L’Irlande

(1872-1887)
En février 1872, la famille Dupré décide de partir en Irlande. Elle s’arrête à Paris pour rendre visite à Jean Merlin qui a maintenant six enfants qu’il nourrit tant bien que mal. Jean est fier d’avoir un ami peintre " et célèbre de surcroît " lui écrit-t-il. Ensuite, ils passent par Rouen où Dupré décide de vendre la pharmacie avant ce voyage vers l’inconnu. Cette vente lui permet de partir avec beaucoup d’argent en toute sécurité. Ils prennent le bateau au Havre en juin.
Ils s’installent enfin en septembre dans le centre du pays dans la ville d’Athlone. Ils sont très bien accueillis et apprennent très vite les rudiments de la langue anglaise. Virginie est la seule infirmière à des dizaines de kilomètres à la ronde et Claude se fait vite beaucoup d’amis.
Durant l’année 1873, Dupré peint les maisons des alentours. Il accentue les couleurs de ces demeures afin, écrit-il à son frère Jacques, " de renforcer l’empreinte douce de la nature sur les efforts violents de l’homme ". Fin 1873, Dupré veut repartir en France mais sa femme et son fils le convainquent de rester là-bas tant ils s’y sont bien intégrés. Il abandonne sa peinture sur les maisons et se concentre alors sur les paysages très sauvages de la côte ouest de l’Irlande l’obligeant ainsi à laisser souvent sa famille seule.
La Maison des Andrews, (1873)
Huile (200x75 cm)
The Solomon R . Guggenheim Musem, New York
L’école d’Athlone, (1873)
Huile (200x75 cm)
Art Institute of Chicago, Chicago
Notre Maison, (1873)
Huile (200x75 cm)
Galleria d’arte Cartina, Milan
Avant la Mer, (1874)
Huile (200x75 cm)
Cincinnati Art Museum, Cincinnati
Sa peinture évolue très rapidement. Il travaille maintenant tout seul, loin de ses amis. Pourtant en 1877, comme le fait Monet à la même période, Dupré peint l’arbre, sous lequel il songe, à trois moments différents de la journée.
Ensuite, sa peinture devient plus rude, plus abstraite, plus nerveuse. Durant ses nombreuses promenades, il s’imprègne de toutes les couleurs, senteurs et sonorités de la nature. Il écrit à Jean Merlin " Ces promenades me rappellent nos longues dissertations. Au début je me parlais tout seul, maintenant c’est la nature qui me parle. Parfois, elle me questionne. Quelle douce sensation ! Je lui répond alors avec mes pinceaux. Je sens que nous nous comprenons elle et moi. Souvent, elle me dit que je n’ai pas bien entendu. Alors, comme cela m’est arrivé hier, (en peignant le tableau La côte de Westport), je recommence jusqu'à ce qu’elle fasse silence intégral. C’est comme si elle contemplait mon travail. Hier, j’ai réalisé je crois un tableau qui raconte ma véritable empreinte sur la nature ".
Campagne irlandaise, (1875)
Huile (200x75 cm)
Collection particulière
La plaine d’Athlone, (1876)
Huile (200x75 cm)
Musée des Beaux Arts, Dijon
Mon Arbre ce matin, (1877)
Mon Arbre à midi, (1877)
Mon Arbre ce soir, (1877)
Huiles (200x75 cm)
National Gallery, Dublin
En arrivant sur Shannon, (1878)
Huile (200x75 cm)
National Gallery, Dublin
WestPort, (1879)
Huile (200x75 cm)
National Gallery, Dublin
Sa peinture s’éloigne petit à petit du courant impressionniste. Le tableau qu’il intitule lui-même " Bleu " fait preuve d’une extrême modernité pour l’époque. Il explique bien plus tard ce tournant radical dans une lettre à Jean Merlin avant de quitter l’Irlande " La solitude artistique a cet avantage et cet inconvénient. Seul, face à soi-même et à la nature, on entre dans une seconde peau, un second degré, voire un second soi. J’y suis entré. J’ai quitté mes amis Monet, Pissaro et Sisley et étant sans nouvelles d’eux, je me suis souvent demandé ce qu’ils avaient pu peindre de nouveau. J’ai sûrement évolué autrement qu’eux. Mais, pour moi j’ai fait acte de vérité. "
Fin 1880, après avoir peint Bleu, Dupré décide d’arrêter la peinture. Sa femme et Claude, maintenant âgé de 19 ans et étudiant à Dublin en Mathématiques, ne comprennent pas bien ce choix. Pourtant, ils ne le forcent pas à continuer se doutant qu’il doit faire le point sur son travail. En effet, en 1882, Dupré abandonne la peinture en extérieur. Il préfère inventer lui-même des paysages en écoutant " cette petite voix intérieure, source d’une grande attention " (lettre à son frère, 1882). Le journaliste Henri Johnson, écrira à ce propos en 1919, que Dupré est sans doute le premier peintre Zen européen.
Bleu, (1880)
Huile (200x75 cm)
Musée de L’Ermitage, Saint-Pétersbourg
Côtes, (1883)
Huile (200x75 cm)
Musée de L’Ermitage, Saint-Pétersbourg
Dupré peint alors très peu jusqu'à son départ d’Irlande. Il réalise les tableaux Côtes, Monts, Lochs et Canyons. Ces derniers lui demandent près de deux ans d’études et de réalisation. Viriginie décrit la méthode de travail de son mari : " Il s’attarde sur chaque coup de pinceau. Il attend parfois trois heures pour poser une touche de blanc. Jamais il ne retouche un endroit déjà peint. Il baigne, semble-t-il, dans un parfait équilibre entre son âme et sa Dame Nature. Depuis qu’il a commencé ce tableau (en l’occurrence Côtes), tout est devenu paisible aux alentours. Il est d’une douceur extrême et se plaît à parler d’humeur joyeuse avec tout le monde pourvu qu’il ait ses quatre heures de peinture quotidiennes. " (Lettre à sa mère, 1882).
En 1887, une lettre arrive de son ami Jean Merlin lui signalant la mort de son frère au Tonkin. Son corps vient d’arrivé à Toulon. René, Virginie et Claude décident alors de repartir en France pour s’occuper de sa belle-sœur et de Julien. Ils quittent ainsi Athlome après un séjour de près de quinze ans en Irlande.
Lochs, (1885)
Huile (200x75 cm)
Musée d’Orsay, Paris
Monts, (1886)
Huile (200x75 cm)
The Solomon R . Guggenheim Musem, New York
Canyons, (1887)
Huile (200x75 cm)
M.O.M.A., New York
Lettre de René Dupré à Claude Monet