Eusèbe
et Allobich
Après ce coup de force,
leunuque Eusèbe devient le grand chambellan et Allobich,
lun des officiers barbares insurgés, succède
au commandement des Gardes. Ils se livrent tout de suite à
une lutte sans merci pour la faveur de lempereur et de
sa sur. Les deux protagonistes cherchent lappui de
Jovius qui, tout en gardant une neutralité apparente,
soutient secrètement Allobich qui nhésite
pas jouer de son autorité pour renforcer son influence.
Honorius ne comprend pas le comportement de ses courtisans qui
lui dénoncent tout le temps des agissements et des complots,
dans la majorité des cas, imaginaires, de leur concurrents.
Après la mort de Stilicon, il commence à jouer
le rôle de Père de tous les Romains, à organiser
les audiences matinales, « salutatio »,
et même les réunions du son conseil impérial,
« consilium principis ». Il commence aussi
à recevoir des ambassadeurs, des sénateurs, tous
ceux qui sadressaient auparavant à Stilicon. Lempereur
discutait souvent avec le prince hun Attila pour contribuer personnellement
à sa « romanisation » et transformer
ainsi ce futur roi des Huns en un allié fidèle
et reconnaissant. Mais après la mort dOlympius qui
a longuement trompé sa confiance, lempereur se désintéresse
des affaires dEtat. Les discussions avec Attila ne lamusent
plus car cet adolescent barbare a vite perdu sa naïveté
initiale et Aetius soccupe bien de lui.
Beaucoup de fonctionnaires sont devenus très prudents
par peur dêtre accusés par leurs concurrents.
Plus personne ne veut prendre aucune décision importante.
Mais Honorius préfère maintenant se taire. Il prie
beaucoup. A la société humaine lempereur
commence à préférer les animaux. Il a toujours
aimé les oiseaux. Maintenant Honorius passe beaucoup de
temps dans la basse cour. Il nourrit de sa propre main ses oiseaux
favoris avec des noms donnés par lui-même. Son plus
grand favori est un coq, superbe et fier, nommé « Rome ».
Ce sont ses amis fidèles et reconnaissants qui ne le trahiront
jamais. Il les aime comme on aime ses enfants. Honorius na
pas denfant, ses deux femmes, Maria et Thermantia, filles
de Stilicon, sont mortes vierges.
Les hauts fonctionnaires saisissent leurs rares rencontres avec
lempereur afin de lui soumettre leurs propositions et leurs
projets de résolutions. Parfois lempereur signe
les résolutions proposées, parfois il se tait.
Certains fonctionnaires, plus hardis que les autres, interprètent
ce silence comme une absence dobjections et même
comme une approbation de lempereur.
Leunuque Eusèbe le rencontre près de sa chambre
car, officiellement, un chambellan est gardien de la chambre
impériale pendant la nuit. Mais ce chef des esclaves des
palais, qui avait aussi sa juridiction sur les comtes chargés
de la table de lempereur et de sa garde-robe, est devenu
plus important que tous les ministres du palais.
Cest lui qui a tué Eucherius sur lordre de
lempereur arraché par Olympius. Honorius se souvient
de Sérène, qui était comme sa mère,
ses jeux denfance avec Echerius. Cet Eusèbe devient
de plus en plus désagréable pour lempereur
depuis son accession à sa nouvelle responsabilité
car maintenant il dérange la conscience dHonorius
de façon presque permanente. Leunuque le salue respectueusement,
Honorius fait involontairement une grimace dédaigneuse
et ne répond pas. La voix de leunuque, enfantine
et caressante qui lamusait beaucoup, maintenant lagace.
Soudain, il entend lordre dAllobich qui laccompagne
dans sa promenade avec quatre soldats :
- Tuez-le ! Sans effusion de sang.
Lempereur note comment la voix de son nouveau général
est différente de celle du chambellan. Eusèbe pâlit
mais tout se passe trop vite pour quil puisse réagir.
Les soldats tournent leur lances, assomment et tuent leunuque
avec des coups de hampes. Puis deux soldats sortent le cadavre
de la chambre. Stupéfié et incapable de prononcer
un mot, Honorius regard Allobich qui ne cache pas sa joie :
- Excellence, pendant la promenade dhier je vous ai proposé
dexécuter Eusèbe comme un complice dOlympius
qui monte un complot contre votre Auguste majesté pour
venger la mort de son ami. Vous navez émis aucune
objection, approuvant ainsi ma proposition.
***
Ce meurtre hardi suscite beaucoup
dagitation dans le palais. Le lendemain pendant leur promenade
quotidienne à cheval le prince hun déclare à
son professeur grec :
- Je suis impressionné par cette série dexécutions
et de meurtres à Ravenne en si peu de temps : Stilicon,
Olympius, les généraux, Eusèbe. Lexécution
dEusèbe, battu à mort dans la chambre de
lempereur, dépasse mon imagination. Mais je nai
pas de pitié pour cet eunuque, meurtrier perfide du fils
de Stilicon.
Attila, qui a maintenant quatorze ans, pose à cette occasion
plusieurs questions à Onégèse qui
sétonne à son tour :
- Mon prince, les eunuques nexistent-ils pas chez les Huns ?
- Pas du tout.
- Incroyable ! Dailleurs ils nexistent pas non
plus chez les Gaulois, les Germains et les autres Barbares.
Attila rit :
- Veux-tu dire quun peuple pour être civilisé
doit castrer une partie de sa population masculine ?
Confus, Onégèse dit :
- Cest vrai que tous les peuples, considérés
comme civilisés : Grecs, Romains, Perses, Egyptiens,
Syriens ont maintenant des eunuques. Mais ils nexistaient
pas dans la Rome dantan. Cest certainement une influence
dOrient.
- Je préfère franchement les murs des anciens
Romains. Ils sont plus proches de nous que leur descendants efféminés
et pervers.
***
Le préfet Jovius mène
des négociations difficiles avec Alaric car il doit en
même temps suivre très attentivement lhumeur
changeante de lempereur et les agissements des courtisans.
En effet, après lélimination dEusèbe,
Allobich commence à comploter contre Jovius et cherche
par tous les moyens à accroître son influence. Il
est plus jeune que le préfet et espère même
attirer lattention de Galla Placidia. En particulier, connaissant
la religiosité de la princesse, accrue après le
siège de Rome et la mort de sa cousine, Allobich participe
à toutes les manifestations religieuses pour attirer son
attention et gagner sa confiance. Dautre part, contre Allobich
complotent ceux des courtisans qui se considèrent comme
de vrais Romains et sont hostiles à tous les Barbares
qui leur font concurrence dans ladministration et dans
larmée romaine.
***
Attila montre à En-ko
les curiosités de Ravenne. La jeune fille sétonne
des bateaux décorés qui circulent sur les canaux
avec de nobles passagers. Ils visitent une église et admirent
les voûtes, les colonnes, les mosaïques et les icônes.
Mais tout est trop neuf et récent. Lodeur des peintures
fraîches se mélange avec la fadeur des terres marécageuses.
En sortant de léglise, leur attention est attirée
par une procession religieuse :
- Je vois la princesse Galla Placidia, dit Attila.
En-ko le tire par la manche :
- Approchons, je nai jamais vu une procession si solennelle.
Effectivement, en tête de la procession marchent lévêque
de la capitale impériale et sa suite dans des vêtements
splendides et qui chantent des hymnes. Ils sont suivi par Galla
Placidia et ses courtisans. Allobich, vêtu de son plus
bel uniforme, assure personnellement la protection de la sur
de lempereur. Il flamboie dans son manteau décarlate,
étincelant dor, et dans léclatante
blancheur de sa tunique de soie. Sa chevelure teinte saccorde
par sa couleur à sa riche parure. Atilius, qui accompagne,
lui-aussi, Galla Placidia, en voyant Allobich se souvient avec
sourire des conseils dOvide : « Si la belle
se fait transporter étendue dans sa litière, approche-toi
delle comme par hasard. Arrange-toi pour marcher tantôt
devant elle et tantôt derrière. Ne crains pas davancer
durant quelque temps en dehors des colonnes ... »
En-ko regarde la princesse romaine avec une grande curiosité :
- Elle est si belle ! Comme la lune.
Attila sourit :
- Alors tu es le soleil.
Le jeune gaulois remarque dans la foule Attila avec son amie
et les salue dun geste respectueux. Quelques instants après,
il voit un inconnu se détacher soudainement de la foule
des curieux et se jeter sur Allobich et le poignarder. Lassassin
essaye de fuir mais il est aussitôt attrapé et abattu
par un soldat. Les femmes crient, la procession se disloque.
La princesse choquée par cette mort inattendue du jeune
et beau général, toujours si aimable et souriant,
rentre au palais accompagnée par une protection renforcée.
***
Les courtisans entendent crier
lempereur pour la première fois de leur vie :
- Ma cour est devenue un nid de vipères ! Les Barbares
ravagent les plus fertiles provinces de lItalie et de lEspagne.
La Gaule, après avoir été dévastée
par des hordes sauvages, est maintenant sous le pouvoir dun
usurpateur. Rome a payé la rançon à Alaric.
Que font mes généraux, mes ministres et mes conseillers
dans ces circonstances dramatiques ? Ils complotent et sentretuent !
Honorius ne trouve pas de mots assez forts pour exprimer son
indignation, il murmure : « Bougres de crétins
Chiens vicieux
» et sarrête.
Tous les hommes présents baissent la tête sous son
regard qui jette des éclairs. Un silence tendu sinstalle.
On entend la respiration de lempereur enragé. Enfin,
Honorius continue :
- Je ne tolérerai plus aucune intrigue, aucun comportement
indigne du nom et de la gloire de Romains ! Demain je convoquerai
le conseil impérial.
***
Honorius réfléchit
avant le conseil. Pourquoi les Barbares préfèrent-ils
lesprit de rébellion à la soumission
qui donne la sécurité ? La mission de Rome a toujours
été dapporter la civilisation à tous
les peuples qui vivait encore dans la sauvagerie. Peut-il se
confier aux propositions dAlaric et signer le traité
proposé par lui ? Sil signe aujourdhui
ce traité,
les Goths demanderont demain la citoyenneté romaine. Ils
citent déjà lexemple des Gaulois. Honorius
sait que les Romains ont envahi la Gaule, non par intérêt
personnel, mais à la prière des habitants de ce
pays, que leurs discordes et les attaques des voisins mettaient
à deux doigts de la perte. Des guerres et des querelles,
voilà ce quon a toujours eu dans la Gaule avant
que sa population ne soit rangée sous les lois romaines.
Les Romains nont usé du droit de la victoire que
pour assurer la paix.
Lempereur commence à penser aux Romains qui se plaignent
des impôts exorbitants. Il nest pas possible de maintenir
la tranquillité sans armée, il ny a pas darmée
sans solde, de solde sans impôt. Peut-on en réduisant
les impôts avoir des armées capables de défendre
la population de lEmpire ? Si les Romains abandonnent
toutes les provinces, que se produira-t-il, sinon une guerre
universelle? Plus de mille ans de bonheur et de sage politique
ont cimenté lédifice de lEmpire, il
ne peut être jeté à bas sans entraîner
dans sa ruine ceux qui veulent le renverser.
Qui peut dire quil naime pas tous les Barbares ?
Ils sont vaillants et parfois fidèles. Cest pourquoi
lempereur est si bouleversé par la mort dAllobich.
Il a aimé pendant plusieurs années Stilicon comme
son père. A-t-il vraiment comploté contre lui ?
Honorius ne le saura jamais. Il estime beaucoup Gennerid. Dailleurs
Alaric en fait veut devenir comme Stilicon commandant en chef
des forces armée de lEmpire. Si Honorius lui donne
cette responsabilité, il perdra Gennerid et Sarus. Pourquoi
Dieu Tout-Puissant a-t-il choisi Honorius dêtre le
Père de la Patrie dans ces moments terribles ? Lempereur
sagenouille et récite une longue prière. |