Anatole France

Anatole France et la Société Historique d'Auteuil et de Passy

Fondée le dimanche 14 février 1892 par Emile Saint-Lanne, Brau de Saint Pollias et Emile Soldi, la Société Historique d'Auteuil et de Passy comprenait des membres aussi illustres qu'Eugène Manuel, qui fut son président de 1892 à 1901 et dont on peut voir une plaque commémorative sur l'immeuble situé à l'angle de la rue Mignard et de la rue de la Tour, et sa statue à l'entrée du petit lycée Janson, au 46 de l'avenue Georges Mandel ; et qu'Anatole France, élu vice-président le jeudi 15 décembre 1892.

La Société Historique d'Auteuil et de Passy, plus connue aujourd'hui sous le sigle S.H.A.P., le pria de prononcer un discours lors de la séance du mercredi 28 février 1894, dans la salle des Mariages de la Mairie du XVIéme arrondissement, comme d'habitude dirais-je, sans oublier la gratitude que nous avons envers nos édiles pour l'accueil bienveillant qu'ils nous manifestent depuis plus de cent ans.

Le mercredi 28 février 1894 donc, Anatole France prononça un discours dont j'extrais ici quelques passages. " Quand, avant-hier matin, j'ai appris, par une belle carte imprimée, que je devais faire devant vous une conférence, j'ai ressenti beaucoup de surprise et une espèce d'effroi. Je vous assure que je ne me doutais de rien. Je voulais, au milieu de vous, demander la parole seulement pour vous remercier de l'honneur que vous m'avez fait en m'appelant à siéger à votre bureau entre le maître que la Sorbonne applaudit, le savant qui m'a appris tant de choses intéressantes sur nos antiquités littéraires [M Petit de Julleville, vice-président de la SHAP], et l'artiste excellent qui, statuaire et archéologue, joint, vous le savez, à la nouveauté hardie d'un talent toujours heureux, un sens profond du passé [M Emile Soldi]. C'est à côté d'eux que vous avez bien voulu me placer, Messieurs, sous l'aimable autorité de l'éminent universitaire [M Eugène Manuel] qui est aussi un poète célèbre et, ce qui vaut mieux encore (car c'est de la poésie perdue que celle qui n'a pas trouvé le cœur) un poète aimé. Vous m'avez fait connaître, Messieurs, les joies d'un orgueil très doux. Inquiet seulement de ma gloire imméritée, je me sens bien à l'aise avec vous. C'est un goût commun qui nous réunit, une passion vive et tendre, l'amour du clocher. Vous avez ce patriotisme local auquel je trouve de la grâce et de la vertu. Il est ingénieux, et il est innocent. On ne craint pas qu'il allume des guerres : Boulogne et Neuilly n'ont rien à redouter de nous. "

L'objet précis de la S.H.A.P. était à cette époque : " la recherche et la conservation des anciens monuments, des souvenirs historiques et littéraires, et des curiosités artistiques et pittoresques d'Auteuil et de ses anciennes dépendances (Passy, Boulogne, etc.) ; l'archéologie générale ; l'examen de toute question pouvant intéresser, dans le présent, la sécurité, le bien-être ou l'agrément des habitants de cette région ; et, en général, toute action et toute initiative répondant aux besoins moraux, intellectuels et matériels de l'arrondissement " ainsi qu'il est précisé dans l'arrêté du Préfet de Police du 8 août 1892.

Et Anatole France de poursuivre : " Oui, Messieurs, La ville de Paris est admirable, prodigieuse, elle est énorme et pourtant jolie. Mais elle est bien grande pour qu'on l'aime avec cette tendresse un peu fétichiste, avec cette intimité qui fait le charme du patriotisme local. Heureux que nous sommes ! Nous avons une petite ville à nous dans la grande. Quand je dis petite, c'est par tendresse, et comme le poète Catulle appelait enfant sa Lesbie, qui était une grande personne et sortait seule le soir. Nous avons une ville qu'on peut embrasser du regard et dont nous faisons le tour, en nous promenant, une ville qui, comme la France, a presque de tous côtés ses frontières naturelles. Un bois, un fleuve. Cela nous rassure, nous nous sentons chez nous. Nous jouissons d'une paix provinciale, sans petitesse. Notre Auteuil et notre Passy, très illustres, ne sont pas las de porter les vivants. Ils sont pour nous encore un air pur, des arbres, des jardins ".

C'est aussi en 1894, peu après cette conférence que la S.H.A.P. décide de faire sa première exposition. Anatole France fut nommé Président de la commission d'organisation.

Enfin, le mercredi 27 janvier 1897, la S.H.A.P. organise un grand banquet à l'occasion de l'entrée à l'Académie française de son vice-président Anatole France (le jeudi 21 janvier 1897). Au cours de son toast, le président Eugène Manuel précise : " On trouve parmi nous beaucoup de liberté avec beaucoup de mesure, toutes les opinions, toutes les conditions s'y rencontrent sans se heurter et font bon ménage grâce à un certain esprit de sagesse qui écarte toutes les causes de conflits, et se contente, en toutes choses, d'une lumière douce et d'une chaleur modérée. Nous sommes de braves gens qui faisons avec sérénité des découvertes inoffensives ", rappelant ainsi la conférence d'Anatole France.

Anatole France est nommé vice-président honoraire en 1899, en même temps qu'Emile Soldi. Il quittera Paris en 1910 après la mort de Léontine Caillavet et se retirera dans sa propriété de la Béchellerie à Saint-Cyr-sur-Loire, près de Tours.

Si vous aussi êtes intéressés par l'histoire de nos villages (je ne peux écrire " anciens villages " tant ils sont encore pleins de vie) : Chaillot (l'ancien Faubourg de la Conférence), Passy, Auteuil, venez nous rejoindre ; et, tels les bâtisseurs de cathédrales, apportez votre pierre : un souvenir, un document ancien, une vieille carte postale… la S.H.A.P. sera heureuse d'en prendre connaissance, et une copie, avant de vous restituer l'original. Vous pouvez aussi vous inscrire afin d'être invités à nos 8 conférences, à nos 2 visites culturelles hors les murs et à notre dîner annuel dans la salle des Fêtes de notre remarquable Mairie du XVIéme. Sous l'impulsion de M Pierre-Christian Taittinger, son actuel président depuis janvier 1986 (le 17éme depuis la création), la S.H.A.P. reste fidèle à sa devise PRO ARIS ET FOCIS (pour les arts et les foyers), et continue à cultiver " cet amour du clocher, ce patriotisme local ingénieux et innocent " dont parlait Anatole France.

RETOUR