Les courses de taureaux à Paris.

Troisième partie

 

III - La Gran Plaza de Toros du Bois de Boulogne (suite)

La saison 1889

La première corrida de la Gran Plaza de Toros du Bois de Boulogne a lieu le samedi 10 août 1889. A la quatrième corrida, le matador Lagartijo fait entrer ses picadors pour combattre le dernier taureau et à la corrida suivante trois taureaux subissent des piques pour la plus grande émotion du public. Par la suite, à chaque corrida, trois taureaux seront combattus par des picadors et trois par des "cavaliers en place" qui luttent à cheval et plantent de petits javelots au lieu de banderilles.

Ainsi, deux fois par semaine, les jeudis et dimanches, se succèdent les corridas qui sont commentées le lendemain dans Le Figaro en première page. De 15 à 21.000 spectateurs applaudissent Lagartijo, Frascuelo, Mazzantini, Angel Pastor, Valentin Martin, Guerrita, les matadors qui se succèdent au long de la saison, ainsi que Tinoco et Dorego, les "cavaliers en place". La 28° et dernière corrida de la saison a lieu le dimanche 10 novembre 1889.

La saison 1890

La saison 1890 commence, M. Fayot étant le nouveau directeur de la Société, le jeudi 8 mai avec Alfred Tinoco, Angel Pastor, Valentin Martin et Le Pouly de Beaucaire ; elle se poursuivra chaque dimanche et chaque jeudi, la 42° et dernière course clôturant la saison le dimanche 2 novembre.

Quelques événements doivent cependant être signalés. Tout d'abord, pour éviter la chaleur et la pluie, l'arène a été surmontée d'une coupole qui " s'élance à cinquante-six mètres au dessus du sol " lit-on dans les journaux (rappelons que la hauteur sur le permis de construire est de 21,75 mètres seulement !). "Elle est couronnée par une élégante lanterne, dont les châssis, par un mécanisme ingénieux, se replient les uns sur les autres, donnant passage à l'air chaud qui s'échappe au dehors, en même temps que la lanterne elle-même, mue par une pression hydraulique, s'élève de quatre mètres, ouvrant d'autres baies d'aération."

Le dimanche 28 septembre des Pegadores africains remplacent les écarteurs landais. Le jeudi 9 octobre a lieu la première course de nuit."Un Monsieur de l'Orchestre" rapporte dans Le Figaro : "...L'expérience était des plus aléatoires et le problème des plus difficiles à résoudre. Or cette expérience est faite, et d'une façon victorieuse, et le problème est résolu. Il a suffi - oui rien que cela - de 145 lampes disposées, à 45 mètres au-dessus du sol, sur une couronne circulaire de 30 mètres de diamètre, et donnant ensemble un éclairage supérieur à cent quarante mille bougies, pour accomplir ce prodige. C'est simple, comme vous le voyez. Mais l'effet est formidable, féerique. Et toutes les personnes présentes, hommes et femmes, ont battu des mains."

Samedi 11 octobre et dimanche 12 après la course, les arènes présentent un grand concert à 20 heures 30. L'orchestre de 160 musiciens est dirigé par M. Thibault. Au programme : la Danse macabre, l'ouverture de Guillaume Tell, la Fédérale (cantate de M. G. Boyer, musique de Massenet), et il faut ajouter les noms de Auber, Salvayre, Delibes, Saint-Saëns, Meyerbeer, Berlioz, Gounod, etc.

La saison 1891

La saison 1891 commence le dimanche 24 mai et s'achève le dimanche 8 novembre. N'étant plus considérées comme un spectacle exceptionnel, les corridas sont annoncées et commentées en page intérieur du Figaro, à la rubrique Courrier des Théâtres. Les courses ont lieu désormais chaque dimanche.

Le dimanche 5 juillet voit une grande première : "En dehors des attractions ordinaires que fournissaient la présence de Valentin Martin, Le Mateïto, les toréadors landais et les picadors, tous très fêtés, il faut citer le "great event" de la journée l'apparition de Mlle Gentis, l'écuyère de haute école qui vient d'accomplir un véritable tour de force. La première, elle a combattu le taureau, et avec une hardiesse telle, qu'elle a été longuement acclamée et couverte de fleurs. L'habile cavalier Bento de Araujo a partagé le triomphe de la charmante écuyère." Car pour durer, il faut innover. Et la direction n'est pas à court d'idées.
Elle prévoit de donner tous les soirs "Cinq mois au Soudan", pantomime à grand spectacle de Gugenheim et Lefaure sur une musique de Cressonnais.

Dans Le Figaro du 14 juillet, "Un Monsieur de l'Orchestre" raconte ce qu'il a vu lors de la générale : "Seule la Plaza grandiose de la rue Pergolèse permettait une mise en scène aussi importante que celle nécessitée par le sujet de la pièce. Une mission militaire en quatre étapes, songez donc ! Des décors de cinquante mètres de haut pour lesquels il n'a pas fallu peindre moins de douze mille mètres carrés de toile, des constructions, des praticables dans lesquels sont entrés plus de deux cents mètres cubes de bois, une piste de près de trois kilomètres carrés [l'auteur voulait sans doute écrire trois mille mètres carrés !] sur laquelle évoluent un millier de personnes, sans compter cent cinquante chevaux, quatre-vingt baudets, des chameaux, etc... "

La pantomime est donnée chaque soir, en plus des courses de taureaux du dimanche après-midi. Et cela se poursuit chaque soir. Toutefois, le spectacle a dû prendre fin vers le 13 septembre, car la publicité ne mentionne plus les soirées à partir du 15 ; seules sont annoncées les courses dominicales, à 15 heures, que l'on ne raconte plus tant ce spectacle est acclimaté à Paris. La 26° et dernière course de la saison a lieu le dimanche 8 novembre.

La saison 1892

La saison 1892 ne commence que le dimanche 26 juin. Chaque jeudi et chaque dimanche 10 à 15.000 personnes se pressent aux arènes pour applaudir Angel Pastor, Le Pouly, le Mateïto, Francisco Granja, Juan Ripoll, Marius Monnier de Marseille et les 'cavaliers en place" Bento de Araujo et Mlle Maria Gentis.

Le dernier article du Figaro au sujet des corridas de Paris est daté du mardi 4 octobre 1892. Le voici en entier :
" Malgré le mauvais temps, il y avait beaucoup de monde aux Arènes de la rue Pergolèse.
La 28° course de taureaux a été marquée par le début de P. Frascuelo. Elle a été des plus mouvementées et des plus brillantes. Les taureaux étaient très vigoureux et ont à plusieurs reprises désarçonné les picadors. José Bento d'Araujo et la charmante caballera Maria Gentis sont toujours hors de pair. Cette dernière doit lutter non seulement contre le taureau, mais avec son cheval qui est toujours un peu rebelle. Elle a merveilleusement planté deux javelines. Frascuelo, dont l'arrivée était impatiemment attendue des aficionados parisiens, n'a pas trompé leur attente et a déployé un talent et un courage extraordinaires. Le quadrille provençal de Marius Monnier, de Marseille, faisait ses adieux au public parisien. Il l'a laissé sous la meilleure impression et a été l'objet d'une véritable ovation. Jeudi prochain, 29° course avec Frascuelo. Début des pégadores africains dont le travail, un peu fantaisiste, a beaucoup plu l'an dernier aux habitués de la Plaza."
Le mardi 18 octobre, la publicité pour la Gran Plaza de Toros ne parait plus. La saison 1892 s'est donc achevée avec la plus extrême discrétion.

La fin des corridas parisiennes

Il n'y aura pas de saison 1893. Sur requête du 12 janvier 1893, la Société Anonyme de la Gran Plaza de Toros du Bois de Boulogne, au capital de 5.000.000 de francs, doit déposer son bilan. Les pièces du musée tauromachique du bâtiment d'exposition sont dispersées aux enchères et, en septembre, c'est le tour des arènes et des dépendances qui partent pour un prix dérisoire car destinées à être démolies.

En 1899, une autre tentative sera faite mais tournera court. Vers 1925, quelques courses seront organisées dans les arènes de Paris. Enfin d'autres auront lieu en septembre 1942 au Vel'd'Hiv (d'après des photos de l'agence Roger-Viollet).

Clin d'oeil de l'Histoire : c'est un bronze doré, de Paul Jouve (1878-1973, membre de l'académie des Beaux-arts), représentant un taureau de combat qui sera installé en 1937 dans la partie supérieure du bassin des jardins du Trocadéro, rappelant, involontairement, que le XVI° arrondissement fut le haut lieu des courses de taureaux à Paris.

© Hubert DEMORY

 

 

Le taureau de Paul Jouve dans les jardins du Trocadéro

 

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