Huns

Extraits du roman de Grigori TOMSKI, Les amis d’Attila, Editions du JIPTO, 2005, 360 p.
ISBN : 2–35175–003–9

Vent des steppes

Eté 427. Un camp sur sur le bord de la Volga. Une tente royale est entourée par les tentes des guerriers. Flottent un drapeau de khan en tissu bleu avec des images du soleil et de la lune et les drapeaux de la Garde avec des croix tangraïstes. Attila et Oreste sortent de la tente royale. Continuant leur discussion, ils se dirigent ver la rive :

- Ecoutez, Oreste, je suis très content de pouvoir parler latin et grec avec un interlocuteur si intéressant pendant mon voyage ! Je me souviens de nos conversations sur la route de Ravenne à Rome pendant notre enfance. On oublie vite une langue étrangère sans pratique quotidienne et je passe plus de temps à voyager pour les affaires d’état que dans notre capitale.

Oreste admire le grand fleuve :

- Moi, je suis content de quitter Ravenne et de trouver ces superbes grands espaces. Le palais impérial m’étouffait. Les intrigues, les petites passions, la corruption !

Attila rit :

- Parfois, nous avons aussi de graves problèmes avec les princes.

Il reprend l’air sérieux :

- Le khan principal Oros et moi, nous avons décidé que nous pouvions terminer les réformes préparatoires et proclamer la naissance du nouvel Empire hun.

Attila montre avec sa main un hameau de quelques maisons octogonales sur la rive du fleuve :

- Voilà, une station «yam» sur la route du Danube à l’Oural. Autour, on voit un village composé de tentes, de yourtes et de fourgons. Les voyageurs se reposent, attendent un bac pour traverser le fleuve. Il y a toujours des commerçants, parfois des pays lointains. J’ai organisé beaucoup de stations similaires après mon retour d’Italie. Bien sûr, ce ne sont pas des routes romaines pavées, mais des trajets pour les cavaliers et les chariots qui passent partout. Nous avons oublié beaucoup de choses après la chute du premier Empire hun. En effet, tout ça et encore beaucoup de choses existaient ! Pour la renaissance de notre empire nous avons décidé qu’il ne sera dorénavant aucun mercenaire hun, engagé dans les armées romaines sans l’autorisation de notre gouvernement central. Nous venons même d’évacuer nos tribus des territoires au sud du Danube.

Oreste s’étonne :

- La Pannonie nord-est est donc restituée aux Romains ?

- Elle était sous double administration, certaines villes restaient romaines. Cela empêchait le contrôle efficace du service des jeunes dans les armées romaines. Parfois, les insurgés et mêmes les rois goths cherchaient des mercenaires pour leur cavalerie dans ces territoires. Nous mettons fin à cette pratique.

- C’est un cadeau magnifique pour Galla Placidia.

- Que la pauvre femme se réjouisse. Vous voyez combien de steppes nous avons. Pour nous l’ordre dans l’état est plus important qu’un morceau de Pannonie.

***

Le soir, Attila et Oreste, accompagnés de quelques officiers, dînent avec le prince, chef de la tribu locale. C’est un homme, vieux mais toujours brave. Le prince rencontre des convives de marque suivis par sept jeunes filles et neuf jeunes hommes dans de beaux costumes tenant des coupes en bois remplies de koumyz. Il attache, lui-même, le cheval d’Attila au poteau le plus haut et le plus richement décoré. Le plat du jour est de l’esturgeon dans tous ses états : avec du bouillon, rôti, séché, salé et fumé. Bien sûr, les Huns ne peuvent pas se passer de viande, on mange aussi des langues, des fromages frais avec du pain rond. Devant chaque convive, il y a une petite assiette remplie de caviar. On boit du koumyz et du vin du Caucase.

Le prince pose plusieurs questions sur Oreste qui peut déjà répondre en hun aux questions les plus simples. Puis le vieux Hun dit :

- Le passage d’un prince romain au service de notre jeune khan témoigne de la puissance de notre Grand El. Je crois qu’Attila sera le nouveau Modoun ! J’ai soixante dix ans et je me souviens du temps où les Huns habitaient encore sur l’autre rive de la Volga. Nous n’avons pas été menacés de l’est car nos voisins orientaux étaient les tribus hunniques. Mais de l’orient la situation était bien différente. Les Goths du roi Hermanaric ont commencé leur offensive. Cela s’est très mal terminé pour eux.

Attila explique :

- Les Goths voulaient conquérir la route vers l’or de l’Oural et la fourrure de la Sibérie. Hermanaric a vaincu plusieurs peuples sédentaires de la mer Noir jusqu’à la mer Baltique. J’écoute toujours avec intérêt les récits sur cette époque héroïque. C’est intéressant aussi pour notre hôte romain.

Le vieux prince raconte avec un grand plaisir :

- Le roi Hermanic a été très sévère par rapport aux peuples vaincus. C’est pourquoi, les Roxolanes, qui habitaient alors sur les rives du Don, ont commencé les négociations avec nos khans afin d’échapper au pouvoir des Goths. Hermanaric, qui avait presque cent ans, a appris ce plan et voulu arrêter le chef des Roxolanes. Mais ce chef s’est réfugié chez nous. Pourtant sa femme Sunilde a été arrêtée et écartelée par quatre chevaux sauvages. Cette vengeance excessive a suscité une très grande indignation dans les steppes. Les frères de cette victime innocente ont commis un attentat-suicide et blessé dangereusement Hermanaric.
Le Dieu n’était plus favorable aux Goths. Nous avons commencé à nous préparer à la guerre et leurs peuples vassaux à l’insurrection. Un jour, j’ai participé avec les autres jeunes guerrier de notre tribu à une grande chasse. J’étais non loin du groupe royal. Soudain, nous avons vu une belle biche avec de superbes cornes dorées !

Les yeux des Huns s’enflamment au récit du temoin de cet évènement miraculeux :

- Nous avons compris que cet animal fantastique était envoyé par Tangra lui-même et toute l’armée a suivi prudemment cette biche. De temps en temps, elle tournait la tête pour nous regarder. Ensuite, elle s’est approchée d’un grand marais qui séparait nos pâturages du territoire des Alains. Et le miracle s’est produit ! La biche à cornes dorées est entrée dans les eaux et par un gué inconnu a traversé ce grand marais. Nous l’avons suivie et sommes sortis du marais non loin du camp du roi alain. Il était évident que Tangra nous ordonnait de soumettre d’abord les Alains afin d’écraser ensuite avec eux les Goths. Nous avons capturé le roi alain qui a prêté serment de fidélité à notre khan. Tout de suite après, nous avons attaqué et vaincu facilement les Goths. Le roi Hermanaric s’est suicidé.

Tout en écoutant attentivement ce récit passionnant, Oreste se régale avec l’esturgeon. Ensuite, il commence à manger du caviar avec une cuiller. Il mangeait déjà du caviar de la Loire mais pas dans de telles quantités. Après sa troisième cuiller, il s’arrête et sourit :

- En petite quantité, le caviar est délicieux mais je vois qu’il est difficile de vider une assiette.

La conversation tourne maintenant autour des choses courantes. Le prince dit :

- Maintenant nous avons beaucoup de prés, les troupeaux grandissent dans des pâturages fertiles, avant, les gens portaient beaucoup de peaux, aujourd’hui ils ont des vêtements plus beaux. La jeunesse rêve d’exploits et de voyages dans les pays lointains. Récemment, ils étaient excités par l’information que les Huns du sud préparent une invasion en Bacrie. Certains veulent participer.

Attila explique :

- Nos frontières se terminent sur la mer Aral, plus loin nous avons beaucoup d’alliées. Ces tribus invitent parfois nos princes à participer à leurs incursions en Iran et en Bactrie.

Il devient autoritaire :

- Nous irons un jour, nous-mêmes, dans ces pays, pas maintenant. Aujourd’hui, les Romains demandent plus de mercenaires qu’avant. C’est bien suffisant pour occuper les jeunes guerriers les plus ardents. Profiter de la paix. La grande guerre n’est jamais exclue. Alors il nous faudra mobiliser toutes nos forces.

Le prince s’anime :

- C’est une bonne nouvelle pour nos jeunes. Mais à l’Occident il y a trop de forêts et peu d’endroits commodes pour les opérations de cavalerie.

Le khan est d’accord :

- C’est vrai, mais Tangra vous a envoyé une biche à cornes dorées qui vous a conduit en Occident. Il nous faut faire en Occident ce que les Tabgatches ont fait en Orient.

Le prince objecte :

- Mais nous sommes contents ici et ne voudrions pas quitter les steppes comme les Tabgatches pour des pays de misérables sédentaires sans chevaux.

Attila explique patiemment :

- Personne ne veut obliger tous les Huns à s’installer dans l’Empire romain. Seulement, la cavalerie romaine pourrait être composée principalement de Huns si nous obtenons leur accord. Pour cela nous serons probablement obligés de leur faire d’abord mieux sentir notre puissance.

***

Oreste est fatigué. Il n’est pas encore habitué à chevaucher plusieurs journées presque sans arrêts et à dormir en selle. Leur voyage jusqu’à la Volga a été tranquille, ils ont dormi dans des tentes, traversé la deuxième capitale hune et quelques autres villes où ils ont profité d’un vrai confort mais sans excès.

Attila expliquait aux princes et chefs en quelques mots ses idées sur la «pax hunna-romana». L’existence de l’expérience des Tabgatches et des dizaines de milliers de Huns qui ont déjà été des mercenaires chez les Romains rendaient ses idées faciles à comprendre même aux esprits bornés par les soucis quotidiens. La présence d’Oreste, passé au service d’Attila, donnait une preuve supplémentaire de la possibilité de réalisation des idées du jeune khan. Tout le monde comprenait qu’Attila seulement pouvait diriger la réalisation de ce projet. C’est pourquoi, même les princes les plus orgueilleux, égaux à leur avis par leur noblesse à Attila, reconnaissaient que c’était lui qui était choisi par Tangra comme le créateur du nouvel Empire hun.

Après la Volga, Attila décide de voyager plus vite. Il est impatient de voir une nouvelle usine d’armement de haute qualité. Commencent les collines du pré-Oural. Le détachement continue à suivre la vallée d’une rivière à l’eau pure et froide.

- Arrêt ! commande Attila.

Sans descendre de sa monture, il invite Oreste à le suivre. Deux cavaliers sur des chevaux bien harnachés montent rapidement sur un sommet, haut mais pas escarpé. Sur la hauteur dégagée il n’y a qu’un seul arbre décoré par les menus présents des innombrables voyageurs à l’esprit de la montagne. Oreste contemple le panorama des montagnes, des steppes et des bois. Il se tourne vers l’est et voit un océan de forêts. Le vent change de direction et mélange l’odeur des steppes avec l’odeur de la taïga.

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