Entre horizon et au-delà

 

1

 

Carnak

La bruine pénètre le dos, mouille le sac à dos des filles

les filles riant déclenchent l’obturateur

bavardant elles boivent du coca

et l’odeur suffoquée des pins noirs et des filles

recoud la déchirure du nuage

 

Sa moelle déssechée et ses os exhibés

la chair de la peau se tient debout, toute mouillée par la bruine

les peuples de la pierre, du bronze, du fer

ont souillé l’autel par leur souffrance réprimée

et en priant la constellation, ils ont racheté leur faute :

dans l’orbite du soleil, bouddha de la pierre, bouddha de la lune

élargissent leur roue

sur la surface glissante de la terre, sur la lune ébréchée

ils jettent l’âme de la chair des filles

 

A la vitesse de la lune, à la vitesse de l’étoile

la pierre s’achemine et franchit l’au-delà,

exposées au vent glacial les côtes d’une baleine

qui regardent fixement une constellation dans une posture immobile,

plus blanches que la lueur de la montagne et celle de la mer,

s’acheminent vers l’étoile

les cloches rituelles de bronze jouant le chant de la pierre, le chant de l’os

débarquent en toute blancheur dans le monde des morts

 

Dans le bruissement de rires en cascade

seul le bruit des pas s’éloigne

sur la petite route asphaltée qui coupe les veines des feuilles épaisses

quelles gouttes, quelle chaleur de la pierre dans le sac à dos ?


la bruine conçoit le paysage

et faisant trembler la moelle de l’arbre

prend un chemin oblique

 

 

 

 

2

 

 

Comme s’il chantait à tue-tête

un petit peuple montagnard

d’ une île du sud se déplace

 

Tout à fait tranquilles, persévérants

les escargots se déplacent sans un mot

dans un mouvement plein de dignité visqueuse,

c’est leur façon de crier

 

Presque effacé par les vagues répétées

seul le rire douleureux leur appartient

tout dessechés sur chardon bleu

tous rassemblés dans cette mort

 

Ils s’y fondent sans un mot

ils s’y accrochent avec leur tout petit coeur et leur tout petit pénis

tant d’escargots ondulent au vent nocturne

dans le firmament ils se regardent

en réfléchissant la vitesse de l’étoile filante

 

Ecoutant le silence des astres

ils s’imbibent   ils s’énivrent

du mucus du vent

 

par crainte de la marche

de montagne en montagne ils courent

dans le ciel ils trébuchent

et grâce à l’écoulement stagnant des eaux se supportent avec patience

dans les profondeurs de la terre

 

Comme s’ils chantaient à tue-tête

ils se déplacent :

une vie d’obscurité et de silence

 

 

 

3

 

La chair de la tomate est bien affermie par le souffle des morts :

son rire monte des sols fertiles et maigres

et forme un pont vers le ciel

 

Ses feuilles vertes qui s’envolent

raniment le monde des morts par l’amertume du sol sablonneux

 

Les vents de mer mêlés de poussières de sable éblouissent

sur le sentier du rivage qui étend ainsi son horizon

 

Au bout de ce monde où la couleur rougeâtre de la tomate

éclaire joyeusement les ténèbres du nuage, les ténèbres de la terre

 

Toutes les couleurs des maillots de bain stagnent

au creux de la plage et y plongent toute concupiscence

 

Le souffle de la pluie court, la lueur des couleurs court

et ils se conservent précieusement

dans le fossé où l’horizon s’épuise

le fossé congestionné et accru

Le silence gagne peu à peu sur l’étang

le tomate au soleil couchant embrasse le revers du nuage,

 

Réfléchissant la profondeur de la terre,

désirant renaître comme le vert dans les ténèbres

une rafale dessine la roue  

 

                         

 

 

3 poèmes extraits de Ceux qui n'existent pas traduit du japonais par l'auteur et Gérard Augustin. Collection Levée d'ancre, L'Harmattan, Paris, 2008.