Théodoric

Extraits du roman de Grigori TOMSKI, Les amis d’Attila, Editions du JIPTO, 2005, 360 p.
ISBN : 2–35175–003–9

Début 429. Voilà déjà deux années que Salvien voyage en Gaule. Il a visité avec Aetius, ses officiers, les Alains et les Huns presque tous les coin du pays. Il arrive maintenant à Toulouse, capitale des Wisigoths. C’était une ville de la Gaule de taille moyenne avec quinze mille habitants, bien fortifiée et transformée en camp militaire goth. La majorité des Goths portaient des vêtements en peaux et en fourrures. Leurs cheveux étaient soigneusement enduits de beurre.

Le matin suivant, le Romain va au palais royal à l’heure ordinaire de la réception des ambassadeurs et des envoyés importants. La porte de la salle du trône est gardée par des guerriers de grande taille, vêtus de peaux. Salvien n’attend pas longtemps. Le roi Théodoric le reçoit entouré d’un grand nombre d’officiers. A la différence de Sangiban, il est bien rasé et a l’air grave. Théodoric, après avoir écouté Salvien, dit :

- Nous estimons beaucoup la régente Galla Placidia, notre ancienne reine. Nous vous aiderons dans votre mission.

Puis il invite l’officier à déjeuner avec lui le jour suivant.

Le déjeuner royal ne diffère pas beaucoup de celui d’un riche citadin. La table est couverte d’une nappe rouge. Les plats sont simples, variés et bien préparés. Théodoric boit peu, ne prononce pas beaucoup de toasts, mais s’avère amateur de conversations sérieuses pendant le repas :

- Aetius est un grand ami des Huns et c’est dangereux pour l’Empire. Les Huns ont soumis les Ostrogoths dont les rois sont devenus les serviteurs fervents des khans Oros et Attila. Mais il existe des Goths épris de liberté qui se réfugient chez nous. Nous avons donc beaucoup d’informations intéressantes. Nous avons nos gens dans l’entourage du roi ostrogoth Valamir, proche d’Attila. Ainsi je sais bien qu’en 425, Aetius s’est comporté comme futur commandant en chef des armées romaines. Il a prêté serment de remplacer la cavalerie romaine par des mercenaires huns. Ce n’est pas exclu qu’il tentera bientôt de prendre le pouvoir de l’Empire romain d’Occident avec l’aide des Huns.

Salvien lui raconte ses impressions de voyage en Hunnie. Théodoric écoute avec intérêt son récit sur l’analyse de la situation internationale par Attila et sur ses idées de «pax hunno-romana», puis il dit :

- Ce sont des idées en l’air, mais elles sont difficiles à réaliser. Le roi Athaulphe voulait, après nos victoires en Italie et la prise de Rome, remplacer les Romains par les Wisigoths comme une nation dominante dans l’Empire. Mais à l’époque, les Goths n’étaient pas bien organisés ni habitués à respecter les lois. Depuis la situation a beaucoup changé et maintenant elle s’améliore rapidement. Nous voudrions élargir notre zone de contrôle afin de contribuer à la maintenance de l’ordre légal sur un territoire plus vaste.

Il sourit à l’officier romain :

- Mais nous n’avons aucun désir de nous occuper de la protection de la frontière agitée sur le Rhin et nous n’aspirons pas à la «pax gotica-romana» rêvée par Athaulphe et Galla Placidia. Cela demanderait des efforts trop importants. Nous n’y penserons que si la situation devient critique et si nous ne voyons aucune autre issue. Malheureusement, l’Empire va très mal. Aujourd’hui les Vandales disent qu’ils sont invités en Afrique par le comte Boniface insurgé contre Galla Placidia.

Cette information attriste Salvien. Théodoric le remarque :

- Nous défendrons la régente. Notre armée sera à sa disposition et attendra ses ordres. En fait, j’ai le statut de vice-empereur et dirige les territoires donnés sous mon autorité par le traité avec Ravenne. Les fonctionnaires romains continuent d’assurer le pouvoir civil. Mais nous avions toujours des relations compliquées avec les autorités de la Gaule ...

Plongé dans ses pensée tristes, Salvien écoute, distrait, le roi wisigoth qui lui explique les problèmes existants. Mais il a compris que le roi, pour l’entretien des forces armées et sous d’autres prétextes, veut laisser presque toutes les recettes du fisc dans son trésor et élargir le territoire sous son autorité.

Le déjeuner se termine et Théodoric invite Salvien à participer aux jeux de société. Le roi se transforme, il jette les dés au hasard, déplace les pions, plaisante avec tout le monde comme avec ses camarades. Ses adversaires lui résistent le plus longtemps possible et puis le laissent habilement les vaincre. Salvien est aussi vaincu par le roi car il n’a jamais été fort dans les jeux de société. Après lui, c’est un sénateur romain de Bordeaux qui commence à jouer avec le roi. Très jovial, il plaisante beaucoup et discute avec Théodoric de quelque chose en goth. Puis il se rend et le roi, très content, signe un document tendu par le sénateur souriant. Salvien se souvient des récits des officiers d’Aetius, qu’en Aquitaine une partie de la noblesse gallo-romaine a réussi à corrompre les wisigoths et à créer pour elle un paradis fiscal.

En sortant du palais, Salvien voit des Goths et des Romains qui attendent la réception royale de l’après-midi devant la porte barrée par les soldats de la Garde, aux yeux bleus et aux cheveux blonds, ressemblant aux dieux grecs mais vêtus de peaux.

***

Quelques jours après, Salvien participe à la chasse royale. Il voit que l’arc goth ne peut être comparé avec l’arc hun, bien que les Goths soient venus des steppes de la mer Noire. Le roi goth ne portait même pas son arc. Seulement après avoir aperçu un gibier, il tendait sa main et recevait l’arc de son valet. Son arc était toujours tendu, ce qui aux yeux de Salvien montrait la faiblesse de l’arc. Le Romain se souvient alors des propos d’Onégèse : «L’arc hun est bien plus solide et résistant que l’arc occidental et, surtout, sa corde reste toujours tendue en place à la différence, par exemple, des arcs goths ou gaulois, dont la corde n’est mise en place et tendue qu’avant la bataille afin que l’arc ne perde pas ses performances» et la déclaration d’Oreste : « toutes les tentatives des ingénieurs et des artisans romains de reproduire l’arc hun ont échoué». Théodoric pose un pied sur l’arc et met sa corde en place et la tend. Son valet lui donne une flêche. Le roi s’avère bon tireur.

Pourquoi les Goths qui habitaient longtemps à côté des Huns n’ont pas emprunté les secrets de fabrication des arcs composites, plus puissants et tirant plus loin ? Cette question commence à tourmenter l’esprit de Salvien et il en discute avec Christian, un officier de la Garde royale et un des meilleurs tireurs goths. L’officier commence à lui expliquer en bon latin presque sans accent :

- Je le pensais aussi. Les Goths sont toujours fiers et orgueilleux.

Salvien l’interrompt :

- Vous parlez latin comme un Romain.

Flatté, Christian sourit :

- Ma mère était une Romaine, servante de Galla Placidia, faite prisonnière avec elle après la chute de Rome. Mon père était un officier de la Garde du roi Alaric.

Puis il continue ses explications :

- Les Goths trouvent que leur arc possède plusieurs qualités intéressantes. Premièrement, il est simple à fabriquer.

Christian plie un doigt. Salvien se souvient de nouveau du récit d’Onégèse sur la complexité de la fabrication de l’arc hun : «L’arc hun est formé de plusieurs éléments associés ... Sa fabrication peut durer pendant plusieurs années.» et «Les artisans ne font parfois que deux âmes d’arc avec un grand tronc ! Puis vient l’assemblage corne-âme ... Le tendon utilisé ... est coupé, séché et séparé en fines fibres. Celles-ci sont ensuite plongées dans la colle chauffée puis déposées sur le dos de l’arc en couches successives. Vient alors la phase de séchage, de six mois à six ans, pendant laquelle le tendon se rétracte et donne sa forme à double courbure à l’arc.»

L’officier goth plie un deuxième doigt :

- Pour les arcs composites, l’humidité et les champignons sont dangereux, tandis que les arcs simples servent sans problèmes dans les climats humides et pluvieux.

Salvien objecte :

- Mais les Huns collent sur leurs arcs une couche de protection, faites d’écorce de bouleau ou de cuir, ou les couvrent parfois par du vernis.

En l’écoutant, Christian plie son troisième doigt :

- Cela rend la fabrication de leurs arcs si compliquée que seulement des artisans très expérimentés peuvent les produire dans des ateliers bien équipés. Par exemple, si la corde de l’arc goth se rompt, alors n’importe quel homme peut la remplacer.

- Bien sûr, vous mettez en place et tendez la corde avant le tir et alors on peut facilement la remplacer.

- Tandis que les trois Huns peuvent difficilement remplacer la corde d’un arc composite. C’est très difficile sans outils spéciaux. Les Huns préfèrent donc envoyer leurs arcs avec les cordes rompues ou abimés d’une autre façon dans les ateliers de réparation. Certains Huns ont maintenant en réserve un arc goth plus facile à utiliser. D’ailleurs l’arc goth contient deux couches sans être composite et donc sans aucune colle.

Dans l’armée romaine les archers étaient toujours les guerriers alliés et Salvien n’a jamais tenu un arc dans ses mains. C’est pourquoi, il s’étonne beaucoup :

- Comment est-ce possible ?

Le Goth lui montre son arc :

- Regardez, il est fait avec de l’if et contient une couche très dure et une couche moins dure.

Salvien s’exclame :

- Très intéressant ! C’est vrai que la supériorité absolue existe rarement.

Christian remarque :

- Les Romains pensent rarement comme vous et cherchent partout les signes de leur supériorité. Ils s’étonnent sincèrement que les autres peuples n’imitent pas toutes leur coutumes et même parfois les détestent. Je ne peux pas nier les performances de l’arc hun. Même nos grands arcs de l’infanterie ne sont pas comparables. Mais les Goths reconnaissent la supériorité de la cavalerie hune et maintenant la plupart de nos guerriers sont des cavaliers lourdement armés avec des casques et de longues cottes de mailles.

Librairie du JIPTO

<<< Retour

© Editions du JIPTO