De Hartford baigné d'une clarté pourpre

 

Combien de fois n'as-tu entrepris le voyage
Qui va du Havre à Hartford, ô Maître *Soleil*
Rapportant des clartés de Norvège et le reste.

Combien de fois l'océan ne t'a-t-il suivi
Qui tout comme un caniche mouillé se secoue
S'ébrouait par milliers de gouttes incessantes,

Chacune un charmant tricolore. C'est pourquoi
Les tantes de Pasadena, qui se souviennent,
Abhorrent le plâtreux des chevaux d'occident,

Bibelots de musées. Mais il existe, Maître,
Des clartés masculines, d'autres féminines.
Quel est ce pourpre-ci, ce présent parasol,

Ce projecteur pour une scène d'Opéra?
On dirait un pays empli de psalmodies.
Il s'agit d'Hartford, vu dans une clarté pourpre.

Quelques moments plus tôt, la clarté masculine,
Par larges mains oeuvrant au cœur de la cité,
Avait arrangé ses poses tout d'héroïsme.

Or maintenant, comme au sein d'une amour de femmes,
Le pourpre se referme en rond pourpre. Regarde,
Maître, vois le rail, la cathédrale, le fleuve...

Quand tombait la clarté mâle sur le dos nu
De la ville, le fleuve et le rail étaient clairs.
Et maintenant chaque muscle va s'affaissant.

Salut! Fustige-le donc, caniche, frétille
L'embrun de l'océan, toujours plus fraîchissant,
Sur les tronçons irisés, le bouquet de pierre.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

*Cuisine bourgeoise*

 

En ces jours de déshéritement, nous faisons
Bombance sur des têtes humaines. C'est vrai,
Les oiseaux rebâtissent des nids anciens
Et aux bois il y a du bleu. Quant aux églises,
Une nuit par semaine elles battent leurs cloches.
Mais c'est fini tout ça, c'était du temps d'antan
Quand ils s'allongeaient dans la tiédeur des prairies,
L'homme sur des lits verts, la femme à mi-soleil.
Les mots sont écrits mais restent à prononcer.
Cela ressemble à la saison, après l'été,
Quand c'est l'été sans être l'été, c'est l'automne
Sans l'être, c'est le jour sans l'être, comme si
Les lampes de la nuit d'hier brûlaient encore
Et que les gens de la veille continuaient
À contempler le ciel à demi porcelaine,
Plutôt que d'avoir à ballotter des corps lourds
Dans l'éclatante crudité de ce présent,

Cette science, ce méconnu, cet avant-poste,
Ce doux, ce mou, ce mort où des têtes humaines
Font nos délices, présentées sur des feuillages,
Couronnées des premiers bourgeons froids. Nous vivons
De têtes, non plus de l'ancien gâteau de graines,
Le fruit profond d'amande. Cette amère viande
Est notre subsistance... Qui sont ces assis?
La table est-elle un miroir où, assis, ils voient?
Sont-ils hommes mangeurs de réflexions d'eux-mêmes?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Puissances, et volonté &  saison

 

Pendant l'époque des nougats, le pair en jaune
Soupira dans le soir que sa vie se passait
Sans idées dans une contrée sans une idée,
Le jaune pair, le pers.

C'était à l'époque, et dans le lieu, des nougats.
Les cornouillers, les blancs et les roses, drapaient
De fleurs, à leur façon de fleurir, et la fille,
Une fille rose, sortit un corniaud blanc.

Il le fallait. Le corniaud devait promener.
La fille dut s'arc-bouter pour le retenir,
À l'époque des cornouillers, par poignées pleines
Épandant des couleurs. Pas une seule idée

De ce bord-ci de Moscou — des anti-idées
Et des contre-idées. Rien qu'eût quiconque. Pas un
Cheval à enfourcher et nul pour les monter
En cornac parmi les bosquets de cornouillers,

Pas de destriers blancs. Mais — un corniaud laineux,
Les draperies hissées sur des arbres âgés,
Qu'on aurait dit liquides, feuilles de nuages,
Coquillages sous l'eau. Les nougats, c'était ça.

Ça devait être ça: nougats. Ça transmuait
Les réalités, au risque de s'y tromper.
La saison était comme un plateau de serveur.
On était le premier dans un café propret.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Sur un vieux cor

 

I

L'oiseau répétait que jadis les oiseaux furent
Hommes, ou le seraient, bêtes dotées d'yeux d'hommes,
Hommes dodus de plumes, avares chiffrant
Leurs haleines, femmes à la mélancolie
Qu'on pouvait chanter. Du vermeil de son jabot
L'oiseau fit alors corner à l'entour des arbres
Une trompette. Est-ce qu'on pouvait avancer
Que c'était un bébé avec la queue d'un rat?
Les rochers étaient violets, jaunes, pourpres, roses.
L'herbe de l'iris portait des corolles blanches.
Puis l'oiseau détona. Est-ce qu'on pouvait dire
Qu'il chantait les couleurs des rochers, erronées
Comme est l'esprit, plutôt que les senteurs, tiédies
De soleil?
                    Dans son peu de voix, ou son décalque,
Ou moins, il trouva un homme, ou plus, opposable
Au désastre, et se proclama, fut proclamé.

II

Que les astres qui vont d'une masse unanime,
S'éparpillent en vols d'insectes enflammés
Au sein de la caverne que forme la nuit,
Cui-cui, cui-qua, cui-quorum… Le reste est sornette.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Bouquet de *belle sçavoir*

 

I

C'est elle et elle seule qui importe.
Elle l'a fait. Il est aisé de dire
Les figures du discours, par exemple
Son choix de la sombre rose distincte.

II

Tout ce qui y prend place est ce qu'elle est.
Pourtant la fraîcheur des feuilles, le ru
Des couleurs, sont des changements clinquants
Tirés de ceux du jour en sa rosée.

III

Combien souvent il s'en était allé
Avançant sous l'été et sous le ciel
Pour cueillir son contour dans son esprit…
Désolé de ce qu'il ne fût point elle.

IV

Le ciel est trop bleu, la terre trop vaste.
La pensée qu'il a d'elle la dérobe.
La forme d'elle empreinte en d'autres choses
Ne suffit pas.

V

La réflexion d'elle, ici ou bien là,
Est un contour autre, autre escamotage,
Autre déni. Si partout on la trouve,
Elle ne se trouve en nul lieu, pour lui.

VI

Mais voici ce qu'elle a fait. Et si c'est
Une image encore, elle en est l'auteur.
C'est elle qu'il veut, à dévisager,
Quelqu'un face à lui qu'il connaisse et voie.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Variations sur un jour d'été

[NdT: cette traduction est dédiée à Danielle Pinkstein]

 

I

Dis des mouettes qu'elles vont volant
Par un air bleu clair sur flots bleu foncé.

II

Une musique plus qu'une haleine, mais moindre
Que le vent, sub-musique telle qu'un sub-dire,
Une répétition de choses sans conscience,
Des lettres de rocher et d'eau, des mots formés
Des éléments qui sont visibles, et des nôtres.

III

Les rochers aux falaises sont têtes de chiens
Qui se métamorphosent en poissons et sautent
Dans la mer.

IV

Étoile sur Monhegan, étoile atlantique
Lanterne sans porteur, voici que tu t'égares,
Toi, de même, en dépit de ton cours, tu t'égares;
À moins que dans le noir, diadémée de brillance,
Tu ne sois la volonté, s'il y en a une,
Ou le prodige d'une volonté qui fut,
L'un des prodiges de la volonté qui fut.

V

Les feuilles de la mer sont roulées et roulées.
Il y avait un arbre qui était un père.
Prenant place à son pied, nous chantâmes nos chants.

VI

C'est chose sans chaleur qu'être jeune à jamais,
Toucher les grèves tragiques et s'écouler,
Saphir autour des rocs délavés de soleil,
Étant, pour les vieillards, seul le temps de leur temps.

VII

Un seul moineau vaut plus qu'un millier de mouettes
S'il chante. La mouette perche aux cheminées,
Y raille la pintade et défie le corbeau,
Incitant à la production de divers modes.
Le moineau vous rétribue, sans nulle intention.

VIII

Exercice d'observation du monde.
Sur le motif! Mais on scrute la mer
Comme on improvise, sur le piano.

IX

Ce monde nébuleux, par le biais de la terre
Et de la mer, du jour et de la nuit, du vent
Et du calme, produit davantage de nuits,
Davantage de jours, de nuages, de mondes.

X

Changer la nature et non rien que des idées,
Échapper au corps, de manière à ressentir
Ces émotions devant quoi se cabre le corps,
Les émotions autour de nous de ces natures:
Comme ce qu'un bateau sent, cinglant sur l'eau bleue.

XI

Voici qu'à Pequamid la fléole des près
Que la chaleur bouclait a des pointes d'argent
Et est froide. La lune suit le soleil comme
La traduction française d'un poète russe.

XII

L'épicéa partout enterre les soldats:
Hugh March, sergent, Anglois, tué, avec ses hommes,
De l'autre bord de la barbacane. Partout,
L'épicéa enterre les épicéas.

XIII

Couvrez la mer de la rose des sables.
Emplissez le ciel des radiantiana
De l'embrun. Qu'il ne reste rien du sel.

XIV

Les mots ajoutent à nos sens. Les mots qui disent
L'éblouissement du mica, la brize en branle,
Le tégument arachnéen des arbres morts,
Sont l'œil qui s'élargit, qui se fait plus intense.

XV

La dernière île et son habitant,
Semblables tous deux, distinguent des bleus,
Jusqu'à ce qu'il n'y ait de différence
Entre mer et air que par grâce seule,
Dans des objets, tels blanc-ci et blanc-là.

XVI

Tournoyant, tournoyant va la cloche de l'eau
Et l'eau même, elle va tournoyant, tournoyant
Et cela qui est l'ampleur de son mouvement,
La cloche de son dôme, le patron du son.

XVII

Passent la porte et passent à travers les murs,
Ceux que chargent le baumier au parfum de champ,
Pinifères portant le sommeil au sommeil.

XVIII

Marée basse, eau plane, soleil pesant.
On contemple rouler de très profondes ombres.
Damariscotta tradéri déra.

XIX

Un garçon nage sous une baille, où un autre
Est assis. Landéri! Voici l'homme-bateau,
Dans un factothomme plus épatant que Naples

XX

On pouvait presque en voir les cuivres rutiler,
Pas tout à fait. La brume était à la lumière
Ce qu'est le rouge au feu. Son grand mât s'épointait
Jusqu'à rien, sans baller même d'un millimètre.
On aurait dit que les perles sur ses rambardes
Parvenaient presque à agripper la transparence.
Ce n'était pas l'heure encore du saut hardi.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Après-midi jaune

[NdT: cette traduction est dédiée à Gervasio Fierro]

 

Ce n'était que dans la terre
Qu'il était au fond des choses
Et de lui-même. Il pouvait
Déclarer là J'en procède,
Ceci est le patriarche,
Ceci est ce qui répond
Quand j'interroge, ceci
Est la sculpture dernière
Et muette autour de quoi
Gît le silence en silence.
Elle repose au printemps
Mêmement, comme elle fait,
Bronze arboré, en automne.

Il dit J'ai eu ceci que je pouvais aimer,
Comme on aime la paix visible et réceptive,
Comme on aime son être propre, comme on aime
Cela qui est la fin et qui doit d'être aimé,
Comme on aime cela dont on est une part
Comme en une unité, une unité qui est
La vie même qu'on aime, de façon qu'on vit
Toutes les vies qui forment sa composition
En vie de l'unité fatale de la guerre.

Du milieu de son champ tout vient à sa rencontre.
La senteur de la terre perce plus avant
Que ne fait aucun mot. Il touche là son être.
Tel qu'il est là, il est. La pensée qu'il avait
Trouvé tous ces éléments au milieu des hommes,
Et en une femme — elle lui coupa le souffle —
Mais il revint comme on s'en revient du soleil
Pour s'allonger dans le noir, au bord d'un visage
Sans yeux ni bouche, qui vous regarde et qui parle.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Cadence martiale

 

Pas plus tard que ce soir je l'ai de nouveau vue au bord du ciel
L'étoile du soir, au commencement de l'hiver, cette étoile
Qui au printemps couronnera chaque horizon occidental,
De nouveau… comme de retour, comme si la vie revenait
Non dans un fils ultérieur, une fille autre, un autre lieu,
Mais comme si le soir nous avait trouvés jeunes, toujours jeunes,
Toujours en déambulation au sein d'un présent qui fût nôtre.

II

C'était ainsi qu'un temps soudain dans un monde privé de temps,
Ce monde, cet endroit, la rue dans laquelle je me trouvais,
Privés de temps : comme ce qui n'est pas est dépourvu de temps,
N'est pas, ou bien relève de cela qui était, est empli
Du silence avant les armées, des armées qui sont dépourvues
De trompettes ou de tambours, les commandants muets, les armes
Au sol, rigidement plantées dans une profonde défaite.

III

Quel rapport entre cette étoile et le monde qu'elle éclairait,
Avec la vacance des cieux sur l'Angleterre, sur la France
Au-dessus des camps allemands? Elle paraissait à l'écart.
Or c'est pourtant elle qui saura maintenir — elle-même est
Le temps, ce qui est à l'écart de tout passé, est à l'écart
De tout futur, est la vie sans fin et l'être indéfiniment,
Le mouvement et le souffle indéfiniment du feu constant,

IV

Le présent dans sa proximité, le présent réalisé,
Non le symbole, mais cela que représente le symbole,
La chose vive dans l'air jamais soumise à nul changement
Quand bien même l'air change. Pas plus tard que ce soir je l'ai vue
Au commencement de l'hiver, et j'ai déambulé, parlé
De nouveau, vécu et été, respiré de nouveau, bougé
Et j'ai de nouveau flamboyé, le temps de nouveau flamboyant.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Homme et bouteille

 

L'esprit est le grand poème de l'hiver, l'homme,
Qui, pour trouver ce qui saura suffire,
Détruit de romantiques logis
De rose et de glace

Au pays de la guerre. Plus que l'homme, il est
Un homme avec la furie d'une race d'hommes
Un éclat au centre de maints éclats,
Un homme au centre d'hommes.

Il doit contenter la raison quant à la guerre,
Il doit persuader qu'il a la guerre en part,
En manière de penser, en mode
De destruction, de même que l'esprit détruit,

En aversion, comme le monde est averti
D'un ancienne bévue, d'une vieille affaire avec le soleil,
D'une impossible aberration avec la lune,
D'une canaillerie de paix.

La neige, elle n'est pas la plume, ni la page.
Le poème flagelle plus farouchement
Que ne fait le vent, comme l'esprit, pour trouver
Ce qui saura suffire, détruit
De romantiques logis de rose et de glace.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

De la poésie moderne

 

Le poème de l'esprit dont l'acte fournisse
Ce qui saura suffire. Il n'a pas toujours eu
À trouver: la scène était prête, il répétait
Ce que le script disait.
                                Le théâtre changea
Ensuite de nature. Son passé passa
Au rang de souvenir. Il faut qu'il soit vivant,
S'il veut apprendre les mots du cru, qu'il affronte
Les hommes de ce temps et rencontre les femmes
De ce temps. Il faut qu'il pense à la guerre et trouve
Ce qui saura suffire. Il faut qu'il se construise
Une nouvelle scène et qu'il y prenne place.
Il lui faut, comme avec un acteur insatiable,
Par lenteur et par méditation, proférer
Les mots qui, à l'ouïe, à l'ouïe de l'esprit
La plus exquise, répètent exactement
Cela qu'il veut entendre, à la rumeur de quoi
Un public invisible tende son oreille
Vers soi-même, non pas vers la pièce: vers soi,
Exprimé au travers d'une seule émotion
Venue de deux personnes, de deux émotions
Se fondant alors en une seule. L'acteur
Est métaphysicien dans le noir, qui rudoie
Un instrument, rudoie une corde noueuse
Dont les sonorités prennent comme en écharpe
De soudaines justesses où se trouve inclus
L'esprit en son entier, vers l'en dessous de quoi
Il ne peut décliner, dans l'au-delà de quoi
Il n'a aucun désir de s'élever.
                                         Il doit
Être l'invention d'une satisfaction
Et peut aussi bien concerner un patineur,
Une femme en train de danser, ou une femme
En train de se peigner. Le poème de l'acte de l'esprit.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Arrivée au Waldorf

[NdT: cette traduction est dédiée à Stephanie Browner-Hamlin].

 

Retour du Guatemala, chez soi, au Waldorf.
Cette arrivée au pays sauvage de l'âme,
Toute approche abolie, étant pleinement là,

Où le poème sauvage est un substitut
De la femme qu'on aime ou qu'on devrait d'aimer,
Une rhapsodie sauvage en feinte d'une autre.

Tu touches l'hôtel de la façon que tu touches
Le clair de lune aussi bien que le clair soleil
Et tu fredonnes et l'orchestre aussi fredonne

Alors que tu avances «Le monde en un vers,
Une génération sous sceau, hommes distants
Plus que des montagnes, et femmes invisibles

Dans le geste, dans la couleur, dans la musique»,
À la suite de cette verdeur étrangère
À bout portant du Guatemala avéré.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Paysage avec bateau

 

Un homme-anti-maître, ascète florabondant.

Il refoula le tonnerre, puis les nuées,
Puis la colossale hallucination des cieux.
Le ciel était pourtant bleu. Il voulait, de l'air,
L'imperceptible. Il voulait de voir. Il voulait
Que l'œil vît sans être atteint de bleu. Il voulait
De savoir, homme nu qui se mirait au verre
De l'air, qui cherchait le monde en deçà du bleu,
Dénué de bleu, sans teinte ou phase turquoise
Non plus que de l'azur nul apprêt ni vernis.
Doge de l'os, il rejeta, il dénia,
Pour pouvoir arriver à la neutralité
Qui est au centre, à l'élément propitiatoire,
Au primitif monochrome, décoloré.
Ce n'était pas que la vérité se trouvât
Où il la pensait, pareille à un spectre, au sein
D'une nuit incréée. Il paraissait plus simple
De penser qu'elle se trouvait en tel endroit.
Si elle ne se trouvait nulle part ailleurs,
Elle pouvait bien être là et du fait même
Qu'elle ne se trouvait nulle part, il fallait
Lui supposer un lieu, il fallait qu'elle-même
Elle fut supposée, supposition de chose
Dans une supposition de lieu, une chose
Qu'il atteignît sise en un lieu qu'il atteignît
Par rejet de ce qu'il voyait et par déni
De ce qu'il entendait. Il y arriverait.
Il lui suffisait de ne pas vivre, avancer
Dans le noir, pour se voir projeté par un vide
Au sein d'un autre vide.
                                  C'était sa nature
Que de supposer, que d'admettre ce que d'autres
Avaient supposé sans l'accepter. Il admit
Ce qu'il déniait. Pour qu'elle fût acceptable,
Il supposait toutefois une vérité
Située par-delà toutes les vérités.
Jamais il ne supposa qu'il pût lui-même être
Vérité, ni qu'il pût y avoir une part,
Que les choses qu'il rejetait y eussent part,
La turquoise irrégulière, part, et le bleu
Perceptible dont s'accroît la densité, part,
Et l'œil par là touché, par là l'objet du jeu
Des nuées, l'ouïe que magnifie le tonnerre,
Part, et l'ensemble de toutes ces choses, part,
Et quantité de choses, part. Pas une fois,
Il ne supposa que ce qui est divin pût
N'en avoir pas l'aspect, que si rien n'est divin
C'est que tout l'est alors, et le monde lui-même,
Et que si rien n'est la vérité, il s'ensuit
Que toute chose est la vérité, que le monde
Est lui-même la vérité. Eût-il été
Plus apte aux suppositions, on l'aurait trouvé
Siégeant sur le sofa d'un balcon en surplomb
De la Méditerranée, passant d'émeraude
À émeraudes, pris par la vue des palmiers
Ouvrant leurs paumes vertes dans l'air embrasé.
Il aurait pu observer une liane jaune
Et la trace du sillage d'un paquebot
Et dire: «Ce que je fredonne paraît être
Le rythme de cette céleste pantomime.»

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Concernant l'adéquation du paysage

 

La petite chouette en vol traversa la nuit,
Comme si les gens en l'air vivaient en effroi
Et qu'elle leur fût quelque chose d'effroyable
Rien qu'en étant là,

Les gens qui, pour s'être égaillés, en arrivèrent
À éviter le discursif des ailes hâles,
Éviter l'aller-haut du hélage qui s'aile
Aux choses centrales,

Ni en leur cœur vide ressentir davantage
La rougeur du soleil à couleur de sang cru,
Non plus que se réduire jusqu'à l'insensible
D'un oubli menu,

Par-delà le jour à son dur le plus diamant
Des gens pour qui la douleur fait partie du lot,
Quand des coqs leur enjoignent, lacérant leur lit,
D'être de nouveau,

Et qui, par là, se tournent du côté des coqs
Et du côté de l'aube qui pointe et des ormes
Et de l'éclat derrière le corps de la nuit
Et du soleil, comme

Si ces choses étaient telles, le soleil âpre :
Le durement soi, le sens sous quoi tout se range,
L'intensité de ce qu'ils sont, la robustesse
Qu'entre eux ils échangent,

Tant que c'est lui, le souffrant, qui le plus désire
L'oiseau rouge le plus au ciel le plus robuste —
Non ces gens en l'air à l'ouïe de qui volette
La petite chouette.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

*Les plus belles pages*

 

Le laitier vint au clair de lune.
Le clair de lune était bien moins
Qu'un clair de lune. Rien n'existe
Par soi seul. Or le clair de lune
Semblait le faire.

                         Deux personnes,
Trois chevaux, un bœuf, le soleil,
L'ensemble des flots de la mer.

Or le clair de lune et d'Aquin
Semblaient le faire. Il discourut,
Et ne cessa de discourir,
Sur Dieu. J'ai fait, du mot, un homme.
L'automate, dans la logique
Bouclée sur soi, existe en soi.
Ou le saint a-t-il survécu?
Est-ce qu'un grand nombre d'esprits
Endossent une seule forme?

Après le petit déjeuner,
La théologie colle à l'œil.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Poème avec rythmes

 

La main entre la chandelle et le mur
Grandit sur le mur.

L'esprit entre cet éclat ou cet autre
Et l'espace (cet homme en chambre avec l'image
Du monde, cette femme en attente de l'homme
Qu'elle aime) s'agrandit contre l'espace:

Là, l'homme voit l'image à la fin clairement.
Là, la femme reçoit son amant dans son cœur
Et pleure à son cou, bien qu'il ne vienne jamais
.

Ce doit donc être que la main
Est douée de la volonté de s'agrandir contre le mur,
S'agrandir, se faire plus lourde et plus solide que le mur;
Que l'esprit, se tournant vers ses figurations, déclare:
«Cette image, cet amour, c'est d'eux que je me compose
Qui je suis et en leur sein, mon pas se porte au dehors.
En leur sein, je suis vêtu d'une netteté vitale,
Qui n'est pas comme d'air, air à ressemblance bleu vif,
Mais comme au puissant miroir de mon vouloir et mon vœu

 

 

 

 
 
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