Attila

Extraits du roman de Grigori TOMSKI, Les amis d’Attila, Editions du JIPTO, 2005, 360 p.
ISBN : 2–35175–003–9

Discussions avec Attila

Enfin, Attila arrive avec sa belle escorte de cavaliers de fière allure aux armures brillantes et ses fougueux coursiers. Les Romains, dans la foule des habitants de la ville, observent avec intérêt son entrée dans la capitale. Les jeunes filles, vêtues de robes blanches et fines, portent un dais sous lequel les autres jeunes filles, par groupes de sept, avancent en chantant. Elles saluent Attila et reviennent en le précédant. Les habitants de la capitale saluent la procession avec des cris de joie.

Le jour suivant, Marc est déjà invité à la réception d’Attila. Oreste et Salvien, eux-aussi, n’attendent pas longtemps. Attila les reçoit avec le sourire :

- J’ai lu les lettres de Galla Placidia adressées à moi et à Oros, le khan principal. J’ai déjà composé la réponse. Mais j’aimerais bien discuter avec vous à quelques reprises. Il me serait agréable, après un long voyage, de parler latin avec des interlocuteurs intéressants. Je me souviens toujours avec grand plaisir de mes années d’étude en Italie. Nous aurons demain notre première réunion.

Les Romains transmettent à Attila les cadeaux de Galla Placidia.

***

Le premier jour, Attila réunit Marc, Onégèse, Oreste, Salvien et Edecon, un officier hun parlant bien latin. Le jeune khan tient un bref discours :

- Pendant mon voyage, en Oural, j’ai rencontré un ambassadeur des Turcs bleus, peuple hunnique de l’Altaï. J’ai beaucoup discuté avec lui. Les Turcs bleus sont des métallurgistes remarquables et plusieurs de leurs artisans travaillent dans nos ateliers militaires. C’est pourquoi, ils étaient au courant de ma visite des ateliers de l’Oural. Les Turcs, qui se trouvent à la même distance de chez nous et de la Chine, sont bien informés de ce qui se passe dans le monde.

La situation a changé ces dernières années. L’Empire chinois est gouverné par les Tabgatchs, les Joujans ont créé leur grand état plus au nord. Les Tabgatchs et les Joujans sont descendants des Huns orientaux. C’est pourquoi, hormis les peuples hunniques: les Huns occidentaux, les Joujans et les Tabgatchs, il n’existe aujourd’hui dans le monde que deux forces sérieuses. Ce sont la Perse et les deux empires romains qui se considèrent toujours comme les centres de l’Univers.

Les peuples hunniques ont surmonté toutes les difficultés survenues après la dislocation de l’empire fondé par la volonté de Tangra et l’énergie de Modoun le Grand. Ce n’était pas facile. Le khan Oros et moi-même, avons fait de grands efforts afin de consolider les peuples hunniques et les autres tribus du Danube à l’Oural et la mer Aral.

Attila dit en articulant chaque mot :

- Les Huns croient que comme il n’y a qu’un seul Dieu sur le Ciel, il ne sera un jour qu’un seul souverain sur la Terre. Alors les guerres cesseront.

Alarmés, les Romains, tout à coup, se sentent mal à l’aise et se regardent. Quelques instants de silence. Puis, Attila continue tranquillement :

- Les peuples des deux Empires romains se souviennent aujourd’hui avec nostalgie de la «pax romana», les siècles de paix romaine. Mais Dieu n’est plus favorable aux Romains qui ont érigé un culte de la jouissance et commis trop de pêchés et dont les souverains ont montré un orgueil incommensurable, puis sont tombés dans les délits de corruptions. Par contre, Dieu est de nouveau favorable aux Huns, qui sont capables de maintenir la «pax hunna» du Danube à la Chine.

Si nous concluions aujourd’hui une alliance avec les Tabgatchs, alors les peuples hunniques conquéraient rapidement le monde. Mais l’histoire nous a appris à être très prudent avec la Chine et leurs empereurs. C’est pourquoi, nous tenons à consolider et renforcer notre état. Les Joujans nous séparent de la Chine et nous préférons avoir avec eux des relations pacifiques, même si les Turcs bleus d’Altaï nous demandent parfois de calmer les intentions expansionnistes des Joujans. Je suis réaliste et pense que la progression vers la paix universelle sera longue et très difficile.

Nos actions montrent bien que nous n’avons pas d’intentions agressives envers les Romains. Nos guerriers, qui étaient mercenaires dans les armées romaines, sont contents. Leur service donne à notre état des revenus confortables. Nous sommes contents des dimensions de notre état car nous avons maintenant les meilleurs pâturages au monde pour nos chevaux et notre bétail, la richesse principale de tous les peuples hunniques.

Votre historien Tite-Live pensait aussi que Rome doit dominer le monde grâce au courage de ses citoyens et à la bienveillance des dieux. Maintenant vous n’avez ni l’un ni l’autre. Nous étudions l’expérience des Tabgatchs qui gouvernent la Chine et ont fondé leur dynastie impériale. Là-bas, les Tabgatchs et les autres peuples hunniques forment la cavalerie impériale, les fantassins sont chinois, l’administration chinoise reste intacte. Maintenant la Chine sort de la crise. Cette expérience est très intéressante pour nous et pour les Romains. Vous pourriez aussi sortir de la crise, si nous réussissions une alliance similaire ici, en Occident.

Je ne vois pas d’autre solution pour vous. En effet, l’Empire romain d’Occident ne se tient que grâce aux mercenaires huns. Je suis partisan de l’approfondissement progressif de nos relations afin d’essayer de réaliser un jour la «pax hunna-romana», de l’Espagne à l’Oural. Peut-être, négocierons-nous alors avec les Tabgatchs et Dieu nous aidera à réaliser la paix universelle.

Je n’oublie pas les autres peuples. Rome confrontait toujours l’anarchie et le désordre dans le monde barbare. Maintenant les chose changent. Il y a plus d’anarchie et de désordre dans le monde romain. Vos armées ne sont plus assez fortes. Ainsi les Wizigoths, qui nous ont fui sans bataille, ont vaincu ensuite les armées romaines et, il y a seize ans, ont pris Rome. Les peuples germaniques sont maintenant mieux organisés qu’autrefois. J’ai voyagé beaucoup en Germanie. Les Gépides et les Ostrogoths sont nos sujets les plus fidèles, plus fidèles que certains princes huns. Leurs rois, Ardaric et Valamir, comprennent et soutiennent toutes mes idées. Les Huns, à la différence des Romains, gardent toujours les chefs traditionnels des peuples vaincus. Nous sommes aussi arbitres dans les conflits entre plusieurs rois germaniques indépendants, mais aussi entre les Ougres, les Slaves et certains peuples du Caucase et de la Sibérie.

Attila finit son intervention et s’assoit sur son divan. Sans aucune doute, discutait-il beaucoup ses idées avec différents interlocuteurs. Onégèse et Edecon regardent les Romains avec intérêt en attendant leur réaction.

Oreste se lève pour répondre :

- Je suis bouleversé par votre analyse. Nous, les Romains, ne savons presque rien de ce qui se passe dans l’Empire chinois et pensons que ça ne nous concerne pas. Mais ça nous concerne bien car les Huns sont venus sur les rives du Danube après la dislocation de l’empire de leurs ancêtres au nord de la Grande muraille de Chine. Maintenant la Grande steppe est dominée par les peuples parents, qui croient au même Dieu et respectent les lois de Modoun khan. Je suis content que vous ne pensiez pas à des incursions et des tributs, mais réfléchissez sur les opportunités de la création d’une Grande union des peuples du monde. Je vous connais depuis mon enfance et crois à la sincérité de vos aspirations.

Attila sourit :

- Je me souviens de vous. Vous m’avez montré les curiosités de Rome et les bibliothèques. Je ne veux pas la disparition de la grande civilisation romaine. Il faut seulement changer vos relations avec les autres peuples et les esclaves. Je pense bien comprendre les Romains et je crois à la possibilité de la création avec eux de la «pax hunna-romana» de l’Espagne jusqu’à la Sibérie. Je suis prêt à consacrer ma vie à cette tâche difficile. Je ne proposerais pas, dans notre réponse à Galla Placidia, de conclure maintenant une alliance. Aujourd’hui, les Romains ne sont pas encore prêts.

Onégèse ajoute en s’adressant aux Romains :

- Depuis longtemps vos empereurs se considèrent comme des dieux, portent des diadèmes et demandent que les gens se prosternent devant eux. Se prosterner, cela veut dire se mettre à plat ventre. A Constantinople, on doit s’avancer à plat ventre toujours, de la porte jusqu’au trône. Il faut ramper, en s’aidant des mains et des genoux, et ne pas lever les yeux avant d’avoir entendu la voix de l’empereur. A ce moment, d’après la coutume, il faut avec grande joie baiser la botte de pourpre qu’on lui tend, puis se tenir debout, si l’empereur en donne la permission. Après cela, on se jette de nouveau à plat ventre et regagne la porte en rampant. C’est sûr, il est impossible de négocier avec des souverains pareils.

Choqué, Edecon dit :

- Peut-être, faudra-t-il d’abord diminuer leur orgueil. Les Huns de ma tribu et les Scytes, peuple de ma noble femme germanique, sont prêts à participer aux marches vers Rome et Constantinople. Nous commençons à étudier l’art des sièges, les catapultes et les autres machines romaines.

Attila continue sans réagir à ces déclarations :

- Aetius m’informe que les Francs, les Burgondes et les Wisigoths s’activent en Gaule. Il nous demande de l’aider. Nous allons lui envoyer quelques détachements de notre cavalerie et des volontaires. Que les Romains voient plus souvent les cavaliers huns dans leur rôle de défenseurs et ainsi nos jeunes guerriers s’adapteront au milieu romain et s’habitueront à une solde régulière. C’est bien aussi pour notre trésor.

Nous demandons seulement de mettre fin à cette pratique de négociations directes avec les princes sans passer par notre gouvernement central. Kourdak, le prince principal du peuple «Ak-at-ceri», ce qu’on peut traduire comme une «armée sur les chevaux blancs», des rives de la mer Caspienne, nous informe de nouvelles tentatives de corruption des princes par des émissaires de Constantinople afin de les susciter à l’insurrection. Nous sommes profondément indignés et ne laisserons pas impunis ces actions hostiles. Je vais écrire à Galla Placidia mes propositions à ce sujet.

Elle était une très jeune fille quand, en 410, elle est venue à Rome afin d’encourager les défenseurs. La princesse était donc plus courageuse que son frère, l’empereur Honorius, qui se cachait à Ravenne. J’espère qu’elle élèvera son fils Valentinien en bon empereur, digne de son père Constance qui était courageux et droit.

Salvien écoutait avec satisfaction ces propos qui dissipèrent un peu son inquiétude.

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