Les courses de taureaux à Paris.
Deuxième partie
III - La Gran Plaza de Toros du Bois de Boulogne
La création
Le duc de Veragua, dernier descendant de Christophe Colomb, élève depuis 1849 la meilleure race de taureaux castillans (celle qui appartient aujourd'hui à Juan Pedro Domecq, bien connu des aficionados) et veut profiter de l'Exposition de 1889 pour se créer un débouché en France. Après délibération prise en Conseil des ministres, M. Constans autorise le 22 mars 1889 la société à organiser des courses de taureaux selon le cérémonial espagnol, "avec tout le splendide appareil d'usage sauf le sanglant épisode final".
Le 12 juin 1889 Antonio Hernandez y Lopez, gérant de la Société
Anonyme de la Gran Plaza de Toros du Bois de Boulogne, dont le siège
est 15 villa Dupont, (il sera transféré 58 rue Pergolèse
quelques mois plus tard) adresse une demande de permis de construire :"...
Nous avons fait dresser par MM Comboul, ingénieur, et Laborde, architecte,
les plans d'une grande arène en maçonnerie bois et fer et par
MM Botrel et Malençon, architectes, ceux des dépendances qui nous
sont nécessaires et du bâtiment d'Exposition. Le tout devant coûter
près de un million et demi de francs. Le terrain est de vingt mille mètres
carrés situé 60 rue Pergolèse et est borné par cette
rue, par la rue Marbeau, par le chemin de ceinture et par la villa Saïd..."
D'après les plans les arènes occupent la deuxième moitié
du terrain avec un rayon hors tout de 48,73 mètres et une hauteur de
21,75 mètres, la piste ayant un rayon de 27,94 mètres. L'entrée
ne pouvait se faire que par le boulevard Lannes (aujourd'hui boulevard Marbeau),
le 60 rue Pergolèse étant l'entrée de l'Exposition.
L'inauguration a lieu le samedi 10 août 1889 à 15 heures. Dans
un article du lendemain Le Figaro décrit le spectacle :"L'excellent
orchestre de Sax attaque la Marche royale. Et le cortège fait son entrée.
Il est superbe, ce cortège. Un peloton de soldats de la garde verte ouvre
la marche. Puis viennent les trompettes et les timbaliers à cheval ;
puis les 12 alguazils à pied, en costume du temps de Philippe IV, et
les 4 alguazils montés ; puis les quadrilles des toreros ; puis les banderilleros
et les chulos, précédant un carrosse de gala où se tiennent
les cavaliers en place, et que traînent quatre bêtes au harnachement
splendide tenues en main par des piqueurs en livrée étincelante
; puis les chevaux des cavaliers en place, tenus en main, eux aussi, et qui
sont de pur sang ; puis les picadores à cheval, et, pour finir, les gens
de service et les mules caparaçonnées qui traîneront hors
de l'arène les victimes des matadores. Mais ici les mules sont pour le
décor. On sait qu'il ne doit pas y avoir de dénouement tragique.
Les matadores - Currito, Cucharès, Angel Pastor, Felipe Garcia, Frascuelo
l'aîné - sont vêtus du costume traditionnel : veste de satin
et culottes courtes, ornées de passequilles, arabesques et paillons d'or
et d'argent ; cape chatoyante, coquettement drapée et posée sur
l'épaule gauche ; les bas blancs ou roses, la ceinture de couleur vive
et la montera, coiffure très spéciale, qui, avec le mono sur la
nuque, est la caractéristique du toréador espagnol.
" ... Et ainsi de suite sur deux colonnes. Les six taureaux viennent des
élevages de Veragua et de Patilla.
Le Magasin Pittoresque de 1889 décrit l'arène :
" Le cirque lui-même, (nous parlons des arènes de la rue Pergolèse)
immense et d'une construction bizarre, saisit l'oeil dès l'entrée.
Soutenus par une charpente en fer monumentale, d'innombrables rangées
de gradins peints en rouge, s'étagent en trois masses autour de la vaste
arène où un escadron de cavalerie évoluerait, sans trop
de gêne. D'en haut, rapetissés, les hommes, les chevaux et le taureau
surtout, courant sur le sable, ont l'air de jouets perfectionnés, mus
par d'invisible ressorts.
Au dessus de l'arène, le ciel apparaît encadré circulairement
par des vélums rouges et or qui garantissent les gradins contre le soleil
et la pluie. Aux énormes piliers de fonte gris sont fixés des
faisceaux aux couleurs françaises et espagnoles. Enfin, au milieu des
gradins du premier étage, une loge est disposée pour recevoir
un assez nombreux orchestre.... Trois portes débouchent dans l'arène.
L'une communique avec l'écurie des taureaux (toril), l'autre, en face,
sert à évacuer les chevaux ou les hommes blessés ou contusionnés.
Par la troisième enfin entre le cortège de la quadrilla. Derrière
se tiennent dans une cour intérieure les cavaliers, en selle, prêts
à paraître dans l'arène."
Et après avoir décrit une course de taureau, il précise : "Mais à Paris, on le sait, la pointe de l'épée est émoussée, de même que les cornes du taureau sont enfermées dans un épais étui de cuir qui en amortit les coups. Il n'y a donc personne de tué. Pour faire sortir le taureau, on fait entrer alors un troupeau de boeufs, qui fait le tour de l'arène, escorté par deux manageurs à cheval, porteurs de longs aiguillons. Le taureau enchanté de quitter la partie, se mêle à ses congénères et détale au plus vite, avec son attirail fiché dans le dos."
© Hubert DEMORY