Le palais de l'O.N.U.
Si les anciens s'en souviennent encore par contre les jeunes et les nouveaux résidents du XVIe arrondissement ignorent le plus souvent que le Palais de Chaillot, avec ses jardins et la place du Trocadéro, furent de septembre à décembre 1948 un territoire international sous la juridiction de l'ONU.
C'est le 24 octobre 1945 qu'est créé à San Francisco l'Organisation des Nations Unis (ONU), ce qui entraînera le 3 juillet 1947 la dissolution de la Société des Nations (SDN) ; le premier secrétaire général de l'ONU, de 1946 à 1952, est le norvégien Trygve Lie. Dès fin 1947, la France propose d'accueillir à Paris la troisième assemblée générale des Nations Unis.
Dans France-Soir du jeudi 22 janvier 1948, le professeur Rivet, directeur du musée de l'Homme, alerte l'opinion publique sur l'installation éventuelle de l'ONU au Palais de Chaillot, craignant de devoir déménager ses précieuses collections. Mais le lieu est déjà décidé et le projet lancé. France-Soir du 22 avril annonce que le vendredi "30 avril les Petits Chanteurs à la croix de bois donneront une audition au bénéfice de l'Accueil catholique français - oeuvre des réfugiés - ; ce sera le dernier concert au Palais de Chaillot avant les transformations prévues pour recevoir les membres de l'O.N.U.". Le 1er juillet a lieu la Grande Nuit de Paris à Chaillot, en présence du Président de la République Vincent Auriol, et à laquelle participe le cirque Bouglione qui a monté son chapiteau entre les pieds de la Tour Eiffel.
Aussitôt après commencent les travaux d'aménagement : le grand auditorium du Palais de Chaillot doit accueillir les séances plénières de l'assemblée ; dans les ailes on aménage des salles pour les réunions de commissions ainsi que les services de presse et le restaurant des délégués ; et l'on construit, sur la place du Trocadéro, un bâtiment pour le restaurant du personnel et pour des bureaux. L'ensemble Palais de Chaillot, jardins et place du Trocadéro devient territoire sous la juridiction de l'ONU et prend temporairement le nom de Palais de l'ONU.
Un américain, Garry Davis, sait profiter de cette exterritorialité. Ayant décidé de devenir le premier "citoyen du monde", il rend son passeport à l'ambassade des Etats-Unis. Devenu "sans-papier" au regard du droit français, il est prié de quitter le territoire national au plus tard le 11 septembre à minuit ; c'est ainsi que le dimanche 12 septembre au petit matin Garry Davis pénètre place du Trocadéro et prend ses quartiers sous le péristyle du restaurant sis sur le terre-plein faisant face au palais de Chaillot, où il reçoit les journalistes heureux de s'occuper avant le début de la session. C'est seulement le dimanche 19 septembre que la police française est autorisée à l'expulser. Conduit au commissariat de Chaillot, on découvre qu'il est porteur d'un billet de mille francs, qui lui avait été remis par le journaliste grec Polydefkis, et ne peut donc être considéré en état de vagabondage ; il obtient ainsi un sursis de deux mois à son arrêté d'expulsion.
La troisième assemblée générale de l'ONU commence le mardi 21 septembre, rassemblant 58 nations. Les pièces les plus importantes du musée des Monuments français ont été laissées sur place : "des porches d'église et des vitraux décorent les couloirs, une fresque religieuse surplombe le bar des journalistes tandis que "la Marseillaise" de Rude et "la Danse" de Carpeaux, en plâtre peint, grandeur nature, émergent des bureaux du service de presse", décrit France-Soir.
Dès le mardi 28 septembre 1948, il y a rupture des négociations entre d'une part les Etats-Unis, l'Angleterre et la France et d'autre part le bloc soviétique, au sujet du couloir aérien de Berlin que Moscou veut contrôler. Mais l'Assemblée poursuit ses travaux et le 10 décembre, à l'unanimité mais avec l'abstention du bloc soviétique, adopte la Déclaration universelle des droits de l'homme.
Le 12 décembre, l'Assemblée achève ses travaux qui auront
duré 83 jours dont 72 de travail effectif. En 52 réunions plénières
et 618 séances de commissions, les 5.000 membres étrangers du
Secrétariat général de l'ONU et des délégations,
entourés de 1.700 journalistes, ont pris notamment les décisions
suivantes :
1 - Berlin : un comité d'experts financiers neutres étudiera le
problème monétaire de Berlin
2 - Palestine : une commission de conciliation fixera les nouvelles frontières
3 - Energie atomique : consultation entre les Etats-Unis, l'URSS, la Grande-Bretagne,
la France, la Chine et le Canada pour trouver une base de compromis
4 - Désarmement non atomique : continuation des travaux pour établir
un plan de contrôle international
5 - Paix mondiale : entente des cinq grands pour préparer le règlement
final des problèmes découlant de la dernière guerre
6 - Grèce : prolongation du mandat de l'ONU
7 - Corée : reconnaissance du gouvernement de Séoul
8 - Fonds d'aide aux enfants : continuation votée sans oppositions
9 - L'admission de nouveaux membres, dont Israël, est repoussée
à 1949
10 - Le Conseil de Sécurité restera au Palais de Chaillot jusqu'au
17 décembre avant de reprendre sa tâche le 4 janvier 1949 à
Lake Success aux Etats-Unis.
Cette troisième assemblée générale de l'ONU a été un succès et le nom de Chaillot est alors connu partout dans le monde. Profitant de cette publicité la pièce de Giraudoux La Folle de Chaillot est montée à Broadway (New-York) et la répétition générale a lieu le dimanche 26 décembre 1948 au théâtre Belasco. Mais depuis les souvenirs se sont évaporés. Quant à la note à payer, elle s'éleva à 700 millions de francs à la charge de l'ONU et à 1.000 millions de francs à la charge de la France !
© Hubert DEMORY