Kere-ko

Extraits du roman de Grigori TOMSKI, Les amis d’Attila, Editions du JIPTO, 2005, 360 p.
ISBN : 2–35175–003–9

Le jour suivant, Kere-ko reçoit les Romains. Son nouveau palais est plus petit que le palais royal principal mais il est aménagé avec beaucoup de goût. Les petites tours, les fenêtres aux cadres décorés, peintes de couleurs claires, donnent au palais un aspect très décoratif.
A l’intérieur les Romains admirent la hauteur des colonnes en bois tourné et poli. Plusieurs d’entre elles sont décorées par des artistes et des artisans habiles en sculptures et bas-reliefs. Des panneaux de bois poli comme dans le grand palais, ornés de dessins en relief de «style animalier» décorent les murs. Mais tout est plus élégant, les proportions sont plus harmonieuses, les rideaux sont plus fins et mieux décorés.

En passant entre deux rangs de gardiens avec des armes d’apparat et des armures splendides, les Romains entrent dans la grande salle nantie de riches tapis de laine et de feutre, divans et coussins. Kere-ko les reçoit à demi-couchée sur un sofa. Sa beauté et la noblesse de son visage, dont les traits correspondent bien aux canons romains et grecs, frappent Salvien. Mais sa peau est plus claire que les belles femmes romaines, elle a une longue natte noire, n’est pas maquillée comme elles, et porte des vêtements et des bijoux bien différents.

Ses dames de compagnie, qui forment un demi-cercle autour d’elle, sont assises sur des tapis et occupées par la broderie et autres travaux manuels d’artisanat de luxe. Même les semelles des bottes de Kere-ko et des nobles dames autour d’elle sont décorées de beaux ornements en perles.

Oreste donne avec révérence à Kere-ko la lettre pour Attila et un cadeau pour elle :

- Nous vous demandons de consulter la lettre de notre régente Galla Placidia et de la transmettre à Attila.

Kere-ko dit avec un sourire :

- Merci pour ce cadeau. Je vais lire attentivement cette lettre puis l’envoyer à Attila. Aujourd’hui, je viens d’apprendre qu’il vient de Gaule des messagers d’Aetius. Ils seront ici dans quelques jours. Vous attendrez donc Attila en la compagnie agréable de vos compatriotes. Racontez-moi ce qui se passe dans le monde romain ?

Oreste commence la conversation :

- Dieu merci, cette année tout est calme. En Afrique, la récolte est bonne, les éleveurs et les viticulteurs d’Italie sont aussi contents. Aetius termine son inspection de l’armée en Gaule. L’empereur Theodose II réorganise l’Université de Constantinople ...

Kere-ko le remercie gentiment :

- Merci pour ces nouvelles intéressantes. C’est bien que l’année soit calme pour vous. Nous avons aussi des nouvelles très intéressantes de la frontière chinoise où, il me semble, la période d’anarchie est terminée. Ce sont les Tabgatchs qui gouvernent maintenant la Chine. Nous avons avec eux les même ancêtres.

Oreste s’étonne :

- Nous sommes aussi au courant que le peuple «Taugaste» gouverne maintenant la Chine. On dit qu’ils ont commencé à construire de superbes temples. Mais je ne savais pas qu’ils sont aussi des Huns.

Kere-ko le corrige :

Je dis que nous avons avec eux les mêmes ancêtres. Nos langues sont proches et nous avons la même religion. Parlez avec mon fils Ellak et son professeur Onégèse le Grec. Ellak s’intéresse à nos ancêtres et aux Huns orientaux. Il a déjà effectué des voyages au-delà des Monts d’Oural et sur la mer d’Aral.

Oreste s’étonne davantage :

Excusez-nous, noble reine, mais on pense à Ravenne qu’Ellak est le fils d’Enka défunte.

- Pas Enka mais En-ko. Comme vous nous connaissez mal ! Nous, nous connaissons tout sur vous. C’est mon ancien nom, je m’appelais avant En-ko. On m’a donné un nom honorifique de Kere-ko pendant la cérémonie de proclamation d’Attila comme khan, un des souverains de la Hunnie. «Kere» signifie «Belle» et «ko» est un ancien mot qui signifie «belle et noble dame».

Confus, Oreste sourit :

- C’est un nom prédestiné pour vous. Je suis content qu’Enka ne soit pas morte.

Kere-ko se lève de son divan :

- Je vais dire à Ellak qu’il vous reçoive demain avec Onégèse. Après-demain, je vous invite au dîner que j’organise en l’honneur des hôtes de marque qui sont arrivés pour la Fête du Soleil. Cette grande fête aura lieu dans trois jours.

Toutes les dames autour de la reine se lèvent et font la révérence à Oreste. Les Romains remercient Kere-ko, font aussi la révérence et sortent de la salle.

***

Sabir les attend dans la résidence de l’ambassade, une grande maison octogonale :

- Je suis ici depuis longtemps. Racontez-moi, comment s’est passée votre rencontre avec Kere-ko.

Oreste répond :

- Elle est très agréable et curieuse, nous avons parlé longuement. Dis-nous, Sabir, est-ce que les Taugastes qui gouvernent maintenant la Chine sont aussi des Huns ?

- Vous parlez des Tabgatchs ? Mais pourquoi vous intéressent-ils ?

- C’est incroyable que les Huns puissent gouverner un empire ancien et prestigieux !

Salvien tend l'oreille. Sabir commence avec une voix pensive :

- Je ne sais pas très bien ce qui se passe maintenant là-bas. Mais je peux vous raconter des choses intéressantes. Je m’appelle Sabir car je suis né derriere les Monts d’Oural. Ce pays s’appelle Sibir comme mon peuple Sibir ou Sabir.

- Mais vous êtes un Hun !

- «Hun» signifie «kun» ou «kun djono», c’est-à-dire «les gens du peuple du Soleil». Nous tous parlons des langues proches, avons les mêmes types de maisons, de vêtements et d’armement, croyons à Tangra. Certains prononcent ce grand nom comme «Tangara», les autres «Tangri» ou «Tengri». Mais nous sommes divisés en peuples et tribus.

- Tangra est un de vos dieux ?

- C’est Dieu unique et tout puissant. En fait, nous pensons, que les chrétiens et nous, croyons en un même Dieu. Mais je vous conseille de parler de ces questions avec nos chamans blancs.

-Tu es né au-delà des Monts d’Oural ?

- Oui, sur le bord du fleuve Irtych. J’ai été élevé par mon grand-père car ma mère est morte tôt et mon père est parti avec khan Mundzuk se battre en Occident et n’est pas rentré de la guerre. Mon grand-père était âgé, mais il était encore fort et droit, rapide dans ses mouvements. Il racontait que son père avait accompagné un chef sabir, parti en Chine sur l’invitation d’un khan hun.

Salvien s’exclame involontairement :

- En Chine ?

- Oui, en Chine. Mon arrière-grand-père a été choqué par le fait qu’un des échansons de ce khan était un empereur chinois prisonnier.

Oreste s’étonne :

- L’empereur chinois ! Comme notre pauvre empereur Valerien, pris par Sapor, roi de Perse.

- Valérien a été obligé de se mettre à genoux chaque fois que Sapor montait à cheval. Sapor mettait son pied sur son dos ou même sur son cou pour s’installer sur sa selle.

Sabir se souvient de la coutume des dames de la noblesse hune de monter à cheval en mettant leur pied sur le dos d’un valet qui se mettait à quatre pattes à côté du cheval. Après une pause, il dit :

- L’année suivante, il a été décapité et le roi hun a fait prisonnier le nouvel empereur qui a dû remplacer son prédécesseur dans le rôle d’échanson.

Il n’existait pas de cas similaire de capture successive de deux empereurs dans l’histoire romaine et Oreste remarque simplement :

- Valérien est mort rapidement de chagrin et de souffrances. On dit que le roi Sapor a ordonné de faire avec sa peau un mannequin comme souvenir de sa victoire mais je ne le crois pas.

Etonné, Sabir regarde les Romains. Silence. On n’entend que le bruit du feu dans la cheminée. Sabir sort de sa réflexion et continue son récit :

- Mon grand père a servi quelques année dans l’armée tabgatche. Il est rentré avec des armes magnifiques, le manche de son épée était en ivoire et son casque incrusté de motifs décoratifs en or

- Et comment êtes-vous venu en Occident ?

- A la suite de mon père. J’ai appris certaines chose sur sa destinée.

Salvien remarque :

- On peut dire que vous avez effectué une enquête.

Oreste dit avec une voix un peu fatiguée :

- La Chine est loin. Nous savons peu ce qui se passe là-bas. A vrai dire cela nous intéresse peu. L’ambassade romaine n’a visité cet empire qu’une seule fois il y a quelques siècles.

Sabir réagit vivement :

- Par contre, nous, ça nous intéresse. Les peuples lointains vaincus peuvent demain arriver et commencer à lutter contre ton peuple pour ses pâturages. C’est pourquoi nous sommes au courant de tout ce qui se passe dans la Grande steppe, du Danube à la Grande muraille de Chine.

- Nous, en Italie, ne savons presque rien de ce qui se passe à côté dans les forêts d’Europe du Nord.

- Dans les forêts la situation est bien différente. Les habitants sont mal organisés, ils parlent des langues très différentes. Dans la Grande steppe tous le monde parle des langues proches, se déplacent sur des chevaux rapides, on se salue par «racontez-nous !». Et si tu n’es pas dans une mission urgente, tu dois t’arrêter pour échanger les actualités intéressantes. Ton récit doit être exact, les Huns ne savent et n’aiment pas mentir. Cette coutume s’appelle «Ouzoun koulgak» - «Les longues oreilles».

Oreste sourit :

- Aujourd’hui Kerka m’a dit aussi : «Racontez-moi ce qui se passe dans le monde romain ?»

Il jette un coup d’oeil sur Salvien et continue :

- Elle est si charmante que j’ai raconté avec plaisir tout ce que je sais. J’ai répondu avec une telle application à ses questions que j’ai oublié de lui dire que j’ai accompagné Attila de Ravenne à Rome dans mon enfance.

Sabir corrige :

- Pas Kerka mais Kere-ko! Nous sommes fiers de notre jeune khan Attila et de sa belle épouse. Que Dieu tout puissant les protège !

Salvien note : «Les Huns ne savent pas mentir. Parfait. Toi, Sabir tu me raconteras donc bientôt quels plans communs discutaient Attila et Aetius. Mais plusieurs années se sont écoulées depuis. Je dois maintenant observer tout afin de comprendre les motifs des actions d’Attila et d’Aetius.»

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