans leurs yeux, plus que les cavales frémissant
De déguerpir, zébrures au galop glanées
Par des sens burinés sur la pierre brillante. 
Ils voient le penser métropolitain, ils sentent
Le central de la composition, en laquelle
Ils vivent. Ils se voient et se sentent eux-mêmes,
Voyant et sentant le monde en lequel ils vivent.
Les crinières, les corps bondissants, sont issus
De la main opiniâtre, de l'oeil acharné
Du conformateur qui conforme les crinières
À son image de l'envergure du vent,
Les corps bondissants à sa force, convulsés
De pignons surtendus hissées dans sa pensée.
La statue n'est pas la pierre mais le sculpteur.
Il s'y tailla lui-même, y tailla son époque,
Y tailla les duveteuses badauderies, 
Tressaillant un peu aux remembrances grossières
De jeunes identités, souches avrillées.
Débordant le sexe, il attint une autre race,
En surplomb de notre race, quand cependant
Elle ressortit à nous-mêmes transformés,
Don Juan devenu divinité furieuse,
Combinateur éthéré, pater patriae,
Grand ancêtre-gadoue, suinteur et Abraham,
Progéniteur tiaré du plus diamant des tiares,
De la barbe de qui le printemps gicle, élu.
Plus abondamment de nous-mêmes dans un monde
Qui est plus abondamment monde nôtre en propre,
Pour le million, peut-être, deux plutôt qu'un seul canard;
Plus abondamment de nous-mêmes, l'émotion
De vivre affermie comme par une saison
Plus corsée; et abondamment plus nôtre en propre
Que l'un contre l'autre, le mort, le *phantomesque*. 
VI
Si c'était là des gens théoriques, pareils
Aux petites abeilles du printemps, humant
Les bourgeons les plus froids d'un temps qui va venir 
Une nuance d'horreur change les abeilles
En scorpions noirement barbés, une nuance
De peur métamorphose les scorpions en peaux
Celées parmi les scintillations du gazon,
Peaux reptiliennes humides de suées froides.
La fiction civile, l'idée calicot,
La composition Johnsonienne, l'homme abstrait, 
Sont tous des dérobades, ainsi qu'une phrase
Répétée qui finit, dans sa répétition, 
Par assumer un sens dépourvu d'aucun sens. 
Ces gens-là ont un sens dans le sens qu'ils transmettent
Suivant les sentiers, voyant le soleil doreur,
Par lequel être balayés quand ils se trouvent,
Un instant, révélés, tous les un ou deux siècles.
Pour eux le futur est le plus profond des dômes,
Toujours le plus ténébreux des bleus de ce dôme
Et les ailes à l'entour du géant Phosphore
De leur toute première oraison de prières. 
Tous les un ou deux siècles. Mais alors si vaste,
Si épique ce renversement, catastrophe
Pour Isaac Watts: la dérivation du rêve
Du ciel venant du ciel s'aboucher au futur,
En tant qu'un dieu, requiert et temps et bricolage,
Mélodieux et pratiques. L'*envoi* au passé
Est largement un autre tour de clef d'horloge. 
Le tempo, en bref, de ce glissement complexe,
Avec interruptions par des vastités d'hymnes,
Odes de sang, défilés de races entières
Avec leur suite d'orphéons, et les abeilles,
Les scorpions, les hommes qui pensent, les dimanches
Dans le parc quand c'est l'été, doit être un tic-tac	 
À pas de plomb circulaire dans la largeur.
Comment saurons-nous affronter le bord du temps?
Nous marchons dans le parc. Nous sommes au regret
De n'avoir nul rossignol. Nous devons avoir 
La girouette de la grive au gramophone.
Où saurons-nous trouver plus que des persiflages?
Quand s'en viendront des choeurs fastueux spiraler 
Passant dans notre feu pour réduire à quia
Ce vieil assassin-là, le coeur en son désir?

 

   

 

   

 

   

*Sombre* figuration

 

I
Il est un homme que jamais les rhapsodies
Du changement, dont il est cause, n'ont changé
Et jamais ne changeront, sub-homme sous tout
Le reste, vers qui le reste à la fin retourne, 
L'homme en dessous de l'homme à l'en-dessous de l'homme,
Baigné dans l'opium de nuit, éludant le jour.
II
Nous sommes devenus las de l'homme qui pense.
Il pense et ce n'est pas vrai. L'homme à l'en dessous
Imagine et c'est vrai, comme si sa pensée
Vînt d'imaginer, anti-logicien, fougueux
D'une logique aux transformantes certitudes.
Non qu'il soit né dans une autre contrée, poudré
De clartés primitives, et vive chez nous
Juste entr'aperçu, au rebord ou sur la cime,
Jouant l'arpège crépité d'un chalumeau,
À l'anche de vent, à coups de chevrotements.
Il naquit en nous ainsi qu'un second nous-mêmes,
Que l'être de parents qui ne sont jamais morts,
Dont reviennent les vies, simplement, sur nos lèvres,
Leurs mots et les nôtres; dans ce que nous voyons,
Leurs teintes hors saison, sans carcan de livrée,
Et les nôtres, dans la rigueur de la mesure,
Peinturlure d'avare; et davantage encore
Dans ce que nous entendons, son chassé au loin,
Marmonnement près du coude, airs amphigouriques,
Comme d'oiseaux blessés aux nuées ou d'insectes,
Plus loin toujours, dialogues entre incognitos.
Il a lieu en-dessous, l'homme de l'en-dessous,
En moins que corps et moins qu'esprit, ogre, occupant,
En moins que formes, des formes qui se dissemblent
Dans le souvenir vague et conservent pourtant
Des ressemblances, demeurent des remembrances,
Lieu d'un champ de lumières, ainsi qu'une église
Est une cloche et les gens sont un oeil, un cri,
La lividité d'une robe, un frôlement.
Il nous change en érudits, plongés dans l'étude
Des masques de la musique. De chaque masque,
Nous discernons qu'il est celui du musicien
Et, par là, devenons leur public aux mimiques
Dans leurs rutilements de significations,
Redoublés par le son le plus proche, mimiques
Qui jouent d'instruments perçus dans le battement
Du sang.
		Vert est le sentier que nous empruntons
Entre les chimères et festonnée la voie,
La descente vers la vacuité de novembre.
Les spontanéités de la pluie ou la neige
Interloquent le rationaliste stérile
Qui voit filles en fleur, éléphants dans la mer,
Alouette sur urnes et feuilles de chêne
Tordus pour que ça rime. L'homme, non pas l'homme
À l'en-dessous, pour qui le faisan dans un champ
Fut faisan, champ, jusqu'à ce qu'ils se transformassent
En aigle dans l'air blanc, a sa vie dans un fluide,
Non sur un roc solide. Le solide était
Un âge, une époque munie d'un mobilier
Approprié, essentiellement anglais,
De barbiers munis de chartes répertoriant
Les uniques modes possibles, de cités
Qui ne se laissaient pas dissoudre dans la brume,
Chaque homme dans son propre asile divaguant,
Policé par l'espoir de Noël. Nuit d'été,
Or des nuits, et nuit d'hiver, argent des nuits, telles
Furent le fluide, atmosphère oeil-de-chat, en quoi
L'homme et l'homme à l'en-dessous se réconcilièrent,
Le vent du levant au ponant, l'ordre détruit,
La roue du cycle du solide ayant tourné.
III
Haut dans le ciel un présage tentaculaire
S'ébranle, comme s'il emporte dans son bloc
Toutes ténèbres. Mais nous n'en pouvons rien voir.
L'hirsute sommet s'appesantit constamment
Dans une méditation crispée, sur la ville,
Sur laquelle il s'appuie, sur les gens qui y sont,
Sur son ombre chez eux, sur leurs murs, sur leurs lits,
Leurs visages tirés dans le sommeil distant.
Ceci est invisible. Les bras en soutien
S'arquent des horizons, d'un bord à l'autre bord, 
Tandis que l'hirsute se bande à faire
Et se tournent les dos, soufflant d'un voeu immense.
Tout en est celé au regard.
					Il est la forme
D'un génération qui ne se connaît pas,
Qui s'interroge encore s'il faut écraser
L'élancement des fûts, les églises, semblables
À des dalmatiques abîmées en prières,
Et les gens soudain mauvais, tirés du sommeil,
Accusés, détruits d'un geste vengeur des bras,
Masse chue sous l'emprise du plus noir des ciels,
Chacun une part du courroux total, obscur
Dans la tuerie; ou s'il faut son esprit furieux 
Qu'il contre les dormeurs à recréer pour eux,
De leurs déserts, un fanum spécial, au dessein
Le plus intime, les bras souples de prestesse, 
Le corps courbé, comme Hercule, afin de bâtir.
Que le fanum fût clair, que la ville luisît
Dans l'intellect, que davantage piloriât
La nuit que la ruine espérée, que certains fussent
Davantage que compassion et désespoir,
Que les extravagances clinquantes des maigres
Parvinssent quelque jour à les faire engraisser, 
Toutes ces instances sont des atermoiements
Pour un ruminement pondéreux, sans une aide.
Et, à y ruminer, d'antiques hyacinthes
Et des fomentations parfumées du printemps
Ont lieu, déconcertant le mécontentement. 
Il faut, aussi, que celles-ci soient ruminées.

Quelle compte le plus, la colère engendrée
Sur les ailes de la colère; ou bien la peur
Que de la mort du mal, vienne à sourdre le mal;
Ou bien encore l'espérance catholique,
Jeune catéchumène répliquant aux vers?
L'homme de l'en dessous contemple le présage
Dans son aplomb, une image de sa façon,
Au-delà de l'oeil, dans son aplomb, mais aplomb 
Comme de l'intellect au sein duquel tempête
Un vent d'autres images, images d'un temps 
Pareil au temps du présage, images pareilles
À des feuilles, sauf que c'en est d'un printemps noir
Et ces feuilles sont celles d'ensuivies d'automne,
Feuilles d'automnes où l'homme de l'en dessous
Vécut comme aujourd'hui vit l'homme, haït, aima
Comme l'homme aujourd'hui hait, aujourd'hui il aime,
Les mêmes choses mêmement. En grondements
De roulis s'étirent les élongations sourdes
De l'année, ses projections brillantes démentent
Le plus futile iris sur l'oeil le plus vacant.
Le futur doit porter en lui chaque passé,
Tout autant les passés détruits, magniloquence
De syllabes, étain sur ébène, aussi bien
Espalier des vignes archiépiscopales,
La forme de bonheur que pour les connaisseurs
Revêt la révolution: il se pourrait bien 
Que le présage soit lui-même souvenir;
Et il se pourrait que le souvenir lui-même
Soit le temps à venir, et qu'il lui faille l'être,
Au moment que le présage, changé, endosse
Un masque avec brillance ho-hissé de la crasse,
Et que le seigneur du souvenir soit le sire
De la prophétie et s'avance et se révèle,
Sévèrement sacerdotal, quoique seigneur,
Masque de flamme, la forme tentaculaire
Un orbe errant sur un sentier qui s'est fait clair.
IV
Haut dans le ciel le présage tentaculaire
S'ébranle. La statue selon la perspective
Qu'un corbeau a des arbres déborde de blanc,
Chiaroscuro mis à l'échelle de l'espace.
De l'espace? Mise à échelle de l'espace,
La statue composerait un anneau de têtes
Et de hanches, arraché à la moindre taille,
Avec des dos plus larges que l'oeil, non pas chair
Dans le marbre, mais marbre massif en poussée
De ce qui n'est pas vu et ne peut qu'il le soit.
Le présage deviendrait hagard-homme envers
Une race nabote, la tête et les bras
Méditatifs un ombre foulée de sabots,
Buée-homme envers une race baisée d'astres,
Jambe deçà jambe delà dans la montée
D'une clameur tamtammant de terre centrale.
Non l'in camera de l'homme de l'en dessous,
Immesurable, l'espace en lequel il sait 
Le cricri du criquet et le pleur des palombes.
La statue prend place en une vraie perspective.
Les corbeaux ne confèrent que leur teinte aux feuilles.
Les arbres sont emplis de fanfares d'adieux,
Tandis que s'achèvent la nuit et le présage 
Dans la nuit, composés, avant que ne débute
L'ébranlement de sa roue.
					La statue prend place
Dans un espace rebattu, adieu, adieu,
Le vert, blanc, bleu de l'oeil-ballade au jour, de nuit
Le miroir de nuits autres combinées en une.
Le printemps est rebattu comme un instrument
Qu'un homme sans passion joue d'un doigt désoeuvré.
L'imagination même comporte une fin,
Quand la statue n'est pas objet imaginé,
Pierre que changea le sommeil. Elle est, elle est, 
Qu'ait lieu la façon dont elle a eu lieu, qu'ait lieu
Ce qu'elle pourrait avoir lieu de devenir.
Même l'homme à l'en dessous, le renverseur, bloque
La volée dans son esprit des emblemata,
Pensées par descendance. Faire effets de manche 
De la grand-cape que nous portons dans la nuit,
Se détourner des abominables adieux
Et éprouver, dans les ténèbres, à nouveau
La réconciliation, ravissement d'un temps
Sans imagination, sans passé, sans futur,
D'un temps au présent, est-ce alors là la passion,
Indifférente au bourdon battu du poète,
Que nous recélons? Une passion de draper
La cape, avec ses parements pour multitude,
D'un geste épuisé dans la lubie de ce geste,
Passion d'être pour rien plus que le gaudium d'être,
Jocundus au lieu de l'érudit de sang sombre,
L'homme de la nuée, d'être l'homme moyen
Parmi d'autres hommes moyens, avec la cape
À retailler, revoir le dessein de la nuit,
Suffoquer son souffle de sol, changer sa teinte,
La nuit et l'imagination étant tout une.
GMP12200619012008

 

 
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