Histoire des reliques de l'abbaye de Longchamp
En 1237, l'empereur de Byzance, Baudouin II de Courtenay, propose à Saint-Louis, roi de France, de lui vendre les reliques de la Passion du Christ, notamment la Couronne d'Epines et une partie de la vraie Croix. Il faudra deux ans pour conclure l'affaire, Saint-Louis tenant à s'assurer de l'authenticité des reliques. Moyennant la somme considérable de 135.000 livres, la sainte Couronne arrive le 18 août 1239 à Paris, suivie, en 1241, des autres reliques de la Passion. Pour conserver ces reliques, Saint-Louis fait construire, à Paris, la Sainte-Chapelle pour un coût de 40.000 livres. En juin 1247, l'empereur Baudouin II rédige un authentique pour ces reliques (Archives Nationales : L - 620 ).
Le 10 juin 1256, Saint-Louis pose la première pierre de l'église
de l'abbaye de Longchamp que sa soeur, Isabelle de France, vient de fonder au
Bois de Boulogne. Par la bulle du 12 février 1259, le pape Alexandre
IV autorise les religieuses, ordre des clarisses urbanistes, à occuper
l'abbaye " Abbatissa sosorum minorissarum humilitatis nostrae Dominae de
Longo-Campo ", ce qu'elles font le 23 juin 1260, suivies, trois ans plus
tard, par Isabelle de France. C'est vraisemblablement à cette date que
Saint-Louis fait don à l'abbaye de Longchamp d'une partie des reliques
de la Passion. (On retrouve aussi aujourd'hui à la cathédrale
de Clermont une sainte-épine donnée par Saint-Louis en 1269.)
Par humilité, Isabelle ne prononce pas ses voeux, s'occupe de la cuisine,
va chercher l'eau à la Seine et dort sur de la paille. Elle meurt le
22 février 1270, un mois avant ses 45 ans. Son corps est placé
dans une châsse en bois de chêne, large de 2 pieds et longue de
6, et enfermé dans un cercueil de pierre qui est placé sur la
limite du choeur (Archives Nationales : L - 1029 ).
Dans l'inventaire des reliques de l'abbaye de Longchamp, réalisé
en 1325 et conservé aux Archives Nationales ( L - 1027 ), on peut lire
:
1° - De la vraie Crois en une crois à pied d'argent doré
2° - De la Sainte épine Notre Seigneur en un vaissel de cristal et
d'argent doré
...
7° - Des cheveux de notre dame en un vaissel a pié d'argent doré
Cela prouve donc qu'en 1325 il y avait à l'abbaye de Longchamp : une
épine de la sainte Couronne, une parcelle de la vraie Croix et des cheveux
d'Isabelle, le terme notre dame évoquant la fondatrice de l'abbaye. A
cela il faut ajouter la châsse dans laquelle repose le corps d'Isabelle.
Par bulle du 3 janvier 1521, le pape Léon X déclare "bienheureuse"
Isabelle de France, le 4 juin 1637 monseigneur Jean-François de Gondi,
premier archevêque de Paris, autorise le déplacement du corps de
la bienheureuse Isabelle pour le mettre entièrement dans le choeur de
l'église abbatiale du couvent de Longchamp (ce qui était réservé
aux soeurs ayant prononcé les voeux), et en 1670 l'abbesse Claude de
Bellières obtient du pape Clément X de célébrer
l'octave au nom d'Isabelle, dont la fête a été fixée
au 31 août.
Bientôt arrive la Révolution. L'abbesse Jeanne Jouy, ancienne trésorière du couvent, se préoccupe de la préservation de ses plus précieuses reliques, lesquelles sont les vrais trésors d'une abbaye. Elle prend contact avec monseigneur Le Clerc de Juigné, archevêque de Paris depuis le 25 février 1782 et dont les Parisiens admiraient la grande piété, et lui demande de mettre en lieu sûr deux reliquaires : l'un contenant l'épine de la sainte Couronne et une parcelle de la vraie Croix, l'autre des cheveux et des ossements de la bienheureuse Isabelle. Monseigneur de Juigné accepte, authentifie les reliques et y appose son sceau.
Il convient ici, pour exprimer les hauts sentiments de monseigneur de Juigné
et de sa famille, de citer un court passage de la remarquable thèse sur
monseigneur de Juigné soutenue à la Sorbonne le 17 mars 1993 par
monsieur Jean Duchêne : Une autre indication chiffrée fréquemment
citée par les biographes est celle relative à la générosité
de M. de Juigné pendant l'hiver 1788-1789. Ayant épuisé
ses propres ressources, y compris celles procurées par la vente de sa
vaisselle d'argent qui a eu lieu à Conflans, l'archevêque a procédé
à des emprunts avec la caution de son frère aîné
le marquis de Juigné, qui s'est obligé, dit l'abbé Lambert,
jusqu'à 100.000 écus. Cette contribution du marquis de Juigné
est enregistrée dans l'épitaphe que l'on peut lire dans la chapelle
de Notre-Dame contenant le monument votif élevé à la mémoire
de l'archevêque par ses neveux. La fin de cette épitaphe du marquis
est libellée de la façon suivante : " Le fatal hiver de 1789
avait épuisé les ressources de l'archevêque de Paris ; le
marquis de Juigné mit 500.000 livres à la disposition de son frère
pour venir au secours des pauvres de Paris.".
Lors des Etats Généraux de 1789, monseigneur de Juigné
s'oppose à la réunion des ordres puis réclame l'intervention
du Roi lorsque les députés ecclésiastiques se réunissent
au Tiers-Etat ; le peuple se retourne contre lui et le 15 octobre 1789 il doit
émigrer, d'abord à Chambéry puis à Constance, laissant
ses biens sous la protection de son frère le marquis de Juigné.
En 1801, Pie VII demandant à tous les évêques de France
de démissionner pour permettre l'application du Concordat, il attendra
le 16 novembre 1801 pour le faire et le confirmera le 31 janvier 1802 (Archives
Historiques de l'Archevêché de Paris). Après avoir refusé
l'archevêché de Lyon que lui proposait Pie VII, il rentre en France
début 1803 et prend sa retraite dans l'hôtel de Juigné au
29 de la rue Saint-Dominique à Paris. Le scellement des reliques de Longchamp
n'a donc pu se faire qu'en 1789, avant le départ en émigration,
puisqu'à son retour en France monseigneur de Juigné ne pouvait
plus utiliser son sceau d'archevêque, or c'est bien ce sceau d'archevêque
qui a été utilisé ainsi que le prouve la comparaison faite
avec ce même sceau retrouvé aux Archives Historiques de l'Archevêché
de Paris.
En 1804, l'ancienne abbesse de Longchamp, qui s'est retirée, sous le
nom de soeur Jouy des Anges, dans le couvent carmélite de la rue de Cassini
avec quelques unes de ses compagnes, obtient du cardinal Jean-Baptiste de Belloy,
archevêque de Paris, la permission d'ouvrir les reliquaires qu'elles ont
sauvés de Longchamp afin de faire des dons à diverses églises
ou abbayes (Archives Historiques de l'Archevêché de Paris - 8°
J 1708 page 116). C'est ainsi que l'on retrouve aujourd'hui des reliques de
la bienheureuse Isabelle dans 12 églises ou maisons du diocèse
de Paris, la plus grande partie des autres reliques ayant toutefois été
donnée aux soeurs Elisabéthaines..
Pendant ce temps, les deux plus précieux reliquaires de Longchamp restent
sous la garde de monseigneur de Juigné. L'inventaire rédigé
par maître Denis le 9 avril 1811 (Archives Nationales MC-ET/XXIX/753),
dressé après le décès, le 19 mars 1811, de monseigneur
de Juigné, montre en marge de : "Dans une pièce au deuxième
étage, éclairée par une croisée sur la maison voisine,
consacrée pour l'office " la mention suivante :
"+---------------
Deux reliquaires contenant l'un une épine de la Sainte Couronne l'autre
deux ossements de Sainte Isabelle soeur de Saint Louis dont il n'est parlé
ici que pour ordre et mémoire attendu
que ces objets n'ont qu'une valeur relative.
"
Ce renvoi est paraphé par tous les signataires de l'acte.
C'est grâce au souci du détail de ce notaire que nous avons la preuve que les plus précieuses reliques de l'abbaye de Longchamp étaient, en 1811, dans l'oratoire personnel de monseigneur de Juigné. Ces reliques resteront 191 ans encore dans la famille de Juigné.
La famille de Juigné possède depuis des siècles une seigneurie
à Juigné-sur-Sarthe, à un kilomètre et demi de l'abbaye
de Solesmes. De ce fait, lorsque la loi du 9 décembre 1905, portant séparation
de l'Eglise et de l'Etat, abroge le Concordat de 1801, le marquis de Juigné
s'empresse d'acheter l'abbaye de Solesmes afin d'en préserver l'intégrité.
Par l'encyclique Maximam gravissimamque du 18 janvier 1924, Pie XI autorise
la création d'associations cultuelles (prévues par la loi de 1905)
pour la possession des biens ecclésiastiques acquis depuis 1905. Le marquis
de Juigné se hâte de faire toutes les démarches administratives
nécessaires et dès 1926 les moines peuvent réoccuper leur
abbaye de Solesmes.
Le marquis de Juigné, qui a épousé Marie-Madeleine Schneider,
a deux enfants : Colette et Henri qui décédera lors de la première
guerre mondiale. Colette épouse Armand de Durfort Civrac de Lorge (qui
deviendra, à la mort de son père, duc de Lorge) et ont trois enfants
: Jacques-Henri, François et Marie. Après le décès
des parents de Colette, le château de Juigné entre dans la famille
de Durfort, y apportant par ce fait les reliques de Longchamp. Parallèlement,
monsieur de Durfort succède au marquis de Juigné à la présidence
de l'association gérant les biens immobiliers de l'abbaye de Solesmes.
Après le décès d'Armand de Durfort, son fils aîné,
Jacques-Henri, entre en possession du château de Juigné et assume
la présidence de l'association.
C'est donc tout naturellement au père-abbé de Solesmes que monsieur
Jacques-Henri de Durfort s'adresse en 2002 lorsqu'il souhaite rendre à
la vénération publique les reliques de Longchamp dont il est dépositaire.
Or l'abbaye de Solesmes vient de fonder en 2000 un nouveau monastère
bénédictin à Palendriai, en Lituanie ; aux yeux des moines,
l'endroit est idéal pour accueillir ces saintes reliques. Aussi en septembre
2003, monsieur de Durfort et ses enfants font le voyage en Lituanie pour apporter
personnellement les reliques de Longchamp, où elles sont désormais.
Seule ombre à cette histoire, les "authentiques" ont été
égarés, or on ne peut présenter à la vénération
publique que des reliques authentifiées ; c'est ce qui a motivé
cette recherche dont la conclusion est la suivante :
Les reliques, contenues dans les deux reliquaires actuellement en possession
du monastère de Palendriai pour y avoir été apportés
le 20 septembre 2003 par monsieur de Durfort, duc de Lorge, lesquels étaient
dans la famille de sa mère depuis au moins 1811 ainsi que le prouve l'inventaire
dressé après le décès de monseigneur Le Clerc de
Juigné, duc de Saint-Cloud, Pair de France, ancien archevêque de
Paris, sont bien originaires de l'abbaye de Longchamp, près de Paris,
et ont été authentifiées par monseigneur de Juigné
qui a scellé de son sceau d'archevêque chaque reliquaire, lesquels
n'ont pu être ouverts depuis.
© Hubert DEMORY