Eucherius

Extraits du roman de Grigori TOMSKI, Les amis d’Attila, Editions du JIPTO, 2005, 360 p.
ISBN : 2–35175–003–9

Rome. La maison de Sérène. Eucherius jette un coup d’œil sur des portraits de ses parents dessinés il y douze ans. Sur un de ces tableaux Sérène est peinte avec ses deux jeunes augustes cousins : Honorius et Placidia. Tous les objets gardent les souvenirs de sa famille, de la gloire de ses ancêtres. Eucherius s’exclame :
- Tu as donc reçu un ordre de l’empereur de rester à Rome ! Qui t’a apporté cet ordre ?
Sérène, visiblement très inquiète, répond :
- L’eunuque Eusèbe, accompagné par d’autres. La maison est sous leur surveillance. J’ai peur qu’ils ne t’aient repéré. Rentre vite à Ravenne, trouve ton père et quitte avec lui l’Italie.
- Et toi, ma mère ?
- Je resterai ici.
Sérène essuie ses larmes :
- Personne n’osera me toucher. C’est ta vie qui est en danger ! Pourquoi es-tu venu, mon fils ? Quelle imprudence, mon enfant !
Elle se calme un peu et continue :
- Vous pouvez vous réfugier en Hunnie. Les Huns sont très forts. Je me souviens de leurs attaques simultanées pendant trois années sur les frontières balkanique et asiatique après la mort de Théodose, mon père adoptif. Ils ont secoué l’Empire d’Orient. Mais ton père a réussi à établir avec eux d’excellentes relations.
Eucherius jette un coup d’œil sur les portraits de l’empereur Théodose et de Stilicon :
- Oui, le rois Roas et le général Uldin sont devenus ses amis. Le Sénat a même proclamé Uldin le protecteur de l’Empire après la victoire sur Radagaise. Mais est-il digne des parents du Grand Théodose de se réfugier chez les Barbares ? Je ne pouvais pas quitter l’Italie sans autorisation de ma mère.
- Mon fils, je t’autorise. Mon cœur se serre à cette idée, mais je ne vois aucune autre solution. Beaucoup de Romains nous sont devenus hostiles après l’invasion des Vandales en Gaule. Ils ont tout oublié, les gens ne se souviennent maintenant que des origines vandales de ton père.
- Mais mon père est né à Rome ! s’exclame Eucherius. - Il est plus romain que les Romains qui ont perdu les valeurs de leurs ancêtres !
Sérène se lève et s’approche prudemment d’une fenêtre :
- Ton père n’a jamais mis son intérêt particulier avant l’intérêt public. Il a déjoué toutes les intrigues en découvrant les lettres clandestines et malfaisantes, ou des mains payées pour le crime. J’admirais toujours que pendant les heures de détresse il n’ait jamais prononcé aucune parole indigne de Rome. - Mais cette fois, Olympius, ce Grec rusé du bord de la Mer Noire, nous a déjoué. Même Thermantia n’a rien soupçonné.
Sérène soupire :
- Le pauvre Honorius est impuissant. Tu sais que ta sœur est toujours vierge ?
- Après quatre ans de mariage ? s’étonne Eucherius.
- Je ne m’étonne pas qu’elle n’ait rien remarqué. Mais qui pouvait attendre des actions si ignobles de la part d’Honorius, si doux et si tranquille ?
Soudain, Sérène pâlit et recule lentement. Eucherius jette un coup d’œil par la fenêtre et voit deux eunuques armés et quelques soldats qui discutent.
Eucherius mord ses livres :
- Apparemment, ils savent que je suis ici.
- Il faut te réfugier dans l’église à côté. Ils n’oseront pas violer le droit d’asile.
Sérène et Eucherius traversent rapidement le jardin avec les fontaines et les statues. L’église a une porte qui donne sur leur jardin que Sérène ouvre avec sa propre clé. Elle venait souvent prier ici pour le retour de son mari quand Stilicon était en guerre. Ils entrent dans l’église. Le prêtre les salue respectueusement. Sérène prie brièvement et embrasse tendrement son fils :
- Je rentre dans la maison voir ce qui se passe. Peut-être ne savent-ils pas que tu es ici.
Echerius remarque avec effroi que sa mère porte toujours son superbe collier qui décorait autrefois la statue de Vesta, déesse du feu. Les anciens dieux romains peuvent-ils se venger ? Sinon comment expliquer que sa famille si puissante ait perdu son influence si brusquement et qu’il ne lui reste plus rien que de se cacher dans cette église ? Eucherius ferme la porte derrière sa mère et commence à prier. Bientôt, il entend avec effroi les voix des eunuques et des soldats qui encerclent l’église.

***

Les autres soldats, fidèles à Stilicon, attendent avec impatience le retour d’Eucherius. Mais un esclave de Sérène leur apporte une mauvaise nouvelle. Eric, le chef du détachement, s’indigne :
- Ils ont violé le droit d’asile attribué à l’Eglise !
L’esclave confirme :
- L’eunuque Eusèbe a montré au prêtre l’ordre d’arrêt signé par l’empereur. Eucherius a été tué à quelque pas de l’église. L’ordre de l’empereur se trouve ainsi plus puissant que le droit d’asile.
Les soldats s’exclament :
- A la vengeance !  
- Brûlons les villas !
- Ne reconnaissons plus cet empereur ignoble !
- Allons chercher Alaric !
Le détachement barbare commence son tour de Rome en brûlant les villas. Les soldats sont déchaînés. Ils s’approchent de temps en temps des murs de Rome et crient des injures aux légionnaires les regardant des tours et des murs sans réagir. La ville immense ne relève pas le défi des Barbares et laisse piller et brûler ses environs. Les cavaliers barbares contournent facilement quelques détachements d’infanterie sortis à la demande des propriétaires des villas et continuent leur activité destructrice. Enfin, ils partent en laissant la Ville éternelle entourée par la chaîne des colonnes de fumée qui montent au ciel des villas brûlées.

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