Religion des Huns

 

Grigori TOMSKI, Tangra : Quête spirituelle et scientifique, Editions du JIPTO, 2005, 138 p.
ISBN : 2–35175–009–8
Prix : 15 €

Le Tangraïsme est étonnemment proche de la «religion naturelle» qui se limitait à la croyance en l’Etre suprême et en une étique universelle. Il a suscité les grands projets politiques de Gengis Khan et d’Attila, ceux du Gouvernement mondial et de l’unité européenne.
Le Tangraïsme, repensé sur les bases philosophiques modernes, peut intéresser des esprits scientifiques et attirer leur attention vers une approche épistémologique du chamanisme, des pouvoirs mystérieux de la foi, des phénomènes paranormaux.

Tangraïsme comme une grande religion

 

Une religion qui est née il y a au moins 2300 ans, qui a été répandue sur une grande partie de l’Eurasie pendant plus de 1500 ans, peut être légitimement classée parmi les grandes religions :
« Qu’on n’oublie pas que ces hommes dont le berceau et l’aire habituelle de mouvance se situent dans les forêts et dans des steppes en marge des terres de haute civilisation ont été appelés maintes fois à jouer un rôle politique et culturel essentiel dans l’histoire de l’Eurasie, la détruisant et la reconstruisant, lui fournissant des rois, lui insufflant de nouvelles forces vives puisées dans leur sauvage retraite. On doit s’attendre à ce que leur religion se place au même niveau que leur action. » (Roux, La religion des Turcs et des Mongols, Payot, 1984, p. 284).

Il y a plusieurs lettres des khans mongols qui parlent de leur religion. Voici, par exemple, un extrait de la lettre du Grand khan Güyük au pape romain Innocent IV datée du 11 novembre de 1246 :
« Dans la force de Dieu, depuis le levant jusqu’au ponant, tous les territoires nous ont été octroyés. Sauf par ordre de Dieu, comment quelqu’un pourrait-il rien faire ? A présent, vous devez dire d’un cœur sincère : nous serons vos sujets, nous vous donnerons notre force. Toi, en personne, à la tête des rois, tous ensemble sans exception, venez nous offrir service et hommage. A ce moment-là, nous connaîtrons votre soumission. Et si vous n’observez pas l’ordre de Dieu et contrevenez à nos ordre, nous vous saurons nos ennemis. »

Guillaume de Rubrouck cite la lettre du Grand khan Monka à Saint Louis, écrite en 1254 :
« Voici le précepte du Dieu éternel. Au ciel, il n’y a qu’un seul Dieu éternel et, sur la terre, il n’y a qu’un seul maître, Gengis Khan … Lorsque par la puissance du Ciel éternel, du lever du soleil jusqu’à son couchant, le monde entier sera uni dans la joie et la paix, alors apparaîtra ce que nous aurons à faire. »

Rubrouck était témoin d’une déclaration intéressante de Monka :
« Nous autres Mongols, nous croyons qu’il n’y a qu’un seul Dieu par qui nous vivons et par qui nous mourrons et nous avons envers lui un cœur droit … Mais comme Dieu a donné à la main plusieurs doigts, de même il a donné aux hommes plusieurs voies. »

Ces documents montrent qu’à l’époque de l’Empire mongol l’interprétation monothéiste de la religion tangraïste était dominante. Cette religion servait à l’idée de l’union des peuples « dans la joie et la paix », c’est-à-dire, de la création d’un Gouvernement mondial !

Idée d’un Gouvernement mondial

En effet, la religion tangraïste a servi longtemps à la consolidation des peuples des steppes. Il suffit de citer encore une fois Jean-Paul Roux : 
« C’était l’idée forte des Turcs et des Mongols, celle qui sera répétée pendant quelque deux mille ans des Hiong-nou aux Ottomans. Avec quelques variantes dans la forme, dix fois, cent fois on relira cette phrase : « Comme il n’y a qu’un seul Dieu dans le ciel, il ne doit y avoir qu’un seul souverain sur la terre »» (Roux, Histoire de l’Empire mongol, Fayard, 1993, p. 242).

Dans le gouvernement de Gengis Khan nous trouvons des «conseillers ouigours comme T’a-t’-a-t’ong-a, musulmans comme Mahmoûd Yalawâtch, k’i-tan comme Ye-liu Tch’ou-ts’ai.» (Grousset, L’Empire des steppes, p. 314). Kubilaï, le plus connu de ses successeurs, se posait «en souverain universel, aimé de tous les peuples réunis sous sa bannière» (Morris Rossabi, Kubilaï Khan, Perrin, 1991, p. 237)

Religion d’Attila

Les Mongols continuaient de respecter les anciennes traditions des peuples des steppes. René Grousset écrit dans son livre L’empire des steppes (Payot, 1965) : « Hun, Turc ou Mongol, l’homme de la steppe, le brachycéphale à la grosse tête, au torse puissant, court sur jambes, le nomade toujours en selle … n’a guère varié à travers quinze siècles de razzias au détriment des civilisations sédentaires (p. 119). ...

Les Turcs d’Altaï moins d’un siècle après Attila ont fondé un grand empire. Leur ancêtres étaient dans le premier empire hun, fondé par Modoun. Les souverains turcs ont attesté sur leurs inscriptions que leur pouvoir vient de Tangra (« uze kek Tengri »). Cette utilisation du nom de Tangra pour la légitimation du pouvoir suprême montre que la foi tangraïste était depuis déjà longtemps une religion traditionnelle et reconnue des peuples et des tribus de cet immense empire.

Tolérance exemplaire

Les Turco-Mongols pensaient qu’ils croyaient au même Dieu que les chrétiens, les musulmans, les juifs et que toutes les religions sont les différentes voies qui mènent au même Dieu, unique et tout puissant.
Ils s’étonnaient des disputes et conflits religieux violents chez les peuples sédentaires. Nous lisons dans une lettre, reçue en 1248 par le roi de France d’un représentant du Grand Khan en Iran :
« Le roi du monde ordonne qu’il ne doit avoir, de par la volonté de Dieu, nulle différence entre Latin, Grec, Arménien, nestorien, jacobite et tous qui honorent la Croix : ils ne font en effet qu’un à nos yeux. » (Roux, Histoire de l’Empire mongol, p. 316)...

Les khans acceptaient volontiers les paroles et les argumentations des représentants de toutes les religions :
« Hethum raconte que Mongka recut le baptême en sa présence. Djuzdjani affirme qu’à la demande de Berke il récita la shahadda (profession de foi musulmane) qui, dite devant témoin, vaut acte d’adhésion à l’islamisme. C’était dans les habitudes des princes mongols que de faire croire à chacun de leurs interlocuteurs qu’ils avaient embrassé leur religion. » (Roux, p. 349).

Quand la confrontation entre les représentants des différentes religions devenait trop forte, le pouvoir organisait des discussions et les colloques afin d’entendre toutes les opinions et prendre les décisions nécessaires pour calmer les esprits. Ainsi, en 1258, le Grand Khan Mongka a chargé son frère Khubilaï d’organiser un grand colloque avec la participation de 300 religieux bouddhistes et 200 taoïstes.
Guillaume de Rubrouck, qui a participé à un colloque théologique à Karakorum, en 1254, témoigne de son organisation : « Nous nous réunîmes donc, la veille de la Pentecôte, dans notre oratoire et Mangou-chan (Mongka) envoya trois secrétaires comme arbitres : un chrétien, un sarrasin et un tuin. Il fut proclamé : « Voici l’ordre de Mangou, et personne n’ose dire que le commandement de Dieu en diffère. Il ordonne que personne n’ose prononcer des paroles agressives ou injurieuses envers autrui, ni susciter un tumulte qui empêche cette entreprise, sous peine de mort. »

Tous se turent. Il y avait là beaucoup de monde. Car chaque partie avait convoqué les plus savants des siens, et beaucoup d’autres avaient afflué. » ( G. Rubrouck, Voyage dans l’Empire mongol, Imprimerie National, 1993, p. 183-184 ).
Ce colloque s’est terminé par un banquet : « Quant tout fut terminé, les nestoriens et pareillement les sarrasins chantèrent à voix haute, les tuines se taisent. Ensuite tous burent copieusement.» (Rubrouck, p. 186).

La conversion des autres religions, fortement canonisées, à la religion tangraïste était bien sûr difficile. Mais la plupart des adeptes de ces religions trouvaient facilement les arguments pour justifier la coexistence pacifique de leur religion avec la religion tangraïste. Ainsi, un certain Baha al-Din a expliqué  à Khubilaï pourquoi les musulmans ne tuaient pas les Mongols: « Il est vrai que Dieu nous commande de tuer les infidèles, mais on désigne par ce nom ceux qui ne connaissent pas un être supérieur, et, comme vous mettez le nom de Dieu en tête de vos ordonnances, vous ne pouvez pas être rangés parmi eux. » (Roux, p. 397). ...

Odoric de Pordenone, célèbre missionnaire catholique du XIV siècle, rend hommage à l’administration mongole dans les termes suivants: « Le fait que tant de races différentes puissent cohabiter paisiblement et être administrées par le même pouvoir me semble une des plus grandes merveilles du monde.» ( R. Grousset, L’Empire des steppes, Payot, 1965, p. 387 ).

 Plan de l’Unité européenne

Jean-Paul Roux écrit : « « C’était l’idée forte des Turcs et des Mongols, celle qui sera répétée pendant quelque deux mille ans des Hiong-nou aux Ottomans. Avec quelques variantes dans la forme, dix fois, cent fois on relira cette phrase : «Comme il n’y a qu’un seul Dieu dans le ciel, il ne doit y avoir qu’un seul souverain sur la terre » … Cela coûterait cher. Une génération serait sacrifiée. Mais le résultat en vaudrait la peine s’ils n’y avait plus de guerres» (Histoire de l’Empire mongol, p. 242).

Marcel Brion, de l’Académie française, pensait : «A quelque nation qu’ils appartiennent, les hommes d’Etat ne peuvent plus nier aujourd’hui que le plan de ce roi, un des plus grands que le monde ait connus, était l’unité européenne ... Ce plan s’était imposé à son génie, quand il avait vu accourir vers lui les princes germains et les représentants des paysans gaulois, des Ibères et des Britons, des Scandinaves et des Grecs. Tous ceux qui ne voulaient pas voir une anarchie détestable s’installer dans les ruines de Rome ...» (Théodoric, roi des Ostrogoth, Tallendier, 1979, p. 162).

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