Paris, son enfance

1910-1929
Pierre Félan est né à Paris le 12 juillet 1910. Il vit son enfance dans le quartier de Montmartre. Il est fils unique, ses parents, instituteurs tous les deux à l’école communale de l’arrondissement, habitent un petit appartement rue Caulaincourt. Il s’amuse beaucoup dans les rues avec ses camarades de classe et est souvent devant les cabarets aux alentours. Il est déjà fasciné par le dessin lorsqu’il observe les caricaturistes de la place du Tertre. Il dessine sur ses cahiers, de nombreux dessins caricaturant avec talent ses professeurs. Malgré ses impertinences réprimandées par son père, Pierre Félan est un très bon élève et reçoit le prix d’excellence à son certificat d’étude. Ses parents sont très heureux et l’inscrivent au Lycée Louis-le-Grand. Il prend également des cours de dessin aux ateliers de Montparnasse sous la direction de Jean Ducret.
Il réussit des études brillantes en philosophie et rentre, en 1929, en classe d’hypokhâgne au Lycée Henri IV à la grande satisfaction de ses parents. Il pense alors devenir professeur de philosophie. Mais, son intérêt pour le dessin est très grand ; il obtient un premier prix des ateliers Montparnasse pour son travail sur l’architecture moderne.
Il rédige, en 1929, un carnet de textes et de dessins d’une cinquantaine de pages qu’il intitule " Les monuments morts ". Ce carnet contient de virulents poèmes sur les monuments de Paris, des sujets de thèse et se termine par le texte Obscur Support, le premier texte surréaliste de Félan, sa future spécialité. Les dessins au fusain illustrant le carnet sont un travail sur les lignes droites. A cette époque, Félan est très intéressé par le travail de Kandinsky et met au point une grammaire de la ligne. Il la veut moins globale que celle de Kandinsky mais plus efficace.
La Maison du Corbusier, (1929)
Encre de Chine, (57x24 cm)
Musée de Grenoble
Temple, (1929)
Pastel sec et mine de plomb, (36x27 cm)
Musée de Grenoble
Les Monuments Morts
Les monumentales oeuvres de l’homme gisent ci et là,
A travers le monde, construites et immobiles,
Comme laissées-là par oubli, sans mode d’emploi,
Statiques, dans notre grand asile.
Tas de pierres ou agencements méticuleux,
D’un autre temps et d’une autre culture,
Ils sont une vielle mémoire un peu trop dure
qui soumet aux vivants un vieil esprit frileux.
Les grandes cathédrales, ces vieux tombeaux.
Les monuments aux morts, ces vils caveaux.
Les vieux châteaux, demeures de vieux tyrans.
Les cimetières, des milliers de morts monuments.
Je devine à travers les oeuvres des hommes,
Le respect du passé, la peur de l’avenir.
Je redoute à travers ces oeuvres énormes,
Un fanatisme qui vient nous occire.
Obscur Support
Vibrant sur une corde raide,
Ondulant dans un noeud de fer,
Vaguement sur un champ de blé,
Horizontalement sur les cimes des bateaux.
Une longue ficelle joint les deux bouts.
Bleuâtre correspondance
Entre les phares d’Alexandrie et la pyramide d’Egypte.
Entre deux ou trois eaux, dans un complexe nid de poules.
Un discours chaotique argumente selon rhétorique.
Un vibrant hommage aux peuples inconnus.
Genèse immuable, jeunesse innommable.
Cinq droites traversent le corridor du temps,
Les vents percutent la terre et coulent dans l’eau.
Immanquable noir. Blanc oublié.
Obscur Support.
Pagode, (1929)
Fusain et mine de plomb, (39x26 cm)
Musée de Grenoble
Les Monuments Morts, (1929)
Pastel sec et mine de plomb, (35x27 cm)
M.O.M.A., New York
La Tour Eiffel
Elle, si haute, percute mon ciel,
Elle transperce l’éther de bruits de fer.
Comme une équilibriste couturière,
Elle tisse dans l’espace de lourdes fibres qui m’indisposent.
L’Arc de Triomphe
Fallait-il que cet homme si grand est tant tué,
Faut-il avoir tant combattu,
Faut-il avoir tant assassiné,
Pour triompher.
Le Panthéon
Les Grands Hommes dit-on ?
Sont-ils géants, sont-ils si imposants ?
Le boulanger le matin, est-il si petit, si inutile ?
Que devrais-je dire de mon père, alors ?
Le Sacré-Cœur
Perché sur sa montagne,
Telle une pâle copie de ces peuples disparus.
Faut-il encore tuer pour s’approprier ...
Enfant, je ne te connaissais pas.
L’autre Maison, (1929)
Pastel sec, (39x31 cm)
Musée de Grenoble
Chapelle, (1929)
Pastel sec et mine de plomb, (20x30 cm)
Musée de Grenoble
Sujet de Thèse : Art ou Talent.
Qui a réalisé cette œuvre mastodonte qu’est Notre-Dame ? Un homme seul, une foule opprimée ou une idée humaine de la civilisation. L’Artiste ne se pose pas de questions sur son rôle dans la société. Il laisse celle-ci aux historiens et autres hommes politiques. Ces derniers nous affirment que l’art est une nécessité pour la civilisation et le progrès. Mais pour la démocratie ?
Il y a trente ans, l’homme découvrait l’art gratuit. A-t-on depuis remis en question l’art du passé ? A-t-on regardé avec objectivité les oeuvres de ceux qu’on appelle les maîtres ? Est-ce de l’art ou du talent ? Tout est là me répond-on. Oui, tout est là, mais qu’en faire ?
Sujet de Thèse : Les mots, une communauté parfaite.
On est souvent assourdi dans le vacarme des rues par le silence de l’homme. On est souvent muet dans le silence de l’homme par le bruit de sa mémoire. Les mots sont-ils si faibles qu’ils peuvent être leur sens et leur contraire. Les mots sont-ils si beaux, qu’ils ne vont qu’ensemble. Mêle-t-on une carotte (une vraie) avec le mot Théorème. On mêle pourtant une casserole et une carotte !
Les mots parlent d’eux même. Mais s’entendent-ils bien entre eux, qu’un mot de travers n’en fasse une guerre ? La grammaire et la sémantique des mots est-elle comprise par ceux qui les ont créées ? A voir dans les déclarations de guerre et d’amour, à voir dans les poésies et dans la philosophie.
Extrait du Carnet " Les Monuments Morts ", (1929)
Fusain et pastel sec, (15x20 cm)
Musée national d’art moderne, Centre Georges Pompidou, Paris