Le général Uhrich

 

Le 31 mars 1854, Napoléon III décrète : "Il sera procédé à la rectification de la route départementale N°4 entre le rond-point de la barrière de l'Etoile et la porte Dauphine." Dix ans plus tard, le 2 mars 1864, cette avenue reçoit officiellement un nom : "Article 1 - Les douze avenues rayonnant autour de l'Arc de Triomphe de la place de l'Etoile seront dénommées : ....., la 6° conduisant à la porte Dauphine, celui qu'elle a déjà reçu en fait, d'avenue de l'Impératrice,...". C'est aujourd'hui notre avenue Foch, que les anciens appellent encore de son précédent nom: avenue du Bois. Mais peu de Parisiens savent qu'entre le nom d'avenue de l'Impératrice et celui d'avenue du Bois de Boulogne elle porta de 1870 à 1875 le nom de "avenue du Général Uhrich", honneur extrême puisque ce nom fut donné du vivant du général, le seul autre cas bien connu étant celui de Victor Hugo.

Jean Jacques Alexis Uhrich naît le 15 février 1802 à Phalsbourg en Moselle. Après des études au prytanée militaire de La Flèche, Jean Uhrich sort de l'Ecole de Saint-Cyr, en 1820, avec le grade de sous-lieutenant d'infanterie. En 1824 il est nommé lieutenant puis capitaine en 1831 et participe à la conquête de l'Algérie. Chef de bataillon en 1843, puis lieutenant-colonel, il est promu colonel après la révolution de février 1848 et général de brigade en 1852. Rappelons qu'à cette époque il n'y avait que deux grades de général : brigade et division.

Il part à la guerre de Crimée à la tête d'une partie de la garde impériale. Sa bravoure lui vaut d'être nommé général de division un mois avant l'attaque de Malakoff (1855). De retour en France, il est nommé commandant de la division territoriale de Boulogne. En 1859 il fait la guerre d'Italie à la tête de la 2° division du 5° corps d'armée dirigé par le prince Napoléon, reste avec l'armée d'occupation puis est nommé commandant de la division territoriale de Reims. En 1868 il est mis au cadre de réserve, après avoir été nommé grand-croix de la Légion d'honneur, et fait partie de la Commission d'habillement.

Le 19 juillet 1870 il est nommé commandant de la 6° division militaire à Strasbourg alors que, il faut bien l'avouer, rien n'est prêt pour la défense de nos forteresses, l'Empereur pensant que les combats ne se dérouleraient pas sur le sol français. Le mardi 9 août Strasbourg est assiégée et Uhrich refuse de se rendre malgré les bombardements successifs qui incendient, entre autres, la bibliothèque et le musée.

A Paris l'émotion est considérable et chaque jours des fleurs sont déposées, place de la Concorde, au pied de la statue de Strasbourg qui résiste si héroïquement à l'envahisseur.

Après la défaite de Sedan, l'Assemblée nationale, le dimanche 4 septembre 1870, constitue le Gouvernement de la Défense nationale. Il faut immédiatement des décisions symboliques pour éviter l'émeute. Le 12 septembre Etienne Arago, qui vient d'être nommé maire de Paris et qui constate combien les noms de rues rappelant l'Empire sont impopulaires, prend un arrêté :
"Article 1 - Une commission de 20 membres sera chargée de réviser la dénomination des rues de Paris.
Article 2 - Dès à présent le maire de Paris, interprète du voeu populaire, décide :
1) la rue dite du Dix Décembre prendra le titre de rue du Quatre Septembre,
2) l'avenue dite de l'Impératrice prendra le nom d'avenue du Général Uhrich, le glorieux défenseur de Strasbourg."

Le peuple de Paris approuve : tant qu'Uhrich tient, la France peut être sauvée. On porte aux nues le général Uhrich .

Le 27 septembre 1870, Strasbourg est perdu.

Fin 1871, un conseil d'enquête est chargé de statuer sur les capitulations qui ont eu lieu pendant la guerre.

Dans sa séance du 8 janvier 1872, le conseil blâme sévèrement le général Uhrich, à la grande surprise du public. Si le conseil reconnaît que la garnison de Strasbourg était insuffisante par le nombre et la composition pour la défense de la place, il reproche au général Uhrich de ne pas l'avoir défendue suffisamment activement. "Pendant tout le siège, la défense fut plus passive qu'active, et elle permit à l'ennemi de cheminer rapidement, presque sans obstacle, depuis les ouvrages avancés jusqu'au couronnement du chemin couvert des contre-gardes du chemin d'attaque." De plus, le registre prescrit par la loi n'a pas été tenu régulièrement et n'est ni paraphé ni signé : "en cela, comme en bien des choses, il faut constater qu'il y a eu manque de direction, de surveillance, d'impulsion." On lui reproche aussi d'avoir décidé "de ménager autant que possible les propriétés particulières", rappelant que "la question d'humanité devait être séparée de celle du devoir militaire et de l'intérêt de la patrie", de ne pas avoir donné l'ordre "d'incendier les drapeaux..., enclouer les canons, détruire les munitions, les armes, noyer les poudres qui, après la reddition de la place, furent utilisées par l'ennemi dans les autres opérations de siège." et coetera....... !

La Ville de Paris pense qu'il vaudrait mieux débaptiser l'avenue du Général Uhrich. Ironie du sort, c'est le maréchal de Mac-Mahon, le vaincu de Reichshoffen mais dont une avenue porte aujourd'hui encore le nom, qui signera, en tant que président de la République, le décret du 10 février 1875 : au milieu d'une très longue liste de changements de noms de rues, l'avenue du Général Uhrich devient l'avenue du Bois de Boulogne.

Aujourd'hui, c'est l'avenue Foch.

© Hubert DEMORY

 

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