L'USINE A GAZ DE PASSY
C'est Philippe LE BON, ingénieur des ponts et chaussées, qui a le premier, en 1785, l'idée de "faire servir à l'éclairage les gaz qui se produisent pendant la combustion des bois". Il fait part de sa découverte à l'Institut en 1799, prend un brevet d'invention en 1800 et publie le résultat de ses recherches dans un mémoire intitulé : "Thermolampes, ou poêles qui chauffent, éclairent avec économie, et offrent, avec plusieurs produits précieux, une force motrice applicable à toute espèce de machines". Devant l'incrédulité générale, il loue le 25 août 1801 l'hôtel Seigneley, rue Saint-Dominique. ( Jean-Baptiste Colbert, marquis de Seigneley, était le fils aîné de Colbert et il rendit la marine française la plus belle d'Europe.) Après avoir installé un appareil de distillation du bois, il distribue le gaz dans les appartements, les cours, les jardins assurant ainsi éclairage et chauffage, et prie tous ceux qui le souhaitent de venir constater l'efficacité de son invention. C'est ainsi qu'un tchèque du nom de Winzler recueille toutes les informations sur le procédé et, sous le nom anglais de Winsor, sera par la suite longtemps considéré comme l'inventeur du gaz d'éclairage.
Le gaz obtenu par Le Bon, composé d'hydrogène carboné et d'oxyde de carbone, éclairait mal et avait une odeur désagréable. Le seul apport de Winsor fut d'utiliser un gaz d'hydrogène extrait de la houille d'après un procédé du belge Ruys-Poncelet. En 1816, Winsor éclaire le passage des Panoramas. En 1817, un autre essai a lieu place de l'Hôtel de Ville : "un café et un établissement de bains situés à l'angle de la rue de Chartres avaient obtenus l'autorisation de placer une installation dans leur cave ; le café avait pris l'enseigne de "Café du gaz hydrogène." rappellera-t-on en 1924 lors du centenaire de l'industrie du gaz en France. Cette installation obtient un grand succès. Aussitôt les commerçants du Palais-Royal veulent leur éclairage. Winsor établie un projet pour l'utilisation de 4 000 becs de gaz et crée, à cet effet, une société au capital de 600.000 francs. Mais à la tête des actionnaires, un grand référendaire de la Chambre des pairs exige que l'on commence par l'éclairage du Luxembourg. Une petite usine est créée aux environs du Luxembourg et l'éclairage est étendu aux galeries du pourtour de l'Odéon. Peu à peu le gaz s'étend et le 1° janvier 1818 toutes les dépendances de l'hôpital Saint-Louis sont éclairées.
Les industriels voient dans le gaz d'éclairage des perspectives lucratives et peu à peu des sociétés se créent, chacune avec son usine à gaz. C'est d'abord Pauwels, en 1820, qui crée, au 97 du faubourg Poissonnière, un gazomètre de 196.000 pieds cubes ( près de 7.000 mètres cubes) ; puis en 1821 laD'après l'Annuaire de Passy de 1858, l'emplacement, "42 quai de Passy", est choisi car le plus propice : "sa position dans le quartier bas, ses arrivages par eau et par voie de chemin de fer" sont pour l'usine des avantages tels qu'elle est reconnue comme la mieux située de toutes les usines de la région parisienne. Elle a pour objet d'assurer l'éclairage de Passy et d'une partie du 1° arrondissement ( section des Champs-Elysées et de Chaillot ), mais s'agrandira vite. Bâtie sur un terrain de 2.549 mètres carrés suite à l'autorisation du préfet de la Seine du 5 avril 1838, elle occupera 38.745 mètres carrés en 1858. Rapidement la société Pédardel et Cie se transforme et devient la "Compagnie de l'Union pour l'éclairage au gaz de la houille" qui se dissout elle-même en 1841 pour devenir la "Compagnie de l'Ouest", sous la raison sociale de "Le Poitevin et Cie", et l'usine est amodiée [ donnée en fermage moyennant une redevance ] à messieurs Grafton et Gosse qui l'exploitent jusqu'au 31 décembre 1846. La direction de l'usine sera assurée par Philippot, conseiller municipal de la commune de Passy, qui en deviendra le régisseur le 1° janvier 1856.
Le 1° avril 1843, par devant maître Tabourier, notaire à Paris, Charles Gosselin rachète la compagnie de l'Ouest, et le 31 décembre 1846, Grafton et Gosse lui vendent le droit au bail de l'usine de Passy. La "Ch. Gosselin et Cie" exploitera directement cette usine jusqu'au 31 décembre 1855. Entre temps, la compagnie a été, le 1° janvier 1843, adjudicataire pour 18 ans de l'éclairage de la commune de Neuilly-les-Ternes. En 1847 elle obtient la concession, également pour 18 ans, de l'éclairage de la commune d'Auteuil. Le 28 avril 1851, elle traite avec la commune de Puteaux, traité approuvé par la décision ministérielle du 25 juillet 1851. Suite aux nombreuses plaintes des habitants de Courbevoie contre la compagnie de Boulogne, elle rachète cette compagnie et obtient ainsi les droits à l'éclairage sur les communes de Boulogne et de Courbevoie. Le 16 décembre 1852, elle signe un nouveau traité avec la commune de Passy, traité approuvé le 19 février 1853 par le préfet de la Seine. Prévue à l'origine pour une production annuelle de 500.000 mètres cubes de gaz, l'usine de Passy en produira, en 1858, 18.250.000 mètres cubes.
L'usine comprend plusieurs bâtiments où l'on procède aux nombreuses opérations nécessaires à la fabrication du gaz, notamment une salle des "batteries" où le charbon est placé dans des cornues. Un autre bâtiment, la briqueterie, sert à la fabrique des cornues et des fours, comprenant le broyage, le moulage et la cuisson de la terre. Enfin dans une autre partie de l'usine se trouvent les immenses appareils où se préparent le goudron et ses différentes transformations industrielles. Il y a aussi des " salles d'hygiène où les ouvriers prennent avant et après le travail toutes les précautions et les soins de propreté que nécessite leur dur métier.
L'éclairage des particuliers, avec l'apparition, par la suite, de la plaque " Gaz à tous les étages " date de 1830 et durera jusqu'en 1930 environ. Comme il n'y avait pas de compteurs, les abonnements étaient contractés par bec et par an. Il y avait différents tarifs selon l'heure adoptée pour l'extinction : 22 heures, 23 heures ou minuit, avec un supplément pour les dimanches et fêtes. Cette extinction était opérée par des agents des compagnies qui passaient à l'heure fixée pour fermer le robinet desservant l'installation de l'abonné. Ne pouvant arriver avant l'heure, ni fermer tous les robinets ensemble, les compagnies enregistraient des surconsommations non payées et firent des recherches pour la mise en place de compteurs à gaz individuels. C'est d'ailleurs lors de l'installation de compteurs en sortie de l'usine de Passy qu'il y eut une terrible explosion en novembre 1857.
D'après un document retrouvé par monsieur Michel Debonne, vice-président de la Société Historique et Archéologique du XV° arrondissement, c'est le 10 janvier 1927, que suite à une demande du président Chérioux de désaffecter l'usine à gaz de Vaugirard avant celle de Passy, l'Ingénieur des travaux publics de Paris constate que l'usine de Passy produit un gaz dont le prix de revient est supérieur à celui de Vaugirard de 4,20 centimes par mètre cube, et donc qu'il convient de désaffecter d'abord Passy, ce qui sera fait en 1928, un an avant celle de Vaugirard.
Il ne restera qu'un grand terrain qui deviendra, par la suite, le stade André
Rondenay, du nom du résistant fait Compagnon de la libération
le 28 mai 1945. Par un vote du Conseil de Paris du 10 juillet 1952, ce large
terrain sera vendu à l'Etat. Une demande de permis de construire au 106
quai de Passy [avenue du Président Kennedy depuis 1964] sera déposée
le 31 août 1954 pour y établir la Maison de la Radio. Une autre
"usine à gaz" diront certains...
© Hubert DEMORY