Transport to Summer

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Dieu est bon. C'est une belle nuit.

 

Jette un oeil alentour, oiseau brun, lune brune, tandis que tu te lèves pour prendre ton vol,
Un oeil à cette tête et à cette cithare
Sur le sol.

Jette un oeil aux alentours de toi, lune brune, au moment que commence ton ascension
Au livre et au soulier, à la rose putride
À la porte.

C'était bien vers ce lieu que tu t'en vins la veille, aux parages de quoi tu es venue voler,
Vers lequel tu volas sans fuir dans les hauteurs.
À nouveau,

Dans ton éclat, la tête, la voici qui parle. Elle lit le livre. À nouveau, elle devient
L'érudit qui est en quête des plus célestes
Rendez-vous,

Qui pince la plus fluette des mélodies sur la corde la plus rouillée et, pressurant
Le chicot de l'été, en extrait la senteur
La plus rouge.

C'est du feu de tes ailes que va dévalant le vénérable chant. Le chant
Du grand espace de ton époque transperce
La nuit fraîche.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Certains phénomènes sonores

 

I

Le criquet dans le téléphone se tient coi.
Un géranium se fane au bord de la fenêtre.

Le lait dans la soucoupe du chat a séché.
Le chant dominical est dû aux battements

D'ailes de sauterelle, qui ne battent pas
Du fait de la douleur, mais du calendrier,

Ni ne méditent le monde tandis qu'il tourne.
Quelqu'un est parti pour un tour en montgolfière

Ou dans une bulle, observe la bulle d'air.
La chambre est plus vide que le néant. Pourtant,

Sous le lit, dans le soulier gauche, une araignée
Tisse — et le vieux John Rocket sur le lit somnole.

C'est en sécurité que l'on cède au sommeil
Dans le bruit d'un son que le temps fait revenir.

II

Te voici de retour, Séquoia la Vadrouille,
Prêt à festoyer... Naaman, tranche la mangue,

L'arrosant de vin blanc, de citron vert, de sucre.
Puis apporte-la, après que nous aurons bu

Le Moselle, au jardin, dans l'ombre la plus dense.
Il faut nous apprêter à entendre l'histoire

Du Vadrouilleur. Le bruit de cette sonatine
Savante, qui nous vient de la maison, fait croire

Que la musique est une nature, est un lieu
Où elle-même est la source de tout le reste,

Où le Vadrouilleur devient une voix plus grande
Que les séquoias, engagée dans le récit

Le plus prolifique, un son qui devient la source
De chacune des choses qui sont exprimées.

III

Eulalie, m'allongeant sur un fauteuil du porche
De l'hôpital, du côté de l'est, soeur et nonne,
J'ai ouvert une ombrelle, que j'avais trouvée,
Contre le soleil. L'intérieur d'une ombrelle,
C'est ainsi qu'un vide au sein duquel on peut voir.
De ce fait, y voyant, je vous ai contemplée
Tandis que vous marchiez, blanche, chatoyée d'or
Par le soleil, percevant, en vous observant,
Qu'Eulalie de cette lumière était le nom.
Alors moi, Sémiramide, à sombre syllabe,
Contrastant nos deux noms, je me suis attachée
Au langage. C'est votre nom qui vous créait,
Le mot est ce dont vous étiez le personnage.
Il n'est aucune vie, si ce n'est sur son mot.
J'écris Sémiramide et dans cette inscription
Je suis et j'ai un être et je remplis un rôle.
Vous êtes cette blanche Eulalie-là du nom.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le mobile de la métaphore

 

Tu aimes en automne l'en dessous des arbres
Parce que tout est à demi mort.
Le vent sur les feuilles se meut en invalide
Et répète des mots dépourvus de sens.

Et tu étais de même heureux au printemps,
Avec les demi-coloris des quarts de choses,
Le ciel un rien plus vif, les nuages fondant,
L'unique oiseau, la lune obscure —

La lune obscure brillant sur un monde obscur
Empli de choses qui jamais ne seraient vraiment exprimées,
Où toi-même tu n'étais pas vraiment toi-même
Et ne voulais pas l'être et n'avais pas à l'être,

Désirant les allégresses des changements:
Le mobile de la métaphore, esquivant
La pesanteur du midi premier,
L'ABC d'être,

La tempérament vermeil, le marteau
Du rouge et bleu, le bruit incisif —
Fer contre intimation — l'éclair abrupt,
Le vital, arrogant, fatal, impérieux X.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Gigantomachie

 

Ils ne pouvaient, en soldats, charrier grand-chose.
Aucun passé ne logeait dans leur oubliance,
Nul en soi dans la masse: l'être le plus brave,
Le corps que jamais rien ne viendrait à blesser,
La vie jamais qui ne finirait, quel que fût
Le mourant, l'être qui était une abstraction,
Un coeur de géant dans les veines, tout courage.

Mais décaper les trivialités complaisantes,
Expulser la permanence des séductions,
Rejeter le script pour son tragique à la manque,
Affronter à l'oeil le plus nu les changements,
C'était contempler ce que magnifiait la guerre.
C'était accru, élargi, c'était simplifié,
Rendu unique et un. Ce n'était point déni.

Chaque homme même se transforma en géant,
Appointi de largeur et portant le pesant
Et l'altier, recevant, qui émanait des autres,
Comme au haut d'une altitude et d'une origine
Inhumaines, un personnage non humain,
Un masque, un esprit, un fourniment. Aux soldats,
La lune nouvelle couvre plus de vingt pieds.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Tombes bataves dans le comté de Bucks

[NdT: cette traduction est dédiée à Micheline Mourier]

 

La rage des hommes, la furie des machines
Pullulent dès le bas bout bleu de l'horizon
Jusqu'à l'immense bleu de la hauteur médiane.
Les hommes se dispersent à l'entier des nues.
Les roues sont bien trop larges pour un bruit quelconque.

Vous, mes *semblables*, dans vos logis charbonneux,
Inaudibles, tambourinez sur des squelettes.

Il y a des vociférations et des cris.
Il y a des échos d'hommes à pied dans l'air.
Les hommes vont d'avant et défilent en rangs
Dans un écho léger, de ce léger pesant
De ceux qui défilent en rangs, par multitudes.

Vous, mes *semblables* — l'antique drapeau batave
S'émeut dans le sein de ténèbres minuscules.

Il y a des cercles d'armes dans le soleil.
L'air accommode la luisance des fusils,
Comme si le vacarme procédait de soi,
Comme s'il était une manière de dire,
Un on-dit expressif, une profession.

Vous, mes *semblables*, êtes par deux fois tués
Qu'on inhume au désert en terre désertée.

Les drapeaux sont des natures trouvées de neuf.
L'éclat des mousquetons s'avive sur le champ.
On entend gronder un défilé automnal
Dont nulle manche doucement ne nous soulage.
La destinée est le présent desperado.

Vous, mes *semblables*, êtes des gangues gisant
Dans votre temps et votre lieu d'étiolements.

Il y a les tambours en trombe. La clameur
Des clairons corne et tonne aux puissances du coeur.
Une force croît qui cornera plus tonnante
Que la musique la plus canonnée, tonnante
À la façon d'une incantation instinctive.

Vous, mes *semblables*, vous n'avez rien en partage
De nous dans le total de la ressouvenance.

Une fin doit, triomphe inflexible, advenir,
Par logique plus profonde, une fin au mal,
Dans une paix qui soit plus qu'un lieu de refuge,
Voulue par ce qui est en commun à tout homme,
Comme l'énoncent la vie et la mort fourbues.

Vous, mes *semblables*, savez, en verdeur aïeule,
Que le passé n'est pas une part du présent.

Il y eut d'autres troupes, d'autres gens, des hommes
Venus comme le soleil vient, enfants primeurs
Tardifs errants rampant sous la nuit barbelée,
Tel an, cet an, cet autre, enfin défaits, perdus
Dans une ignorance de sommeil sans conquête.

Vous, mes *semblables*, savez que ce temps n'est pas
La primeur d'un temps qui se serait fait tardif.

Mais ces armées ne sont pas celles-là qui rouillent.
Elles sont les plus salaces, les plus gaillardes,
Le charivari du bien-être dans ses biens,
Le trop-plein de bien trop nombreux déshérités
Dans une tempête de testaments en pièces.

Vous, mes *semblables*, comprenez que vos enfants
Ne sont pas vos enfants, et ne sont pas vous-mêmes.

Qui sont les vieilles barbes verdies, marmonnant,
Anciens monstres hagards de pensées désuètes?
Quel est ce crépitement de voix dans l'esprit,
Ce clapotement de liberté archaïque,
Des milliers de libertés mais non point la nôtre?

Vous, mes *semblables* qui avez eu pour extase
La gloire du ciel dans des terres indomptées —

La liberté est telle un homme qui se tue
Chaque soir, incessant boucher, dont le couteau
S'affûte de sang. Les armées tuent les armées,
Dans le sang desquelles meurt un antique mal —
L'action marquée d'inguérissable tragédie.

Vous, mes *semblables*, contemplez en cécité
S'assembler une neuve gloire d'hommes neufs.

C'est l'abysse du tourment que la fin placide
Soit illusion, que les cohues de la naissance
Évitent nos perfections flétries, poursuivant
Les leurs, dans l'attente de nous voir déguerpir
Pour piqueniquer aux ruines que nous laissons.

Afin, mes *semblables*, simarres, que les astres
Luisent sur la vie même des vivants eux-mêmes.

Ces marcheurs du présent en violentes rangées,
Qui grondent au rebord de l'horizon d'automne,
Sous les arches, au-dessus des arches, en arcs
D'un chaos composé dans plus que le simple ordre,
Vers le centre d'une génération défilent.

Nul temps ne fut gâché dans vos temples subtils.
Ni divergence, non, trop déclive à la suivre.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Pas un seul petit morceau
de mouche ou de vermisseau

 

Il n'est pas là, le vieux soleil,
Absent comme si nous dormions.

Champ gelé. Feuilles desséchées.
Dans cette lumière, l'atroce

Est sans recours. Dans cet air nu
Les fétus brisés ont des bras

Sans mains. Ils ont des troncs sans jambes,
Qui sont d'ailleurs aussi sans tête.

Ils ont des têtes où un cri,
Prisonnier, n'est qu'effervescence

De langue. La neige scintille
Comme un regard se coule à terre,

Comme tombe au lointain l'oeil vif.
Les feuillages en tressautant

Sonnent en rabot sur la glèbe.
Il fait profondément janvier.

Le ciel est dur et dans la glace
Sont plantés fermes les fétus.

Or c'est dans cette solitude
Qu'issue de ces flottements gourds

Une syllabe fait sonner
L'unicité de sa vacance,

La plus féroce vacuité
Du bruit d'hiver. Et c'est ici

Dans cet atroce, qu'on atteint
La pureté la plus extrême

De la connaissance du bien.
Le corbeau a couleur de rouille

Au moment qu'il reprend son vol.
Si vive, la méchanceté

Dans son oeil... On l'y va rejoindre
Afin de ne pas être seul

Mais tout en gardant ses distances,
En se perchant sur un autre arbre.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Unetelle reposant sur sa couche

 

Sur son flanc, et à l'appui de son coude.
Ce mécanisme, cette apparition,
Mettons qu'on la nomme Projection A.

Elle flotte dans l'air au niveau de
L'oeil, dans un anonymat complet, née
Telle quelle, âgée de vingt-et-un ans

Sans lignage ou langage, seulement
Sa rondeur de hanche, en geste immobile,
Ses yeux coulées de bleu, tant à apprendre.

Si juste au-dessus de sa tête était,
Suspendue en l'air, quelque vague tiare
De gable gothique et practique claire,

La suspension, comme en un bloc d'espace,
La main suspendue retirée serait
Un geste invisible. On le nommera

La projection B. Atteindre à la chose
Sans le moindre geste est l'atteindre en tant
Qu'idée. Flottant dans le débat, la femme

Est dans le flux entre chose en idée
Et idée en chose. Elle est pour moitié
Celui qui la fit. C'est là, pour finir,

La projection dernière, appelée C.
L'arrangement inclut le désir de
L'artiste. Mais on se confie à quoi

Est dépourvu de créateur celé.
C'est avec aisance que l'on parcourt
La grève intouchée par l'art pictural

Et accepte que le monde soit tout
Sauf une sculpture. Bonne nuit et,
Mme Pappadopoulos, merci.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Chocorua à son voisin

 

I

Parler calmement à travers tant de distance,
Parler et se faire entendre, c'est être vaste
Dans l'espace, comme le tien propre, si vaste,
Et être, de ce fait, part du ciel, de la mer,
De la terre et de l'air vastes. C'est percevoir
Les hommes sans faire référence à leurs formes.

II

Les armées sont des formes innombrablement,
Comme le sont les villes. Les armées sont villes
En mouvement. Mais une guerre entre des villes
Est gesticulation de formes, elle est nombre
Qui s'agglutine sur le nombre, elle n'est pas
Un seul pas qui s'approche, un seul bras qui se lève.

III

La nuit dernière, à la fin de la nuit, surgit
Un astre de cristal, l'étoile du matin
Effilée de cristal qui éclaira la neige
D'un éclat congénial à l'ombre prodigieuse
De celui qui parut, dans une liberté
Élémentale, contour tranchant et glacé.

IV

Ce qui s'en ressentait était la sensation
Du jour et d'une journée non encore vue,
En quoi voir était être. Il était la figure
Dans un poème composé pour Liadoff,
L'être au centre des êtres: en faire l'objet
De sa pensée détruisit la forme du corps.

V

Il était une écorce de verre bleu-nuit,
Ou glace, ou air collecté en un grave essai,
Ou lumière personnifiée, ou presque telle,
Éclair sur des épaules, des bras et un torse
Plus que musculeux, la transparence du bleu
À la fin, au moment qu'il est passé au noir,

VI

Le chatoiement d'une entité que le regard
Acceptait quand pourtant rien ne le comprenait,
Une fusion de nuit, son bleu pôle du bleu
Et du ressassement de l'esprit, stationnaire
Hormis pour une légère illumination
De mouvement aux moments où il respirait.

VII

Il était aussi haut qu'au milieu de la nuit
Un arbre. La substance de son corps semblait
Être tout à la fois substance et non substance,
Chair lumineuse ou feu de beau galbe: le feu
D'un monde d'antipodes, d'un moindre degré
Que les flammes et d'un étincellement moindre.

VIII

Sur mon faîte, il respira le noir effilé.
Il n'était pas homme, il n'était pourtant rien d'autre.
S'il l'était de l'esprit, il s'est évanoui,
Y adoptant les limites de l'esprit même
À la manière de quelque tragique objet
Dépourvu d'existence, existant en tout lieu.

IX

Dans l'effilement du cristal du changement,
Il respira toute l'expérience nocturne,
Comme s'il respirait, prise à la solitude,
Une conscience, inhalait une liberté
Prise à la stature qui se formait d'argent,
Contre le tout de l'expérience diurne.

X

Argent informe, incrustation d'or, la stature
Du grand jour parut tandis qu'assis il pensait.
Il dit alors: «Les moments d'agrandissement
Négligent le cri du plus simple des soldats
Qui va s'agrandissant en cela que je suis,
Dans le moment qu'il tombe. De ce que je suis,

XI

Le cri est une part. Mes solitaria
Sont les méditations d'un esprit central.
J'entends les mouvements de l'esprit et le bruit
De cela qui est secret pour moi se transforme
En une voix qui n'est autre que le discours
De ma propre voix dans le creux de mon oreille.

XII

Et c'est là la misère, le plus froid repli
Qui agrippe le centre, la morsure au vrai:
Que la vie elle-même est comme un dénuement
Dans l'espace de la vie, de telle manière
Que le vent clabaudant ici autour de moi
Est chose en lambeaux que je ne puis pas tenir.»

XIII

En dépit de cela, la masse gigantesque
Qu'il formait crut en force, comme si le doute
N'entrait jamais en son coeur. De quoi relevait
Cette force? D'où provenait, de quel désir
Et de quel travail de pensée, sa radiance?
En quel esprit neuf son corps avait-il naissance?

XIV

Il était plus qu'une majesté extérieure,
Au-delà du sommeil de ceux dans l'ignorance,
Plus que l'un des porte-parole de la nuit
Pour dire Voici que le temps est suspendu.
C'est du sein du sommeil qu'il était apparu.
S'il survint, c'est que des hommes voulaient qu'il fût.

XV

Ils voulaient qu'il fût durant le jour, une image,
Mais non pas la personne, de ce qu'ils pouvaient,
Une pensée, mais non pas le penseur, et vaste
À la mesure de leur ampleur, au-delà
De leur forme, au-delà de leur vie, pourtant d'eux,
Excluant par son ampleur même leurs défauts.

XVI

La nuit dernière à la fin de la nuit, sa tête
Étoilée, ainsi que la tête du destin,
A scruté les ténèbres qu'elle était pour part,
Pour part désir, pour part le sens de ce que sont
Les hommes. L'entité collective savait
Que d'autres étaient comme elle à l'abri d'un toit:

XVII

Le crasseux capitaine sur son oreiller,
L'imposant cardinal, occupé aux prières
Des tout premiers instants de la journée; la pierre,
L'effigie catégorique; et le nom, la mère
Et la musique; l'érudit dont l'esprit vert
Se bombe sous l'effet de teintes compliquées:

XVIII

Véritables transfigurateurs prélevés
À la montagne humaine, génies véritables
Des diminués, sphères, embryons géants
De populations, amis bleus parmi les ombres,
Riches conspirateurs et riches confidents
Et riches réconforts et parenté altière.

XIX

Parler plus qu'humainement d'une voix humaine,
Cela ne peut pas être; humainement parler
D'une voix plus qu'humaine, cela, aussi bien,
Ne peut être ; parler humainement depuis
L'altitude ou l'abîme des choses humaines,
C'est cela le discours à son plus rigoureux.

XX

Or moi, Chocorua, je parle de cette ombre
Comme une chose humaine. Elle est une éminence,
Mais qui ne l'est de rien, détritus de sommeil
Qui va disparaître avec tout ce qui, la nuit,
Y est chose spéciale, petit à petit,
Dans la constellation du jour et demeurer,

XXI

Pourtant, être, non le père: le frère nu
Megalfrère, ou quel que soit le nom malotru
Dont un homme nommerait le commun de l'être,
Fons intérieur et fond, l'homme totalement
Dans la globalité de sa globulité,
Clochard politique avec un air héraldique,

XXII

Muée de nues, métaphore métaphysique
Mais sur moi reposant et penseur dans ma neige,
Physique si le regard est rapide assez,
De telle sorte que, là où il était, est
Un ravivement du feu, là où il est, l'air
Change et se forme une fraîcheur à respirer.

XXIII

L'air change, crée et re-crée, ainsi que la force,
Et respirer est un comblement du désir,
Un éclaircissement et une détection,
Un terme et une ampleur, vécue et non conçue,
Un espace qui est alors une nature
Instantanée et de manière éblouissante.

XXIV

Intégration pour intégration, les grand bras
Des armées, les hommes d'un seul bloc, font la fable
Imposante. Celui-ci est leur capitaine
Et leur philosophe, lui qui est fortelesse
Quand bien même il est malaisé à percevoir
Et bien davantage malaisé à toucher.

XXV

La nuit dernière à la fin de la nuit, au ciel,
La nuit moindre, le moindre que l'éclat de l'aube
Vint s'abattre sur lui, dans sa froide altitude,
Cherchant ce qui dans cette hauteur lui était
Natif, cherchant ce qui dans ce froid pouvait être
Le plaisir dont son esprit se trouvait empli.

XXVI

Combien il était donc singulier, en tant qu'homme,
Combien vaste, et même s'il n'était que cela,
Combien vaste en ma présence à ce moment-là,
Le compagnon de présences bien supérieures
À la mienne, de son exigence, la tête
Et, du réel fait humainement, rude roy...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Poésie abrutie

 

Les ruisseaux se hérissent dans le champ,
Vrai, les ruisseaux se hérissent aux champs —
Janvier l'engelure est allé au diable.

II

Les mares d'eau sont tout au plus des mares.
Et la glace est tout à fait févriar.
Il glace tout à fait en févriar.

III

Les figures du passé vont sous cape.
Pluie, neige ou bien brume, en toute saison
Elles ne vont pas vite, mais y vont.

IV

La serre sur le gazon du village
Est plus vive que le soleil lui-même.
La cinéraire a un pétulant plumage.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le manque de repos

 

Un jeune homme à sa table
Tient un livre en main que tu n'écrivis jamais
Scrutant intensément les secrétions des mots
Comme elles se révèlent.

Il ne fait pas minuit. C'est le mitan du jour.
Le jeune homme est bien divulgué, un de la bande.
Andrew Jackson Bidule. Mais ce livre-ci
Est une nuée en quoi marmonne une voix.

C'est un fantôme qui loge dans un nuage,
Mais fantôme pour Andrew, non pas catarrhal,
Maigre et hâve. C'est le grand-père qu'il aimait,
D'une compréhension rehaussée par la mort

Et des associations d'au-delà de la mort,
Ne fût-ce que le temps. Admirable de croire
Que l'on comprend, dans les vives divulgations
D'un parent selon le sens français de ce mot.

Et n'avoir pas encore écrit de livre en quoi
On est déjà grand-père pour y déposer
Quelques bruits de sens, en terme momentané
À la complication, c'est bien, et c'est un bien.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Somnambulisma

 

Sur un vieux sable, l'océan vulgaire roule
Sans bruit, sans bruit, semblant un mince oiseau qui songe
À prendre place, sans le faire, dans un nid.

Ses ailes se déploient sans cesse, qui pourtant
Ne sont jamais des ailes. Sans cesse ses serres
Griffent le sablonneux, l'affleurement sableux,

L'ensablement ronflant, jusqu'à ce que les eaux
Les effacent. Les générations de l'oiseau
Sont toutes par les eaux effacées. Elles suivent,

Qui suivent, suivent, suivent, dans l'eau s'effaçant.
Sans cet oiseau qui ne prend jamais place, sans
Ses générations successives dans leur monde,

L'océan, qui croule et croule aux tables du sable,
Serait une géographie du mort: non de la terre
Où il se peut après tout qu'ils s'en soient allés,

Mais de l'endroit dans lequel ils avaient vécu,
De cet endroit où leur manquait l'être plénier,
De cet endroit dans lequel aucun érudit,

Dans son logis distinct, n'octroyait le lé d'aile,
La busquerie des becs, les personalia qui,
Homme ressentant tout, étaient de son ressort.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Foyer mal dégrossi

 

La pensée est un faux bonheur:
L'idée qu'à simplement penser
On peut, ou on va, pénétrer
Non point on va, mais bien on peut,

Qu'on est assurément capable —
Qu'à l'extrémité de penser
Existe un foyer de l'esprit
Dans un paysage mental,

Où, siégeant, nous ceignons la tiare
Lugubre de l'humanité
Où nous lisons du paradis
La critique, où nous en disons

Qu'elle est, cette critique, l'oeuvre
D'un comédien; où nous siégeons
Et nous respirons l'innocence
D'un absolu, faux bonheur car

Nous ne sommes pas sans savoir
Que c'est l'oeil seul dont nous usons
En qualité de faculté,
Que l'oeil est mental et que n'est

Tout ce paysage mental
Paysage que du seul oeil;
Et que nous sommes des ignares
Bien incapables de produire

La plus infime métaphore
Mineure et vitale, contents
À la fin, dans cet endroit-là,
Lorsqu'il se révèle être ici.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Répétitions d'un jeune captaine

[NdT: Cette traduction est dédiée aux membres de la conférence
FIFTY YEARS ON: WALLACE STEVENS IN EUROPE
(Oxford, 25-27 août 2005) et, plus particulièrement,
à Bart Eeckhout.]

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

1 NdT: je suis ici la leçon de la première publication de ce poème (QUARTERLY REVIEW OF LITERATURE, I,3 - printemps 1944), qui donne "abode" au lieu de "adobe".

 

I

Une tempête fulmina sur le théâtre.
Précipitamment, le vent défonça le toit
Et jeta la moitié des murs à bas. La ruine

Muette se dressait dans un monde extérieur.
Ç'avait été réel. Elle était outre-mer
Quelque chose dont je me souvenais, était

Quelque chose outre-mer dont je me souvenais,
Quelque chose debout dans un monde extérieur.
Elle avait été réelle et ne l'était plus

Désormais. Désormais le vent de déchirure
Et la scintillation, cela était réel,
Dans le spectacle d'une réalité neuve.

II

Les gens étaient au théâtre assis, dans la ruine,
Comme si rien n'avait eu lieu. L'acteur falot
Déclama. Ses mains devenaient ses émotions.

De sa forme épaisse en émanaient de secondes
En badauds babillards. Faiblement ouvragée,
Une guipure de la lune alors marcha

Sur la scène vers lui et tous deux s'embrassèrent.
Ils se mirent à fignoler les embrassades
D'une paire née vieillotte dès sa naissance,

Qui était familière des affres du coeur,
Comme un moteur qu'on laisse tourner, et qui cale.
C'était une scène bleue qui se délavait

Jusqu'au blanc sous l'averse, comme quelque chose
Dont je me souvenais outre-mer. Elle était
Quelque chose outre-mer dont je me souvenais.

III

Des hommes majeurs par millions contre leur même
Font plus que la rumeur rurale du tonnerre.
Ils font les géants que chacun d'entre eux devient

Dans un chaos calculé: celui dont sa forme
Lui vient des autres, plus large qu'il ne l'était,
Accoutré d'un peu de la force qui exsude

L'ascension du soleil sur sa voie matinale
Vers le rouge géant, exsude un sens géant
Dans l'esprit, facteur-faiseur et faiseur de riens,

Qu'il fasse le faut-faire des années de guerre.
Cet être d'une réalité par-delà
Les spectres qui vétillent dans le souvenir,

Cette élévation, dans laquelle il paraît grand,
Le hausse au-dessus des maisons, qu'il voit de haut.
Une image dans son esprit lui fraie sa voie:

Une image dans mon esprit me fraie ma voie,
C'est la voie que découvrent les millions laiteux,
Image qui ne laisse guère derrière elle.

IV

Si ceux-ci n'étaient que des mots que je prononce
En sons indifférents, non l'héraldique-et-ho
De ce clair souverain qu'est la réalité,

De la très claire réalité souveraine,
Comment les répéterais-je, à les répéter
Comme désespérés d'un sache-que-tu-saches

En répons centraux face à une peur centrale,
La demeure1 des anges? De façon constante,
Dans la gare ferroviaire, un soldat s'éloigne,

Voit un toit familier qui se noie de nuages
Et s'en va vers un monde extérieur, quand il n'a
Rien d'un lieu. N'intervient nul changement du lieu

Ni du temps. Le soldat en partance est soi-même
Mais jamais sous cette forme il ne reviendra.
En trouve-t-il une autre? Ce géant en sens

Demeure un géant sans corps. Si, comme géant,
Il prend part à une vie gigantesque, c'est
Que le gigantesque a sa réalité propre.

V

D'un peu de mots de ce qui est réel au monde,
Qui je suis se sustente et se défend du reste
Quel qu'il soit. Et de ce qui est réel, je dis:

Est-ce l'ancien, est-ce le parent à joues roses,
Ou l'épousée, accorte et accolée, venue
Dans ses tintinnabulements, ou bien l'esprit

Et tous les enseignes de ce qu'on est soi-même?
D'un peu de mots, en mémorandum volubile
Du sens géant, l'énorme des harnachements

Et des rouages convulsionnés dont ce monde
S'affaire, les cochers au milieu des congères
Claquant du fouet, le surgissement dans le ciel

Et l'installation en son coeur des étendues
Que sont roc et mer montueux; et par-delà
Les jours, par-delà les litières à pas lents

Des nuits, la force vraie, la force universelle
Sans aucun mot de rhétorique - c'est cela.
Un mémorandum du peuple qui prit sa source

Dans cette force, dont les armées établissent
Des étendues qui sont les leurs. Un peu de mots
De ce qui est réel ou pourrait aussi l'être

Ou de la scintillation d'une référence
À ce qui est réel, l'univers qui supplée
Le *manqué*, le soldat s'efforçant de trouver

Son point entre eux, la consolation organique,
La société au complet de l'esprit du temps
Qu'il est seul, demi-arc flottant dans l'air médian

Composé, approprié à l'incomplétude,
Soutenu d'un demi-arc en terre médiane.
Instances par millions desquelles je suis l'une.

VI

Et quitte à ce qu'on ait théâtre pour théâtre,
Les personnels poudrés contre géants en rage,
Bleu et ses inversions intenses dans la lune

Contre or cinglé à rouge dans le noir d'ombre ample,
Elle et son vague «Secrète-moi du réel»,
Et lui «Que le réel se secrète de soi»,

Le choix est fait. De notre hauteur passionnée,
L'orateur est vert. Il porte vert en cimier,
Ébrouant vert pour ceux-là à qui le vert parle.

Secrète-nous dans le réel. C'est bien cela
Mon orateur. Laisse cette géantité
Rouler à bas et qu'elle y vienne à n'être rien.

Les arcs pluvieux et les pathétiques splendeurs,
Laisse-les à leur dessèchement dans le ciel.
Secrète-nous dans la réalité. Découvre

Une nudité civile dans laquelle être,
Dans laquelle accepter par le biais d'une ardeur
La plus exacte les précisions du destin,

Avec rien qui relève de l'escamotage,
Rien qui soit une affaire de transformation,
D'un *beau* langage sans le moindre sang versé.

 
 
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