Adolphe YVON

 

Par arrêté du 28 juillet 1896, la Ville de Paris décide de rendre hommage au peintre Adolphe YVON en donnant son nom à la portion de la rue de la Tour, ouverte en 1883, allant de la place Tattegrain au boulevard Lannes. Cet emplacement est choisi parce qu'Adolphe Yvon y a eu son atelier, à l'emplacement du N° 16 actuel, pendant 26 ans, de 1868 jusqu'à sa mort. Si Adolphe Yvon eut une grande popularité de son vivant, il a aujourd'hui disparu de tous les dictionnaires et encyclopédies. Alors, qui était-il ?


Adolphe Yvon est né le 30 janvier 1817 à Escheviller, en Moselle, d'un père fonctionnaire dans les Eaux et Forêts, ce qui l'amenait à souvent déménager. Après avoir fait des études littéraires au collège Bourbon à Paris, le jeune Yvon rejoint sa famille qui habite alors au Havre. Son père voulant faire de lui un fonctionnaire de l'Administration, il a beaucoup de difficultés pour obtenir l'autorisation de prendre quelques leçons auprès du peintre Ochord, ancien élève de Gros. En 1834 il est nommé surnuméraire dans les services des Forêts auprès d'un oncle inspecteur de la forêt de Breteuil. " Trois années s'écoulèrent ainsi, très douces, pendant lesquelles je me familiarisais bien plus avec les ressources de la palette qu'avec la science du forestier. A 21 ans passés, je fus enfin nommé secrétaire de l'inspecteur des forêts de Dreux, au traitement de 800 francs. Je ne pouvais ne pas songer que si, pendant ces trois années de surnumérariat, j'avais sérieusement étudié, j'aurais été, selon toute apparence, en état de gagner au moins pareille somme dans la peinture. Mon parti fut bientôt pris, et je résolus de ne demeurer à mon poste que le temps nécessaire pour amasser 5 ou 600 francs avec lesquels je partirais pour Paris... Bref, au bout de 8 mois, j'avais mis de côté 600 francs. Je touchais enfin le but désiré ! Sans hésiter je donnai bravement ma démission et pris la diligence pour Paris." écrira-t-il plus tard à son fils Maurice Yvon.


Adolphe arrive donc à Paris et loge dans 2 petites chambres qu'il a loué au 5° étage, rue des Beaux-Arts, à proximité de l'école du même nom. Il s'inscrit le 9 octobre 1839 à l'atelier de Paul DELAROCHE. Hippolyte Delaroche, dit Paul, ( 17.7.1797 - 2.11.1856 ) avait aussi été élève de Gros et avait épousé, en 1835 à Rome, la fille d'Horace Vernet. C'est sans doute grâce à ce lien que A. de Calonne, un critique, pourra écrire dans " Le Soleil " du 30 septembre 1893 : " Yvon avait été élève de Paul Delaroche, mais il fut le vrai disciple d'Horace Vernet et plus encore de Charlet, dans l'atelier duquel nous l'avons connu, étudiant avec succès la physionomie pittoresque du troupier français." Car Adolphe deviendra un grand peintre militaire et " un des plus habiles praticiens de l'époque contemporaine " précisera Pierre Larousse.


Ses débuts commencent réellement avec la présentation, au salon de 1842, du portrait de "madame Ancelot". Puis il part faire un long voyage en Russie d'où il rapporte une série de dessins " dans lesquels on remarque un sentiment pittoresque, original et hardi, un grand caractère et une certaine élévation de style ; l'exécution était habile et large " écrira plus tard le Monde Illustré. Au salon de 1844, il présente différents portraits dont celui du général Neumayer, un de ses oncles.


Adolphe Yvon se tourne à présent vers les sujets bibliques. Au salon de 1845 il présente "le Christ chassant les marchands du temple", à celui de 1846 "le Supplice de Judas Iscariote aux enfers" et en 1847 des dessins rapportés de Russie. Il commence alors la série des 7 péchés capitaux d'après l'Enfer de Dante ; au salon de 1848 il présente "la Colère" et "la Luxure" ainsi que "Elégie", "Pastorale", "Danse de paysans russes" et "Tartares de Lubianka faisant le thé". C'est le succès et il obtient la médaille de première classe. En 1849 c'est "l'Avarice" et "la Gourmandise" et en 1850 "l'Orgueil", l'Envie" et "la Paresse" ainsi que "la Bataille de Koulikoro (1378)", toile de grande dimension qui brille par la précision de l'étude et de l'exécution, et attire l'attention du monde officiel. A. Yvon a trouvé une nouvelle voie et abandonne les sujets bibliques après le salon de 1852 où il présente "l'Ange déchu" (actuellement au musée d'Amiens).


Au salon de 1853 il présente "le Premier consul descendant le mont Saint-Bernard" qui lui avait été commandé pour la galerie du château de Compiègne. Pour l'Exposition universelle de 1855, il réalise le "Télègue russe", le "Maréchal Ney à la retraite de Russie" et expose tous les 7 péchés capitaux ; c'est un triomphe : il reçoit la médaille de deuxième classe et est fait chevalier de la Légion d'honneur. Il reçoit aussi la mission de rejoindre l'armée française en Crimée où il sera le seul artiste pour reproduire les principaux épisodes de la guerre. C'est, semble-t-il, à son retour à Paris qu'il commence à enseigner le dessin à l'Ecole des Beaux-Arts. Au salon de 1857 il présente "La prise de la tour de Malakoff" accueilli comme une des belles pages de l'histoire des batailles modernes et qui lui vaut la médaille d'honneur. Voici comment le décrit Edmond ABOUT : " Vous trouverez un peu de tout dans ce tableau de M. Yvon, mais ce tout n'est pas assez et l'on y désire autre chose. Le terrain est relevé avec l'exactitude d'un daguerréotype ; les bastions, les tranchées et tous les ouvrages militaires sont exécutés comme par un officier du génie. Voilà qui va bien. Mais dans une action épique d'où dépendent les destinées de l'Europe, ce n'est pas les terrassements qui me touchent le plus ; je voudrais voir la grande figure de l'armée personnifiée dans une masse d'hommes, et je ne la trouve pas. Un seul esprit, un seul coeur, un seul courage incarnés dans des milliers d'existences qui s'immolent à la paix de l'Europe. Voilà Malakoff, une collection de portraits estimables et d'épisodes ingénieux, voilà le tableau de M. Yvon. Tous ces épisodes sont bien cousus ensemble ; ils font face au public, comme le dernier tableau d'un mélodrame, ils se lisent clairement, couramment, ils disent bien ce qu'ils ont l'intention de dire, et ils attestent l'intelligence de l'artiste alors même qu'ils ne témoignent pas de son bon goût. Peut-être y a-t-il un peu de trivialité à placer en pendant au sommet du tableau le général de Mac-Mahon et un simple zouave. Peut-être y a-t-il de l'injustice à nous montrer, comme au cirque, cet éternel officier russe qui cherche à ramener les fuyards et se débat vainement contre la lâcheté de ses soldats. La lutte a été colossale et l'histoire ne dit pas que nous ayons eu affaire à des poltrons."


Pour Versailles, on lui commande deux tableaux complémentaires, ce sera : "la Gorge de Malakoff", action préliminaire à la prise de la tour, et "la Courtine de Malakoff", juste après celle-ci, qui seront présentés au salon de 1859. Le Monde Illustré du 22 octobre 1859 commente : " En 1857, l'assaut de Malakoff fit constater de grands progrès ; le dessin était plus souple, la couleur moins violente et plus harmonieuse. L'énergie des expressions et la vérité des attitudes étaient étudiées avec soin. Cette année la Gorge de Malakoff a mis le comble à la réputation du jeune maître. Cette composition est admirablement étendue, l'effet général en est pittoresque et dramatique, et, tout en restant dans les conditions de l'exactitude militaire, elle rentre mieux dans les conditions de la poétique de l'art... Son talent n'est point prime-sautier comme celui de M. Horace Vernet, dont il procède pourtant aussi par le goût très vif, exclusif même, qu'il montre pour les sujets militaires. Ses compositions, tout en conservant les grandes masses et le large ensemble, renferment les épisodes les plus variés et les plus émouvants." La série des trois tableaux sera présenté à l'Exposition Universelle de 1867 et lui vaudra la médaille de deuxième classe. Il sera promu, le 29 juin 1868, officier de la Légion d'honneur. Cette série peut être considérée comme le chef d'oeuvre d'Adolphe Yvon et est visible à Versailles.


Les oeuvres d'A. Yvon sont nombreuses ; citons par exemple : "Haussmann présente à l'Empereur le plan d'annexion des Communes" qui est au musée Carnavalet ; le portrait du prince impérial ( salon de 1861 ) ; celui de l'empereur en 1868 ; "les Etats-unis d'Amérique " (salon de 1870), immense toile commandée par le président Stewart et qui représente les 34 états de l'Union groupés autour de la figure symbolique de la république américaine ( aujourd'hui à Washington ) ; "la Charge des cuirassiers de Reichshoffen" (1875) rappelant la charge de cavalerie exécutée le 6 août 1870 pendant la bataille de Froeschwiller ; le portrait du président Sadi Carnot (1888) qui est au musée de Dijon ; et bien d'autres encore...


En décembre 1881 Adolphe Yvon est nommé professeur de dessin à l'Ecole Polytechnique en remplacement de M. Cogniet, fonction qu'il devra quitter en 1887 pour cause de limite d'âge. Le 30 avril 1884 il entre au Conseil supérieur de l'Ecole des Beaux-Arts où il aura enseigné pendant 30 ans. Et c'est le 11 septembre 1893 qu'il décédera à Paris, à l'âge de 76 ans, ayant auprès de lui sa femme et son fils Maurice. Il est inhumé au cimetière d'Auteuil.

© Hubert DEMORY

RETOUR