Eudoxe

Extraits du roman de Grigori TOMSKI, Les amis d’Attila, Editions du JIPTO, 2005, 360 p.
ISBN : 2–35175–003–9

Salvien a pris froid en se promenant dans la ville sous le vent du nord et il est tombé gravement malade. Afin de guérir avant le départ d’Aetius, il a demandé à la propriétaire de l’appartement où il est descendu de faire venir le meilleur docteur de sa connaissance. C’est Eudoxe, un jeune Grec. Après quelques visites du docteur, Salvien se sent mieux et ils commencent à parler de différents sujets. L’officier apprécie qu’Eudoxe soit bien éduqué, éloquent et sincère. Le docteur aime la droiture soldatesque de son patient et s’intéresse aux récits de son voyage en Hunnie :

- Je ne savais pas qu’Attila parle et lit le grec et qu’il a dans sa suite un grec savant ! Vous dites que l’ambassadeur de Rome est passé au service des Huns !

- Oreste veut aider Attila à bâtir une «pax hunna-romana» et sauver ainsi la civilisation romaine.

- Je suis en Gaule depuis quatre ans. Avant, pendant quelques années, j’habitais à Rome. Je connais cette famille noble, fière et riche. Rome va vraiment mal si les gens si fiers ont accepté que leurs enfants partent pour un pays qui est, d’après eux, très barbare !

Eudoxe réfléchit un instant et demande :

- Vous dites que les Huns ne payent pas des impôts.

- Mais tous les hommes sont en revanche des guerriers soumis à une discipline stricte et obligés d’être à la disposition de leurs chefs à l’ordre du khan. Tous ces cavaliers sont armés et cuirassés à leur frais.

- Et les peuples vassaux ?

- Les agriculteurs et les éleveurs payent un dixième de leur récolte ou de leur bétail. Ceux qui sont mobilisés dans les armées hunes ne payent pas d’impôts ainsi que les prêtres de toutes les religions.

- Intéressant ! Peut-être, les riches parents d’Oreste veulent-ils cacher une partie de leur revenu en Hunnie au fisc romain ?

Etonné de cette supposition inattendue pour lui, Salvien fait involontairement une grimace de surprise puis hausse les épaules. En fait, pourquoi pas, peut-être le docteur a-t-il raison ?

Agité par la conversation intéressante, Eudoxe commence à parler plus vite :

- En ce qui concerne la «pax hunna-romana», j’aimerais bien discuter de cette question avec Attila car, en réalité, la Gaule n’a jamais connu la «pax romana».

Le Romain s’étonne sincèrement :

- Qu’est-ce que vous dites !

Le docteur commence la démonstration de son affirmation :

- Disons que la Gaule n’a presque jamais connu une vraie paix. En tant que militaire vous connaissez bien l’histoire de la conquête de la Gaule par César. Il a consacré à cette tâche plusieurs années et massacré beaucoup de monde. Mais après sa mort, la lutte continua et, vingt ans après le triomphe de César, les Romains célébrèrent le triomphe d’Agrippa, nouveau vainqueur de la Gaule. Le pays semblait pacifié. Apparaissent de nouveaux gaulois qui obtiennent la citoyenneté romaine et occupent des postes importants. Mais quarante six ans après, les officiers gaulois de l’armée romaine et certaines tribus organisent une insurrection. Passent encore environ quarante ans et le gouverneur Vindex, un nouveau gaulois, dirige une nouvelle insurrection qui se transforme en guerre civile, longue et sanglante. Plus de 400 000 guerriers luttent les uns contre les autres à cette époque en Gaule ! Ensuite, c’est la proclamation du premier Empire gaulois ...
C’est vrai que la Gaule connaît alors environ un siècle de paix. L’empereur Trajan, un espagnol, qui est donc un ressortissant d’une province, réorganise les relations entre le centre impérial et les provinces. C’est la paix, mais pas «pax romana», c’est «pax gallo-romana». Cette période se termine par une nouvelle série de guerres civiles et par la proclamation du deuxième Empire gaulois. L’empereur Aurélien convainc l’empereur gaulois Tetricus de se rendre, la reddition gauloise est digne et le pays retourne dans le sein de l’Empire romain. Mais quelques années avant cette évènement, commence le mouvement des Bagaudes, paysans insurgés, qui continue jusqu’à présent pratiquement sans interruption pendant deux siècles. Vous ne pouvez évidemment pas me dire que c’est la «pax romana» qui règne aujourd’hui en Gaule.

Embarassé, Salvien se gratte la nuque. Il se souvient bien de Constantin et Maxim, les deux derniers empereurs de la Gaule. Mais on lui suggérait toujours que Rome a apporté la civilisation et l’ordre en Gaule. Il éprouve brusquement une haine violente contre ces Gaulois qui ne savent pas vivre en paix et profiter tranquillement des fruits de la civilisation. Mais cette rage, il ne sait pas pourquoi, passe vite.

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