Francs

Extraits du roman de Grigori TOMSKI, Les amis d’Attila, Editions du JIPTO, 2005, 360 p.
ISBN : 2–35175–003–9

 

Au début de l’année 428, Salvien arrive dans un camp de mercenaires huns qui patrouille sur les rives de la Somme contre les incursions des Francs. Là-bas, il est un peu surpris mais bien content de trouver Sabir. Les deux officiers parlent longuement en dégustant du vin des rives de la Loire, du jambon cru hun, qui les Romains confondaient avec de la viande crue, et du fromage gaulois. Sabir apprécie les guerriers francs :

- Ils sont forts et courageux, lancent avec une justesse surprenante leur hache et attaquent sans hésiter un ennemi supérieur en nombre avec leur épée pesante. On dit qu’ils ont été longtemps des alliés fidèles des Romains mais j’ai l’impression qu’ils préparent actuellement une offensive sur la Gaule.

Salvien se souvient de l’histoire d’Arbogaste, un grand franc ambitieux :

- Apparemment, ils n’oublient pas, qu’il y a plus de trente ans, ils ont failli s’emparer du pouvoir dans l’Empire romain.

- C’est vrai ? Incroyable pour ces Barbares mal organisés !

- Par rapport aux Huns, tous les Barbares sont mal organisés et ne savent pas faire la guerre. Mais c’est une histoire vraiment extraordinaire. Arbogaste, un vaillant franc, est devenu général dans l’armée de Gratien. Il a été nommé maître général des armées de la Gaule par Théodose le Grand qui lui a aussi confié la tâche de tuteur du jeune empereur Valentinien II, souverain de la partie occidentale de l’Empire. La capitale occidentale se trouvait alors à Trèves, non loin d’ici. Ce rusé Franc a formé aussitôt le projet de prendre progressivement le pouvoir absolu. Il a séduit les troupes par ses largesses et mis les Francs à tous les postes importants dans l’armée. Ses créatures occupaient tous les emplois clés dans le gouvernement civil et éloignaient les sujets fidèles du pouvoir.

- Il manipulait les Romains ! remarque Sabir. - On ne doit jamais penser que les Barbares ne sont pas intelligents ! C’est bizarre qu’alors et maintenant gouvernent de jeunes empereurs portant les mêmes noms.

- Valentinien sentit enfin le danger, prévint Théodose le Grand de sa situation et voulut s’enfuir à Constantinople. Mais Arbogaste le rattrapa. Le jeune empereur reçut son général assis sur son trône et lui remit un décret qui annonçait à Arbogaste la perte de tous ses titres. Le Franc répondit avec sang-froid : «Mon autorité maintenant ne dépend pas de tes décisions». Quelques jours plus tard, Valentinien fut trouvé pendu. Arbogaste, pour se laver d’un crime qui était manifestement le sien, annonça que le jeune empereur s’était suicidé. Le Franc ambitieux décida de régner sous le nom d’Eugène, son ancien secrétaire devenu ainsi l’empereur fantoche. Ce régne dura deux ans.

Etonné, Sabir s’exclame :

- Ce Franc a été ainsi pendant deux ans le souverain de fait de l’Empire romain d’Occident. Quelle histoire !

- Deux ans après, les armées de Théodose le Grand et d’Arbogaste se sont battues au nord de l’Italie. A l’issue de la première journée, Théodose a dû se retirer sur les montagnes et passa une nuit douloureuse, rempli d’inquiétude. Seulement, le passage sous ses drapeaux d’une partie de l’armée adverse, l’aida à se débarrasser le deuxième jour du Franc terrible.

Sabir s’étonne davantage :

- Ainsi ce Franc a failli remplacer Théodose le Grand, lui-même, sur le trône de l’Empire romain !

Salvien se souvient des discussions avec Attila. Pouvait-on parler de la «pax franca-romana» sur tout l’espace romain si Arbogaste avait réussi alors à emporter la victoire. Evidemment que non ! En effet, les Francs ne sont pas prêts à une telle mission. Il ne sont pas suffisamment nombreux et sont encore mal organisés. Mais Arbogaste aurait pu les initier rapidement à la discipline. Et si les Francs devenaient des cavaliers, mobiles et cuirassés comme les Huns ? Alors ils seraient très dangereux. Salvien se sent mal à l’aise en pensant qu’un jour les Francs pourraient avoir un chef ambitieux qui réformerait leur armée. Il se souvient des coutumes barbares des Francs, leurs sacrifices humains aux esprits des fleuves, leurs maisons «sala» dont le nom s’associe avec le mot «sale» dans le latin vulgaire.
Quelques jours après, arrive Aetius qui commence à pousser vers le Rhin les détachements dispersés des fantassins francs avec des cavaliers huns cuirassés.

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