David Brighter

Espaces contraints


Avant-propos
Brighter est un sculpteur à part dans l’art contemporain. Il a suivi le mouvement artistique sans jamais réellement innover. Sa création est autre, elle est réfléchie et axée autour d’un thème unique qu’est l’entraide des matériaux qu’il concrétise par la notion d’espace contraints.
Cet ex-ingénieur n’a pas suivi de cours de sculpture dans sa jeunesse. Il est arrivé à la sculpture par la théorie. En créant les Iblobs, un nouveau concept de formes, il a réussit par son discours et ses actes à donner à la sculpture des lettres théoriques. Tout au long de sa carrière de sculpteur, il a écrit autour de son art pour nous dire que la contrainte et l’entraide des matériaux sont les garanties de la création. Brighter a aussi rencontré beaucoup de sculpteurs et puiser chez eux des idées qu’il a su mettre en forme théorique et plastique. " Il sculpte peu mais sculpte bien ! ", disait le peintre Amarovich à son sujet.
Dans cet ouvrage, nous avons choisi de présenter les différentes périodes de la vie de Brighter, ainsi que l’ensemble quasi complet de son œuvre. La démarche est intéressante et purement artistique.
Un journaliste lui demandait, " Vous dites que la notion de contrainte et d’entraide entre les matériaux est la garantie d’une bonne création, pensez-vous que cela s’applique aux hommes ? " Brighter de lui répondre : " Je ne sais pas si l’on peut répondre oui ou non mais lorsque l’on regarde la nature ?... "
 
Jérome Fraissinet

Sommaire
Avant-propos
Sommaire
Une enfance studieuse
La vie professionnelle
Vivre de son art
Rencontres
Le temps d’écrire
Un retour difficile
Eau et Métal
Les espaces contraints
Le grand projet
Biographie

Une enfance studieuse

(1921 - 1945)
David Brighter est né à Indianapolis (Etats-Unis) le 6 septembre 1921. Son enfance est confortable, il est entouré de son père, directeur d’une entreprise de machines-outils, de sa mère et de ses trois frères tous plus âgés que lui. Il est le dernier enfant d’une famille très aisée. Il est véritablement " le petit dernier ", sa mère s’occupe beaucoup de lui. Dans sa jeune enfance, il est débordé d’activités sportives (judo, baseball) mais aussi artistiques (poterie, peinture). Très jeune (8 ans), il montre des qualités très intéressantes dans les arts plastiques. Les sculptures qu’il réalise en poterie sont pleines d’ingéniosité, de mélanges et de contrastes.
A 14 ans, il accède à une des meilleures écoles d’Indianapolis. Il est surtout intéressé par les mathématiques et la physique. Il va souvent dans l’usine de son père et est fasciné par ces machines qui font d’autres machines. A 18 ans, il réussit le concours d’entrée à Yale où il rejoint ses frères Mark et Henry qui y suivent de brillantes études de commerce. Lui suit des études de physique. Il assume très bien la charge de travail qu’on lui impose et trouve du temps pour s’investir dans des associations artistiques. Il participe activement au montage d’expositions. A cette occasion, il rencontre César Domela qui lui montre ses équipements le sensibilise ainsi à l’abstraction. Il croise aussi Mondrian avec lequel il discute sur l’esthétique de la symétrie. A la suite de ces nombreuses discussions, il se sent vraiment plus attiré par la sculpture que par la peinture.
En 1943, il prépare un mémoire sur la physique des matériaux. Il rédige aussi dans la revue de Yale un essai sur la consistance de l’espace dans lequel il met en avant les notions d’espace contraint. Les contraintes sont triples : matérielles (les matériaux), physiques (la pesanteur) et visibles (la matière des matériaux). Ses frères et ses amis, à la lecture de cet article, l’encouragent à montrer pratiquement au public ce qu’il retourne de telles théories. Lui refuse. Il déclare que la théorie a aussi sa place sans qu’il faille céder à la pratique. Il termine ses études d’ingénieur par une spécialisation dans la verrerie.
Ma maison, Tableau peint par Brighter à l’âge de 9 ans, (1930)
Gouache, (40x30 cm)
Collection de Felicia Brighter

La vie professionnelle

(1945-1960)
Après ces études brillantes, il retourne à Indianapolis dans la maison parentale. Il est employé dans l’entreprise de son père en tant qu’ingénieur : il travaille sur les machines à café et est chargé de recherche sur un verre incassable. Il épouse Jennifer, une amie avec qui il jouait étant enfant. Au bout d’un an de travail, à la suite de nombreuses discussions avec ses frères et ses collègues ingénieurs, il se décide à sculpter. Mais Brighter est un scientifique et il ne peut créer sans savoir comment et pourquoi il va créer. Il occupe alors tout son temps libre de l’année 1949 à la rédaction de plusieurs essais sur l’étude des ilobs.
Il donne ainsi la définition de l’ilob : " Un Ilob est un élément matériel composé de sous-ilob. Chaque sous-ilob répond à une contrainte qui est un taux d’attraction ou de répulsion vis-à-vis de l’ensemble des autres sous-ilobs constituant l’ilob. Ce dernier est le résultat des interactions qui régissent tous les sous-ilobs ". La création d’un tel élément lui permettra de créer rationnellement sa première sculpture qu’il confectionnera en bois : le célèbre Mickey et ses sbires. Sa femme, ses frères et sa mère l’encouragent dans ce qui n’est alors qu’un loisir. Son père est beaucoup plus sceptique quant à une telle occupation. En 1950, il reprend des cours de sculpture. Ces leçons, qu’il suit assidûment, lui permettent d’assimiler les différentes techniques (moulage, marbre, acier, bois).
Fin 1951, profitant d’une promotion, il quitte son travail pour rentrer chez Unilever en tant que directeur du service emballage en verre. Il gagne alors beaucoup d’argent. Cet argent lui permet de s’acheter et d’équiper un local dans lequel il va sculpter. Il a un énorme souci de la précision mais aussi peu de temps à consacrer à son art. Il met ainsi près de huit ans pour achever la sculpture Blobmania qu’il terminera en 1959. Cette structure en plâtre peinte est un immense Ilob, il la recommencera plusieurs dizaines de foi.
Mickey et ses sbires, (1949)
Bois, (150x120x150 cm)
San Francisco Museum of Art, San Francisco
Blobmania, (1959)
Plâtre peint, (250x220x100 cm)
Colombus Gallery of Fine Arts, Colombus
Parallèlement, il fabrique de petites figurines en verre dont la collection Verres de Chine regroupant six petites sculptures en verre de différentes couleurs.
Le 15 janvier 1956 naît sa première fille Lucy et deux ans plus tard sa deuxième Felicia. Il s’intéresse peu à l’éducation de ses filles, car il juge qu’une mère est plus importante et plus compétente qu’un homme pour l’éducation des jeunes enfants. Il s’en occupera plus tard lorsqu'elles commenceront leurs études.
En 1960, sous les conseils de ses frères, il monte une première exposition à Indianapolis (Indianapolis Museum of Art). Celle-ci est accompagnée d’un petit livret dans lequel il décrit en détail la structure de Blobmania et l’intérêt d’un tel objet réalisé sous contraintes.
L’exposition qu’il réalise est un véritable succès. Certains magasines d’art contemporain en rendent compte : " Les sculptures de David Brighter sont de véritables prouesses techniques. Pourtant, à leur vue, un sentiment de calme et d’apaisement nous envahit : la matière est comme prise en flagrant délit de mouvement. [...]La collection Verre de Chine est un coffre à bijoux. Cet ingénieur artiste nous étonnera-t-il encore ? " (Arts News, Juin 1960, Stanley Broad).
Cornicus, (1958)Blobus, (1958)
Verre fumé , (15x10x10 cm)Verre fumé , (15x15x10 cm)
Juxtaposition, (1958)Temple, (1958)
Verre fumé , (15x15x10 cm)Verre fumé , (20x15x15 cm)
Serpent, (1958)Globus, (1958)
Verre fumé , (25x20x10 cm)Verre fumé , (15x15x15 cm)
Collection Verre de Chine
Detroit institute of Arts, Detroit

Vivre de son art

(1961-1967)
Suite à un tel succès, Brighter décide de s’arrêter de travailler fin 1960 pour se consacrer à la sculpture à part entière. L’argent qu’il a accumulé depuis 15 ans lui permet d’assurer à sa famille des jours heureux. Son père voit cela d’un mauvais œil mais sa mère l'encourage, car elle est fière qu’un artiste apparaisse enfin dans la famille.
Le rythme de son travail s’accélère. Il apprend à sculpter le marbre et à le polir. Il les choisit minutieusement. Durant l’année 1961, il crée quatre grandes sculptures en marbre (Ozone, Triosphères, Budda, Cactus). Dans Budda, il introduit déjà des alliages complexes de matières (Verre et Marbre). Ses sculptures sont vendues à de grandes institutions de la ville pour des sommes importantes (en moyenne 100.000$). Toutes ses sculptures sont photographiées et commentées dans la presse artistique. Des expositions de ces photographies sont organisées dans divers musées (M.O.M.A., New York, Yale University Art Gallery, New Haven).
Ozone, (1961)
Marbre, (200x220x150 cm)
Library of Indianapolis, Indianapolis
Triosphères, (1961)
Marbre, (150x150x50 cm)
City-Hall of Indianapolis, Indianapolis
Budda, (1961)
Marbre et Verre, (150x150x100 cm)
Jefferson High School of Indianapolis, Indianapolis
Cactus, (1961)
Marbre, (200x200x95 cm)
House of Environment Protection, Indianapolis
Les critiques avec lesquels il parle souvent, lui conseillent d’augmenter sa production afin de pouvoir monter une exposition digne de ce nom. Il suit les conseils de ces " experts " comme il se plaît à les nommer. Il prépare ainsi pour 1965, une série de huit sculptures qu’il expose dans huit grands Musées Américains. Chacun de ces derniers s’engage à lui en acheter une, une fois la tournée terminée. Les musées qui l’accueillent sont étonnés par le personnage qui est peu représentatif des artistes de l’époque. Ils le prénomment d’ailleurs " l’ingénieur ". Qualité dont il se revendique, lui qui a la chance de vivre sa passion, à savoir la création d’objets tridimensionnels imaginaires.
En 1967, lorsque la tournée s’achève, les musées achètent les sculptures aux enchères. Là, les prix s’envolent (1.500.000$ pour Metamorphosis). Il vend ses 8 oeuvres pour un montant de 6.000.000$. Il accède ainsi à une énorme richesse. Il en cède un tiers à la lutte contre le travail des enfants. Ses frères et sa mère sont ravis et son père s’excuse d’avoir douté de son fils. Mais, malgré ces succès, Brighter garde la tête sur les épaules et continue à travailler.
Orbits of Mars, (1962)
Bois, (200x200x200)
Los Angeles Country Museum, Los Angeles
Futurist Town, (1962)
Bois, (400x450x200)
Museul of Contemporary Art, Chicago
Emergence, (1963)
Bois, (300x400x300)
National Gallery of Art, Washington
Piece of Land, (1962)
Marbre, (200x200x100 cm)
The Cleveland Museum of Art, Cleveland
Another Constraint View, (1964)
Bois, Verre, Marbre, (250x250x250 cm)
Detroit Institute of Art, Detroit
Metamorphosis, (1964)
Marbres, (250x350x150 cm)
M.O.M.A., New York
Sweet Harmony, (1964)
Marbres, (250x250x250 cm)
Philadelphia Museum of Art, Philadephie
Dead Box, (1964)
Plâtre, (250x250x250 cm)
Columbus Gallery of Fine Arts, Colombus

Rencontres

(1968-1971)
Fin 1967, de passage à New York, il rencontre le peintre Guiseppe Amarovich, avec qui il noue une grande amitié. Ils échangent leurs idées sur les Masses en mouvement. Amarovich s’intéresse à l’époque aux masses et aux traits, Brighter au rôle de la ligne dans l’espace.
De 1968 à 1971, Brighter, profitant de sa fortune, voyage à travers le monde à la rencontre d’autres artistes sculpteurs. Il veut échanger avec eux, ses idées sur la sculpture moderne, toujours dans un souci d’exactitude. Il voyage ainsi durant quatre ans à travers le monde, faisant venir de temps en temps sa famille avec lui. Il a pour but l’écriture d’un livre sur la sculpture contemporaine.
En 1967, à l’occasion du symposium de la sculpture à Toronto, Brighter rencontre Vaillancourt. Ce dernier lui parle déjà de son projet de sculpture-fontaine. Cette idée intéresse beaucoup Brighter qui écrit à ce sujet : " La matière doit aussi savoir accueillir en son sein des phénomènes fragiles. Ces derniers sont des fois solides (le verre), liquide (l’eau), vaporeux (l’air) ".
Armand Vaillancourt, Sculpture 1967.
Granit Noir, Archives Hazan, Paris
En 1968, Brighter est invité par Coulentianos, dans le sud de la France. Avec lui, il parle de structures en métal et des alliages possibles plâtre-fer. Il écrit : " Lorsqu’un matériau est faible ou alors trop dur par rapport à un autre, il faut qu’une entraide systématique les unisse. Cette entraide est parfois une condition nécessaire mais surtout suffisante à la véritable création " .
Kostas Coulentianos, Drom et Ram II, 1968.
Aluminium sur socle de bois, 141x250x270 cm
Coll. MNAM/CCI Centre-Pompidou
De ce séjour naît une sensibilisation importante en ce qui concerne le travail du fer. Il crée en revenant de son séjour la sculpture Flowers.
Flowers, (1968)
Fer peint, (300x250x250 cm)
Institute of Technology, Hayden Gallery, Cambridge (Mass.)
Labyrinth, (1969)
Plâtre peint, (200x300x250 cm)
Columbus Gallery of Fine Arts, Colombus
En 1969, Brighter est accueilli chez l’artiste italien Gilardi. Il y apprend à manier des matières sophistiquées comme le polyuréthane expansé. Il discute longuement avec lui sur le rôle des saisons. Sa femme et ses enfants viennent le rejoindre en juin 1969. Brighter s’installe six mois en Sicile dans un atelier de Palerme. Il crée à cette époque Polyéthus, qu’il donnera à Gilardi. Il écrit à propos de cette technique : " La matière synthétique pose beaucoup de questions alors que la vraie matière fournit beaucoup de réponses. "
Fiero Gilardi, Sassi, 1968.
Siège en trois éléments,
polyuréthane expansé et peint.
Frac- Nord-Pas-de-Calais
En 1970, Brighter rencontre Calder à Saché (Indre et Loire). Avec lui, durant 3 mois, il s’entretient sur l’équilibre des formes. Il se rappelle les propos d’Amarovich sur les Masses et les Traits. Il confronte les idées qu’il a acquises avec Coulentianos. Il dégage de ces deux sculpteurs une certaine idée du travail de contrainte : " L’équilibre, comme l’entraide, oblige le sculpteur à une rigueur précise tant dans l’espace que dans les matériaux. Les contrastes de couleurs et de brillance sont aussi contraints à l’équilibre et à l’entraide. " Il rentre ensuite à Indianapolis, où il fabrique la sculpture On the Beach, dans la lignée de Calder.
Alexander Calder, Stabile-mobile, 1970.
Métal peint, 715x800x590 cm.
MAMAC-Nice
En 1971, il rencontre le célèbre sculpteur anglais Henry Moore. Il lui avait adressé une lettre à propos du mémoire qu’il était en train d’écrire. Moore le fascine, ses idées sur le Musée en général l’intéresse mais il n’arrive pas accepter l’idée d’un art sans les hommes. Il écrit : " L’équilibre des formes, l’entraide des matières, la richesse de la nature doivent travailler de concert pour l’évasion sereine de l’esprit humain. "
Henry Moore,
Les Moutons, 1971-1972.
Bronze Henry Moore Foundation
A son retour de voyage, il abandonne l’idée d’écrire un livre sur la sculpture moderne. Il préfère travailler sur les contraintes et l’entraide des matériaux. Il publie ainsi, aux éditions de l’université de Yale, le livre Constrained Spaces.(Espaces Contraints).
Polyéthus, (1969)
Polyuréthane expansé et peint, (80x250x150 cm)
Collection particulière
On the Beach, (1970)
Plâtre recouvert de feuille d’Or, (300x20x150 cm)
Centre Georges Pompidou, Musée National d’art moderne, Paris

Le temps d’écrire

(1972-1978)

Le livre Espaces Contraints est un véritable succès. Facile à lire, certains professeurs de philosophie le conseillent à leurs étudiants. Sous la pression des professeurs d’arts plastiques de Yale, Brighter s’engage à écrire plusieurs livres sur les matériaux artistiques. Il écrit plusieurs petits fascicules d’une cinquantaine de pages sur : les terres, les verres, les bois, les métaux, les plastiques, les pierres et les peintures. Dans ces livres, il reprend depuis l’origine la manière dont l’homme à traite ces divers matériaux.
Ce travail l’intéresse beaucoup. Il met à contribution ses deux filles qui vont pour lui, faire des recherches dans le monde entier. Il s’occupe beaucoup de l’éducation artistique de Felicia qui entre en 1980 aux Beaux-Arts de Rome, sous les conseils d’Amarovich et de Gilardi. Lucy, à la suite des recherches qu’elle a mené pour son père, préfère des études d’histoire de l’art. Elle se spécialise dans la pierre en tant qu’objet d’art.
A la fin de cette collection de livres, il écrit, en 1978, la suite d’Espaces Contraints : Espaces Contraints II. Dans cet ouvrage, Brighter s’attarde plus longtemps sur la conscience sociale des matériaux. Il écrit notamment : " Chaque matériau est issu d’un choix de l’homme à telle ou telle période de son évolution. Une sculpture ne véhicule pas seulement l’expression de l’artiste. Elle transporte avec elle, par l’intermédiaire des matériaux qu’elle utilise, l’histoire de l’humanité. " Et en conclusion : " La création, pour le sculpteur, consiste à assembler des matériaux en s’attachant à l’équilibre des formes, des couleurs mais aussi à l’histoire humaine de chaque matière. Le progrès humain est issu de ces assemblages. " Son livre est comme le premier un best-seller. Brighter décide pourtant d’arrêter là l’écriture. Il déclare à Peter Frodman dans Arts News (New York, Décembre 1978) : " J’ai assez analysé. A moi, maintenant de participer au progrès humain ! "
     
Bibliographie de David Brighter, Yale Publications (1972-1978)

Un retour difficile

(1979-1980)

En janvier 1979, Brighter reprend son travail. Il a du mal à trouver l’inspiration. En juin, il prend possession d’un stock de bois d’ébène important. Il décide de le travailler. Il commence par réaliser quelques petits Iblobs qu’il expose à la fin de l’année. L’exposition est un échec. La critique et l’ensemble des spectateurs n’y voient qu’une simple redite de l’artiste. Brighter est très inquiet. Il écrit à son frère Mark en décembre : " Je ne suis peut-être plus bon à rien. J’ai peut-être trop analysé l’art et ai perdu ma sensibilité. Papa avait peut-être raison, je suis ingénieur : je ne suis pas un artiste. " Mark le soutient mais Brighter n’y croit plus. En février 1981, son père meurt d’un infarctus. David est très affecté par cette perte. Il accueille sa mère sans l’accord de Jeniffer, ce qui crée quelques tensions entre lui et sa femme. En revanche, tout réussit à ses filles. Lucy ouvre à New-York en février 1980 sa propre galerie d’art : Stones. Elle y expose des artistes contemporains qui travaillent la terre ainsi que des travaux d’anthropologues. Felicia, elle, peint et expose ses toiles dans des centres culturels italiens ; elle n’est alors reconnue que comme la fille de son père.
Enfin, en mars 1980, le ministère de la culture japonais commande à Brighter deux sculptures : l’une pour l’entrée d’un nouveau théâtre à Osaka et l’autre pour une salle de concert à Kyoto. Il s’acharne durant 6 mois à se sortir de ses Iblobs. Il crée ainsi Nô Theater et Musicorum. Ces sculptures sont un succès populaire. Elles lui donnent du courage pour continuer.
Nô Theater, (1980)
Ebène, or et plâtre peint, (450x550x450 cm)
Nô Theater, Osaka
Musicorum, (1980)
Ebène, (350x250x250 cm)
Opéra, Kyoto

Eau et Métal

(1981-1986)

En 1981, il se sent près pour travailler l’eau. Il reprend là, l’idée de Vaillancourt. Il crée ainsi, en deux ans, dix fontaines à travers le monde dont notamment The Cosmos Spring (Los Angeles), Crusades Spring (Tel-Aviv) et Snakes (Rio de Janeiro).
Pour ces chantiers, il se fait aider de plusieurs corps de métier. Les gens avec lesquels il travaille sont heureux de travailler avec un homme à la fois si proche des réalités et si intéressé par l’innovation. Dans Snakes, Brighter met au point un système d’eau sans circulation extérieure. Cet appareillage lui permet de colorer l’eau en rouge. John Barmond, dans Arts News (Juin 1983) écrit : " Snakes est la réalisation de Brighter la plus proche de son livre en ce qui concerne l’entraide et la contrainte entre les formes, les couleurs et les matières. C’est une nouvelle vision de la modernité : tourmentée car contrôlée ".
Snakes, (1983)
Fontaine en verre, Eau Rouge, (420x300x300 cm)
Rio de Janeiro, Brésil
Cosmos Spring, (1981)
Fontaine en Marbre, (600x300x300 cm)
Los Angeles, Californie
The Crusades spring , (1981)
Fontaine en Marbre, (550x600x600 cm)
Tel-Aviv, Israël
Entre 1984 et 1986, Brighter rentre à Indianapolis. A 63 ans, sa soif de technique est encore grande, il désire maîtriser le métal. Il réalise la série Radar, trois importantes sculptures (Acier, Cuivre, Or). Il travaille dans un atelier de métallurgie artisanale afin de mettre au point les moules et la fonte des structures. Dans celles-ci, il symbolise la modernité par des formes réceptives (disques, demi-sphères, cônes) et émettrices (coques).
Brighter décrit ainsi sa démarche : " Lorsque l’on manipule des quantités importantes de métal, on doit prendre garde à la conscience collective de ce matériau. Lorsqu’il sort des hauts fourneaux, le métal inspire le respect ; imposant et pur, il a nécessité le travail de nombreux hommes ainsi qu’une quantité d’énergie importante. Pourtant, il dégage un sentiment glacial, symbole de la modernité. La pureté et la brillance du métal donnent un certain nombre de contraintes : une simplicité de formes, une texture lisse et un éclairage froid (blanc). Lorsque je manipule le cuivre, je suis au XIXème siècle, les structures doivent être courbes et concaves. Ce métal dégage un côté caché, une certaine magie, une sorte de cage de Farraday bouillonnante d’électricité. Avec l’acier, je sent que ce matériau, beaucoup plus froid et dur, nécessite un traitement industriel. Je crée des formes très simples que j’assemble par soudures claires et nettes. La pureté du traitement en fait l’efficacité. Enfin, avec l’Or, c’est la préciosité qui en fait l’attrait. C’est pourquoi, je ne le dispose qu’en surface afin qu’il soit le plus en contact avec l’extérieur prouvant ainsi son utilité : la seule manière de capter l’inconnu. Dans Radar I, II et III, en prenant le parti de créer des machines, j’ai l’impression d’avoir répondu à l’ensemble des contraintes que ces métaux imposent. J’ai le sentiment d’avoir réaliser une œuvre moderne : elles sont ouvertes sur l’extérieur (une grande surface externe par rapport à la masse) et elle renferme des masses cachées dans lesquelles le moteur de l’œuvre est situé. "
Radar I, (1984-85)
Cuivre, (250x200x200 cm)
Walker Art Center, Mineapolis
Radar II, (1984-85)
Acier et Or, (250x250x200 cm)
Yale University Art Gallery, New Haven
Radar III, (1984-85)
Acier et Or, (300x250x150 cm)
Institute of Contemporary Art, Boston
Sa mère meurt fin 1985 à l’âge de 94 ans. Brighter s’occupe alors beaucoup de sa famille. Il aide financièrement sa fille Lucy qui a alors du mal à faire fonctionner sa galerie. Felicia se marie avec un artiste japonais qu’elle a rencontré à New York, Huy Yamoto. Elle va s’installer au Japon. Brighter durant l’année 1986 réfléchit sur la notion d’œuvres mixtes car jusqu'à présent il n’a pas, selon lui, résolu la contrainte et l’entraide entre les matières. En 1986, il crée Space Invader, Cathedral et Dinausaurus.
Dans Space Invader, il développe un thème " Calderien ", mêlant l’équilibre mais aussi des techniques nouvelles dont un plâtre peint représentant des briques. Il dit de cette œuvre : " La brique et la pierre sont le symbole de l’entraide entre les matériaux ".
Dans Cathedral, il met en œuvre des techniques mixtes mais, dit-il, truquées puisque " seule l’apparence travaille, symbole de notre époque ", ajoute-t-il.
Dinausaurus est, selon la critique, " une application claire et limpide " de la notion d’espace contraint " Brighterien ". Il vend cette sculpture 1.200.000$ au musée Guggenheim de New York. Dès lors, il aborde plus à fond les techniques mixtes.
Space Invader, (1986)
Plâtre Peint et Bois, (350x250x200 cm)
Institute of Contemporary Art, Boston
Cathedral, (1986)
Plâtre peint, Plâtre recouvert d’or, bois, Plexiglas, (350x300x200 cm)
M.O.M.A., New York
Dinausaurus, (1986)
Plâtre recouvert d’or, lattes de bois, marbre, (350x250x150 cm)
The Solomon R . Guggenheim Museum, New York

Les espaces contraints

(1987-1990)
En 1987, il entreprend la réalisation de Egg. Il reprend son travail sur le verre. Pour cela, il fait appel à des anciens ouvriers de l’usine dans laquelle il a travaillé et qui sont maintenant à la retraite. Le travail est complexe, et les infrastructures onéreuses car la création d’une structure en verre de cette taille (250x180x180 cm), creuse de surcroît, n’est pas aisée. Il décrit ainsi cette sculpture : " Le verre est d’une fausse limpidité. C’est le vide qui donne les reflets. On attend d’un verre qu’il paraisse précieux. Il est comme l’acier lorsqu’il brille, un symbole de la technologie. En recouvrant de feuilles de marbre, les tunnels qui mène à la brillance, j’ai voulu rappeler que le verre et la technologie sont un héritage du passé. Ils sont donc ici matérialisés par la pierre. "
En 1988, avec Sky Receptor, il fait, là encore, une œuvre tournée vers l’avenir, le ciel en l’occurrence. Il défend le rôle de chaque matière : " Le marbre bleu est l’enceinte protectrice, par sa simplicité et sa richesse. Le plâtre blanc laqué est la matière énergétique qui sert à faire rayonner le cristal. Quant au cristal, précieux, il a le rôle fonctionnel de la sculpture, symbole de la précision des microprocesseurs actuels. " Sur ces deux sculptures, il tient particulièrement à l’éclairage qui permet selon lui, " de rendre toute la lumière " (en français dans le texte) sur  la matière.
Egg, (1987)
Verre et marbre, (250x180x180cm)
Entreprise Unilever, Chicago
Sky Receptor, (1988)
Marbre bleu, Cristal, Plâtre peint à la laque, (250x250x250 cm)
Entreprise I.B.M., Santa-Monica, Californie
En 1989, il crée Pistil. Cette œuvre est un calvaire technique. Il crée des pétales en cuivre dans l’atelier de métallurgie, il commande une sphère de marbre gris qui met près de six mois à arriver. Enfin, initialement prévue en verre, le pourtour n’a pu se faire qu’en résine. Il regrettera dans cette sculpture de n’avoir pu réaliser à cause de la technique le lien entre les trois éléments. Il en tire une morale : " La matière est souvent rabaissée au fameux rang de matière première. Essayons de la dominer avant de la déclasser ! ".
En 1990, il réalise Genesis, l’œuvre la plus mystique de Brighter et Integration, l’œuvre où il réalise sa sculpture la plus mixte : elle mêle le verre, le marbre et le métal. Il dira à propos de l’or qu’il utilise ici en feuilles que c’est, avec l’aluminium, un des seuls métaux et une des seules matières que l’on manipule de manière évidente.
Il expose en septembre 1990, ces cinq sculptures au M.O.M.A. de New York. A cette occasion, il publie un livre sur l’ensemble de son œuvre. Le livre et l’exposition sont un succès. Ces cinq sculptures sont vendues à des grands groupes industriels pour les immenses halls d’accueil de leurs gratte-ciel. Il les vend aux groupes : Elf-Aquitaine, General Motors, I.B.M., Unilever et Andersen Consulting.
Pistil, (1988)
Cuivre, Granit et Résine, (250x250x250 cm)
Entreprise General Motors, Detroit
Genesis , (1988)
Marbre vert et feuilles d’or, (250x250x250 cm)
Entreprise Elf-Aquitaine, Paris, France
Integration, (1989)
Marbre gris, Marbre Vert, Verre, Feuille d’or (250x200x100 cm)
Groupe Andersen Consulting, New York

Le grand projet

(1991-1996)
En décembre 1990, ses frères Mark et Henry meurent dans un accident d’avion au Brésil. Brighter est très affecté. Pour se changer les idées, il part avec sa femme chez Calder qui l’invite à Saché. Là, encouragé par des architectes, il commence des plans de structures très importantes. De retour à Indianapolis, il met au point une technique de construction à partir de deux plans. L’avantage de cette méthode dit-il est qu’à partir de deux dessins on réalise des structures tridimensionnelles. Il réalise ainsi Construction I et Construction II.
Dans Construction I qui, s’aperçoit-il plus tard, ressemble beaucoup à Piece of Land (1962), il met au point la technique d’élévation. Le principe est simple : sur un papier, en nuances de gris, il fait un dessin. De ce dessin, suivant les niveaux de gris, il réalise une sculpture. " L’ajout de verre, dit-il, permet là encore d’installer un moteur dans la sculpture. "
Dans Construction II, il met en place l’idée de deux plans se recoupant. L’un est un plan d’élévation, l’autre un plan de coupe qui fonctionne sur les mêmes principes. " La notion d’espace est parfaitement maîtrisée par Brighter, qui à partir de contraintes planes arrive à réaliser de véritables temples. " (Bernard Grandval, Art Press Juin 1992).
Plan de Coupe Construction II, (1992)
Aquarelle, (25x25 cm)
Collection particulière
Construction I, (1991)Plan d’Elevation Construction I, (1991)
Plâtre, (250x250x250 cm)Aquarelle, (25x25 cm)
Kunstmuseum, BerneCollection particulière
 
Construction II, (1992)Plan d’Elevation Construction II, (1992)
Marbre et Verre, (250x250x250 cm)Aquarelle, (25x25 cm)
Kunstmuseum, BerneCollection Particulière
En Septembre 1992, la ville de Guadalajara (Mexique) le contacte pour la réalisation du nouveau palais de justice. Cette commande vient suite à la série d’expositions intitulé Elevation qu’il a réalisé à travers le monde. Il prend le sujet à bras le corps. Il s’entoure de jeunes architectes qui vont modeler l’intérieur du bâtiment alors que lui s’occupe de l’aspect extérieur. Le projet est rapidement approuvé. Les travaux débutent en 1994 et s’achèvent en Juin 1996. Le bâtiment est inauguré en Septembre 1996 par une immense exposition qui regroupe l’ensemble des sculptures transportables de Brighter et les photos de celles qui sont trop importantes.
David Brighter meurt dans son lit le 8 décembre 1996.
Palais de Justice de Guadalajara, Mexique, (1992)
Plan d’Elevation
Aquarelle, (30x30 cm)
Collection Particulière
Plan de Coupe
Aquarelle, (30x30 cm)
Collection particulière
Plan résultant des coupes
Aquarelle, (30x30 cm)
Collection particulière

Biographie
1921
Naissance de David Brighter à Indianapolis le 6 septembre 1921. Son père est directeur d’une entreprise de machines outils.
1935
Rentrée de David Brighter au Georges Washington College.
1945
Brighter est diplômé de Yale en Physique des matériaux, spécialité Verrerie, il est embauché dans l’entreprise de son père.
1949
Début du travail sur les Ilobs, cours de sculpture. Mariage avec Jennifer Hanton.
1951
Brighter est embauché chez Unilever.
1956
Naissance de sa première fille Lucy.
1958
Naissance de sa seconde fille Felicia.
1959
Brighter achève (après 8 ans de travail) Blobmania.
1960
Première exposition au Indianapolis Museum of Art, Indianapolis
1961
Brighter s’arrête de travailler et se lance dans la vie d’artiste. Création des sculptures Ozone, Triosphères, Budda et Cactus vendues à la ville d’Indianapolis.
Exposition de photographies au M.O.M.A., New York
Exposition de photographies au Yale University Art Gallery, New Haven
1965
Exposition de huit sculptures dans les musées :
Los Angeles Country Museum, Los Angeles
Museul of Contemporary Art, Chicago
National Gallery of Art, Washington
1966
Exposition de huit sculptures dans les musées :
The Cleveland Museum of Art, Cleveland
Detroit Institute of Art, Detroit
Philadelphia Museum of Art, Philadephie
Columbus Gallery of Fine Arts, Colombus
1967
Exposition de huit sculptures dans le musée :
M.O.M.A., New York
Vente des sculptures, (1.500.000$ pour Metamorphosis, 6.000.000$ au total)
Rencontre de Guiseppe Amarovich.
Séjour chez Vaillancourt
1968
Séjour chez Coulentianos dans le sud de la France (création de Flowers).
1969
Séjour chez Gilardi en Italie (création de Flowers).
Brighter s’installe à Palerme durant 6 mois et crée Polyéthus.
1970
Séjour chez Calder en France à Saché (création de On the Beach).
1971
Séjour chez Henry Moore. Début de l’écriture de Constrained Spaces.
1972
Publication de Constrained Spaces. Ecriture des fascicules sur les matériaux artistiques. Brighter travaille avec ses deux filles.
1978
Publication de Constrained Spaces II.
1979
Echec de l’exposition au Indianapolis Museum of Art, Indianapolis.
1980
Ouverture de la galerie Stones de sa fille Lucy. Réalisation de deux sculptures pour le ministère de la culture japonais : Nô Theater et Musicorum.
1981
Mort du père de Brighter. Création de fontaines dans les villes Los Angeles et Paris.
1982
Création de fontaines dans les villes Tel-Aviv, Dublin, Tokyo, Mexico et Bombay.
1983
Création de fontaines dans les villes Rio de Janeiro, Huston et Helsinki.
1984
Début de la série Radar.
1985
Mort de la mère de Brighter.
1986
Création de Dinausaurus et vente de cette sculpture au Guggenheim (1.200.000$)
1987
Création de Egg.
1988
Création de Sky Receptor.
1989
Création de Pistil.
1990
Création de Genesis et Integration.
Exposition au M.O.M.A., New York
Vente de ces culptures à cinq grands groupes industriels.
Mort des deux frères de Brighter dans un accident d’avion au Brésil.
Séjour chez Calder à Saché (France)
1991
Création de Construction I et Construction II.
1992
Commande de la ville Guadalajara (Mexique) pour la construction d’un nouveau palais de justice.
1994
Début des travaux du palais de justice.
1996
Septembre : Inauguration du palais de justice.
Exposition au palais de justice de Guadalajara.
Mort de David Brighter le 8 décembre à l’âge de 75 ans.
1er Trimestre 1997
© Jérome Fraissinet, Louveciennes, 1996