Honorius

Extraits du roman de Grigori TOMSKI, Les amis d’Attila, Editions du JIPTO, 2005, 360 p.
ISBN : 2–35175–003–9

Eusèbe et Allobich

Après ce coup de force, l’eunuque Eusèbe devient le grand chambellan et Allobich, l’un des officiers barbares insurgés, succède au commandement des Gardes. Ils se livrent tout de suite à une lutte sans merci pour la faveur de l’empereur et de sa sœur. Les deux protagonistes cherchent l’appui de Jovius qui, tout en gardant une neutralité apparente, soutient secrètement Allobich qui n’hésite pas jouer de son autorité pour renforcer son influence.
Honorius ne comprend pas le comportement de ses courtisans qui lui dénoncent tout le temps des agissements et des complots, dans la majorité des cas, imaginaires, de leur concurrents. Après la mort de Stilicon, il commence à jouer le rôle de Père de tous les Romains, à organiser les audiences matinales, « salutatio », et même les réunions du son conseil impérial, « consilium principis ». Il commence aussi à recevoir des ambassadeurs, des sénateurs, tous ceux qui s’adressaient auparavant à Stilicon. L’empereur discutait souvent avec le prince hun Attila pour contribuer personnellement à sa « romanisation » et transformer ainsi ce futur roi des Huns en un allié fidèle et reconnaissant. Mais après la mort d’Olympius qui a longuement trompé sa confiance, l’empereur se désintéresse des affaires d’Etat. Les discussions avec Attila ne l’amusent plus car cet adolescent barbare a vite perdu sa naïveté initiale et Aetius s’occupe bien de lui.
Beaucoup de fonctionnaires sont devenus très prudents par peur d’être accusés par leurs concurrents. Plus personne ne veut prendre aucune décision importante. Mais Honorius préfère maintenant se taire. Il prie beaucoup. A la société humaine l’empereur commence à préférer les animaux. Il a toujours aimé les oiseaux. Maintenant Honorius passe beaucoup de temps dans la basse cour. Il nourrit de sa propre main ses oiseaux favoris avec des noms donnés par lui-même. Son plus grand favori est un coq, superbe et fier, nommé « Rome ». Ce sont ses amis fidèles et reconnaissants qui ne le trahiront jamais. Il les aime comme on aime ses enfants. Honorius n’a pas d’enfant, ses deux femmes, Maria et Thermantia, filles de Stilicon, sont mortes vierges.
Les hauts fonctionnaires saisissent leurs rares rencontres avec l’empereur afin de lui soumettre leurs propositions et leurs projets de résolutions. Parfois l’empereur signe les résolutions proposées, parfois il se tait. Certains fonctionnaires, plus hardis que les autres, interprètent ce silence comme une absence d’objections et même comme une approbation de l’empereur.
L’eunuque Eusèbe le rencontre près de sa chambre car, officiellement, un chambellan est gardien de la chambre impériale pendant la nuit. Mais ce chef des esclaves des palais, qui avait aussi sa juridiction sur les comtes chargés de la table de l’empereur et de sa garde-robe, est devenu plus important que tous les ministres du palais.
C’est lui qui a tué Eucherius sur l’ordre de l’empereur arraché par Olympius. Honorius se souvient de Sérène, qui était comme sa mère, ses jeux d’enfance avec Echerius. Cet Eusèbe devient de plus en plus désagréable pour l’empereur depuis son accession à sa nouvelle responsabilité car maintenant il dérange la conscience d’Honorius de façon presque permanente. L’eunuque le salue respectueusement, Honorius fait involontairement une grimace dédaigneuse et ne répond pas. La voix de l’eunuque, enfantine et caressante qui l’amusait beaucoup, maintenant l’agace. Soudain, il entend l’ordre d’Allobich qui l’accompagne dans sa promenade avec quatre soldats :
- Tuez-le ! Sans effusion de sang.
L’empereur note comment la voix de son nouveau général est différente de celle du chambellan. Eusèbe pâlit mais tout se passe trop vite pour qu’il puisse réagir. Les soldats tournent leur lances, assomment et tuent l’eunuque avec des coups de hampes. Puis deux soldats sortent le cadavre de la chambre. Stupéfié et incapable de prononcer un mot, Honorius regard Allobich qui ne cache pas sa joie :
- Excellence, pendant la promenade d’hier je vous ai proposé d’exécuter Eusèbe comme un complice d’Olympius qui monte un complot contre votre Auguste majesté pour venger la mort de son ami. Vous n’avez émis aucune objection, approuvant ainsi ma proposition.

***

Ce meurtre hardi suscite beaucoup d’agitation dans le palais. Le lendemain pendant leur promenade quotidienne à cheval le prince hun déclare à son professeur grec :
- Je suis impressionné par cette série d’exécutions et de meurtres à Ravenne en si peu de temps : Stilicon, Olympius, les généraux, Eusèbe. L’exécution d’Eusèbe, battu à mort dans la chambre de l’empereur, dépasse mon imagination. Mais je n’ai pas de pitié pour cet eunuque, meurtrier perfide du fils de Stilicon.
Attila, qui a maintenant quatorze ans, pose à cette occasion plusieurs questions à Onégèse  qui s’étonne à son tour :
- Mon prince, les eunuques n’existent-ils pas chez les Huns ?
- Pas du tout.
- Incroyable ! D’ailleurs ils n’existent pas non plus chez les Gaulois, les Germains et les autres Barbares.
Attila rit :
- Veux-tu dire qu’un peuple pour être civilisé doit castrer une partie de sa population masculine ?
Confus, Onégèse dit :
- C’est vrai que tous les peuples, considérés comme civilisés : Grecs, Romains, Perses, Egyptiens, Syriens ont maintenant des eunuques. Mais ils n’existaient pas dans la Rome d’antan. C’est certainement une influence d’Orient.
- Je préfère franchement les mœurs des anciens Romains. Ils sont plus proches de nous que leur descendants efféminés et pervers.

***

Le préfet Jovius mène des négociations difficiles avec Alaric car il doit en même temps suivre très attentivement l’humeur changeante de l’empereur et les agissements des courtisans. En effet, après l’élimination d’Eusèbe, Allobich commence à comploter contre Jovius et cherche par tous les moyens à accroître son influence. Il est plus jeune que le préfet et espère même attirer l’attention de Galla Placidia. En particulier, connaissant la religiosité de la princesse, accrue après le siège de Rome et la mort de sa cousine, Allobich participe à toutes les manifestations religieuses pour attirer son attention et gagner sa confiance. D’autre part, contre Allobich complotent ceux des courtisans qui se considèrent comme de vrais Romains et sont hostiles à tous les Barbares qui leur font concurrence dans l’administration et dans l’armée romaine.

***

Attila montre à En-ko les curiosités de Ravenne. La jeune fille s’étonne des bateaux décorés qui circulent sur les canaux avec de nobles passagers. Ils visitent une église et admirent les voûtes, les colonnes, les mosaïques et les icônes. Mais tout est trop neuf et récent. L’odeur des peintures fraîches se mélange avec la fadeur des terres marécageuses. En sortant de l’église, leur attention est attirée par une procession religieuse :
- Je vois la princesse Galla Placidia, dit Attila.
En-ko le tire par la manche :
- Approchons, je n’ai jamais vu une procession si solennelle.
Effectivement, en tête de la procession marchent l’évêque de la capitale impériale et sa suite dans des vêtements splendides et qui chantent des hymnes. Ils sont suivi par Galla Placidia et ses courtisans. Allobich, vêtu de son plus bel uniforme, assure personnellement la protection de la sœur de l’empereur. Il flamboie dans son manteau d’écarlate, étincelant d’or, et dans l’éclatante blancheur de sa tunique de soie. Sa chevelure teinte s’accorde par sa couleur à sa riche parure. Atilius, qui accompagne, lui-aussi, Galla Placidia, en voyant Allobich se souvient avec sourire des conseils d’Ovide : « Si la belle se fait transporter étendue dans sa litière, approche-toi d’elle comme par hasard. Arrange-toi pour marcher tantôt devant elle et tantôt derrière. Ne crains pas d’avancer durant quelque temps en dehors des colonnes ... »
En-ko regarde la princesse romaine avec une grande curiosité :
- Elle est si belle ! Comme la lune.
Attila sourit :
- Alors tu es le soleil.
Le jeune gaulois remarque dans la foule Attila avec son amie et les salue d’un geste respectueux. Quelques instants après, il voit un inconnu se détacher soudainement de la foule des curieux et se jeter sur Allobich et le poignarder. L’assassin essaye de fuir mais il est aussitôt attrapé et abattu par un soldat. Les femmes crient, la procession se disloque. La princesse choquée par cette mort inattendue du jeune et beau général, toujours si aimable et souriant, rentre au palais accompagnée par une protection renforcée.

***

Les courtisans entendent crier l’empereur pour la première fois de leur vie :
- Ma cour est devenue un nid de vipères ! Les Barbares ravagent les plus fertiles provinces de l’Italie et de l’Espagne. La Gaule, après avoir été dévastée par des hordes sauvages, est maintenant sous le pouvoir d’un usurpateur. Rome a payé la rançon à Alaric. Que font mes généraux, mes ministres et mes conseillers dans ces circonstances dramatiques ? Ils complotent et s’entretuent !
Honorius ne trouve pas de mots assez forts pour exprimer son indignation, il murmure : « Bougres de crétins … Chiens vicieux … » et s’arrête. Tous les hommes présents baissent la tête sous son regard qui jette des éclairs. Un silence tendu s’installe. On entend la respiration de l’empereur enragé. Enfin, Honorius continue :
- Je ne tolérerai plus aucune intrigue, aucun comportement indigne du nom et de la gloire de Romains ! Demain je convoquerai le conseil impérial.

***

Honorius réfléchit avant le conseil. Pourquoi les Barbares préfèrent-ils l’esprit de rébellion  à la soumission qui donne la sécurité ? La mission de Rome a toujours été d’apporter la civilisation à tous les peuples qui vivait encore dans la sauvagerie. Peut-il se confier aux propositions d’Alaric et signer le traité proposé par lui ? S’il signe aujourd’hui ce traité,
les Goths demanderont demain la citoyenneté romaine. Ils citent déjà l’exemple des Gaulois. Honorius sait que les Romains ont envahi la Gaule, non par intérêt personnel, mais à la prière des habitants de ce pays, que leurs discordes et les attaques des voisins mettaient à deux doigts de la perte. Des guerres et des querelles, voilà ce qu’on a toujours eu dans la Gaule avant que sa population ne soit rangée sous les lois romaines. Les Romains n’ont usé du droit de la victoire que pour assurer la paix.
L’empereur commence à penser aux Romains qui se plaignent des impôts exorbitants. Il n’est pas possible de maintenir la tranquillité sans armée, il n’y a pas d’armée sans solde, de solde sans impôt. Peut-on en réduisant les impôts avoir des armées capables de défendre la population de l’Empire ? Si les Romains abandonnent toutes les provinces, que se produira-t-il, sinon une guerre universelle? Plus de mille ans de bonheur et de sage politique ont cimenté l’édifice de l’Empire, il ne peut être jeté à bas sans entraîner dans sa ruine ceux qui veulent le renverser.
Qui peut dire qu’il n’aime pas tous les Barbares ? Ils sont vaillants et parfois fidèles. C’est pourquoi l’empereur est si bouleversé par la mort d’Allobich. Il a aimé pendant plusieurs années Stilicon comme son père. A-t-il vraiment comploté contre lui ? Honorius ne le saura jamais. Il estime beaucoup Gennerid. D’ailleurs Alaric en fait veut devenir comme Stilicon commandant en chef des forces armée de l’Empire. Si Honorius lui donne cette responsabilité, il perdra Gennerid et Sarus. Pourquoi Dieu Tout-Puissant a-t-il choisi Honorius d’être le Père de la Patrie dans ces moments terribles ? L’empereur s’agenouille et récite une longue prière.

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