Deux contes de Liadoff

I

Te souviens-tu comment la fusée a filé
Et filé, dans la nuit, pour exploser enfin
En une ovation de formes resplendissantes -

Ovation sur ovation d'amples hommes bleus
En chausses de flammes, et de couvées de femmes,
Ainsi qu'une coulée de citoyens du vide?

Te souviens-tu des enfants là tels que des mèches
Sans cesse bengalant leur petit or? La ville
Entassée dans la fusée en toucha l'amorce.

Cette nuit-là, Liadoff, longtemps après sa mort,
Pratiqua sur un nuage au piano ses gammes,
Sur un piano noir pratiqua des épi-tons.

Te souviens-tu de ce que les habitants dirent,
Dans leur chute, au son du nuage de Liadoff
Et de ses arpèges tragiques et hantés?

Et est-ce vrai que ce qu'ils disaient, en tombant,
Était répété par Liadoff dans un récit
De couleurs incroyables, ex, ex, ex et hors?

II

L'impression de Liadoff fut changée. Cet instant
Du changement était le poème, où soudain
Le nuage pressa l'entier repli quittant

La pensée, comme un pouls violent dans la nue même,
Comme si Liadoff dès lors n'était plus fantôme,
Que, paille, il verdît, vif à reculons, goûtât

La fantasque fortune du sang fantastique,
Jusqu'à ce son corps l'étouffât, que son être
Sentît le besoin de fuser, le besoin d'air...

Mais ce nuage alors, ce piano disposé
Juste où il était, oh *beau * cabriot... L'instant
Incluait qu'on perçût, à la suite du choc,

Que la fusée n'était que nuage inférieur.
Nulle différence entre Liadoff et la ville.
Tous deux voulaient la même chose, recherchaient

Ses épi-tons, les couleurs de l'ouïe, les sons
Qui devinrent bientôt parole volubile —
Volubile mais archaïque et peu audible.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Analyse d'un thème

[NdT: cette traduction est dédiée à Sateh Awada]

 

THÈME

Combien je fus heureux le jour où j'ai parlé à la jeune Blandine des girafes à trois pattes...

ANALYSE

Dans le monde conscient, les nuages immenses
Baguenaudent dans le ciel de l'été.
C'est une province -

Au temps subconscient et disgracieux, dans lequel
Ne se trouvent ni un oeil de beauté
Ni un arbre vrai,

Puisqu'il n'existe pas d'endroit de subconscience,
Mais uniquement d'inditerranéennes
Similarités

De l'endroit: bâtardises hagardes du temps.
Pourtant, à mi-eau des grands fonds du temps,
Dans son flux abstrait,

Ses monstres immatériels s'en vont et s'en viennent,
Sans aucune pédanterie physique
Ni sans aucun nom.

Invisibles, ils s'en vont et viennent et sont,
Non pas lombrics parleurs non plus qu'oiseaux
De plume muable,

Pures coruscations, résidant par-delà
L'imagination, où ils sont intacts
Et incontactés,

Quand bien même à Paris, qu'on y fût en vacances,
Quand bien même on serait dans le Jardin
D'Acclimatation.

La connaissance des choses de clair éther
Nous emporte vers le temps, sur ses ailes
Perfectibilistes.

Nous jouissons de la queue des ootomes, du doux
Des plumettes, tout comme le Her Gott
Jouit de ses comètes.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Hymne tardif de la montagne à myrrhe

[NdT: cette traduction est dédiée à Timothy Lee Schreck]

 

Résigne cette résille, madanna, car
Les étoiles scintillent sur chacun des fronts

De Neversink. Déjà l'oiseau vert de l'été
S'est envolé. Les mouches-à-nuit reconnaissent

Ces planètes, prédestinées à cette nuit,
Cette rumeur et l'emplacement de l'été.

Demain aura les apparences d'aujourd'hui,
Il y ressemblera. Pourtant il ne sera

Qu'une apparence, forme laissée en arrière,
Avec comme des ailes qui se déploieraient,

Brillamment dans le renfort comme de couleurs,
Foisonnant, mais sans être tout à fait à fusible,

Sans tout à fait qu'il soit vraiment la chose fluide,
Changé d'un rien par affaitements d'artifice,

Changé du chatoiement sonore issu de l'herbe.
Telles ne sont pas les constellations premières,

Desquelles émanèrent les intimations
Illustres d'origine — l'amour incertain,

La science d'être, à sentir sans le sens du temps.
Ôte et dépose de tes cheveux les diamants.

Le souchet s'amenuise. La fléole est sèche.
L'ombre d'un monde externe approche pas à pas.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Homme portant chose

Il est bon que le poème résiste
Presque avec succès à l'intelligence.

Illustration: une figure brune,
Quand il se fait tard, en hiver, résiste

À l'identité. L'objet qu'elle porte
Résiste au sens le plus nécessiteux.

Accepte-les donc comme secondaires
(Parties non encore vraiment perçues

Du tout évident, incertains atomes
De l'unité sûre, la primauté

Libérée du doute, volettements
Comme des cent premiers flocons de neige

D'une tempête que toute la nuit
Nous devons endurer, d'une tempête

De choses secondes), comme une horreur
De pensées soudain s'avérant réelles.

Toute la nuit, nous devons endurer
Ce que nous pensons jusqu'à ce qu'alors

Apparaisse, érigé dans la froidure,
Ce qui clairement est dans l'évidence.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Pièces

 

Février à paillettes, paillettes en août.
Il n'existe pas chez l'homme que sa raison.
Reviens-t-en, vent, ne cessait-il de s'écrier.

La neige dans l'air scintille dans son instant,
Instant millefiori bleuiment magnifié —
Reviens-t-en, vent, disait-il, en montant les marches —

Cristal sur cristal tant que les nues de cristal
Se changeaient en un sur-cristal issu de glace,
Exhalant ces créations qui émanaient d'elle.

Les sons ont un sens autre que cela qu'il disent.
La tombée des paillettes d'août paraissait flamme
Soufflant au ras du sol, plus bleue que rouge, rouge

Plus que verte, tressauts de tout feu congénère.
Le vent est comme un chien qui s'enfuit de chez lui.
Mais il est comme un cheval. Il est, dans l'espace,

Comme un élan qui y vit. C'est quelqu'un, la nuit,
Un membre de la famille, une relation,
Un cousin éthéré, un autre mille-humain.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Un ensemble d'objets entièrement nouveau

 

Émergeant d'un Schuylkill en mi-terre s'en vinrent
Des flottilles, voulues et souhaitées, leurs flancs

Portant l'ombre d'amis, de ceux qu'il connaissait,
Chacun tirant de l'eau en quoi il avait foi

Et du désir tirant des choses fabriquées
Par des facteurs mi-terrestres et mi-humains

Sans avoir connaissance, ou intention, d'usages.
Virides de la verdeur inhumée du temps,

Pagayant leurs canoës, ces figures vinrent,
Un millier de milliers, charriant des formes telles,

À l'apaisement tel, que le contemplateur
Connut leur but subtil, connut parfaitement

Les formes pour les formations les plus exactes
D'un vaste peuple antique de méditation...

Sous Tinicum ou petit Cohansey, les pères
Des facteurs ont loisir de gésir et tenir.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Épigramme adulte

 

La romance du précis n'est pas l'élision
De la romance épuisée de l'imprécision.
C'est le toujours changeant dans l'inchangé du même,
Un des aspects d'Encore, la diva diadème.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Deux versions du même poème

 

1. NdT: je suis ici la leçon de Palm comme celle de LoA, qui donne une virgule à la place du point de CP.

 

Ce qui ne peut être fixé

I

Une fois de plus il se tourna vers cela
Qui ne pouvait être fixé1, au bord de mer,

Roc insolide, stentor, et il déclara:
Lascar, existe-t-il un corps, aux turbulences

Du temps, dans l'onduleux de lieux aqueux, enflé
De pensée, au travers de quoi il ne peut voir?

S'allonge-t-il dans la longueur à la façon
De la nuée de dormir, jamais tout à fait

Reposant? Et est-il doté d'un coeur de force
À marteler son pouls en vigueurs de son être?

Lascar, et carcasse aqueuse jamais nommée,
Ces vigueurs font, à syllabes trois fois triplées,

Les images malaisées de formes possibles,
Qui ne peuvent désormais être fixées. Seule

Demeure au centre de la mer, battant, battant,
Une puissance qui partout va déferlante,

Comme le plus et plus devenant moins et moins,
L'espace divisant son bleu, alors changé,

Par division, d'espace en métier du marin,
Ou, aussi bien, ce qu'un dessein avait formé

Se transformant en réalisé, à l'instar
De la constante ruine de la raison. Dors

Profondément dans la profondeur du sommeil,
Digne anguille, parmi ta marine perverse.

II

L'océan humain bat contre ce roc de terre,
Y jaillit continûment, marée sur marée,

Et le vieux John Zeller, debout sur sa colline,
Devant ces jaillissements et ces croulements

Déclare: De quoi procèdent ces créatures,
De quel élément ou — oui: de quels éléments,

Irréconciliés pour ce qu'ici on ne trouve
Nulle solution d'or? Si de la mer, et seule,

Elles étaient créatures, mais singulières,
Elles se hausseraient comme l'eau à l'assaut

Du plus pic de l'apex et du pointu des choses,
Soulevées par le cadavre de ces cavernes,

À demi-endormies. Mais si elles le sont
De mer et terre et ciel — si elles sont l'eau,

Le feu, l'air, toute chose non décomposée
D'ignorance, non pas un tout dans l'indivis,

C'est alors un océan d'images aqueuses
Et de contours de flamme, au vent qui les rabat.

Peut-être que ces formes tentent d'échapper
Aux ondoiements cadavéreux. Repos, vieux moule...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Hommes faits de mots

 

Qu'en serait-il de nous sans mythe sexuel,
Sans rêverie humaine ou poème de mort?

Castrats de bouillie de lune — La vie consiste
En propositions au sujet de la vie.

La rêverie humaine est une solitude
Où nous les composons, lacérés par les rêves,

Par les incantations terribles des défaites,
Par la peur que rêve et défaite soient tout un.

La race entière est un poète qui consigne
De son destin les propositions excentriques.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Pensant à une relation entre les image des métaphores

 

Au pourtour du Perkiomen chantent les palombes.
La perche gît profond, qu'effraie toujours l'Indien.

À l'une des oreilles du pêcheur, qui est
Tout entier une oreille, les palombes chantent

Une unique chanson. Les regards de la perche
Se tendent vers l'avant, l'amont, dans ce seul sens,

Alarmés des crachats et des éclaboussures
Des sagaies ruisselant. Le pêcheur n'est qu'un oeil

En quoi la palombe ressemble à la palombe.
Ainsi: une palombe, une perche, un pêcheur.

Or coup se fait roucoulade. Combien s'approche
Du thème indécelable chaque variation...

Dans cette seule oreille, il se pourrait alors
Qu'elle en fît parfaitement entendre la note:

Décèle-la. Dans ce seul oeil-là, la palombe
Surgirait au regard en demeurant palombe.

Le pêcheur serait l'homme seul au coeur de qui,
S'envolant, se rassérénerait la palombe.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Chaos en mouvement et sans un mouvement

 

Oh, que ces flagellations du vent fussent plus
Que l'esprit de Ludwig Richter... Il pleut à verses.

Il fait juillet. Éclairs, tonnerre en rangs pressés.
C'est un spectacle. La scène passe 10 à 11,

Dans la série X, acte IV, et cetera.
Les gens choient des fenêtres, les arbres s'abattent,

L'été passe à l'hiver, la jeunesse vieillit,
L'air déborde d'enfants et de statues, de toits

Et de neige. Le théâtre devient manège,
Percutant des trains optiques et des églises

Sourdes-muettes. Les plus massifs sopranos
Se mettent à entonner des airs faits de gammes.

Voici que Ludwig Richter, turbulent Schlemihl,
A égaré le tout dont il était enclos,

Connaît le désir sans un objet de désir,
Tout en tête et violence, et rien de ressenti.

Il sait qu'il n'a plus rien à quoi penser, pareil
Au vent qui cingle tout de tous côtés d'emblée.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La maison était quiète et le monde était calme

 

La maison était quiète et le monde était calme.
Le lecteur devint le livre; la nuit d'été

Semblait comme la conscience même du livre.
La maison était quiète et le monde était calme.

Les mots dits l'étaient comme en l'absence de livre,
Si ce n'est que le lecteur penchait sur la page,

Voulait de se pencher, voulait avant tout être
Le lettré pour qui son livre est vrai, pour lequel

La nuit d'été paraît perfection de pensée.
La maison était quiète car il lui fallait

L'être. Cette quiétude était pour une part
ce qui s'y entendait, pour une part l'esprit,

L'accès livré par la perfection à la page.
Et le monde était calme. Dans un monde calme,

En quoi rien d'autre n'a lieu qui s'y entendît,
La vérité soi-même est calme, elle est soi-même

Et l'été et la nuit, soi-même le lecteur
Tardivement penchant, plongé dans sa lecture.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Conversation continuelle avec un homme silencieux

 

La vieille poule brune et le bon vieux ciel bleu,
Nous vivons et mourons dans l'entre de ces deux —
La roue brisée de la charrette sur le mont.

Comme si, et en présence de l'océan,
Nous séchions nos filets et voiles ravaudions
Et bavardions de choses qui n'ont pas de fin,

De la tempête sans fin de la volonté,
Une volonté, plusieurs volontés, le vent,
De plusieurs significations dans les rameaux,

Réduites à rien qu'une en-dessous du chéneau,
Lien, établi entre la ferme et la tempête,
La chaîne entre la poule et le ciel de turquoise

Et la roue qui rompit comme allait la charrette.
Ce n'est pas une voix qui est sous le chéneau.
Ce n'est pas un discours, ce que nous entendons

Dans cette conversation, mais un son, le son
Des choses et de leurs déplacements: l'autre homme,
Un monstre de turquoise qui s'agite en rond.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Une femme fredonne une chanson pour un soldat de retour au foyer

 

La blessure tue qui ne saigne pas.
Elle n'a nourrice ou parent
Ni nul qui compte.

Et l'homme meurt qui ne s'effondre pas.
Il marche et meurt. Rien qui survive
Hors ce qui fut,

Sous la blancheur des nuées empilées
Comme une oubliance amassée
Dans l'air qui dort.

Aux nuées sur le village, la ville,
Tandis qu'il déambule il parle,
Disant sa plaie,

Sans dire un mot aux habitants, à moins
Qu'au hasard surgisse quelqu'un,
Cet homme, un autre,

Si fortement part du lieu, mais si peu
Quelqu'un qu'il connaisse, avec qui
Parler du temps —

Qu'il puisse s'en défaire, sans rien perdre,
À l'abord, l'orée, du village,
Dans la paix là.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le fronton de l'apparence

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

1. NdT: je suis ici la leçon de LoA, qui donne "month" à la place du months" de CP.

 

De jeunes hommes s'en vont promenant aux bois,
Qui sont à la chasse de l'ornement majeur,
Le fronton de l'apparence. Ce qu'ils poursuivent

Est une forme qui de par sa forme seule,
Sans blasons diamantés, sans éblouissement,
Non plus que sans les chaînes de la circonstance,

De par sa forme seule, par ce qu'elle est droite,
Par ce qu'elle est altière, sera cette pierre
Dont ils sont en poursuite: le farouchement

Transparent. Ils s'en vont et allant ils s'écrient
L'univers est moi-même, la vie est moi-même,
Inhalant comme s'ils se respiraient soi-même,

Emplis de leur seigneur de laideur, déclamant
Les phrases qui découlent de la vision
Parmi les bois de cet ornement essentiel,

Dans ce mai tout entier à son efflorescence,
Le mois1 de la compréhension. Le fronton
Relève devant eux son lourd renfrognement.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Bourgeois de modeste mort

 

Ces deux-là non loin du muret de pierres
Sont une partie ténue de la mort.
L'herbe est encore verte.

Mais il existe une totalité de mort,
Une dévastation, une mort d'altitude
Et de profondeur sans bord, couvrant les surfaces,
Emplissant la tête.

Ceux-là sont les citadins menus de la mort,
Un homme et une femme, pareils à deux feuilles
Qui continuent de se cramponner à un arbre,
Avant que l'hiver ne givre et ne vire au noir —

D'une altitude et d'une profondeur sans bord
Sans sentiment aucun, un imperium tranquille,
Où, hâve, une figure, avec un instrument
Propose une musique finale vacante.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Arrangement humain

 

Rivé à cet endroit et rivé à ce temps
Dans la pluie de la brune et rivé par un son

Qui est sans changement, si ce n'est qu'il commence
Et finit, recommence et de nouveau finit —

Pluie sans un changement, qu'il vienne d'en dedans
Ou d'en dehors. Dans cet endroit et dans ce temps

Et dans ce son, chacun restant sans changement,
À l'intérieur de quoi la pluie est tout d'un bloc,

Dans le ciel, imaginée, une chaire en bois,
Se forme la clé de voûte d'un édifice,

Jaillissant sans contrainte de rien, chaire au soir,
Curule bleue sur croisillons, vraie — irréelle,

Le centre des transformations qui se transforment
Pour ce que c'est que d'être la transformation,

Dans un chatoiement qui est une vie, un or
Qui est un être, une volonté, un destin.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L'homme bon est sans forme

 

 

 

 

 

 

 

 

1. NdT: je suis ici la leçon de LoA, qui donne «warm» au lieu du «warn» de CP

 

Pendant les siècles il vécut en dénuement.
Dieu était l'unique élégance qui fût sienne.

Puis générations par générations il crût
Et plus fort et plus libre, un peu moins indigent.

Il vécut chaque vie car, à être mauvaise,
Il disait une vie bonne serait possible.

Enfin la bonne vie vint, sommeil bon, fruit vif,
Et Lazare alors le trahit auprès du reste,

Qui le tua, plantant des plumes dans sa chair
Pour le moquer. Avec lui dans sa tombe ils mirent

Du vin aigre pour le réchauffer1 et, pour lire,
Un livre vide, puis sur le tout ils fichèrent

Un placard brut en epitaphium à sa mort:
«L'Homme Bon Est Sans Forme», comme s'ils savaient.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La fougère rouge

 

Le jour à larges feuilles croît rapidement
Et dans ce coin familier voici qu'il déroule
Sa fougère difficile et peu familière
Qui déploie et déploie du rouge sur du rouge.

Cette fougère a des doubles dans les nuages,
Qui, moins fermes que le flamboiement paternel,
Sont pourtant détrempés de son identité,
Des réflexions, des scions, mimiques et minimes

Émiettements d'atomes, des tombés seconds
Crûs à passer la relation au tronc parent:
Le coeur éblouissant, boursouflé, embrasé,
Le père-feu qui flambe si furieusement...

Infant, la vie se contente que l'on discoure
De ce que l'on voit. Mais patiente jusqu'à tant
Que la vision éveille l'oeil en somnolence
Et pénètre les beaux draps physiques des choses.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Tiré de la liasse d'Anacharsis

 

Dans sa liasse Anacharsis découvrit ces vers:
«La ferme était cossue; les champs qu'elle titrait
Semblaient dans le matin comme un moment sacré»,

Il les avait écrits près d'Athènes. Blancheur
De la ferme; édifices de marbre aux lueurs
Du jour de marbre; c'était sa propre candeur

Qui avait donné au spectacle sa splendeur.
Quel sujet pour Puvis, qui aurait composé
La scène selon son gris-rose à roc violets.

Et Bloom, au vu de ce que Puvis avait fait,
Protestant, eût parlé de la plus fine fleur
De la réalité... C'est au centre ponctuel

De tous les cercles que le blanc se tient vraiment.
Les cercles les plus proches de lui en partagent
La couleur, mais moindrement tandis qu'ils s'évasent,

Cédant face au différent, puis au défini
Comme se définit un ton qui se sépare
Et les cercles de se presser et les couleurs

De s'empresser jusqu'à flamboyer au cristal
Et Bloom debout en sa vaste accumulation
Considère et redit les lignes primitives.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La colombe dans le ventre

 

Le tout de l'apparence est un joujou. Dès lors,
La colombe dans le ventre bâtit son nid

Et ramage, Selah, tempétueux oiseau.
Comment cela se fait-il que les fleuves luisent

Et tiennent leurs miroirs orientés vers le haut
Comme l'excellence recueillant l'excellence?

Comment cela se fait-il que l'arbre boiseux,
Debout, vit et bourre ses pannetées de vert

Autour de la touffeur du jour? Pourquoi faut-il
Que ces pics, déjà hauts, soient brillants et conclus

D'une neige qui jamais ne jonche la terre?
Et cette esplanade à blé, vaste à kilomètres,

Est la substance d'un voeu rendue effective
Et davantage encore. Et les gens en costumes,

Bien que pauvres et plus haillonneux qu'une ruine,
Possèdent en eux ce qui siérait aux portiques -

Oh, le brave *salut*! Colombe la profonde,
Concilie-toi ce que tu es dans ton celé.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Montagnes couvertes de chats

 

La mer pleine de bancs de poissons, les forêts
Qui laissent une seule graine croître folle,
Les stations ferroviaires russes dans lesquelles
Une même statue de Staline salue
Le même passager, l'arbre antique au milieu
De ses cônes, au travers de familles d'arbres
L'envol resplendissant de facsimilés rouges,
Villages aux maisons blanches, communiants noirs —
Le catalogue est un peu trop volumineux.

Considère plutôt la personnalité
Invalide, l'impotent paria dépourvu
De toute volonté de puissance, pareil
À l'imagination cherchant à propager
L'imagination ou bien pareil au miracle
De la guerre engendrant la paix miraculeuse.

L'oeil de Freud fut microscope de la vigueur.
Fortunément, son spectre gris peut méditer
Les esprits des morts impotents, clairement vus,
Et promptement comprendre, au dépris de leurs chairs,
Combien vraiment ils n'étaient pas ce qu'ils étaient.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le préjugé contre le passé

 

Le jour est l'ami des enfants.
C'est Marianna au landau suédois.
C'est ça et c'est un très large chapeau.

Confinés par ce qu'ils observent,
De pédants aquilins face au landau
Le traitent comme relique du coeur.

De même ils traitent le chapeau
Qu'oublia le philosophe, étourneau,
Comme une des reliques du cerveau...

Du jour font alors les enfants
Cela que tout pédant aquilin prend
Pour souvenirs du temps, perte de temps,

Pour *adieux*, pour formes, images —
Non, issus non du jour, mais de leur lot,
Non pas issus d'un temps sans renouveau

Et les pédants aquilins donc
Voient qu'est du philosophe le chapeau
Part d'esprit, et part de coeur le landau.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Références extraordinaires

 

La mère noue des rubans dans la chevelure
De l'enfant et s'apaise. Mon Jacomyntjie!
Ton arrière-grand-père combattit l'Indien!

Le frais soleil de Tulpehocken se réfère
À son lever barbare et barbé et s'apaise.
Ces dissipations antécédentes du sang

Et du cerveau, telles les extraordinaires
Références des gens, lieux, choses ordinaires
Nous composent en une espèce d'oraison.

Mon Jacomyntjie! Ce printemps d'après la guerre
Où ton père mourut, pour lui respire encore
Et de nouveau pour nous souffle une frêle haleine.

C'est un Vertumnus de seconde main qui crée
Un équilibre dans le jardin hérité.
Les trois rubans de l'enfant sont parmi ses tresses.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Tentative de découvrir la vie

 

À San Miguel de los Banõs,
La serveuse empila de noires Hermosas
Pour former la magnificence d'un volcan.
Alentour elle répandit les roses
Du cru, vertes et bleues, également tigrées,
Et de blanches roses frangées d'émeraude aux pétales
Tirées de la touffeur la plus fatale.

Fit alors son entrée une être cadavéreux,
Qui s'inclina et, s'inclinant, produisit, dans sa mantille,
Une femme brillante à la peau diaphane,
Avec des yeux de feu et des bras longs et fins.
Elle se tint en sa compagnie à la table,
Souriant et humectant ses lèvres
Dans l'air lourd.

De la table les roses vertes s'égaillèrent
En fumée. Les pétales bleus se transformèrent
En fomentations jaunissantes de l'effulgence,
Parmi celles des corolles noires et blanches.
Les êtres cadavéreux furent abolis.
Sur la table près de quoi ils s'étaient tenus
Gisaient deux pièces de monnaie — dos centavos.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Tout un tas de gens se baignent dans un cours d'eau

 

Ce fut comme franchir une démarcation
Que plonger dans le flot soleilleux, aux feuillées
Flambantes et membrues, brillant contre les berges.

Les étoiles ainsi luisent durant le jour.
Là, et alors, le jaune qui était hier,
Rafraîchi, devint ce jour, parmi nos enfants

Et nous-mêmes, au coeur du plus limpide vert —
Disons, oui, qu'il fut vert. Nous nous sommes baignés
Dans un vert jaune et un jaune bleu, suspendus

Au sein de ces tons comiques, ainsi que font
Leurs caractères particuliers, adonnés
Aux pâtés, hoquets d'anguleux anonymides

Pour quelque forme parmi les roseaux. Sans doute,
Nous fûmes les conceptions adéquates, moins
Que créatures, du ciel entre les deux berges,

Des flots qui confluaient dans le flot de l'espace.
Ce fut comme franchir une démarcation
Que flotter sans tête et nu, ou quasiment tel,

Jusque dans le grotesque d'être nu, ou presque,
Dans un monde de nudité, en compagnie
Du soleil, doux propitiatoire du grotesque

Et bosco, en qualité de cet étranger
Plutôt bizarre avec ses adresses faiblardes.
Et quel plaisir ce fut, de retour sous son toit,

À la nuit tombée, que de s'apprêter au lit,
Dans la maison debout, errant de pièce en pièce
Dont jamais il ne semble qu'aucune ne change...

 
 
  Suite
 
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